De Eredan.

Version actuelle en date du 3 octobre 2013 à 13:57

Histoire

Chapitre 1 - L'appel de l'Ombre

Lorsqu’un corbeau se posa sur le rebord de la fenêtre et croassa à plusieurs reprises, un craquement se fit entendre, des lattes de plancher pliaient sous le poids des pas de l’unique résidant de cette immense demeure xziarite. Le corbeau, loin de se démonter, croassa de plus belle lorsqu’il perçut que quelqu’un montait les escaliers afin de rejoindre l’étage et la chambre où il se trouvait. Enfin, après une longue minute la porte de la chambre coulissa en laissant échapper un grincement. Le corbeau stoppa ses cris et observa l’arrivant ; un homme frêle vêtu d’une tenue typiquement xziarite sur laquelle les attributs du clan du Corbeau étaient bien visibles. Ce qui aurait pu choquer une quelconque personne qui rencontrait pour la première fois Hisomu c’était ce voile blanc large d’une vingtaine de centimètres tombant jusqu’aux genoux. Sur la partie basse du voile étaient inscrits deux idéogrammes qui ensemble signifiaient “fantôme”. En un seul pas l’homme se retrouva de l’autre côté de la pièce, juste devant le corbeau qui inclinait la tête. D’une main presque squelettique Hisomu caressa la tête du volatile qui sembla apprécier l’attention.

- Chidori... cela fait des mois que je ne t’ai vu. T’es-tu souvenu d’un coup d’un seul que j’existais encore ?

A ce moment-là dans un nuage de fumée Chidori qui s’avérait être le corbeau reprit son apparence normale. La jeune femme resta appuyée sur le rebord de la fenêtre comme si quelque chose l'empêchait d’entrer.

- Hisomu... toujours aussi aimable. Je suis désolée de ne pas te rendre visite plus souvent, mais c’est … compliqué.

- Compliqué ? Dis plutôt que tu ne veux pas que Seigneur Daijin sache que tu me rends visite.

- Crois-tu que nous pouvons lui cacher quelque chose, c’est lui qui m’envoie.

- Il a bien choisi son messager. Et qu’est-ce que mon seigneur me veut ?

- Il a besoin de ce que tu gardes pour lui depuis des années.

Hisomu se figea, envahi par les souvenirs. Cela le projeta bien des années plus tôt à Meragi. Il n’était qu’un enfant, rejeté des siens car marqué du sceau de l’infamie. En effet Hisomu avait le malheur d’être né avec des difformités dues au fait qu’il était naturellement un guémélite de l’ombre, un fait aussi rare d'exceptionnel. Les autres enfants furent cruels avec lui comme les enfants peuvent l’être souvent vis-à-vis de l’anormalité. En grandissant cela ne s’arrangea pas et Hisomu tenta d’en finir avec la vie à plusieurs reprises. Sans la rencontre avec Daijin il ne serait sûrement plus vivant aujourd’hui. Le Corbeau lui fit une offre qu’il ne put refuser. Alors il l’envoya dans une zone reculée pour vivre dans une vieille demeure où nul ne pourrait se moquer de lui. On lui donna à garder un secret qui serait en partie protégé par magie et lorsque le Corbeau désirerait qu’on lui apporte ce secret, Hisomu serait alors chargé de cette mission. Ce jour était venu.

- Il en sera fait selon son désir. Tu peux lui dire que je fais le nécessaire. Je vous rejoindrai le moment venu.

- Ne tarde pas trop, dit-elle avant de se retransformer en corbeau et s’envoler.

Perché sur son rocher Daijin surveillait les alentours. Il le savait, les néhantistes n’étaient pas loin et la confrontation inévitable. Il avait longuement préparé une stratégie qui devrait permettre de sauver l’empire ou du moins ce qui l’était encore. Mais pour cela il lui fallait Hisomu et ce fameux secret. Chidori avait fait son travail, il ne lui restait plus qu’à garder patience. Karasu à quelques pas derrière Daijin finit de lire un parchemin qu’il roula ensuite.

- Seigneur, les troupes du Seigneur Impérial Gakyusha et des autres généraux sont en place. Les Tsoutaï souhaitent savoir si nous avons besoin d’un appui sur notre ligne.

- Non, nous devrions pouvoir tenir. Et qu'en est-il de nos alliés draconiens ?

- Comme vous le souhaitiez ils ont mis en place des écrans d’invisibilité sur les armées xziarites, ils attendent votre signal pour commencer le rituel d’isolement.

- Très bien, qu’ils se tiennent prêts. Une fois que le combat sera engagé il nous faudra resister le temps nécessaire. L’Empereur est-il hors de danger ?

- Il est là où il doit être.

A ce moment là un disque d’ombre apparut sur le sol à côté d’eux et Hisomu en sortit. Karasu recula en fronçant les sourcils car il ne l’appréciait pas et le jugeait trop instable. L’arrivant s’inclina respectueusement devant Daijin en tendant un rouleau à parchemin scellé par la marque du Corbeau.

- Me voici maître et voici ce que vous m’avez confié.

- Qu’est-ce ? Demanda Karasu.

- Un secret, dit Hisomu, et un secret ne doit pas être révélé !

- Tu as toujours été curieux mon petit Karasu. Je vais satisfaire ta curiosité. Mais avant cela je vais vous donner à tous deux des consignes.

- Je vous écoute seigneur, dit Karasu en bombant le torse.

- Je vais pratiquer un rite qui va m’épuiser plus que de raison. Lorsque celui-ci aura produit son effet il vous faudra m’écarter du combat, puis une fois en sécurité vous repartirez dans la mêlée jusqu’à ce que les draconiens aient fini leur propre rituel.

- Entendu, dit Hisomu.

- Il est temps d’agir, nous jouons la survie de l’Empire dans cette bataille, j’espère que vous saisissez l’importance que cela revêt.

Daijin, Karasu et Hisomu se trouvaient désormais au milieu d'une grande plaine. Devant eux au bout du champs la lisère d'une forêt aussi vieille que ce monde. Des oiseaux par dizaines s'envolaient, annonçant l'arrivée prochaine d'une horde de démons qui ne désiraient qu'une chose : détruire ! De l'autre côté de la plaine la maigre armée impériale composée de Tsoutaï, de traqueurs, de la garde impériale et de la quasi totalité du clan du Corbeau. Soit à peine quatre cent hommes qui devraient affronter des milliers de démons. Le moral était au plus bas parmi les simples hommes mais heureusement les Tsoutaï redonnaient courage à ceux qui en manquaient.

Daijin décacheta le rouleau apporté par Hisomu et une pure magie d'ombre s'en échappa. Des filaments d'ombre tombaient par terre et au contact du sol ils le modifiaient pour le rendre ténébreux. Dans un geste sec et puissant il déroula d'un coup le parchemin en ligne droite devant lui. Ce fut comme une explosion de magie, les filaments noirs, innombrables semblaient vivants et comme s'ils étaient enfermés depuis longtemps tentaient d'aller le plus loin possible. Karasu et Hisomu comprirent que le rituel avait débuté, d'ailleurs leur seigneur ressemblait moins à un vieillard à présent. Le Corbeau semblait plus jeune, plus puissant aussi, de grandes ailes de plumes noirs partaient de son dos. Il posa la main sur l’extrémité du parchemin devant lui et marmonna des incantations magiques. Les filaments noirs vibrèrent à l'unisson puis lentement ils se regroupèrent sous le Corbeau pour finalement s’agripper à ses pieds puis ses chevilles. La magie de l'ombre était sienne désormais et il se trouvait relié avec tous les guémélites de l'ombre des terres de Guem. Il se concentra alors sur la suite du rituel, une étape importante, cruciale même.

- Fils et filles de l'Ombre ! Mon nom est Daijin le Corbeau et j'implore votre venue jusqu'à moi ! Vous guémélites devez défendre cette terre dont vous êtes proche, une horde de démons menace l'Empire de Xzia ! Je vous convoque !

Très loin de là les premiers à réagir furent les guémélites de l'ombre des Combattants de Zil. Tous entendirent l'appel de Daijin et aucun d'entre eux ne savait l'Empire de Xzia en danger. Ainsi Zil fut le premier à répondre à l'appel, il sentait déjà la force de l'ombre l'attirer vers un autre lieu. Il hurla à tous les combattants de l'ombre de se laisser faire. En un clin d'œil il fut happé par l'ombre et en ressortit juste à côté de Daijin. Il en fut de même pour l'Aberration et tous les Combattants de Zil en mesure de venir.

- Tu as notre soutien Corbeau, dit Zil en sortant ses dagues.

Rapidement ils furent des centaines à apparaître, la plupart d'entre eux vivaient isolés de par leur spécificité, les guémélites de l'ombre étaient craints pour la grande majorité. Il y en avait de monstrueux et d'autres à l'apparence beaucoup plus proche de leur race d'origine. Mais tous étaient prêts à faire face aux démons. D'ailleurs, ceux-ci arrivaient enfin à la lisière de la forêt et ce qui suivit, Daijin ne pourrait en être témoin. Avoir fait venir jusqu'à lui tous ces guémélites de l'ombre l'avait grandement épuisé et il tomba inconscient. Karasu et Hisomu exécutèrent l'ordre de leur supérieur et éloignèrent Daijin. L'armée de l'ombre fut rejoint de celle de Xzia. Les Corbeaux se mêlèrent aux guémélites et firent passer le mot quant à la stratégie. Le but n'était pas de risquer des vies mais de retenir les démons le temps nécessaire à ce que le reste de l'armée intervienne et que les draconiens parviennent à accomplir leur rituel.

La bataille s'engagea. Amidaraxar s'étonna de voir cette armée hétéroclite mais le nombre était en sa faveur. Il ordonna à ses légions de fondre sur cette ridicule tentative de résistance. Mais le nombre n'était pas aussi important dans ce conflit, car les facultés et les habiletés de chacun jouèrent pour beaucoup. Et les défenseurs rivalisèrent face aux attaquants les techniques des ombres permirent aux guémélites de reprendre le dessus temporairement, les tentacules d'ombre par dizaines agrippaient les démons et les renvoyaient dans la direction par laquelle ils étaient venus. Puis alors que les démons se réorganisaient des hommes en armure rouge apparurent parmi les défenseurs. Les renforts tant attendus étaient là, prêts à en découdre. Le Seigneur-Gakyusha sonna l'assaut et la poignée de mages de la Draconie coupa les sorts d'invisibilité placé sur les armées. A présent en un contre un la bataille changea de visage. Les démons furent décimés et ceux-ci se regroupèrent pour faire front. Mais Amidaraxar n'avait pas dit son dernier mot, ses démons ne pouvaient réellement mourir, lorsque l'un d'eux tombait au combat il était renvoyé dans les Méandres. Mais le Néhantiste était en mesure de les ré-invoquer immédiatement, cette bataille ne pouvait finir que dans le sang de ses adversaires car les démons ne se fatiguaient pas.

Mais c'était sans compter sur la puissante magie de Dragon ! Depuis le début du combat Maître-Mage Pilkim aidé d'Aerouant et d'un certain nombre de mages pratiquaient discrètement un rituel expérimental et bien particulier. Aerouant connaissait bien les démons, il savait qu'ils ne mourraient pas vraiment. Aussi il entreprit de bloquer temporairement le chemin d'accès entre les méandres et l'invocateur. La terre se craquela sous l'effet de l'apparition de grandes lignes de magie à la lumière bleue. Ces lignes s'entrecoupèrent pour former comme une sorte de gigantesque toile d'araignée. Amidaraxar comprit de quoi il s'agissait lorsque les démons qu'il rappelait ne purent revenir. A ce moment précis il sut qu'il venait de perdre la bataille...

Chapitre 2 - Cambriolage

L’Arc-Kadia dessina de larges cercles autour du palais de Bramamir, laissant derrière lui deux sillons de fumée tout droit sortis de ses deux imposants moteurs. Puis le navire ralentit, au début imperceptiblement puis de plus en plus, finalement il s’arrêta totalement au niveau du balcon du bureau du gouverneur. Al la Triste suivie du commandant Malderez et de deux autres personnes qui retenaient l’Etranger désormais prisonnier de la célèbre pirate s’engouffrèrent par l’ouverture avant que l’Arc-Kadia ne s’en aille. A l’intérieur le bureau semblait abandonné, des parchemins scellés attendaient sagement sur le bureau que quelqu’un veuille bien les lire. L’Amiral fit signe à Malderez de les récupérer, elle s’en occuperait sûrement lorsque le moment serait venu. Mais pour l’instant elle avait mieux à faire, elle tenait celui que l’on nommait l’Etranger, recherché par toutes les guildes et pour lequel une forte somme était offerte par le Conseil des Guildes. Mais alors que faisait-elle ? Pourquoi ne pas avoir directement mis le cap sur le château de Kaes pour livrer le prisonnier ? Une fois n’était pas coutume, c’était l'appât du gain ou devrait-on dire la possibilité d’avoir le beurre, l’argent du beurre et tout ce qui va avec qui motivait notre cupide Amiral. Encore un plan des plus “piratesques” consciencieusement pensé pour ne pas dire réfléchi entre deux goulées d’un alcool sorti d’on ne savait quelle distillerie douteuse. L’Etranger avait une valeur, celle de la prime tout d’abord, mais aussi toute autre car le personnage s’avérait être un Equinoxien ! Et d’après les rapports du Conseil, il existerait encore des vestiges de cette civilisation et donc potentiellement des trésors cachés. Cela suffisait pour motiver Al la triste qui depuis quelques temps déjà s’ennuyait. Une petite filouterie de plus était une bonne perspective pour une honnête pirate. La troupe fila en direction des geôles désormais bondées de politiciens véreux de l’ancien régime. Une séance de nettoyage de cellule plus tard l’Etranger se retrouva à nouveau enfermé.

- Nous n’allons pas faire les erreurs des draconiens Etranger, tu vas être sous une surveillance étroite. Ne pense même pas à utiliser un quelconque pouvoir magique.

- Personne ne me retiendra, croyez-moi.

- Nous verrons bien, passe une bonne nuit Etranger, demain nous discuterons de ton avenir. La nuit porte conseil parait-il...

Dans la prison, les ronflements de concert des nombreux pensionnaires maintenaient éveillé Malderez qui se retrouvait là à surveiller le prisonnier. C’était là une punition que le commandant acceptait, résigné et toujours dépité d’avoir perdu son propre navire. Malderez et l’Etranger avaient déjà passé plus de trois heures à se regarder l’un l’autre dans un duel de regards. Puis lassé, Malderez s’occupa à démonter son arme pour la nettoyer un peu. Il ne se doutait pas un instant que du côté de l’Etranger il se passait quelque chose. Dehors, sur les toits une silhouette se détachait, à peine éclairée par les rayons d’une lune presque pleine. Les formes trahissaient la nature féminine de ce monte-en-l’air. La jeune femme, aussi agile qu’un chat arriva au bout d’un moment sur le toit de la tour-prison de Bramamir. Le bout d’une longue corde tomba juste en-dessous de la fenêtre à barreaux de la cellule de l’Etranger, puis la jeune femme s’accrocha à la corde avant de se laisser glisser. Elle veilla à ne pas faire le moindre bruit. Une fois arrivée au bout elle fit un nœud de manière à pouvoir conserver une main libre. A l’intérieur ni l’Etranger ni Malderez ne se rendaient compte de la présence de la monte-en-l’air. Elle en profita alors pour mettre son plan à exécution. Elle farfouilla dans son sac et en tira deux cristaux plats de couleur bleue. Discrètement elle gratta sur un des barreaux pour attirer l’attention de l’Etranger, celui-ci tourna la tête et vit la jeune femme avec le doigt posé sur sa bouche pour lui dire de garder le silence. Il garda son attention sur elle, cette dernière lui tendit un des deux disques qu’il accepta. Héléna posa la main sur le cristal qu’elle avait gardé en voyant que l’Etranger tenait le sien.

- Tiens bien ce cristal, il nous permet de discuter par la pensée du moment que nous avons tous les deux un contact avec.

- Qui es-tu ?

- Je m'appelle Héléna, je suis ton ticket de sortie... du moins si tu coopères, ce qui je pense sera le cas.

- Je t’écoute.

- Je ne fais partie d’aucune organisation, je suis indépendante. J’ai voué ma vie à retrouver les vestige de notre passé et ton cas m’intéresse. Tu es un Equinoxien n’est-ce pas ? J’en connais un bout sur ton histoire et je t’avoue que je cherche des reliques de ta civilisation. Est-ce qu’il y a ce style de reliques en Terre de Guem ?

- Pourquoi te donnerais-je ce qui appartient à mon peuple ?

- Parce que je peux te sortir de là et te permettre d’accomplir ta mission... oui je suis au courant de ça.

- Tu trahirais les tiens ?

- Oui je m’en fiche bien de ces idiots, et puis même si le monde était peuplé d’Equinoxiens je pourrais vivre sans qu’aucun d’entre vous ne me retrouve. A moins d’inclure dans notre marché un sauf-conduit éternel en ma faveur. Décide-toi nous n’avons pas de temps à perdre. Je te sors de là, tu me conduis jusqu’à des reliques de ton peuple et tout le monde est content ! Alors ? Tu marches avec moi ?

Le choix paraissait évident, d’un côté Al la Triste et un avenir plutôt obscur, de l’autre la liberté au prix de quelques babioles. Il aurait tout le loisir de tuer cette Héléna par la suite.

- J’accepte.

- Génial ! Allez, au travail, garde ce disque avec toi pour communiquer, dit-elle en fouillant dans son sac de sa main libre.

Elle sortit un cristal pour le caler à l’intérieur de la cellule sur le lit à côté de l’Etranger. Quelques instants après la magie opéra.

- A présent nous pouvons faire le bruit que nous voulons, ton geôlier ne remarquera rien.

Héléna farfouilla à nouveau pour en sortir cette fois une fiole de la taille d’une poire. Elle versa un peu de son contenu sur le haut et le bas des barreau. Le liquide translucide un peu visqueux rongea le métal avec facilité et l’Etranger eut à peine à forcer pour les enlever. Encore une évasion spectaculaire de l’Equinoxien.

Quelques jours plus tard, Héléna et l’Etranger à bord d’un navire volant volé approchaient des ruines de Caislean. Craignant alors de se faire repérer, le navire se posa à bonne distance et les deux membres d’équipage s’aventurèrent en direction de l’objectif. Ils traversèrent la forêt dense jusqu’à la lisière où enfin les ruines furent visibles. C’est à ce moment-là que l’Etranger se décida à agir. Maintenant qu’il était là, enfin débarrassé des pirates, il ne lui restait plus qu’à tuer Héléna puis rentrer en contact avec un Métamage pour obtenir de nouveaux ordres. Il laissa passer la jeune femme devant lui puis s’apprêta à frapper. C’est là qu’il sentit un objet pointu dans son dos. C’était Al la Triste, arme à la main.

- La nuit a-t-elle porté conseil ? Dit l’Amiral en plaisantant.

Héléna souriait satisfaite de son petit tour.

- Amiral, merci pour ton intervention.

- Ça faisait partie de notre arrangement, voleuse.

- Vous êtes de mèche ? S’étonna l’Etranger.

Héléna lui adressa un sourire qui en disait long sur comment elle l’avait dupé.

- Évidemment dit-elle. L’Amiral n’est pas une idiote, elle s’est renseignée sur toi et elle savait que tu ne dirais rien sur les nombreux sujets qu’elle aurait abordé. Donc il nous fallait agir de façon détournée avec toi. L’Amiral a fait appel à mes services et je l’en remercie. Je lui ai proposé ce plan : gagner ta confiance en t’aidant à te libérer, puis une fois libre que tu nous conduises à l’endroit où se trouve le trésor, cette ruine si je ne m’abuse. L’Amiral et quelques autres qui sont d’ailleurs assez mal cachés il faut l’avouer, nous ont suivi et nous devions ensuite te capturer à nouveau. C’est d’ailleurs chose faite.

- Allez, entrons dans ces ruines et trouvons les trésors qui y sont enfermés, ajouta l’Amiral en faisant signe à ses hommes de menotter leur “invité”. Tu viens avec nous, pas question d’y aller sans toi.

Peu de temps après le coup d’éclat, Al la triste, Héléna et l’Etranger s’enfonçaient dans le dédale de couloirs sous les ruines de cette ancienne résidence de Metamages, des magiciens Equinoxiens très puissants, disparus depuis des éons.

- Ne croyez pas que je vais vous dire quoi que ce soit femmes humaines, vous n’êtes rien pour moi et...

Héléna s’arrêta pour le gifler.

- Il parait que votre société est dirigée par les femmes justement, alors boucle-la.

Elle sortit alors un chiffon avant d’en bâillonner son exécrable compagnon. Une fois réduit au silence la voleuse montra le disque de cristal qu’elle utilisait pour parler avec lui.

- J’ai un plan, je ne pars jamais sans m’assurer avant que je parviendrai à mes buts. Ceci me permet de parler avec toi par la pensée, mais aussi à comprendre la langue d’une personne étrangère. Je vais pouvoir lire tous les symboles qui sont sur ces murs, dit-elle en montrant les grandes parois d’une salle dans laquelle ils se trouvaient.

Le temps passa vite à l’intérieur du complexe, et deux heures s’étaient déjà volatilisées. Héléna menait la petite troupe en suivant les indications et les indices disséminés un peu partout. Elle comprenait mieux la façon de penser des Equinoxiens. Leur magie se basait sur les écritures, visibles ou non. L’édifice était un véritable gruyère et beaucoup de portes n’étaient visibles qu’après des manipulations particulières que seul un Equinoxien, ou quelqu’un connaissant la langue, pouvait comprendre. C’est ainsi qu’elle parvint à résoudre des énigmes complexes et découvrir une vaste salle en partie écroulée.

- Je crois que je tiens quelque chose les amis ! S’écria Héléna en sautillant.

- Quoi ? Y a rien ici à part des décombres, répondit l’Amiral la mine perplexe.

- Que tu crois ! Regarde !

Héléna s’approcha d’un mur couvert de poussière et frotta dessus sur une petite partie à hauteur de genoux. Il y avait là plusieurs serrures disposées sur différentes portes, comme une série de petits coffres-forts. De quoi faire rêver la jeune voleuse qui détacha de sa ceinture une sorte de clé à l’aspect très étrange.

- L’affaire est dans le sac Amiral !

Chapitre 3 - Par la lumière !

Le vent balayait la surface comme une langue invisible. Les milliers de grains de sable qui avaient déjà parcouru d’innombrables lieues voletaient vers une direction inconnue. Parfois ils s’accumulaient au pied d’un rocher et parfois, comme à présent, au pied d’un vieux mur vestige d’un autre temps. Netjhim planta son bâton à tête de chacal dans le sable et examina les lieux, se protégeant du soleil d’une main et entortillant le bout de sa très longue barbiche du bout de ses autres doigts. Derrière lui la porte de l’Infini, découverte il y a quelques temps, donnait l’impression qu’une nouvelle terre s’étalait au-delà, mais il n’en était rien. Le prêtre de Ptol’a avait passé plusieurs semaines à déchiffrer les écritures inscrites sur chaque colonne de la porte. Ce qu’il avait découvert dépassait ses espérances bien que le contenu lui fit mauvaise impression. Elles indiquait qu’ici se trouvait la cité de Sundara, la plus grande des cités d’un âge dont nul ne gardait souvenir. Mais que celle-ci fut attaquée et en partie détruite durant une guerre entre le peuple qui grava ces symboles sur la porte et une race de guerriers impitoyables. La porte fut presque détruite et la quasi-totalité des habitants de Sundara fut tuée. Puis les dernières écritures indiquaient que les lieux étaient maudits et qu’en aucun cas il ne fallait s’attarder ici. Mais c’était déjà trop tard, Netjhim le savait bien, ils avaient découvert la porte et plus loin un squelette qui confirmait les écritures. Il y avait eu une grande bataille dans Sundara dont un des camps était composé d’êtres proche de Guem et l’autre, sûrement ces guerriers en armure. Depuis cette découverte l’équipe archéologique de l’historien royal continuait son travail de recherche. Sundara était là sous leurs pieds et la confirmation arriva lorsque les premiers vestiges furent déblayés. Netjhim n’aimait pas ce qu’il ressentait vis à vis de cet endroit. Pourtant il n’avait rien de très particulier si ce n’était son histoire, juste du sable, des émeraudes géantes et des vestiges...

A Mineptra le rapport de Netjhim était parvenu un matin jusqu’à la personne concernée, à savoir Sakina. A la lecture de celui-ci, elle comprit que l’affaire était très importante et ordonna que cette affaire soit sur le champ portée à la connaissance du roi Metchaf. La réponse ne se fit pas attendre et le soir même le commandant de la garde Royale était convoqué par le roi. L’homme en question était en poste depuis que Metchaf avait succédé à son père quelques années auparavant et sa renommée était aussi grande que celle du Vizir Mahamoud ou même que le roi en personne. Le jeune homme, paré de sa magnifique armure digne de son statut, rejoignit Metchaf dans la salle du trône. Lorsque Ahzred arriva Metchaf fit signe aux autres gardes et aux quelques personnes se trouvant là de les laisser seuls.

- Ahzred, mon ami, dit Metchaf en lui serrant le bras.

- Majesté.

- J’ai besoin de toi et de ta puissance de frappe.

- Je suis ton serviteur, que dois-je faire pour ton plaisir.

- J’ai reçu un rapport de Netjhim le prêtre de Ptol’a qui est actuellement dans une région reculée du désert. Il y a fait une découverte aussi incroyable que dangereuse selon ses dires. Je crains qu’il ne lui faille un appui de taille. Je ne suis pas certain qu’il s’y passe quelque chose, mais je préfère prendre les devants, car d’après les rapports du Conseil des guildes il y aurait une liaison avec les Equinoxiens et les portes de l’Infini. Cette mission est donc placée sous la responsabilité et le nom des Nomades du désert. Mets-toi en route dès que possible, Sakina connaît les détails de cette affaire elle t’indiquera où se trouve Netjhim.

Ahzred inclina la tête et sans une parole de plus s’en alla à la recherche de Sakina.

Presque une semaine s’était écoulée depuis la découverte de Sundara et l'équipe archéologique accomplissait un travail remarquable. Les premières ruines étaient désormais déblayées, confirmant ainsi l’existence de cette cité. Ahzred quant à lui avait retrouvé le prêtre de Ptol’a la veille et toute l’histoire lui fut racontée. Lui aussi n’aimait pas cet endroit, et il se sentit mal à l’aise dès qu’il s’approcha de la porte.

- Prêtre, tu me dis que nous sommes sur un champ de bataille et que les morts dorment sous nos pieds ?

- Oui champion, je ne sais pas combien ils sont, mais je sens qu’il y a eu d’innombrable morts dans cette région. Nous avons trouvé d’autres cadavres là-bas entre les ruines, venez voir.

Quand Netjhim parlait d’autres cadavres, Ahzred songeait à deux ou trois, pas plus, pourtant, là, entre les ruines des maisons de Sundara, c’était des dizaines de squelettes qui reposaient depuis des siècles. Et parmi eux distinctement on discernait les deux peuples: des guerriers de grande taille en armure et des personnes plus petites dont les restes de vêtements laissaient à penser qu’ils n’avaient rien de soldats ou d’hommes d’armes.

- Quelle désolation, dit Ahzred en se penchant sur un squelette au crâne fracassé. Leurs blessures laissent à penser que la bataille fut d’une violence extrême. regarde prêtre, ils ont une pierre-cœur, dit-il en montrant les squelettes de petite taille.

- Le peuple proche de Guem, comme indiqué sur la porte de l’Infini. Les pièces du puzzle s'emboîtent parfaitement.

- Mais il en manque encore. Pourquoi est-ce que ce peuple a disparu ?

- Je n’en ai aucune idée.

A ce moment là un des ouvriers de l’équipe arriva en courant, essoufflé et transpirant.

- Nous avons... trouvé... quelque chose ! Venez s’il vous plaît, c’est un peu plus loin là-bas, dit-il en montrant une direction.

Les deux Nomades du désert suivirent l’ouvrier jusqu’à une autre ruine en bien meilleur état que les autres et autour de laquelle le reste du groupe d’archéologues s’affairait. L’historien royal se tenait la tête en exultant de joie.

- C’est incroyable, avoir trouvé une cité inconnue est un fait rarissime et c’est encore plus vrai lorsque celle-ci est d’un peuple qui vécu ici bien avant nous. Regardez les écritures sur les murs, c’est exactement le même style que celles de la porte.

- Oui il m’a fallu beaucoup d’efforts pour les déchiffrer, je pense que cette écriture-là est l’ancêtre de la nôtre, dit Netjhim en examinant les murs.

- Il y a une ouverture de ce côté ! Hurla un ouvrier.

Ahzred laissa Netjhim à la contemplation et à la traduction des écritures pour voir de quoi il retournait. De l’autre côté de l’édifice une portion du mur s’était écroulé, laissant ainsi un passage suffisamment large pour laisser passer une personne. A l’intérieur il faisait sombre aussi les ouvriers allèrent chercher de quoi éclairer, Ahzred lui, sentait que quelque chose n’allait pas ici, outre cette ville champ de bataille il gardait ce ressenti, comme un maléfice ambiant, quelque chose qui dormait profondément depuis longtemps. Enfin une torche fut allumée et un ouvrier allait entrer lorsque Ahzred posa la main sur son épaule.

- Attends ! Donne-moi cette torche, je vais y aller.

- Mais vous ne préférez pas que je vérifie que tout aille bien d’abord ?

- Justement, si quelque chose ne va pas, je préfère que cela me concerne uniquement, dit Ahzred en prenant la torche.

Le champion de la garde royale entra lentement, éclairant autour de lui pour mieux comprendre où il mettait les pieds. Le trou était en réalité à mi-hauteur du mur et devait descendre jusqu’en bas. Le sable s’y était engouffré, offrant une pente glissante que le champion dévala en parvenant tout juste à se maintenir. L’édifice en lui-même n’était qu’une seule et gigantesque grande pièce. Le piège se referma sur lui au moment même où il posa le pieds sur le sol ferme. L’ambiance changea. La lumière qui émanait de l’orifice disparut d’un coup, remplacé par un sorte de voile légèrement violacé. Des formes humanoïdes se détachèrent sur le fond, et une chose était sûre, celles-ci n’étaient pas amicales car, à la lumière de la torche, Ahzred pu voir qui elles étaient : des hommes, grands, crânes rasés, la peau plissée, des cristaux transparents sortants de leurs bras, jambes et visages, tous armés de larges lames rouillées. Ahzred jeta la torche au sol et en appela à Ra dieu de la lumière pour que celui-ci lui apporte la force nécessaire pour vaincre ses ennemis. Un cercle de lumière pur apparut derrière lui et ses yeux s’enflammèrent d’énergie, Ra l’avait entendu et lui accordait ses faveurs pour cette bataille. Ahzred serra les poings avec force, ceux-ci étaient ses armes à lui car il ne portait pas l’épée ou la lance comme les autres gardes royaux. Il esquiva le premier coup d’un de ses adversaires puis hurla “PAR LA LUMIERE !” avant d’abattre son poing vengeur sur la figure de l’opposant qui s’envola comme le sable dans le vent. Puis ce fut la mêlée, le combat d’un passé affrontant le présent. Ces spectres de l’Equinoxe seraient venus à bout de n’importe quel autre combattant qui aurait eu le malheur de s’aventurer ici, ils n’auraient fait qu’une bouchée de l’ouvrier si celui-ci n’avait pas été retenu par Ahzred. Mais leur adversaire avait la foi la plus pure et il se battait dans le but de protéger le groupe qui se trouvait à l’extérieur plus que pour lui-même. Un à un les Equinoxiens tombèrent, brûlés par la colère divine de la théurgie du champion. Et lorsque, quelques temps plus tard le dernier tomba, son sang recouvrait son armure et les symboles divins. Il n’en pouvait plus, son cœur battait tellement fort qu’il pensait qu’il ne pourrait tenir longtemps et s’arrêterait. Mais il n’en fut rien... Ahzred s’agenouilla et ferma les yeux pour se concentrer.

- Dieux ma vie vous appartient, je vous remercie de m’avoir soutenu dans cette épreuve.

Les dizaines d'éraflures et de blessures se refermèrent lentement sous l’effet salvateur d’un dieu l’ayant pris en pitié. Il se releva alors, titubant, comme à chacun de ses combat il avait donné son maximum, frôlant ainsi ses limites. L’ambiance redevint normale et il ramassa la torche qui continuait à brûler par terre.

- Cet endroit est maudit... mais pourquoi ?

A cette interrogation vint une réponse, là au milieu de la salle se trouvait un cristal vert émeraude aussi grand que lui en forme d’œuf. Il s’approcha lentement et distingua une forme en son centre. La lumière de la torche soulignait les traits de la personne enfermée à l’intérieur. C’était un membre du peuple proche de Guem, ceux que l’on appelait Mangepierre. Celui-ci avait les traits masculins, ne portait qu’un pantalon large, ses cheveux étaient courts et sur son torse de larges lignes plus claires que sa peau. Ahzred posa la main sur le cristal et une voix se fit entendre.

- J’ai attendu depuis des siècles que tu viennes me retrouver. Je suis le dépositaire du savoir de mon peuple, en moi dorment les âmes de mes semblables. Je suis prêt à reprendre le combat contre l’Equinoxe. Mon nom est Adhikara.

Chapitre 4 - Autant en emporte la mort

Une forme argentée se faufila entre deux bosquets, laissant au passage sur les feuilles piquantes une petite touffe de poils. Le renard argenté reniflait l’air frénétiquement en quête d’une odeur particulière, puis après avoir parcouru plusieurs cercles la truffe en l’air, il perçut enfin le parfum de sa maîtresse. Il leva une oreille, puis l’autre et d’un coup se mit à courir en remontant la piste odorante. Un saut au-dessus d’un petit rocher, un autre au dessus d’une branche, quelques détours entre les arbres et enfin apparut celle qu’il cherchait depuis plusieurs jours. Theya se tenait près d’un petit feu où le bois humide dégageait beaucoup plus de fumée qu’il ne brûlait. Heureusement que dans les environs nul ne vivait à part les biches, les sangliers et autres volatiles. L’Equinoxienne grelottait en tentant de se réchauffer, pestant sur ce monde qu’elle détestait plus que tout. Lorsqu’elle entendit les branches craquer elle leva la tête et vit la boule de poil foncer sur elle. L’animal véritablement content de revoir sa maîtresse gigotait dans tous les sens.

- Tu m’as retrouvé, dit Theya envahie par la joie. Tu es aussi sale que les humains de ce monde, mais je suis tellement ravie que nous soyons réunis. Lorsque je t’ai vu détaller lors de l’affrontement avec ces sauvages habillés de violet et noir j’ai cru que jamais nous ne nous reverrions. Notre mission est un échec, il nous faut rentrer et avec toi je vais pouvoir retrouver d’autres sources de magie Equinoxienne.

Le renard continua de faire la fête quelques minutes, temps durant lequel Theya remit en place ses idées, qu’elle formalisa en dessinant un schéma sur le sol.

- Oui cela peut fonctionner ! Si jamais j’arrive à accumuler suffisamment de puissance je peux prendre contact avec les forces de l’Impératrice.

Nous pourrions savoir quand une nouvelle porte de l’Infini va pouvoir être ouverte. Viens ici ! Le renard s’arrêta de courir dans tous le sens et se planta devant elle en inclinant la tête. Il se passa alors un fait étrange. N’importe qui d’extérieur à la scène n’aurait vu là qu’une personne grattouillant le museau d’un canidé, mais en réalité Théya utilisait ses pouvoirs pour améliorer les perceptions de son petit compagnon. Les yeux de ce dernier brillèrent d’une lueur pourpre.

- Je vois par tes yeux... oui... il y a des sources de magie Equinoxienne. Partons sans délais mon ami, je n’en peux plus de ce monde, mène-moi.

L’animal se mit en marche en prenant la direction du nord ce qui les mènerait à la frontière de Baranthe et beaucoup plus loin à la Draconie. Mais le duo n’alla pas très loin. Après à peine une heure de marche les choses se compliquèrent pour eux...

Quelques jours avant cela, au château de Kaes.

- Vous vouliez me voir, Conseiller ?

- Ha ! Conseiller-Doyen Vérace ! Oui, entrez donc.

L’homme à la livrée du Conseil des Guildes referma délicatement la porte derrière lui avant de se rendre jusqu’au bureau de Chantelain, au demeurant croulant sous les parchemins. Le visage du doyen exprimait une grande fatigue et une inquiétude palpable. Vérace s’installa dans un des deux fauteuils face à Chantelain et examina l’environnement : plusieurs plateaux-repas avec dessus des restes de nourriture, des vêtements privés probablement sales et un divan sur lequel se trouvait une couverture. Tout indiquait que le Conseiller n’était pas sorti de son bureau depuis quelques temps déjà.

- Vous êtes au fait de tout concernant l’affaire “Equinoxe”  ? Demanda Chantelain en se grattant la joue qui le démangeait du fait de sa barbe naissante.

- Bien sur c’est notre priorité, je suis donc l’affaire avec beaucoup d’assiduité.

- J’ai regroupé là les différents rapports des guildes, ainsi que les observations faites par nos forces internes à ce sujet. Jusqu’à présent nous avons dénombré trois Equinoxiens...

Mais Vérace coupa.

- L’Etranger, actuellement entre les mains de l’Amiral Al la Triste, un autre Equinoxien disparu dans les ruines de Caislean et enfin une Equinoxienne qui fut enlevée un temps par l’Equinoxien disparu. Nous n’avons plus entendu parler d’elle depuis.

- Jusqu’à hier c’était vrai. Mais j’ai reçu un rapport d’un de mes hommes, si vous voyez ce que je veux dire.

- Je vois parfaitement, dites-moi.

- Elle est en Baranthe, elle est dans une forêt et vit là en recluse.

- Comment l’avez-vous retrouvé ?

- Si nous avions perdu sa trace, tel ne fut pas le cas de son renard argenté.

- Renard argenté ?

- Oui, c’est un détail qui apparaissait dans plusieurs rapports qui m’a mis la puce à l’oreille. Il semblerait que l’Equinoxienne soit accompagné par ce renard, mais durant l’agression des Combattants de Zil ils ont été séparés. J’ai lancé mes hommes à sa recherche et finalement ils l’ont retrouvé, puis suivi, jusqu’à elle.

- Félicitations conseiller Chantelain. Ordonnez qu’on la capture.

- Je comptais m’en occuper en personne, Baranthe n’est pas très loin d’ici. Et si elle résiste ? Vérace réfléchit quelques secondes et dit :

- Si elle résiste... tuez-la.

- Très bien. Merci d’être venu Conseiller-Doyen, je me mets en route, je vous verrais à mon retour.

La nuit était tombée, mais Theya s’en moquait bien car les Equinoxiens n’étaient pas beaucoup affectés par l’obscurité car dans leur monde la lumière n’était pas aussi intense qu’ici en terre de Guem. Le renard progressait lentement mais sûrement, se focalisant sur la cible, une magie de l’Equinoxe visible à l’horizon. Ni lui, ni sa maîtresse ne virent les formes qui en silence se mouvaient autour d’eux. Une bonne dizaine de Traquemages s’étaient déplacés avec Chantelain le régent de l’organisation. Leurs cibles étaient là, le plan établi... Chantelain n’avait eu guère le loisir de revêtir lui-même les attributs de l’organisation aussi il s’occuperait en personne de l’Equinoxienne. Quant au renard argenté son sort était scellé. Un des maîtres Traquemage dégaina un de ses étranges pistolets, pointa le canon en direction de l’animal et appuya. Le projectile, propulsé à vive allure se ficha dans le cou de la bête qui se retrouva quelques mètres plus loin, elle ne survécut pas à cette blessure. Theya tenta de saisir son masque pour se préparer au combat. Mais l’équilibre des forces n’était pas en sa faveur. Que pouvait-elle faire face à ces hommes et ces femmes dont la vie entière était vouée à la mort. L’honneur fut laissé à Chantelain qui tenait la lame d’Ebohki, une arme redoutable. Avec une vitesse incroyable il bondit sur l’Equinoxienne, enfonça profondément la lame entre deux côtes, perçant le cœur au passage, puis retira pour sceller le destin de l’Equinoxienne. Celle-ci se tint le côté et réalisa, son cœur s’était arrêté de battre, la mort allait l’emporter, elle avait échoué, elle tomba...

Chantelain et les autres Traquemages l’entourèrent et vérifièrent que les deux cibles étaient bien mortes.

- Rapides et efficaces, comme toujours mes amis. J’annoncerai que l’Equinoxienne a déployé des pouvoirs trop importants et qu’elle représentait une menace, par conséquent nous avons dù éliminer la cible.

- Traquemage ne fait pas de prisonnier, dirent en cœur tous les Traquemages avant que, dans la nuit, ils ne disparaissent.

Chapitre 5 - L’ascension des champions - partie 2

- Nous sommes là pour vous aider à réaliser la mission qui nous a été confiée, dit Quercus par télépathie.

- Confiée par qui ? Demanda Daijin.

- Par Tempus. Ne me demandez pas comment mais cet humain en sait long sur beaucoup de sujets. Il est venu jusqu’à moi pour m’annoncer que la Trame du Temps était figée et qu’un évènement important avait eu lieu. Il m’a parlé du Fléau des âmes, nous devons l’arrêter avant qu’il n’arrive à ses fins. J’ai accepté d’être envoyé dans ce temps où j’ai rencontré l’Archimage Artrezil avec qui j’ai discuté de la situation.

- Je dois avouer que cette histoire m’intrigue au plus haut point. Savez-vous quand nous sommes ? Demanda Artrezil à Zahal et Daijin.

- A supposer que vous soyez bien l’Archimage Artrezil, dans ce cas nous serions soit quelques années avant la guerre contre Néhant, soit au beau milieu. Et vu le ciel, je pense que nous sommes pendant la guerre, déclara Zahal.

- Vous avez raison Chevalier-Dragon. Maintenant que nous nous sommes présentés, peut-être allez-vous nous révéler qui vous êtes ? Je veux bien vous aider, mais j’aimerais savoir à qui j’ai affaire, demanda Artrezil en examinant Daijin.

- Nous manquons à tous nos devoirs, excusez mon ami de la Kotoba il est un peu bougon, dit Zahal.

- Kotoba ? Qu’est-ce ? Interrogea Artrezil.

- Rien, c’est une information que nous ne devons pas vous révéler car elle appartient au futur, dit Daijin en fusillant du regard le commandeur. Je suis le Corbeau et voici Zahal.

Zahal comprit qu’il en avait trop dit et resta en retrait pour laisser parler son compagnon d’aventure.

- Les présentations étant faites, il serait peut être temps de s’occuper de ce Fléau des âmes, dit impatiemment Quercus.

- Vous avez raison, à moins que nous ne rencontrions un mage du temps nous sommes bloqués ici jusqu’à ce que le problème soit réglé.

- Mais par où commencer ? Le Fléau peut être n’importe où, dit Daijin en examinant du Artrezil du regard.

- Artrezil est de ce temps, il doit bien avoir des informations... non ? Affirma Zahal.

- Je suis impliqué dans la guerre contre Néhant, je sais parfaitement qui est ce Fléau des âmes et où on peut le trouver. Mais ça ne m’enchante pas de m’aventurer où il se trouve car son odieux maître n’est jamais loin de lui, répondit Artrezil.

- Dites-moi, où est-ce que nous en sommes dans la guerre, en quelle année sommes-nous exactement ? Voulut savoir Zahal avec une idée derrière la tête.

- Nous sommes en l’an 34 du calendrier impérial, pour le reste Quercus ne doit pas savoir ce qu’il se passe pour ne pas qu’il agisse en conséquence à son retour dans le passé.

- C’est trop tard, je détiens d’ores et déjà beaucoup d’informations qui pourraient me permettre de modifier mon avenir. Mais rassurez-vous, Tempus ne m’a pas choisi au hasard, je suis né du premier fruit de l’Arbre-Monde, je suis un Daïs, ma nature m’empêche de provoquer des changements dans le destin de ce monde. Tout ce que j’apprendrai restera enfermé dans mon esprit.

- C’est dangereux... quel genre d’informations détenez-vous, Quercus ? S’inquiéta Artrezil.

- Nous parlons depuis tout à l’heure de la guerre contre Néhant, Quercus sait donc que cette guerre viendra un jour, dit Daijin en répondant pour le Daïs.

- Oui, et je connais vos noms, et fatalement j’en saurai plus sur vous durant notre collaboration mais aussi sur mon futur. Alors autant ne pas faire de cachotteries à propos de cette guerre.

- Vous avez raison Quercus, notre mission est aussi importante que cette guerre, les deux sont en étroite relation car elles sont en rapport avec un élément qui se trouve dans le futur et dans ce présent, dit Daijin. Allons Artrezil, par où commencer ?

- Très bien, faisons ainsi, l’information que j’ai concerne un des lieux de réunions de nos ennemis. Le Fléau pourrait s’y trouver.

- Mais ce n’est pas une certitude.

- Non, Daijin, aucune certitude. Nous devrions envoyer un espion sur place et s’assurer qu’il s’y trouve. Je sens que vous manipulez la magie de l’ombre, peut-être que nous pourrions allier nos talents. J’ai un agent très doué pour l’infiltration.

- Mes corbeaux d’ombre sont mes yeux et mes oreilles, ils seront parfaits pour observer l’ennemi. Dites-moi simplement où je dois les envoyer.

- Au nord-est de Tantad, dans les montagnes, il y a une grande bâtisse.

- Un manoir ? Coupa Zahal.

- Oui on peut appeler ça ainsi.

- Dans ce cas je sais où il se trouve, lança Daijin. J’envoie mes corbeaux immédiatement.

Les Corbeaux volèrent jusqu’au manoir de Zejabel, car c’était bien de celui-ci dont parlait Artrezil. Les volatiles, disposés un peu partout autour du manoir donnaient à Daijin la capacité de voir tout ce qu’il s’y passait, du moins en extérieur. Les jardins étaient luxuriants et des Néhantistes et esclaves humains arpentaient les allées, parmi eux Zejabel, alors bien vivant, qui discutait avec un homme en armure. Les démons quant à eux surveillaient l’ensemble avec beaucoup d’attention et de discipline.

- J’ai Zejabel en visuel, dit Daijin.

- Puis-je m’immiscer dans vos corbeaux ? Cela me permettra de voir où mon agent pourra s’infiltrer.

- Oui allez-y.

Artrezil toucha Daijin et par le biais de la magie des ombres il put voir par les yeux des corbeaux.

- Ils sont très nombreux, beaucoup plus que je ne le pensais... je reconnais Zejabel... et le guerrier en face de lui c’est le Fléau des âmes.

- Oui mais lequel ? Questionna Zahal.

- Je ne sais pas comment différencier l’actuel de celui qui vient de votre époque.

- Il se passe quelque chose ! Dit Daijin, un homme vient d’arriver, ça à l’air d’être la panique.

Les corbeaux regardèrent tous dans la même direction. Il y avait effectivement un homme de grande taille et l’identité de celui-ci ne laissait planer aucun doute. Il portait la même arme que le Fléau, la même stature, seule sa tenue était légèrement différents. Ce Fléau avança en montrant patte blanche, mais rapidement il fit comprendre qui il était. Le Fléau de ce présent ria de bon cœur en apprenant tout ça. Puis Zejabel fit signe aux autres de continuer leurs tâches et invita les deux Fléau des âmes à entrer dans le manoir.

- Les corbeaux sont trop loin, nous n’entendrons pas la discussion, pesta Daijin.

- C’est là que j’interviens, dit Artrezil en sortant un rouleau de parchemin. J’ai repéré une grande zone d’ombre collée au Manoir, c’est une bonne ouverture.

L’Archimage effectua quelques gestes et la magie de l’ombre fut à l’œuvre. Une masse noire de grande taille et visqueuse sortit du parchemin. Cette chose commença à grandir puis à prendre la forme d’un humanoïde qui partageait quelques ressemblances avec l’Archimage.

- C’est... commença à dire Zahal avant de se raviser en voyant la moue de Daijin.

La créature n’avait rien de vivant, cela ressemblait plus à une ombre de forme humaine. Mais lorsque Artrezil se concentra pour prendre possession de la créature, celle-ci commença à bouger... et à parler.

- C’est la même technique que la votre, Daijin, sauf que je me transfère dans ce corps d’ombre.

- Logique, dit Daijin ravi d’en apprendre plus sur la magie de l’ombre.

- Je vous demanderais de bien vouloir prendre soin de mon corps le temps que j’espionne nos ennemis.

- Ne vous en faites pas, dit Quercus en se postant à côté du corps de l’Archimage.

Puis avec agilité et rapidité Artrezil plongea dans une zone d’ombre et disparut.

- C’est Zil ? Demanda Zahal très intrigué.

- Je ne suis pas un expert quant à l’histoire des Combattants de Zil, mais je pense que nous avons là les origines de Zil, oui.

Artrezil réapparut dans la zone d’ombre accolée au manoir, personne ne pouvait le voir. La satisfaction d’avoir réussi du premier coup le transfert, puis le voyage le comblait au plus haut point. Il sentait néanmoins que ce corps avait certaines limites, comme le fait de ne pouvoir utiliser la magie de l’ombre que de façon beaucoup limitée et de n’avoir aucune autres facultés magiques.

Il se faufila dans les ombres et commença sa visite des lieux. Si l’extérieur était bondé, seules quelques rares personnes, toutes d’apparence humaine, occupaient l'intérieur. Il parvint enfin jusqu’à la pièce où Zejabel s’entretenait avec les deux Fléaux.

- Cette histoire est tout bonnement incroyable... Qu’est-il advenu de ce démon du temps ?

- Je n’en sais rien, je pense qu’il est ailleurs, dans un autre temps que le notre.

- A la limite on s’en moque, dit le Fléau de ce présent. A nous deux nous allons mettre un terme à cette guerre et allons mettre les peuples des Terres de Guem à genoux.

- Attendez avant de lancer votre plan, le maître doit être averti.

- Il l’est déjà.

A ce moment là entre Zejabel et les Fléaux, se dessina au niveau du sol un symbole, celui de Néhant. Quelques secondes plus tard apparut une personne filiforme de grande taille profondément enfouie dans le larges vêtements. Immédiatement Zejabel et les Fléaux mirent un genou à terre. L’atmosphère avait changé, elle était chargée de magie néfaste. Artrezil comprit que c’était Néhant en personne, et il ne fallait pas qu’il reste là. Il profita de l’ombre pour repartir d’où il venait.

Artrezil se retrouva à nouveau avec Quercus, Zahal et Daijin. Incapable de maintenir le transfert plus longtemps il se libéra de sa créature d’ombre pour revenir dans son corps. Une douleur le prit sans prévenir au niveau du torse, du sang coulait de sa bouche. Quercus l'empêcha de justesse de tomber.

- Nous... nous allons échouer, Néhant est au manoir, je pense qu’il a du sentir ma magie, dit l’Archimage avec désespoir.

- Impossible... Notre réussite est assurée ! Ragea Daijin.

- Nous ratons peut être quelque chose, dit Zahal. Si c’est nous que les mages du temps ont choisis pour cette mission c’est qu’il y a bien une raison.

A suivre dans L’ascension des champions partie 3

Chapitre 6 - L’Impératrice

Il faisait froid. C’était toujours ainsi. Car elle aimait cela, le froid maintenait l’esprit vif en malmenant le corps. C’était la première fois qu’Olhiam était reçu par l’Impératrice. Enfin par reçu il fallait comprendre que l’Impératrice tolérait sa présence dans la même pièce qu’elle. Les lieux avaient quelque chose de surréalistes, la salle du trône était un chef-d’œuvre architectural, un espace gigantesque, imposant et écrasant. L’Impératrice paraissait minuscule sur son immense trône perché deux étages plus haut. Chacun de ses étages reposant sur de massives statues d’Equinoxiens. Devant lui, au pied de l’escalier droit ouvrant l’accès aux étages, Théya droite comme un piquet, suivait le protocole. Une Légat impériale, c’est à dire une messagère officielle, avait la difficile tâche de faire les aller-retours entre l’Impératrice et Théya. En effet, rares étaient les privilégiés à pouvoir s’approcher de l’Impératrice, seules les Légats et les Maîtresses-consuls étaient autorisées à converser avec celle qui dirigeait depuis des lustres l’Equinoxe et qui faillit même, autrefois, avoir la mainmise sur les Terres de Guem. C’était d’ailleurs pour commencer son plan vengeur que Théya était là. L’Equinoxienne était légat avant de devenir une Contremaîtresse et elle comprenait la douleur de celle qui effectuait la liaison depuis presque une demi-heure.

- Son altesse est ravie que vous acceptiez sa demande, elle désire que vous vous fassiez le nécessaire très vite. Ce mâle, dit-elle en désignant Olhiam, sera vôtre pendant toute la durée de l’opération. Il a été sélectionné par son altesse en personne.

- Son altesse m’honore, je me mets en route immédiatement, les portes de l’Infini seront bientôt grandes ouvertes pour que son altesse reprenne le pouvoir sur ces peuples de faibles, dit Théya.

- N’oubliez pas d’emmener avec vous un gardien de lune, voyez avec les éleveurs pour qu’ils vous en attribuent un.

- Remerciez son altesse, je ferais de mon mieux pour la satisfaire, dit Théya en s’inclinant.

Puis, sans attendre elle laissa l’Impératrice et la Légat avant d’adresser un sommaire “viens” à Olhiam qui intérieurement n’en pouvait plus d’attendre. Une grande aventure les attendait... une aventure qui tournerait malheureusement au désastre.

Des années plus tard. L’Equinoxe était ébranlé par de multiples attaques faites par la résistance et leurs alliés à l’encontre de plusieurs cités et complexes de recherche. Voilà déjà trop longtemps que l’Impératrice n’avait pas reçu de nouvelles de Théya et toutes les entreprises de contact ou d’ouverture de porte s’étaient soldées par des échecs. Pire que cela, à présent l’Impératrice devait faire face à une invasion sur son propre territoire.

L’éleveuse Reagtya donnait à manger à sa dizaine de gardiens de lune, renards au pelage argenté, lorsqu’un de ses servants arriva en regardant ses pieds.

- Dame Reagtya, un dispositif de retour vient de se déclencher.

- Et bien ? Tu es allé voir ?

- Oui Dame, il s’agit du gardien que nous avions confié à Dame Théya.

- Bonne nouvelle donc.

- Non, il est mort.

- MORT ? Dit l’éleveuse en laissant tomber la nourriture des gardiens de lune sur le sol.

- Comme je vous le dis.

Reagtya bouscula de rage son serviteur et s’engouffra dans les couloirs. Quelques portes plus loin elle déboula dans une petite pièce qui en réalité était l’une des très nombreuses niches à disposition. Là par terre se trouvait le corps inanimé, dépourvu de vie, d’un gardien de lune. L’éleveuse examina l’animal, elle caressa le pelage désormais taché d’un sang rouge-brun en se laissant porter par ses émotions. Sa main s’arrêta au niveau de la tête, il lui fallait comprendre ce qu’avait vécu le gardien et fort heureusement la magie de l’Equinoxe lui permettait d’agir sur cet animal, même mort. Le contact entre la peau et le pelage avait assurément quelque chose de magique, l’éleveuse analysa les derniers instants de l’animal. Elle le vit marcher à côté de Théya au milieu des herbes, puis le choc au moment où une lame transperça son cou. L’animal tomba par terre, mais il était encore en vie. Dans son champs de vision Théya était en garde face à un ennemi invisible, mais quelques secondes plus tard un homme l’assaillait. L’Equinoxienne tomba par terre, morte. Le gardien de lune mourut à son tour avant de disparaître et revenir vers Reagtya.

- L’Impératrice doit être prévenue ! Dit l’éleveuse en quittant la niche.

Elle ferma la grille et ordonna à ce que personne n’y entre.

Un peu plus tard la nouvelle était parvenue aux oreilles de l’Impératrice. Celle-ci avait alors convoqué les Maîtresses-consuls ainsi que quelques Contremaîtresses influentes ainsi que l’éleveuse de Gardien de lune Reagtya.

- Expliquez-vous éleveuse, ordonna l’Impératrice sur un ton sec.

Les Equinoxiennes en arc de cercle devant le trône, au dernier étage, indiquaient la gravité et le caractère exceptionnel de cette réunion.

- Oui votre Altesse. Consœurs, je suis au regret de vous annoncer le décès de Théya et par conséquent l’échec de sa mission.

- Comment le savez-vous ? Demanda une Equinoxienne aux cheveux tressés et réunis en un gros chignon.

- Maîtresse-consul Jel-Darim, lorsque nous élevons un Gardien de lune, nous tissons avec lui un lien qui va bien au delà de la mort. Nous utilisons la magie de l’Equinoxe pour nous permettre à tout moment de le faire revenir jusqu’à nous. Le Gardien de lune confié à Théya est revenu, mort. J’ai pu me plonger dans ses derniers instants et j’y ai vu l’attaque sur Théya et sa chute. Si je n’ai pas la certitude de son décès, elle est au mieux tombée entre les mains ennemies. Voilà ce que je sais.

Le visage de l’Impératrice, d’habitude figé dans l’inexpression la plus totale, arborait une couleur carmin provoquée par une rage qu’elle retenait pour le moment. La nouvelle mettait à mal le plan d’invasion de l’Impératrice.

- Si je fais le point sur la situation, dit la contremaîtresse Delya, Théya avait pour mission d’analyser la situation en Terres de Guem et de nous donner des informations tactiques. Sauf que ces informations ne sont jamais arrivées jusqu’à nous. Et la situation dans l’Equinoxe est plus que délicate. L’intervention de Théya a révélé notre existence à nos ennemis et ceux-ci ont trouvé le moyen d’infiltrer notre territoire, puis se sont alliés avec la résistance.

Le visage de l’Impératrice se déforma sous l’effet de la rage.

- Vous allez immédiatement ordonner la mobilisation totale de nos forces !!! Je ne veux plus de résistance, je ne veux plus de ces cancrelats des terres de Guem. Qu’on les trouve et qu’on les détruise ! Une fois fait je veux que les Métamages nous ouvrent les portes de l’Infini !

La voix de l’Impératrice résonnait, nulle n’aurait eu le cran de la contrarier, la décision était prise, le destin de l’Equinoxe était en marche...

Chapitre 7 - Bataille de l’Equinoxe

La fumée s’échappait de nombreux édifices et montait en colonnes ondulantes vers le ciel déjà naturellement empourpré. L’Impératrice n’avait certainement pas vu le vent tourner en sa défaveur, sûre d’elle et de ses forces, elle sous-estimait la résistance et ses alliés. Alors que son armée se regroupait, la Résistance, renforcée de nombreux Equinoxiens désireux d’en finir avec le régime en place avait ordonné à ses troupes de prendre d’assaut la capitale. Mais il y avait plus, car quelques jours seulement avant le moment choisi pour lancer cette attaque d’envergure, un évènement vint apporter des renforts ô combien salvateurs. Ces nouveaux alliés devaient entre environ trois cent et venaient des terres de Guem après avoir franchi la porte de l’Infini connue sous le nom de porte des Dieux. Ces hommes et ces femmes avaient parcouru les territoires reculés de l’Equinoxe, affrontant mille dangers et rencontrant l’hostilité des habitants des lieux. Puis ce fut la rencontre avec des membres de la Résistance, loin, très loin de l'Impératrice et de son plan de conquête. Lentement, la confiance s’établit entre les deux forces et chemin faisant la Légion accepta d’aider les Equinoxiens rebelles. Ce n’était que dernièrement que la Légion runique s’était jointe aux troupes de Krinistas, des Chevaliers Dragon et des Elfines de la Cœur de sève. Un plan fut décidé - celui de prendre de court les forces de l’Impératrice en attaquant à la source, de prendre la capitale et de mettre fin à des siècles d’inégalités entre les sexes, de mettre fin au matriarcat. Grâce à certaines Equinoxiennes ralliées à la cause de la résistance et infiltrées, l’alerte ne fut donnée que tardivement.

Les troupes de la Résistance et de leurs alliés bloquaient déjà les monumentales portes du mur d’enceinte. La Légion runique s’était séparée en trois régiments. Au centre le Centorium Aurius menait les troupes du Seigneur Runique Eilos, tandis que le flanc droit, sensé soutenir la contre charge Equinoxienne était dirigée par le Seigneur Runique Xenophon. En retrait le Seigneur Runique Harès avait pour tâche de protéger les prêtres qui en appelleraient aux dieux lors de la bataille. Du côté de la résistance, le général Krinistas guidait les siens vers les deux autres entrées qui, à tout moment, pouvaient déverser leur flots de combattants impériaux, qui ne tardèrent pas justement à montrer le bout de leurs armures.

La bataille s’engagea et c’est le destin d’un peuple autrefois banni des Terres de Guem qui se jouait. Les runes des armes et des armures des légionnaires brillaient comme jamais, leur technique de guerre sans égal venait à bout de la défense Equinoxienne. La grande porte fut donc rapidement prise puis avec rage plusieurs minotaures détruisirent les doubles battants pour que personne ne referme cette porte. Les résistants qui désiraient avant tout préserver la population, sécurisaient les ruelles et avertissaient au cas où des troupes Equinoxiennes s’approchaient. C’était une véritable bataille urbaine et le sang vint rapidement couler sur les pavés taillés à la perfection. Le feu se répandait vite et les habitants se retrouvaient pris en étau d’un côté les flammes et les troupes de l’Impératrice, de l’autre la Résistance et la Légion. Les morts étaient inévitables mais là n’était pas le but de cette attaque. Non le but était d’atteindre et de tuer l’Impératrice, mais pour cela il fallait arriver jusqu'au palais, et le plus rapidement possible. C’était là la mission des Elfines et des Chevaliers Dragon dont la combinaison de talents s’avéra redoutable. Mené par un éclaireur de la Résistance, le groupe se faufilait dans les ruelles parfois enfumées. Lentement mais sûrement il se rapprochait du palais et jusque-là c’était facile.

Dans l’immense palais c’était la cohue, les Equinoxiennes courraient dans tous les sens en vociférant et relayant les ordres venus d’en haut. Les Légats, Maîtresses-Consul et les Contremaîtresses tentaient de récolter le maximum d’informations sur la situation, et celle-ci était sans précédent, même lorsque jadis les Mangepierres affrontèrent les Equinoxiens devant la cité. Ce jour-là les puissances de l’Equinoxe l’avaient emporté. Mais pour l’instant ce n’était pas le cas. Dans la salle du trône l’Impératrice échangeait ses idées avec la Maîtresse-Consul Jel-Darim, cette dernière étant en charge de l’armée.

- La porte centrale n’est plus qu’un immense trou dans le mur d’enceinte, nous ne pouvons plus fermer les portes de la ville, il est trop tard, dit Jel-Darim. Devant le visage sévère de l’Impératrice, elle déglutit et reprit.

- Nos troupes sont placées en arc de cercle du mur d’enceinte à l’ouest, devant le palais, jusqu’au mur d’enceinte à l’est. Dit-elle en montrant un plan de la ville.

- Les gardiens de lune sont-ils déployés ? Demanda l’Impératrice qui lisait des rapports de ses contremaîtresses.

- Oui votre Altesse.

- Bien... lâchez-les... dit l’Impératrice avec gravité.

- Mais ils ne sont encore qu’au stade expérimental, ils risquent de détruire cette cité.

- Je me moque bien de cette cité ! LACHEZ-LES ! Qu’ils piétinent nos ennemis, que leurs griffes entaillent leurs chairs, que leurs mâchoires brisent leurs os !

- Bien sûr votre Altesse, je relaie votre ordre aux Métamages sur le champ, dit Jel-Darim en prenant congé.

A présent seule, l’Impératrice contourna lentement son trône derrière lequel se trouvait un couloir caché derrière un épais rideau. Au bout de quelques mètres elle se retrouva devant un large escalier en colimaçon qu’elle descendit aussi lentement. L’escalier s’enfonçait profondément dans les entrailles du palais et au bout une salle, au moins aussi imposante que celle du trône. L’atmosphère était chargée en magie de l’Equinoxe. Il n’y avait aucun meuble ici, et à part l’Impératrice il y avait une masse imposante, une créature énorme au long cou, aux ailes gigantesques, à la peau écailleuse, bleue et presque entièrement recouverte d’écriture Equinoxienne. L’Impératrice se plaça à côté de la tête de la bête dont l’œil devait faire sa taille. Elle caressa l’arcade sourcilière en marmonnant.

- Que veux-tu encore sorcière ? Dit une voix qui résonnait sur les parois de la salle.

- Dragon... mon cher Dragon... je viens simplement te remercier, aujourd’hui est un grand jour, j’écrase une bonne fois pour toute ces cancrelats de résistants et ce grâce à toi. Nos bébés sont prêts à passer à l’attaque, une fois qu’ils auront détruits cette alliance de résistants et d’envahisseurs venus de chez toi j’aurai toute latitude pour ouvrir, encore grâce à toi, les Portes de l’Infini. Je te laisse deviner la suite.

- Tu es odieuse, je t’arrêterai.

Détruis-la, qu’attends-tu ? souffla une voix dans la tête de Dragon.

- Tu n’es même pas capable de lever une griffe mon cher, alors comment veux-tu arrêter qui que ce soit. Je te dis à bientôt Dragon, l’avenir nous appartient !

Dehors, la bataille qui était en faveur de la Résistance et de la Légion allait prendre un autre cours... beaucoup plus funeste pour ceux qui osaient affronter l’Impératrice.

A suivre dans : Moi, Dragon.

Chapitre 8 - Le dieu du mal

L’odeur se propageait, poussée par le fort vent soufflant depuis quelques jours sur la région. Le sable emporté érodait les chairs en lambeaux et les peaux en partie décomposées. C’était la mort qui marchait le long des dunes du désert d’Emeraude, Zejabel menait ses troupes de cadavres marchant vers son objectif : Mineptra. La capitale n’était plus qu’à une journée de marche et jusque-là toute force capable de prévenir les autorités avait été réduite au silence. Les morts venant ainsi gonfler les rangs des zombies du nécromancien qui portait le corps de Néhant soigneusement enveloppé.

- Pensez-vous qu’il viendra ? Demanda Ishaïa dont les chaussure s’enfonçaient dans le sable, gênant sa progression.

- Ma chère, la question n’est pas de savoir s’il va venir, car il va venir, mais plutôt est-ce qu’il va accepter ma proposition.

- Et s’il n’accepte pas, qu’allons-nous faire ?

- Nous n’avons pas de plan de secours, à moi d’être persuasif.

- J'émets quelques craintes vu ce que lui a fait Dimizar.

- Je ne suis pas Dimizar ! Railla Zejabel.

- Excusez-moi de l’avoir sous-entendu.

Quelques heures plus tard, ils parvenaient sur le lieu de rendez-vous et celui qu’ils devaient rencontrer se trouvait déjà là, attendant patiemment. C’était un homme à l’allure étrange, assurément Néhantiste de par sa tenue, mais qui avait quelque chose en plus. De longues ailes battaient lentement dans son dos, une d’elle étant semblable à de l’ombre, l’autre constituée de plumes de lumière. Il en était de même avec sa chevelure qui présentait un côté brun et l’autre blond. Lorsqu’il vit Zejabel et ses zombies il inclina la tête légèrement avant de s’approcher du nécromancien.

- Vous n’êtes pas seul, dit le Déchu sur le ton de la méfiance. Nous devions nous rencontrer tous les deux et personne d’autre.

- J’ai du changer mes plans car le temps me manque. N’aie aucune inquiétude personne n’est là pour te chercher des ennuis.

- Qu’est-ce que vous me voulez ? Pourquoi m’avez-vous fait faire un si long trajet ?

- Il y a quelque part en Mineptra un lieu où est enfermé un certain Ayept...

- Ayept ? S’exclama le Déchu en se souvenant de l’époque où il était un Solarian. Qu’est-ce que vous lui voulez ?

- Cela ne regarde que moi, j’ai juste besoin de parvenir sur place, saurais-tu m’y amener ? Tu es originaire d’ici si les souvenirs de Dimizar ne me trompent pas.

- Dimizar ? Je croyais que tu l’avais détruit, dit le Déchu en reculant d’un pas. Je ne veux pas avoir à faire à lui, il a ruiné mon existence.

- Peux-tu oui ou non me conduire là où se trouve Ayept ?

- Je peux, mais qu’y gagnerais-je à le faire ?

- Tout le monde a un prix, quel est le tien ?

- Hum, le mien... je crois que seul Néhant pourrait me débarrasser de ça, dit le Déchu en montrant le cristal qui le pervertit il y a des années. Es-tu capable de me faire redevenir comme j’étais autrefois ?

Zejabel regarda le corps qu’il avait délicatement posé au sol pour pouvoir discuter librement avec le Déchu. Non il ne pouvait pas réaliser un tel prodige, la transformation était définitive. Du moins dans l’immédiat car une fois son plan réussi il serait probablement en mesure de réaliser le souhait du Déchu, mais ce n’était pas joué d’avance.

- Je t’aiderai, je peux te faire redevenir comme tu étais avant que Dimizar ne te transforme, mais cela passe forcement par Ayept, dit Zejabel en tentant un coup de bluff.

- J’accepte, répondit le Déchu. Je peux te conduire jusqu’à la salle où se trouve Ayept. Mais c’est sous Mineptra, comment comptes-tu t’y prendre pour parvenir jusque-là ? Les gardes royaux ne nous laisseront jamais arriver jusque-là.

- J’en fais mon affaire, dit Zejabel sûr de lui.

Mineptra, la cité resplendissante, joyau du désert, s’offrait ce jour-là un manteau de sable. Le vent n’avait pas cessé de souffler et les poussières mélangées au sable formaient une curieuse brume jaunâtre. Cela arrangeait Zejabel qui profiterait ainsi du manque de visibilité dans les rues de la ville. Almaria et Ishaïa avaient reçu des ordres du nécromancien suite aux indications du Déchu. Celles-ci, accompagnées d’une dizaine de zombies avaient fait le tour de la ville pour arriver jusqu’à l’entrée de la nécropole où dormaient les morts. Les quelques zombies et les deux nécromanciennes vinrent rapidement à bout des deux gardes qui se trouvaient là avant d’entrer pour faire leur office. Très rapidement les morts, par dizaines quittèrent la nécropole obéissants aux ordres des Néhantistes. Les rues de Mineptra furent alors prises d’assaut.

Lorsque les premiers cris retentirent, Zejabel sut qu’Almaria et Ishaïa venaient de lancer l’attaque et que le moment était venu pour lui et le Déchu de passer à leur tour à l’action. Avec discrétion les deux Néhantistes se faufilèrent dans les ruelles qui se désertifiaient en raison de l’attaque. Les quelques malheureux se trouvant sur leur passage finirent sans vie, visage contre terre. La diversion d’Almaria et d'Ishaïa semblait fonctionner, les gardes de la ville et les gardes royaux furent occupés par les zombies de la nécropole, laissant le passage libre à Zejabel.

- Voilà, c’est là, au bout de ce couloir, dit le Déchu. Je n’irai pas plus loin, de toute façon vous n’avez plus besoin de moi. Je vais vous attendre en dehors de la cité, bonne chance...

- Ce n’est pas une question de chance, dit le nécromancien en avançant.

Au bout de ce couloir se trouvait une grande pièce éclairée par une dizaine de larges lampes à huile. Au centre une statue d’émeraude de deux mètres de haut représentant un Solarian tenant fermement un immense serpent, symbole de la domination de Sol’ra sur Ayept. Zejabel sut alors qu’il était effectivement au bon endroit. Mais comme prévu un garde était là, aussi grand que la statue il tenait une large épée devant lui en s’appuyant sur la lame. En entendant quelqu’un arriver celui-ci se retourna pour voir qui était là et la surprise fut de taille, pour l’un comme pour l’autre. Ahmid n’était plus vivant depuis bien longtemps, mais l’ironie du sort voulait que Ptol’a l’ait maudit et qu’à présent il n’était ni vivant ni mort. Son corps était recouvert de bandelettes qui cachaient son état squelettique. Ahmid arma immédiatement son arme, comprenant à qui il avait affaire, la lame allait fendre l’air lorsque Zejabel usa de sa magie.

- Et bien ça alors ! Qu’avons-nous là ? A croire que Ptol’a en personne intervient pour faciliter ma tâche. Tu es aussi mort que moi, garde royal... Baisse ton arme et reste dans un coin là, je te rendrai ta volonté lorsque j’aurai fini mon affaire, dit Zejabel en montrant un coin de la pièce.

Ahmid, incapable de lutter contre le nécromancien baissa son arme et inexorablement marcha jusqu’à se retrouver au coin, comme un enfant qui aurait été puni. Quant à Zejabel il posa son précieux paquet par terre devant le colis avant de le déballer consciencieusement. Le corps de Néhant était inerte, magnifiquement conservé, comme si celui-ci dormait simplement. Ce qu’il s'apprêtait à faire allait dépasser l’entendement, repousser les limites mêmes de la magie. Zejabel s’était longuement préparé, depuis que le corps de Néhant était en sa possession. Il allait utiliser les arts magiques de Néhant à son paroxysme, son plan était de se glisser dans la peau de Néhant, puis une fois que cela serait fait offrir le corps de Dimizar à Ayept. Tout le monde serait ainsi satisfait. Mais l’opération allait être douloureuse, extrêmement, non pas physiquement car le mort ne ressentait rien de ce côté-là, mais au niveau spirituel. Le rituel devait être accompli parfaitement, et ainsi il pourrait retrouver la vie, car le corps de Néhant bien que sans âme était encore vivant. Le rituel était en lui-même simple, contrairement à la préparation qui avait demandé beaucoup de puissance magique. Ainsi Zejabel sortit de son sac plusieurs éclats de la prison de Néhant gavés de magie, le but était de tout absorber afin de pouvoir lier les deux corps et ainsi projeter son âme au travers de ce passage.

Le rituel avait débuté. Zejabel tenait fermement le dernier éclat Néhantique, à présent sa puissance magique pouvait rivaliser avec celle des meilleurs mages de la Draconie. La magie noire quittait lentement le cristal, absorbé par la peau desséchée du non-mort, renforçant ses pouvoirs. Puis l'éclat fut vidé, tout comme les autres, et Zejabel passa à la suite, le moment le plus délicat. Sa pierre-coeur, profondément enfoncée dans le thorax, brillait d’une énergie sombre et malfaisante, prête à se déverser. Cela prit plusieurs minutes avant que le lien entre les deux corps soit formé. C’est alors que ce produisit l’évènement inattendu et pas des moindres. Zejabel allait réaliser l’ultime étape, celle qui allait le faire passer dans le corps de Néhant, lorsqu’une voix se rappela à son bon souvenir.

- Zejabel...

Cette voix il ne l’avait pas entendu depuis des mois. C’était celle de Dimizar caché dans un recoin du cerveau mort du nécromancien. Ce dernier ne pouvait plus bouger, tout comme Ahmid lorsqu’il voulut frapper Zejabel.

- Qu’est-ce... qu’est-ce qu’il se passe ? Dit Zejabel.

- J’ai patiemment attendu, j’ai appris ton art pendant toutes ces années, secrètement, en silence je t’ai mené jusqu’à cette idée de transfert, je t’ai soufflé comment faire... Bien que tu aies la maîtrise de mon corps, je reste un bien plus grand magicien que toi et je t’ai eu en beauté.

A ce moment précis, la magie Néhantique s’activa et une âme quitta le corps de Zejabel, mais pas celle escomptée. Le corps de Néhant fut alors saisi de soubresauts puis ce fut comme s’il sortait d’un long cauchemar. Dimizar respirait à nouveau, il n’était plus enfermé dans un corps qu’il ne contrôlait pas. Il se leva lentement, regardant ses mains et son environnement, il se sentait véritablement différent... et libre. Zejabel bouillait intérieurement, il venait de se faire damer le pion par Dimizar, un Néhantiste qu’il avait vaincu, mais pire son plan tombait à l’eau. Il n’était plus question qu’Ayept soit libéré car Zejabel ne voulait pas laisser son corps à quiconque. A présent libéré de Dimizar, il pouvait de nouveau bouger.

- Dimiiiizaaar ! Hurla Zejabel, tu viens de me condamner ! Je vais, je vais !

Une faux à la lame fantomatique apparut dans la main du nécromancien qui chargea Dimizar. Ce dernier vit arriver l’assaut et décida qu’il était temps de mettre un terme à l’existence de ce parasite. Le combat s’engagea mais il fut inégal. Zejabel vidé de sa magie après le rituel était affaibli, tandis que Dimizar lui profitait de toute la puissance du corps de Néhant et de sa magie. Zejabel allait certainement perdre. Mais le combat se termina non pas en raison de la victoire d’un des protagoniste, mais en raison de l’arrivée de gardes royaux.

Les deux puissances cessèrent leur affrontement et empruntèrent un portail démoniaque non sans se promettre un prochain affrontement...

Chapitre 9 - Rouille et Embrouilles

D’un pas mou et lent, tout en fredonnant un chant paillard, Suma, un homme crasseux n’ayant que la peau sur les os parcourrait un couloir tout aussi sale que lui. Le long de ce couloir, il y avait quatre larges portes de bois verrouillées par d’imposantes serrures toutes du même côté. A chaque passage devant l’une d’elles, Suma dégoupillait le bouchon de liège obturant le judas avant de jeter un œil au travers. Tout semblait aller, du moins jusqu’à la dernière porte. L’ambiance lumineuse n’avait rien à voir avec les autres pièces, c’était beaucoup plus clair, et surtout, il n’y avait plus la forme de la personne qui devrait s’y trouver ! Suma lâcha le bouchon de liège du judas et détacha le trousseau de clés pendant à sa ceinture.

- C’est pas vrai, c’est pas vrai, c’est pas vrai ! dit-il le cœur battant à vive allure.

• clac clac clac* La serrure, parfaitement entretenue se déverrouilla sous l’impulsion de la clé, puis le garde tira la porte non sans difficulté.

- Mais c’est pas vrai ! Cria-t-il.

La cellule n’avait plus que trois murs sur les quatre, celui opposé à la porte n’était plus qu’une ouverture béante. Les pierres, pourtant de bonne taille et de bonne qualité, avaient été comme désintégrées. Suma passa la tête pour examiner un peu mieux les alentours immédiats. Vu de l’extérieur le trou se situait au beau milieu d’un mur d’une quinzaine de mètres de haut parsemé de petites fenêtres à barreaux. C’était la prison de l’île de la Rouille, c’est là que se trouvaient les plus dangereux malfrats arrêtés dans les Îles Blanches et envoyés là autant par l’ancien que par le nouveau régime de Bramamir.

- Mais comment elle a fait ? C’est... impossible !

Suma hurla à son compagnon gardien de venir immédiatement afin d’inspecter la cellule pendant qu’il irait prévenir les autorités. Ce qui fut chose faite très rapidement grâce à des outils de communication incroyablement évolués.

- Qui avons-nous vers l’île de la Rouille, demanda l’amiral en s’adressant à Corc.

- Attendez... attendez, ah voilà, dit Corc en tirant une carte des Îles blanches. Alors, d’après nos derniers rapports, la Veuve Noire se trouve de l’autre côté par rapport à l’île de la Rouille, ici le Détonnant qui est aussi trop loin, là l’Ouragan qui peut être mobilisé rapidement, de même pour le Fentlevent et le Titan de Fer de mestre Galène...

Al la Triste regarda à chaque fois le doigt de Corc pointant chaque navire. Aucun d’eux n’était réellement en mesure de venir rapidement sur place. Puis son regard se posa sur une île : La Fonderie. Elle y avait envoyé une partie de l’équipage à bord de l’Arc-kadia quelques jours plus tôt, et la Fonderie n’était pas loin de l’île de la Rouille.

- Klémence ! Elle est avec l’Arc-kadia sur cette île-là en montrant l’endroit sur le plan. Elle peut y être en deux heures à peine.

- Bien Amiral, je lui fais transmettre le message.

- Envoyer un seul navire est trop risqué, l’échappée est beaucoup trop dangereuse, elle ne doit pas quitter les Îles blanches. Fais un appel général au passage, que tous les navires, même les civils, se mettent en chasse.

Corc se leva et salua l’amiral avant de commencer à partir, puis Al la Triste lui dit :

- Attends... trois cent milles cristaux à celui qui la ramène à l’île de la Rouille et la livre à la prison.... et en vie !

Corc acquiesça et s’en alla faire son travail. Al de son côté regarda la carte, puis frappa la table de bois de sa main mécanique. La table craqua mais résista à la colère de l’amiral qui enrageait de ne pouvoir elle-même prendre part à cette chasse à l’homme.

Loin du palais de Bramamir à bord de l’Arc-kadia, Ardranis venait de recevoir le message de Corc. L’équipage du navire était à son strict minimum, il y avait elle et Klémence bien sûr, mais aussi Mathurin ou encore Watahata, ainsi que quelques automates dont Hic-Kar et Ekrou. L’Elfine laissa les autres à bord de l’Arc-kadia en leur ordonnant de préparer leur départ pendant qu’elle se risquait à entrer dans la Fonderie pour retrouver Klémence, le capitaine provisoire du navire. Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’Elfine n'appréciait pas ce genre de lieu, beaucoup trop artificiel et peu respectueux de la nature environnante. La poignée de la porte d’entrée du baraquement, qui faisait office d’atelier géant, était chaude, laissant présager d’une atmosphère étouffante. Et tel fut le cas, à peine eut-elle entrouvert la porte qu’un courant d’air chaud lui saisit la gorge. L’odeur mêlant les effluves de sueurs, de métal en fusion, de cuir et d'autres venaient confirmer l’activité de la Fonderie. Avec précaution Ardranis s’engagea à l’intérieur, fouillant du regard cette large pièce en quête de son capitaine.

- Ah, la voilà !

La plupart des “glang glang” venaient du marteau manié avec force par Klémence qui s'escrimait à faire entrer une pièce un peu trop petite dans un ensemble complexe de rouages. Visiblement l’état d'énervement de la jeune fille était à son maximum si bien que lorsqu’elle aperçut Ardranis elle sauta sur l’occasion d’arrêter là ses travaux pour une pause.

- Klem, j’ai reçu... j’ai reçu...

- Quoi ?

Le bruit autour d’elles les empêchaient de se comprendre, il leur fallut donc sortir pour pouvoir s’entendre.

- Je disais donc, j’ai reçu un message de Corc, il y a eu une évasion plutôt spectaculaire à la prison de l’île de la Rouille. L’Amiral veut que nous nous lancions à la recherche de l’échappée.

- Sait-on qui on cherche ?

- Kiria d’Andelerya.

- Kiria... Pourquoi ça ne m’étonne même pas, c’était écrit qu’elle se ferait la malle à un moment donné.

- Tu la connais.

- Oui, j’ai contribué à la mettre aux arrêts après qu’elle ait détruit un de nos navires. L’histoire se répète on dirait bien. Allons-y !

L’Arc-kadia tournait depuis quelques heures dans la région de l’île de la Rouille et jusqu’à présent il n’y avait aucune trace de l’échappée. Pourtant elle n’avait nulle part où aller, comment ferait-elle pour passer d’une île à une autre sans avoir de moyen de transport ? C’était une des nombreuses questions que se posaient les membres d’équipage de l’Arc-kadia.

Puis d’un coup le bateau décéléra.

- Qu’est-ce qu’il se passe ! cria Klémence en regardant Mathurin à la barre.

- J’en sais rien, la barre est grippée !

Les moteurs crachotèrent de la fumée, menaçant de s’éteindre à tout moment. L’Arc-kadia vira de bord et se dirigeait droit sur une île. Klémence poussa Mathurin et tenta de reprendre la main sur le gouvernail, utilisant ses bras mécaniques pour s’aider. Mais les rouages du gouvernail étaient totalement bloqués, impossible d’éviter le crash. Puis les moteurs, pourtant parfaitement entretenus, comme le reste du navire d’ailleurs, cessèrent de fonctionner.

- Préparez-vous à l’impact ! Hurla Klémence qui attrapa Mathurin avec ses bras mécaniques pour mieux le retenir.

Le navire fila droit sur la terre ferme jusqu’à l'impact dans un bruit assourdissant de bois explosant sous la résistance du sol. C’est ainsi que L'Arc-kadia, fleuron de la flotte et vaisseau amiral termina sa course sur les rochers d’une lointaine île. Fort heureusement à part quelques blessures, l’équipage s’en sortit bien. Tous étaient un peu sonnés, ne comprenant pas comment tout cela était arrivé. La coque était éventrée, déversant une part du contenu des soutes et des affaires de l’équipage. Klémence inquiète commença à soulever les décombres, elle remarqua vite au milieu des morceaux de métaux complètement pourris par la rouille.

- Qu’est-ce que c’est que ça ? Hier il n’y avait rien, pas la moindre rouille sur ce navire !

Elle continua de dégager les poutres et parvint enfin à ce qu’elle voulait, sa plus belle création : Ekrou. La rouille avait entièrement recouvert l’automate, le rendant inactif pour l’occasion. Klémence ressentit de la peine, elle qui adorait sa création, de la voir ainsi la blessait. Elle tenta bien de le remettre en marche mais rien n'y fit. Cependant elle trouva un indice sur le corps d’Ekrou, des symboles étranges mais qui ne lui étaient pas inconnus.

- Kiria !!!

A suivre dans : Fin de conflit.

Chapitre 10 - Réconciliation

Il était déjà tard et le soleil s’était déjà réfugié de l’autre côté de ce monde, privant de ses rayons les Terres de Guem. Abyssien subissait déjà depuis plusieurs heures les réunions interminables du Conseil des Guildes, où les rapports étaient aussi barbants les uns que les autres. L’ancien des Combattants de Zil rêvassait en écoutant vaguement les plaintes émises par des guildes mineures en proie en ce moment à un complexe d’infériorité vis-à-vis des guildes plus importantes. Il ne le cachait pas, ça l’ennuyait, et pas que lui d’ailleurs, Marlok tirait une figure inexpressive, lui aussi laissait ses pensées vagabonder. Puis enfin le moment salvateur arriva lorsque le Conseiller-Doyen Verace mit un terme à la séance, au soulagement de beaucoup. Lentement, Abyssien se leva de son siège, traînant un peu les pieds, fatigué de cette journée. Il salua à peine les autres conseillers, seul resta son ami Marlok.

- Tu m’as l’air dans un sale état Abyssien, j’ai reçu une bonne bouteille de la province de Karazrak ça te tente ?

La perspective d’une fin de soirée à discuter autour d’un verre lui convenait, aussi accepta-t-il l’invitation.

La bouteille était presque vide, le liquide déjà plus qu’un souvenir embrumant les esprits des deux mages. La nuit avançait à bonne allure lorsque Abyssien coupa net un échange à propos de leur avenir au Conseil des Guildes avant de se lever. Marlok réagit de même et se leva en faisant apparaître une lame de cristal dans le prolongement de sa main. Ce dernier regarda dans une direction.

- Qui est là ? Qui êtes-vous ? Demanda-t-il.

- Attends, dit Abyssien, c’est un de mes hommes. Approche, ordonna le conseiller.

Une forme sortit alors d’un coin de la pièce, un endroit totalement plongé dans l’ombre. L’homme portait un épais manteau long de couleur violette au col montant jusqu’à mi-visage, ainsi qu’une sorte de chapeau haut de forme cousu dans la même matière que le manteau. On ne voyait pas son visage et la seule indication sur son identité prenait la forme d’un bijou en forme de A bien visible sur le chapeau.

- Arckam ? S’étonna Marlok. Ça fait quoi ? Cinq ou six ans la dernière fois que nous nous sommes croisés. Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Comment tu as fait pour passer les défenses magiques du château ?

- Il vient me faire son rapport, dit Abyssien.

- Tu veux que je vous laisse ? S’enquit Marlok qui ne souhaitait pas s’immiscer dans les affaires de son ami.

- Non, reste, ceci concerne les Combattants de Zil et le Conseil, donc ça te regarde un peu. Je te demande juste de garder tout ce qui est dit ici entre nous.

- Tu as ma parole.

- Arckam, nous t’écoutons.

- Comme tu me l’as demandé j’ai discrètement suivi le Conseiller Chantelain et ses Traquemages. Leur mission était de retrouver et de capturer l’Equinoxienne connue sous le nom de Théya. Ils sont parvenus à retrouver leur cible, mais contrairement aux ordres donnés ceux-ci ont purement et simplement exécuté l’Equinoxienne sans que celle-ci n’ait eu le temps de se rendre ou de s’expliquer.

Marlok et Abyssien tombèrent des nues.

- C’est Chantelain en personne qui l'a tuée, indiqua Arckam. Ensuite ils ont ramené son corps dans leur cachette sous le château de Kaes. Je ne suis pas allé jusque-là, jugeant que c’était dangereux.

- Tu as bien fait. Et concernant la Meute ? Demanda Abyssien.

- La colère de Farouche semble passer. La Meute n’est jamais très loin du reste des Combattants de Zil. Il ne manquerait pas grand chose pour que cet épisode de tensions soit oublié et que l’unité des Combattants soit retrouvée.

- Nous allons leur donner un coup de main dans ce cas. Il nous faut donner une leçon à Chantelain et à ses Traquemages. Il fait du bon travail mais nous ne pouvons laisser cet assassinat impuni. J’aimerais lancer des messages aux Traquemages.

- Quels messages, questionna Marlok intrigué.

- Je veux que les Traquemages sachent que leurs agissements sont sous surveillance, et qu’il y a bien plus fort qu’eux.

- Nous pourrions traiter cette affaire d’une autre manière Abyssien, rétorqua Marlok.

- Non, il faut que cela reste secret, cette affaire pourrait ébranler le Conseil des Guildes, ce que je ne souhaite pas.

- Que comptes-tu faire?

- J’ai un plan, un plan risqué comme d’habitude.

Le feu crépitait dans un large cercle de pierres, et ce, au milieu d’un espace où personne ne s’aventurait jamais. La lune descendante, haute dans le ciel éclairait à peine les environs, mais la nuit ne posait guère de problème aux deux personnes qui s’approchaient lentement du feu et du campement totalement désert. Zil arriva en premier, le chapiteau n’était vraiment pas loin, à peine une demi-heure de marche de là. Il tenait le bout de parchemin sur lequel étaient notés un lieu et une heure de rendez-vous. Évidemment l’heure fixée était déjà passée et il n’y avait personne, du moins jusqu’à ce que des jurons parviennent jusqu’à ses oreilles. Nul doute, il s’agissait de Farouche. La jeune femme s’était empêtrée dans des ronces, ce qui fatalement l'énervait. Malgré cela elle termina son bout de chemin jusqu’au lieu de rendez-vous où Zil attendait, amusé par la situation.

- Toi ? Dit-elle en arrivant au campement. Qu’est-ce que tu fais là ?

- Et bien tu m’as donné rendez-vous en tout état de cause, dit-il en montrant le billet.

- Pfff, j’ai eu le même, je t’ai pas donné rendez-vous.

- Alors qui ? Demanda Zil qui passa sa main sur une dague, prêt à la dégainer au cas où.

- C’est moi, dit Arckam en arrivant à son tour.

- Tiens, l’homme mystérieux, je me demandais où tu étais depuis quelques jours, dit Zil sur le ton de la curiosité.

- Je vais vous expliquer, mais avant tout... asseyons-nous.

Les trois Combattants de Zil s’installèrent alors autour du feu qui fut allumé par Arckam en préparation de cette rencontre.

- Je reviens du château de Kaes où j’ai rencontré Abyssien. Il vous transmet son bonjour et vous demande de mettre un terme à votre conflit le temps pour nous de résoudre un problème... un peu épineux.

- C’est-à-dire ? Demanda Zil.

- Farouche, vous vous souvenez de l’Equinoxienne que les Combattants de Zil ont affronté ?

- Bien sûr, je compte bien mettre la main dessus un de ces quatre.

- N’y compte plus, elle est morte.

- Morte ? Comment est-ce arrivé ? Interrogea Zil qui souhaitait connaître les tenants et aboutissants de cette histoire.

- Ceci est une sombre histoire que je vais vous raconter, puis je vous proposerai d’agir, pour que l’on prouve au Conseil des Guildes que les Combattants de Zil ne sont pas finis.

- C’est ce qu’ils disent ? Dit Farouche la mine sévère.

- C’est ce qu’ils disent, oui.

Quelques nuits plus tard, Arckam se trouvait en haut d’une colline où poussaient depuis une centaine d’année cinq chênes aujourd’hui énormes. L’artisan, appuyé contre un arbre, se repassait le plan en mémoire, il ne fallait pas qu’il flanche durant la première phase. Le risque était important mais le jeu en valait la chandelle. Néanmoins il ne pouvait pas agir dans cette forme là aussi il saisit son chapeau et le posa délicatement sur une branche d’un chêne. Puis il détacha la lourde chaîne de son manteau, découvrant un corps entretenu à la peau couleur des ombres. Il allait briser ce secret qui fut sien depuis une ancienne histoire, une aventure vécue avec Abyssien il y avait presque vingt ans de cela. Depuis en de rares occasions il quittait son lourd manteau pour devenir le temps de quelques heures ou quelques jours le Maître-Dague caché en lui. Enfin après avoir vérifié son matériel, à savoir d’innombrables dagues de lancer, il s’élança !

- Où te caches-tu... Où te caches-tu ? Ah ! Là ! Je t’ai ! Chuchota Arckam en remarquant un point brillant dans les ténèbres.

Mais déjà une première dague siffla se plantant non loin du visage d’Arckam.

- Un costaud, je n’en doutais pas.. Allez, viens ! Dit le Maître-Dague en répliquant.

Un Traquemage sortit alors de l’ombre, bondissant, fondant sur sa proie. Mais celle-ci n’était pas un agneau et pouvait rivaliser avec un Traquemage du moins au niveau de la rapidité. Arckam se faufilait désormais entre les arbres, esquivant les dagues et les attaques de son poursuivant. Ce petit cirque dura une trentaine de minutes, sans que jamais Arckam ne fut rattrapé. Le pari était donc réussi et la fin de la première phase de son plan arrivait. La lisière, franche, marquait la fin de la forêt, le piège allait maintenant se refermer. Arckam courait, droit, et passa entre les deux objets mécaniques qui s’enclenchèrent alors. Le Traquemage continua sa course et réalisa qu’il avait été piégé, mais trop tard... Les deux bombes explosèrent, non pas dans des gerbes de flammes et de fumées, mais dans une projection de nombreux éclairs qui s'agrippèrent au Traquemage comme des ronces sur un pantalon de toile.

Mais la réaction du Traquemage à ce piège ne fut pas celle attendue, au lieu de tomber inconscient, celui-ci n’avait rien. Les runes de son costume brillaient avec intensité.

- Ça ne lui a rien fait, cria Sombre cachée dans les plantes un peu plus loin.

Farouche et Zil passèrent alors à l’action. Le fouet de la dirigeante de la Meute claqua, s’enroulant autour du bras du Maître Traquemage, qui gardant son calme esquiva les dagues de Zil, puis celles d’Arckam avant de couper nette la corde de cuir du fouet. Le combat s’annonçait coton, à quatre contre un, le Traquemage n’avait que peu d’espoir de vaincre les Combattants de Zil. Les consignes dans ce cas étaient simples : un Traquemage sur le point d’être capturé devait mettre fin a sa vie et à toute trace de son existence. Alors il sortit d’une pochette de cuir attachée à sa ceinture une petite pièce de couleur noire. Sombre entr'aperçut l’objet et lança alors une fléchette de métal qui vint se ficher dans la main de la cible, laissant la pièce noire tomber sur le sol.

- Immobilisez-le ! Ordonna Sombre qui fit un roulé-boulé pour récupérer la pièce.

Grâce aux pouvoirs de l’ombre et à l’agilité des Combattants, le Maître-Traquemage se retrouva au sol attaché, gigotant comme un ver. Farouche s’avança vers lui et lui tira la cagoule, révélant le visage d’un homme d’une trentaine d’année aux yeux bleus et aux cheveux bruns.

- Vous n’obtiendrez rien de moi, dit-il calmement.

- Mais nous avons déjà ce que nous voulons, ironisa Zil.

- Ton supérieur a fait deux belles erreurs, s’approprier et tuer froidement notre proie était la première, sous-estimer les Combattants de Zil fut la seconde, dit Farouche de manière sérieuse.

- Nous allons te relâcher et tu vas retourner auprès de tes camarades de jeu, dit Zil en s’accroupissant devant son visage. Nous avons un message à transmettre à ton chef, écoute-le bien je ne le répéterai pas. L’organisation Traquemage est sous la surveillance des Combattants de Zil. Vous ne tuerez plus sans notre accord, ton chef passe sous les ordres du Conseiller Abyssien, il passera désormais par lui avant de rendre compte au Conseiller-Doyen Verace. Au moindre faux pas nous mettrons un terme à l’existence de cette organisation illégale.

- Elle est légale, elle dépend du Conseil des guildes, tenta de se défendre le Traquemage.

- Non non non, dit Farouche en faisant non du doigt. Les Traquemages n’ont rien d’officiel, nous, Combattants de Zil sommes une guilde officiellement reconnue par le Conseil des Guildes. Et en tant que tel une organisation telle que la tienne n’a aucune existence et est illégale, ce qui nous donne une raison supplémentaire pour vous défoncer vos sales trognes cagoulées. Tu as compris le message.

- J’ai compris oui.

Farouche détacha le Maître-Traquemage et lui rendit sa cagoule.

- Allez, barre-toi de là, et n’oublie pas, nous t’avons à l’œil. Ah, pendant que j’y pense, ça t’ennuie pas si on garde ça, dit-elle en montrant l’équipement qu’il possédait.

Pour seule réponse, le Traquemage enfila sa cagoule et s’en alla rapidement.

Zil posa la main sur l’épaule de Farouche.

- Nous, Combattants de Zil ? J’en conclue que la Meute revient dans la guilde ? - Nous ne sommes jamais réellement partis, tu le sais, je crois qu’il nous manquait une motivation.

Non loin de là, une forme d’ombre regardait la scène, c’était là une créature magique envoyée par Abyssien afin d’observer la scène. Loin de là au Château de Kaes, le Conseiller des Zil paraissait satisfait.

- D’une pierre... deux coups.

Chapitre 11 - Règlements de comptes

Le lion et le moucheron

Va-t-en, chétif Insecte, excrément de la terre.

C'est en ces mots que le Lion

Parlait un jour au Moucheron.

L'autre lui déclara la guerre.

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi

Me fasse peur ni me soucie ?

Un Bœuf est plus puissant que toi,

Je le mène à ma fantaisie.

À peine il achevait ces mots

Que lui-même il sonna la charge,

Fut le Trompette et le Héros.

Dans l'abord il se met au large,

Puis prend son temps, fond sur le cou

Du Lion, qu'il rend presque fou.

Le Quadrupède écume, et son œil étincelle ;

Il rugit, on se cache, on tremble à l'environ ;

Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un Moucheron.

Un avorton de Mouche en cent lieux le harcèle,

Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,

Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faîte montée.

L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir

Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée

Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.

Le malheureux Lion se déchire lui-même,

Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,

Bat l'air qui n'en peut mais, et sa fureur extrême

Le fatigue, l'abat ; le voilà sur les dents.

L'Insecte du combat se retire avec gloire :

Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,

Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin

L'embuscade d'une Araignée :

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?

J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis

Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;

L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,

Qui périt pour la moindre affaire.

Jean de la Fontaine.

Je ne suis plus la risée de mes pairs. Je ne serai plus celui que l’on trompe. Non, fort de ce nouveau corps il est temps pour moi, Dimizar, de faire comprendre à ceux qui me regardent de haut qu’il faut composer avec moi. Le simple fait que je puisse aller librement, débarrassé de l’entrave psychique du nécromancien est en soit une humiliante défaite pour lui. Il a perdu la face, lui un ancien lieutenant de Néhant qui a trompé même la mort, ridiculisé par celui à qui, finalement, il avait tout appris. Zejabel s’était joué de moi et c’est la première des victimes de ma vengeance. Je m’accroche à cette haine qui sans cesse grandit, incommensurable je doute pouvoir m’en débarrasser un jour. Était-ce là le prix à payer pour habiter cet incroyable corps ? J’en suis persuadé. Je ne peux plus faire marche arrière, il me faut aller jusqu’au bout.

Les méandres… ce réseau de tunnels et de cavités où vivent les démons, créatures de Néhant. C’est là que je me suis instinctivement rendu alors que sous Mineptra Zejabel et moi-même avons été surpris par l’arrivée des forces du désert. Sans le moindre effort, ni difficulté me voilà au beau milieu des hordes démoniaques. La surprise a été de taille, tant pour eux, que pour moi. Je dois bien l’avouer, je ne connais pas bien les méandres, de mon vivant je me contentais d’invoquer les démons sans jamais me rendre dans ces tunnels, ou du moins en y passant mais sans jamais m’y arrêter. Hors donc me voici devant eux, dans ce corps qu’ils connaissent tous si bien car c’est celui de Néhant, leur créateur. Eux si bruyant à l’accoutumée me regardent sans faire le moindre bruit, n’en croyant pas leurs yeux. Je m’approche du plus grand et du plus massif d’entre eux, celui-ci doit bien faire la taille de Fournaise, mais les flammes en moins.

- Hargne, lui dis-je alors que je ne le connais pas.

Le démon se prosterne alors devant moi en m'appelant “Maître”. Et alors que celui-ci s’incline, suivi par d’autres, je réalise que quelque chose a changé, moi bien sûr, j’habite ce corps incroyable sur bien des plans, je le sens au profond de mon être, ma magie est plus puissante, je me sens ici comme chez moi. Je commence à comprendre, ce corps n’est pas naturel, il est le fruit d’une expérience, je ne suis pas un démon, ils sont l’étape finale, voilà, j’ai saisi je suis l’original, incroyable ! Hargne attend mon ordre, il me faut remettre mes idées en ordre et continuer mon plan.

- Démons, je suis de retour, il est temps pour nous de revenir vers la lumière et d’en finir avec ceux qui se disent mes fidèles, mais qui en réalité sont au centre de leur monde. Alors que c’est faux JE suis au centre de leur monde, ils l’ont oublié, ils m’ont oublié.

J’agis encore d’instinct, laissant parler la magie de Néhant… d’instinct ? Non, cette fois je sais comment faire c’est inscrit dans le cerveau de Néhant, tout comme le reste de ses secrets. Pourtant il n’est plus là, alors comment est-ce possible ? Dois-je justifier cela par un fait magique ? Ainsi les démons qui se trouvent devant moi sont galvanisés par mes paroles et par ma présence, les symboles de Néhant parsemés sur leur corps flamboient de puissance, ils sont prêts à me servir jusqu’à la mort s’il le faut. Je ne leur en demande pas tant, j’ai un but et un seul, mettre Amidaraxar à terre, le soumettre à mon autorité, surtout que j’apprends entre-temps que son invasion de l’Empire de Xzia se solde par une fausse victoire. La capitale impériale est belle et bien en cendres et les territoires du centre sont aussi vite perdus qu’ils ont été pris. Il faut nous arrêter d’être aussi stupides, bien qu'enorgueilli par les miettes des pouvoirs magiques que contenait encore le corps de Néhant, Amidaraxar piétine et fait des erreurs impardonnables.

Allez, il est temps de passer à l’acte, mes démons sont survoltés, ils ont pour ordres de contenir les éventuels démons qui sont présents autour d’Amidaraxar et de repousser toute menace, le temps pour moi de m’entretenir en tête à tête avec lui. Repérer son groupe est très facile, je ressens la magie de Néhant à la surface de ce monde. Il y a beaucoup de pratiquants et partout, des personnes que nous ne connaissons pas encore, il sera toujours temps d’aller les saluer dans le futur. Pour le moment j’ai mieux à faire. La magie coule de mon corps comme dans un flot à peine croyable, elle entoure mes démons pour me les lier, sur les terres de Guem, non loin d’Amidaraxar un portail démoniaque s’ouvre, il doit se demander comment cela se fait, regardant probablement ses acolytes en doutant d’eux. Ça y est, nous sommes aspirés, propulsés hors des méandres, nous fondons sur notre proie aussi sûrement que la mort venant prendre la vie d’un pestiféré.

Nous sommes là, face à lui, il ouvre de grands yeux, comment pouvait-il en être autrement, il ne s’y attendait pas. Un geste de la tête de ma part et les démons forment un large cercle autour de nous.

- J’aime lire cette surprise sur ton visage Amidaraxar.

- Tu ne peux pas être Néhant, qui es-tu… Zejabel ? me demanda-t-il avec dégoût.

- Je ne suis pas Zejabel, mais nous nous connaissons, tu fais face à la résurrection de Dimizar.

- Voleur de corps… chuchote mon adversaire. Tu vas sans délais rendre ce qui ne t’appartient pas ! Même si je dois moi t’arracher de là !

Et voilà, des menaces et l’agression. Je m’y attendais bien sûr, mais je suis certain de ma supériorité, car comment vaincre Néhant ? Certainement pas avec la magie de Néhant ! Amidaraxar déploya pourtant tout son savoir-faire, l’invocation des démons, les malédictions les plus terribles, la tentative d’asservissement et des sorts encore plus sombres et malfaisants. Mais la magie de Néhant glissait sur ce corps.

- Comment fais-tu cela ? Demanda-t-il décontenancé par la résistance que je lui oppose.

- Tu as retiré le reste de la magie de ce corps, mais le réel pouvoir de Néhant n’est pas ce que tu lui as soustrait, mais bien ce corps car il décuple toute la magie de Néhant et l’écho de ses souvenirs sont miens. Je te laisse le choix, soumets-toi ou alors je te soumets, il est temps pour moi de reprendre les rênes, tu fonces tête baissée alors que ce n’est pas ça la philosophie de notre magie.

- Me soumettre à toi, Néhantiste de pacotille ? Jamais !

- Mauvaise réponse.

A moi de lui montrer l’étendue de mes pouvoirs.

- Ne serait-ce pas une pierre-cœur que tu caches à l’intérieur de ta veste ??

Ma puissance le paralyse, il hurle, je sens cette pierre-cœur, je m'immisce en elle, elle est mienne, il est mien. Amidaraxar est à l’agonie, son corps fume, en partie brûlé par l’énergie noire. Sa pierre-cœur vole lentement au-dessus de lui et je vois très clairement le lien entre elle et nous deux, il est à moi à présent.

Aujourd’hui est donc le jour de ma résurrection, Dimizar, le nouveau Néhant.

Chapitre 12 - L'héritier

- Vous allez bien Gardien ? Pas trop secoué par le voyage ? Demanda Catalyna en l'époussetant.

- Non non, je suis habitué aux effets magiques, je suis le Gardien, vous vous souvenez, dit Ciramor en ironisant.

Le décor n’avait plus rien à voir avec les terres de Guem. Autrefois ici avait eu lieu un cataclysme qui entraîna la dislocation de cette partie du monde. Le salut étant venu d’Eredan qui parvint à limiter le chaos en faisant en sorte que les terres deviennent des îles flottantes, à l'instar des Îles blanches qui vécurent la même tragédie. Ciramor connaissait bien les Confins il y était né et y avait vécu jusqu’à ce que le conflit de la pierre tombée du ciel éclate et qu’un groupe d’aventuriers le trouve sur son chemin. Il balaya le paysage du regard et fut satisfait. Les Lieurs de pierres qui l’accompagnaient avançaient déjà sur une route qui passait d’île en île par le biais de ponts suspendus. Ciramor en conclut que ses compagnons savaient parfaitement quel chemin emprunter pour se rendre à Ambre-Bleue. Mais la ville était loin de leur point d’arrivée, aussi le voyage allait-il être long, du moins c’était ce que pensait Ciramor, qui se retrouva vite dans l’erreur. En effet à peine quelques heures de marche plus tard le groupe parvenait à une île qui n’avait rien de particulier, en tout cas en apparence, car celle-ci recelait d’une cachette. A l’intérieur les Lieurs de pierres avaient déposé un drôle d’objet, une sphère aussi grande qu’une tête, gravée de formes sinusoïdales serpentant entre des gemmes de tailles et de couleurs différentes. En la voyant Ciramor esquissa un large sourire ce qui attira la curiosité de Maen.

- Qu’est-ce qui vous fait sourire ?

- Oh, rien, enfin si, c’est la sphère de Dhal’os… c’est moi qui l’ai créée. Elle avait mystérieusement disparu quelques mois avant mon départ des Confins.

- Nous ne vous l’avons pas volé, assura Temüjin, nous l’avons acheté à un marchand de gemmes des Confins.

- Je ne vous accuse pas, expliqua Ciramor pour détendre l’atmosphère. C’est un objet qui est voué à rester dans les Confins et qui ne peut pas en sortir. Mais vous devez déjà le savoir n’est-ce pas ?

- Oui nous avons tenté de la ramener en terre de Guem, mais impossible ! Dit Maen en posant sa main sur l’épaule du Gardien. Faites nous l’honneur… ajouta-t-il en présentant la sphère.

Ciramor se saisit d’elle et examina les différentes gemmes.

- Nous sommes ici et nous allons… ici, dit-il en montrant une gemme bleue polie. Formez une grille autour de moi, il faut qu’il y ait un contact entre nous.

Les Lieurs connaissaient le fonctionnement de l’objet et chacun posa une main sur l’épaule d’un autre et l’autre main sur Ciramor. Une fois assuré que tout le monde était relié il activa la sphère. Il y eut alors un bourdonnement, puis un zap magique. Le groupe se retrouva immédiatement à une centaine de lieues de là, sur une petite île, tout près d’Ambre-Bleue.

- Je vais garder ceci le temps de notre voyage dit le Gardien, j’espère que ça ne vous ennuie pas ?

Le guerrier vêtu de gris et de noir observait l’étrange groupe qui venait d’apparaître par magie, se demandant qui pouvait être ces gens. Agrippé sur la faux tenue obliquement un hibou tournait la tête de droite à gauche comme pour répondre à son ami, puis celui-ci s’envola pour mieux les voir et les entendre.

- La ville est assez grande, comment reconnaître Aelle ? Demanda Laelyze avec perplexité.

- Une idée Ciramor ? Demanda Maen.

- J’ai déjà vu un portrait d’elle, mais il datait de la guerre contre Néhant. Si elle est encore en vie, ce dont je doute car elle aurait presque cent ans, je ne serai pas capable de la reconnaître.

- Oui… dans ce cas il va falloir utiliser un sort de détection et faire des recherches plus approfondies, conclut Maen.

Quelques battement d’ailes plus tard le Hibou se posa sur l’épaule du guerrier vêtu de noir et de gris.

- J’ai bien entendu… Il faut la prévenir, il faut agir en bonne intelligence mon ami.

Il quitta alors son poste d’observation et se dirigea vers la ville. De leur côté le groupe des Lieurs de pierres passait les ruines des maisons limitrophes d’Ambre-Bleue et détruites lors du cataclysme.

La ville n’avait rien de commun avec les cités des terres de Guem, celle-ci semblait vivre. En effet elle rassemblait des dizaines de petites îles flottantes attachées les unes aux autres qui montaient et descendaient, provoquant un mouvement de vague. Un peu partout sur ces îles poussaient depuis des temps immémoriaux des arbres à l’écorce bleue ce qui donnait son nom à la ville. La sève de ces arbres tombait dans la terre et par un processus naturel se solidifiait pour donner de l’ambre bleue.

Au bas mot il y avait une centaine de maisons accrochées à ces îles, et certaines menaçaient de s’écrouler ou de carrément glisser de leur île. Ciramor eut du mal à reconnaître la ville, tout avait vieilli et les arbres en cette période froide ressemblaient à des squelettes. Au dessus de la ville des nuages noirs et rouges menaçaient de déclencher une tempête.

- La tombe d’Eredan est quelques îles plus loin, commençons par là, ordonna Ciramor visiblement irrité par ce qu’il voyait.

Les Lieurs ne répondirent pas, eux aussi trouvaient l’endroit moins accueillant que lors de leur dernier passage. les gens dans la rue semblaient fatigués et pour certains, faibles et dans tous les cas méfiants. Quelques uns reconnurent Ciramor et un éclair d’espoir sembla réveiller les esprits assommés.

- Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? S’inquiéta Catalyna.

- Je me pose la même question, dit Ciramor.

Puis un hibou passa entre les membres du groupe en poussant un hululement agressif. L’oiseau fonça en direction du tombeau d’Eredan. Inquiets les Lieurs de pierres et Ciramor pressèrent le pas jusqu’à leur premier objectif. Ils déboulèrent sur une petite place circulaire pavée d’ambre bleue où en son centre se trouvait une tombe faite de la même matière. L’endroit avait quelque chose de solennel, calme, agréable et mystique. Le hibou tournait autour de la place en battant lentement des ailes. Devant la tombe, debout face au groupe, le guerrier de noir et de gris tenait sa faux sans être menaçant mais juste pour montrer qu’il pouvait se défendre le cas échéant.

- Te revoilà parmi ceux qui t’ont vu grandir, Gardien.

Plusieurs rues donnaient sur la place et les habitants s’avançaient pour assister à cette scène.

- Qui êtes-vous ? Qu’est-ce qu’il se passe ici ?

Il y eu de l’agitation dans une ruelle, puis deux hommes accompagnés d’une vieille dame vinrent à côté du guerrier de noir et de gris. Le hibou se posa sur l’épaule de son ami.

- Vous êtes Aëlle, dit Maître Maen à l’attention de la vieille dame.

- C’est elle oui. Quand à moi je suis Grand Duc, protecteur de Dhun. Vous excuserez Aëlle mais elle n’a plus l’usage de la parole en raison de ce qu’il s’est passé ici.

- Et il se passe… quoi ? Coupa Catalyna qui n’aimait pas autant de mystère.

- L’Equinoxe… elle touche aussi cette partie du monde, expliqua le Grand Duc.

- Mais que faites-vous ici ? Dhun est l’un des sept royaumes, à l’autre bout de ce monde, questionna Ciramor. Nous venons aussi à cause de l’Equinoxe.

- Je sais, Aëlle me l’a fait comprendre, je sais pourquoi vous êtes là et qui vous cherchez.

- Comment ?

- Aëlle sait tout ce qu’il se passe dans sa demeure, elle sait que vous y êtes venu et toutes les questions que vous avez posé à l’assistant d’Eredan. Votre intervention, ainsi que celle de l’Equinoxe ont fait qu’Aëlle n’avait pas le choix, elle m’a alors fait venir jusqu’ici. J’ai mis un terme aux incursions de créatures venues de l’est, rendues folles furieuses par l’Equinoxe. Et à présent nous allons achever votre quête.

- L’héritier d’Eredan. Aëlle, où est votre descendance, c’est important.

- Elle le sait, et ce descendant vous l’avez devant vous. Le fils d’Eredan et d’Aëlle était mon père.

- Était ? S’horrifia Ciramor. Vous êtes donc l’héritier que nous cherchons.

- Si je suis bien son descendant, je ne suis pas réellement son héritier. Aëlle fit alors quelques pas jusqu’à Ciramor et posa sa main ridée sur le visage du Gardien.

- Nous devons terminer ce qui doit l’être… tu as fini ton voyage initiatique. Dit Aëlle dans la tête de Ciramor. Cette histoire n’est pas une question de sang, l’héritier d’Eredan n’est pas mon petit-fils, c’est toi.

- Vous le saviez ?

- Je l’ai toujours su.

- Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit plus tôt ?

- La route pour devenir un Gardien est longue. Ne crois pas qu’Eredan y soit parvenu plus rapidement que toi, il a vécu de nombreuses aventures, tout comme toi. Et aujourd’hui… tu vas prendre possession de ce qu’il t’a laissé.

L’assistance regardait Ciramor et Aëlle qui semblaient figés. Puis la vieille dame détachâ sa main de la joue du jeune homme et montra ensuite le tombeau. Le jeune Gardien s’avança alors que Grand Duc lui laissait la place. Les pavés s’illuminèrent alors, à la stupeur de tous, puis ce fut le tour du tombeau. Une forme apparut, Ciramor le reconnut aisément car il s’agissait d’Eredan, ce dernier lui tendait la main. Ciramor la saisit et un flash, comme si une explosion avait lieu, aveugla tout le monde.

Ce qu’il venait de se passer était spirituel. Lors du contact Ciramor comprit que ceci était un testament magique, l’héritage d’Eredan, alors toutes les connaissances du Gardien d’autrefois furent désormais celles du Gardien d’aujourd’hui. Submergé par l’émotion une larme coula le long des joues de Ciramor.

- Comment vous sentez-vous ? S’inquiéta Maître Maen.

- Je suis en paix avec moi-même. Dit-il en s’approchant d’Aëlle.

Il déposa alors un baiser sur le front de la vieille dame.

- Merci d’avoir gardé les lieux et de m’avoir attendu. Je sens l’amour d’Eredan pour vous.

Puis le Grand Duc posa sa main sur l’épaule du Gardien.

- Tu sais ce qu’il te faut faire désormais ?

- Oui, dans un premier temps occupons-nous de cette ville.

Au-dessus d’eux les nuages se désagrégèrent laissant enfin les rayons du soleil redonner le sourire aux habitants. L’Equinoxe s’en trouvait chassée.

- Et ensuite ?

- Et ensuite, Maître Maen, nous allons travailler à sceller définitivement les portes de l’Infini.

Chapitre 13 - Le spectre de Mineptra

Netjhim marchait au milieu du désert. Ce n’était pas un désert de sable et de dunes, non, ce désert-là était plat, le sol composé de petits cailloux noirs et poreux. Le prêtre progressait lentement, les cailloux crissaient en se frottant les uns contre les autres à chacun de ses pas. Que faisait-il là ? Il n’en savait rien, mais le lieu lui semblait familier. Ce n’était pas le désert d’émeraude, pourtant il savait qu’il s’y trouvait encore et au fur et à mesure de sa progression vers nulle part il comprit que cela n’avait rien de réel. Il faisait froid, de plus en plus froid.

- Il y a quelqu’un !? Cria-t-il.

Il n’eut pour toute réponse qu’un écho, comme des sanglots, cela venait de tout droit face à lui. Il continua ainsi pendant un temps indéfinissable jusqu’à apercevoir une forme humanoïde assise là, à même le sol. Une femme aux cheveux noirs à peine vêtue cachait son visage dans ses mains et pleurait. Netjhim s’étonna car il reconnaissait cette femme, ou plutôt, cette déesse.

- Qu’est-ce qui peut faire pleurer un dieu ?

- Il me manque tellement…

- Qui te manque vénérée Déesse de la mort ?

- Mon cher et tendre époux…

- Ton époux… Ayept ? Je ne sais pas trop quoi te dire, qu’est-ce qu’un simple mortel comme moi peut faire pour toi.

- Le chemin était tout tracé, comment a-t-il échoué ? Comment ?

- Je ne comprends pas… éclairez-moi de votre savoir vénérée Déesse.

Ptol’a essuya ses larmes et plongea son regard divin dans celui de son prêtre, et celui-ci fut mentalement assailli d’images et de paroles. Et il sut comment Ptol’a avait enrôlé Zejabel contre sa volonté pour faire revenir son défunt époux. Puis comment Ptol’a avait observé le nécromancien attaquer Mineptra et enfin l’incident dans la chambre secrète sous la cité où Dimizar était parvenu à récupérer le corps prévu pour Ayept. Netjhim ressentait le grand désarroi de celle qu’il servait depuis des années maintenant, et cela lui paraissait incroyable de la voir dans un tel état de faiblesse. Mais derrière cette apparente attitude, le prêtre percevait autre chose, Ptol’a ne l’avait certainement pas fait venir ici pour n’être qu’une oreille attentive à ses lamentations.

- Vénérée Déesse, que veux-tu que je fasse pour toi ?

Ptol’a se releva, les sanglots cessèrent et à l’ambiance de tristesse succéda une atmosphère pensante.

- Il a échoué, il paiera en temps voulu. Quant au voleur je lui réserve un sort pire que la mort. Ce que je veux prêtre, c’est mon époux. Libère-le pour moi, je ne peux compter que sur le plus fidèle, fais cela et tu gagneras ma reconnaissance éternelle ainsi que celle de mon époux.

- Je le ferai simplement parce que tu me le demandes, je suis votre obligé, j’ai déjà une dette de vie envers toi. Et je sais déjà comment faire.

Non loin de la porte de l’Infini et de l’ancienne cité des Mangepierres Netjhim se réveilla. Emmitouflé dans sa couverture, le froid faisant écho à cette impression ressentie durant son rêve, le soleil ne s’était pas encore levé. Non loin de lui Ahzred discutait avec Adhikara, tous les deux avaient probablement passé la nuit à échanger sur divers sujets.

- Excusez-moi Ahzred, pourrais-je vous parler ? Demanda-t-il avec gravité.

- Oui ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Parlez, même devant notre compagnon, nous pouvons lui faire confiance.

- Il y a eu un incident à Mineptra. La ville a été attaquée par des mages de la mort vivante, ceux-ci se sont infiltrés jusqu’à une salle secrète située sous la ville.

Le visage d’Ahzred se décomposa, passant d’une apparente bonne humeur à une grimace de stupeur et d’effroi.

- De quoi ? Comment cela ? D’où viennent ces informations ?

- Cela vient juste de se produire, nous ne devrions pas tarder à recevoir des nouvelles de Mineptra. Ecoutez-moi, Champion. Les dieux se sont adressés à moi cette nuit, ils sont en colère contre ces intrus et réclament vengeance.

Ahzred tomba les deux genoux au sol, lui un croyant dévoué et exalté, les dieux étaient en colère et de suite il sentit tout le poids de la culpabilité.

- Les dieux nous demandent de retrouver et de châtier les coupables.

- Cela sera fait, j’en fais le serment sur ce que j’ai de plus cher, ma vie !

- Vous ne serez pas seul dans ce combat… mais champion, il va vous falloir accéder à la volonté d’un dieu en particulier.

- De quoi s’agit-il ?

- Ptol’a veut que nous libérions Ayept pour que celui-ci soit le bras vengeur qui frappera les infidèles qui se sont attaqués à Mineptra.

Ahzred fronça les sourcils, loin d’être un idiot il recomposa les pièces du puzzle. Pourquoi libérer Ayept ? Il pouvait très bien se charger de résoudre le problème.

- A quoi cela servirait ? Ayept n’est qu’une âme, il ne pourra pas rester avec nous si on venait à le libérer. Et pourquoi lui ? Les dieux sont en colère contre moi ? Ils doutent que je ne puisse parvenir à venger l’affront subi ? Pourquoi ne m’ont-ils pas parlé, ne suis-je pas leur serviteur ?

- Ne vous offusquez pas, je crois que cette affaire regarde avant tout Ptol’a et ses fidèles, nous ne sommes pas nombreux. Mais il nous faut votre aide et votre accord.

- Je vois… vous voulez que je vous autorise à libérer Ayept, mais dans ce cas, comme je l’ai dis, cela ne servirait à rien car il n’a pas de corps pour arpenter ce monde.

- Il pourrait en avoir un, non pas un de chair et de sang car cela serait contraire à nos règles. Je… je voudrais que vous m’autorisiez à rendre visite à Ozymandias.

Le champion des gardes royaux gardait de nombreux ennemis du royaume du désert. Ayept en était un, mais il y en avait d’autres, comme Ozymandias, qui avait finalement atterri dans une cellule extrêmement protégée. L’ancien Prêtre-Roi était une menace importante car il restait un servant de Sol’ra.

- Pourquoi ?

- Lorsque j’étais enfant j’ai lu beaucoup de récits concernant les dieux et l’histoire de notre royaume. Autrefois le Prêtre-Roi créa une armure sensée pouvoir abriter Sol’ra en personne. Mais l’expérience échoua avec pour conséquence ce que l’on connaît, le dieu ne pouvait s’incarner que dans un être humain aux grands pouvoirs : Ozymandias en personne. J’aimerais lui demander ce qu’il est advenu de cette armure. Un tel objet n’a pas dû être détruit.

- Donc Ayept pourrait investir cette armure…

Ahzred réfléchit pendant quelques minutes et alors que le soleil se levait un faucon arriva pour apporter la triste nouvelle que Mineptra venait d’être attaquée. Ce qui finit de convaincre le champion.

- Très bien, partons immédiatement. Adhikara venez-vous avec nous?

- Bien sûr.

Le groupe se mis en route pour Mineptra, mais avant cela Adhikara glissa quelques mots à l’oreille de Netjhim.

- Vous avez menti… je vous ai laissé faire parce que je veux aussi voir Ozymandias et cet Ayept. Vous pensez que c’est pour la bonne cause et vous vous servez de l’attaque sur Mineptra pour cela. Je dois néanmoins vous prévenir, Ahzred est un être pur qui ne mérite pas vos mensonges, il se doute déjà que vous ne lui dites pas tout, mais il fait ce qui lui semble juste. Un faux pas de votre part et vous risquez votre vie.

- Je suis déjà mort une fois, je ne crains pas de mourir pour mes actes. Je crois sincèrement que nous ne devons pas laisser ce crime impuni.

- Vous n’êtes pas les bienvenus, partez ! Laissez-moi seul ! Râla un Ozymandias méconnaissable.

Le Prêtre-Roi ressemblait à un vieillard. Ses cheveux autrefois magnifiques n’ornaient plus son crâne parsemé de larges tâches brunâtres. Ses yeux s’étaient enfoncés, cachés derrière des paupières gonflées. Son visage était ridé comme rarement une personne âgée pouvait l’être.

- J’ai assez souffert comme ça, je veux être tranquille, répliqua-t-il.

- Je vais être bref. Vous souvenez-vous avoir construit une armure ? Elle devait accueillir Sol’ra mais cela n’a pas fonctionné. Vous rappelez-vous ?

- J’ai l’air d’avoir mille ans, mais mon esprit reste vif. Pourquoi est-ce que je vous répondrais ? Qu’est-ce que j’y gagne ?

- Vous étiez le dirigeant d’une grande nation, vous avez par deux fois abrité un dieu dans votre chair, je sais que vous tenez à cette terre qu’est le royaume du désert d’émeraude. Mineptra a été attaquée.

Soudain Ozymandias leva la tête avec un regain d'intérêt pour les paroles de Netjhim.

- Qui a osé ?

- Des magiciens manipulant la mort et la destruction, des hommes venus de l’est. Il y a eu de nombreuses victimes.

Cela sembla toucher le Prêtre-Roi.

- Nous avons besoin de cette armure pour pouvoir nous venger de ces hommes. Qu’est-il advenu d’elle ?

- Elle est ici, devant vos yeux, et depuis une éternité, dit-il en se levant.

Netjhim eut alors un mouvement de recul et fut rapidement écarté par Ahzred qui leva le poing.

- Elle est là, dit Ozymandias en montrant le champion.

- Moi ?

- Non pas toi, ton armure… En connais-tu l’origine ?

- C’est l’armure du champion de la garde royale.

- Faux, c’est mon armure, je l’ai porté autrefois lors des premières guerres, bien avant que Sol’ra ne s’incarne en moi.

- Et c’est cette armure-là que nous cherchons ? Demanda Netjhim.

- Pas tout à fait, dit Ozymandias en saisissant la large pierre solaire au centre du plastron.

Le Prêtre-roi tourna légèrement la pierre qui finalement se détacha de l’armure dorée. Puis après l’avoir posé par terre celle-ci se mit à briller intensément, là le Prêtre-roi plongea sa main à l’intérieur, comme si le sol n’existait pas, il en extirpa un large cercle de métal qu’il tendit ensuite à Netjhim. Voilà ce que vous cherchez. Elle est fonctionnelle, mais elle ne pourra pas accueillir Sol’ra si cette armure est pour lui.

- C’est pour quelqu’un d’autre. Merci Prêtre-Roi, votre bonne volonté sera portée à la connaissance du roi, dit Ahzred.

- Je veux juste que l’on me laisse tranquille.

A présent le groupe se trouvait dans la salle secrète, devant la statue du solarian tenant le serpent, symbole de la victoire de Sol’ra sur Ayept. Le prêtre de Ptol’a posa le cercle de métal doré au sol, non pas devant la statue, mais à l’entrée de la pièce, tournant le dos à Ayept Après avoir demandé aux autres de le laisser, il entama un rite théurgique, Ptol’a intervint à ce moment-là, donnant les indications à son serviteur. La statue vibra, puis un premier serpent spectral en sortit, voletant jusqu’au cercle de métal. Il s’enroula autour et le métal grinça, et se déforma. A présent le cercle représentait un serpent enroulé, il s’envola à deux mètres au dessus du sol. D’autres serpents spectraux apparurent, les uns après les autres, voletant jusqu’à l’armure qui se formait à présent. Le rite fonctionnait. Puis tout s'accéléra, des serpents plus grands encore volaient et entraient dans l’armure, Ayept reprenait vie, du moins d’un certain point de vue. Enfin tout s’arrêta, de larges fissures désagrégèrent la statue qui s’écroula en petits morceaux sur elle-même. Face à Netjhim se tenait Ayept, un spectre dans une armure.

Chapitre 14 - Chroniques de la Kotoba : Toran

J’ai toujours eu une grande admiration pour l’ordre des Tsoutaï. Enfant, je rêvais de les rejoindre pour vivre une existence aventureuse et mystique. Hélas on ne choisit pas toujours la voie que nous finissons par parcourir. Pourtant, il m’a été donné lors de mes pérégrinations à la recherche des membres de la Kotoba afin de rédiger leurs chroniques, de vivre parmi ces brillants esprits.

C’est ainsi que commence ce chapitre consacré à maître Toran et ceux de son ordre, lorsque profitant de l’après guerre je trouvais enfin le moment d’oser frapper à la porte du temple de Yafujima. Tout Xziarite qui veut mériter sa place au sein de l’Empire connaît l’existence de ce temple car il est la source de certaines des plus fameuses légendes de notre civilisation. Qui n’a jamais entendu les aventures d’Oryukage le Tsoutaï-Traqueur ou celles plus récentes de Toran et de son jeune élève, Aku ? Je n’hésitais pas d’ailleurs à étudier ce que je pouvais à leur sujet avant de me lancer dans cette chronique.

J’attendis longtemps avant que quelqu’un ne vienne m’ouvrir. Une jeune femme à peine sortie de l’adolescence, le crane rasé, me scruta alors qu’elle tirait le battant de cette large porte. Elle m’adressa un sourire timide avant de me dire qu’à son grand regret mes serviteurs et mes affaires ne pouvaient entrer. Que je ne devais entrer que seul et sans la moindre affaire. Et mes protestations, comme quoi, en tant que Chroniqueur Impérial, je ne pouvais me passer de mon matériel d’écriture, ne changeaient rien. C’était là le premier des principes de l’ordre, et je l’appris à mes dépends - les possessions matérielles ne font qu’occuper l’esprit, on a peur de les perdre et on se focalise dessus. Je laissais donc derrière moi serviteurs, parchemins, plumes et encres. Sans un mot, la jeune femme m’invita à la suivre sur un petit chemin de petits galets plats. Je remarquais vite ce silence incroyable, cette sérénité qui se dégageait de ce grand jardin aussi bien entretenu que ceux du palais Impérial. Seul le frottement des galets venait perturber la quiétude des lieux, la Tsoutaï, elle, ne faisait pas le moindre bruit en marchant. Je lui demandais comment elle parvenait à ne pas faire le moindre bruit avec ces galets et j'eus pour réponse une autre leçon - Aussi léger que l’air… Une énigme de plus qui s’ajouterait à toutes les autres que je trouvais en grand nombre dans ce temple. Je fus reçu devant le plus imposant des trois bâtiments. Là un Tsoutaï m’attendait. Ce n’était pas maître Toran comme je le pensais, mais un autre personnage de nos légendes, le tant craint Aku.

- Soyez le bienvenu au temple de Yafujima Chroniqueur Impérial Sima Quian. Mon nom est Aku, quant à cette jeune personne c’est Ajiko une de mes élèves.

Il sentit ma gène vis-à-vis de lui, sa réputation de puissance furieuse avait dépassé depuis longtemps les limites de l’Empire. Aussi il tenta tant bien que mal de me rassurer.

- Je suis désolé que maître Toran ne puisse vous accueillir. Nous sommes dans une période importante pour notre ordre. Vous avez d’ailleurs été accepté parmi nous pour que vous puissiez assister à l’Harmonie.

- Qu’est-ce ?

- Le moment où un apprenti Tsoutaï est choisi par un Cherchefaille et que ce Cherchefaille est choisi par l’apprenti Tsoutaï. J’ai moi-même passé cette épreuve, peu après la guerre de Sol’ra. J’ai grâce à maître Toran réussi à vivre en harmonie avec Akujin, mon Cherchefaille.

- Je comprends, vous m’intriguez. Quand pourrais-je rencontrer maître Toran ?

- Ce soir, au moment du repas, en attendant je vous convie à me suivre, je vais vous conduire là où vous allez dormir cette nuit et la prochaine si le cœur vous en dit. Il vous faudra aussi passer par la chute de Koeko pour vous purifier et passer ensuite d’autres vêtements.

- Mais mes affaires sont restées devant la porte.

- Nous avons un kimono pour vous.

Le soir est alors venu et j’avais l’impression d’être dans un autre monde. Loin des nuisances de Meragi et des lumières des lampions éclairant les rues je redécouvrais le ciel et les étoiles. D’un coup, comme à l’unisson, les Tsoutaï débarquèrent d’un peu partout pour mener une sorte de procession entourés de leurs Cherchefailles. Le moment était solennel aussi j’essayais de me faire le plus discret possible. J’admirais leur organisation parfaite et je suis certain qu’à ce moment précis mes yeux brillaient comme ceux d’un enfant qui admirait les grands guerriers. Je suivis la procession jusqu’à un grand espace de jardin à l’herbe coupée de manière parfaite. De l’autre côté de ce jardin une ouverture plongeait dans les ténèbres. Les uns après les autres les Tsoutaï se placèrent pour former un large cercle autour de l’un d’entre eux, ou plutôt l’une à vrai dire. Puis leurs incantations cessèrent et le silence prit possession des lieux et ce pendant plusieurs longues minutes. C’est alors que Maître Toran s’avança, entouré par ses deux serpents volants, deux Cherchefailles jumeaux.

- Li Lan, derrière toi se trouve un passage qui conduit vers la limite entre notre monde et celui des Cherchefailles. Voilà presque cinq ans que tu es arrivée au Temple pour suivre les enseignements de notre ordre. Aujourd’hui un Cherchefaille va te choisir et tu le choisiras en retour, vos vies seront liées à jamais. Et à ce moment-là nous te nommerons Tsoutaï. Va à présent et n’oublie pas tout ce que tu as appris.

Toran la convia alors à entrer dans cette sorte de grotte ce qu’elle fit sans aucune précipitation. Je ne sais pas si j’aurais aimé être à sa place, mais quelque part je l’enviais, et cette forme de jalousie m’étonnait. C’était là la fin de la cérémonie, Toran me fit signe afin de discuter avec lui, et j’avais beaucoup de questions à lui poser concernant tout cela. Je m’inclinais devant lui, n’oubliant pas qu’en plus d’être un maître de l’ordre Tsoutaï il avait aussi dirigé l’Empire pendant quelques temps.

- C’est un honneur de vous rencontrer Chroniqueur Impérial, vous êtes ici chez vous le temps qu’il vous sera nécessaire pour accomplir votre tâche.

- L’honneur me revient maître Toran. Puis-je commencer à vous interroger ?

- On dirait que je suis un accusé, dit-il sur le ton de l’humour. Bien sûr, je vous écoute.

- Pourquoi n’attendez-vous pas l’apprenti… Li Lan, si j’ai bien entendu ?

- L’Harmonisation prend une forme différente pour chaque Tsoutaï, cela peut durer plus ou moins longtemps. Certains d’entre nous n’y ont passé que quelques minutes, d’autres plusieurs jours.

- Qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur ?

- M’avez-vous entendu tout à l’heure ?

- Oui oui, il y a un passage entre notre monde et le monde des esprits, mais, pardonnez ma curiosité, à quoi cela ressemble-t-il, est-ce grand ? Est-ce une caverne ? Peut être pourriez-vous me décrire votre Harmonisation ?

- Je m’étais préparé à ce que vous me posiez cette question Sima Quian, s’il vous plaît, asseyons-nous ici, la nuit est certes un peu fraîche mais les étoiles sont belles et la lune brille haute dans le ciel.

Maître Toran commença son histoire à son arrivée ici, au temple de Yafujima.

- Je n’avais que cinq ans lorsque je franchis les portes de ce temple, je me rappelle parfaitement ce moment parce que j’étais terrifié. A vrai dire, je ne comprenais pas vraiment ce que je faisais là, mais mes parents n’avaient plus les moyens de nourrir mes frères et mes sœurs, aussi il décidèrent de me confier à l’ordre. C’est le vénérable Zaoryu en personne qui me reçut, il avait déjà décidé que je serai l’un de ses apprentis. Je lui dois l’homme que je suis devenu, puis le vieillard que je suis aujourd’hui.

Quant à mon Harmonisation, elle fut surprenante. J’avais seize ou dix sept ans à cette époque, et comme Li Lan j’ai participé à ce même rite. J’ai plongé dans le noir angoissant de ce boyau plongeant sous terre. Je vais hélas briser vos illusions et vos attentes quant à l’apparence des lieux, ce n’est que de la roche là dessous. Cependant il ne faut pas se fier aux apparences, l’Harmonisation est avant tout une épreuve mystique.

- Quelle a été votre épreuve ?

- C’est une épreuve complexe, que je n’ai au final réellement comprise que lorsque je suis devenu Régent de l’Empire. Lorsque je suis arrivé en bas, deux Cherchefailles m’attendaient, deux magnifiques serpents à plumes. Ils se chamaillaient pour savoir lequel des deux allait devenir mon Cherchefaille. Une part de l’épreuve était déjà faite - un Cherchefaille m’avait choisi. Mais comment choisir l’un des deux ? Ils se ressemblaient trait pour trait. J’étais au cœur du problème : le choix. Je les écoutaient donc, chacun d’eux m’expliquant pourquoi il devait être choisi et pas l’autre. J’étais désemparé devant ce choix que je ne pouvais me résoudre à faire. Puis les enseignements du vénérable Zaoryu refirent surface - le monde a deux faces, comme le yin et le yang, l’un ne peut aller sans l’autre. Alors je décidais de choisir les deux, après tout cela n’avait rien d’interdit. Et c’était un choix finalement logique.

Voilà comment je me suis lié ces deux Cherchefailles, me dit-il en montrant les tatouages sur ses bras.

Chapitre 15 - Moi, Dragon

Les chaînes râpaient le sol dans un grincement aigu, les maillons s’entrechoquaient avec force. Pourtant l’entrave de Dragon ne cédait pas une once de terrain, la magie de l’Equinoxe luttait contre celle du plus grand mage que les terres de Guem portaient. Dehors, loin au dessus de son impressionnante forme de reptile ailé, les armées conjuguées de la Résistance et de la Légion Runique combattaient les armées de l’Impératrice. Cette dernière était venue le saluer, pour ne pas dire le narguer, et lui annoncer la fin de toute cette histoire, que bientôt l’Equinoxe retrouverait sa place et c’en serait fini des terres de Guem. Mais l’Impératrice était arrogante et en sous-estimant ses adversaires elle avait fait l’erreur qui lui serait fatale.

“Tu refuses l’inévitable Dragon, Nous pourrions nous libérer sans délais et écraser cette Impératrice de malheur !” soufflait une voix rauque et lente dans la tête du prisonnier. “Je sais” répondit Dragon, “Je ne sais pas si je supporterais ça”. “Nous verrons cela”.

Dragon était devant un choix qu’il ne voulait pas faire. Cette histoire le projetait il y a bien des années, alors que le monde était jeune…

Moi, Dragon… Dragon… une créature de légende, un animal terrifiant sensé avoir survolé ce monde bien avant toute autre forme de vie. On le décrivait comme un reptile grand comme deux maisons, pourvu d’une paire d’ailes, d’une tête de lézard aux yeux fendus avec deux grandes cornes sur le haut du crâne et une queue large. On disait de lui qu’il avait la peau écailleuse et bleue. C’est à cause de lui que je porte ce nom car je suis né ainsi : un homme pourvu de deux cornes bleutées, d’une queue de la même couleur et d’yeux bleus fendus. Mes parents furent horrifiés par mon apparence et par mes pouvoirs. Car quelques années plus tard je montrais déjà les signes de capacités qui dépassaient l'entendement. J’ai grandi dans l'incompréhension de ceux qui m’entouraient. Mes parents et les gens du village où nous vivions n’avaient pas du tout le même physique que moi et je suis devenu une attraction, un monstre de foire. Cela dura jusqu’à mes treize ans, lorsque mes pouvoirs eurent grandi et que je ne pus contenir plus longtemps toute cette rage que j’avais emmagasiné. La goutte d’eau qui fit déborder le vase, ce fut lorsque mes parents me révélèrent pourquoi j’avais cette apparence et ces pouvoirs : alors que ma mère était enceinte de moi mes parents travaillaient sur une expérience magique qui tourna mal. Ma mère reçut une incommensurable quantité d’énergie magique qui me modifia profondément, et pour toujours. J’étais furieux contre eux, et ma magie parla pour moi. J’ai alors détruit ma maison et les maisons voisines. Après m’être calmé je me rendis compte de mes actes et toute la communauté m’en voulait pour ce que je venais de faire. Mes parents ne purent les retenir et me voici donc chassé de chez moi, du moins de ce qu’il en restait. Je ne tenais pas vraiment à rester là de toute façon. Comment vivre en sachant ce que je savais, en vivant avec ce que j’étais ? Impossible. Je me jurais alors de trouver un remède à ce que j’étais, de me débarrasser de ces ignobles attributs qui me gâchaient l’existence. C’était là le début d’une grande aventure pleine de rebondissements, de rencontres… et de malheur.

Quelques années plus tard j’avais trouvé des compagnons d’aventures désireux de m’aider. Il y avait Zaina la danseuse, Boiteux le fier guerrier des montagnes du nord et Lorderic l’érudit, je les aimais autant qu’ils m’aimaient, nous avons vécu tant de choses ensemble. C’était certainement une période heureuse, mais qui fut entachée par ce qui ce cachait aux tréfonds de mon âme. Il m’arrivait fréquemment de me réveiller ailleurs que là où je m’étais endormi, en sueur, les vêtements tâchés de sang. Parfois j’avais des accès de colère et le désir de réduire à zéro la volonté de certaines personnes. Et cela empira avec le temps, je devenais de plus en plus un monstre, une créature horrible avec des cornes et une queue, au comportement chaotique. Notre petit groupe éclata lorsque dans un de mes coups de colère je tuais Boiteux. Lorderic nous quitta alors, seule Zaina, ma chère Zaina, resta à mes côtés. Elle seule perçut ce qui m’arrivait, elle m’aida à remonter la pente malgré ma violence et ma magie que je ne parvenais pas à contrôler.

Nous avons cherché autant que nous le pouvions, nous avons parcouru ce monde de long en large sans jamais perdre l’espoir. Puis nous avons suivi une piste concernant des pierres magiques capables de prodiges. En ce temps-là les vents soufflaient fort sur les terres, nous étions en pleine Erosion et nous découvrions alors les cristaux cachés. Cette piste nous amena presque au milieu des terres de Guem où disait-on, une immense gemme bleue avait été découverte.

Ce fut un combat avec moi-même car l’autre ne voulait pas que j’aille là-bas, il craignait quelque chose. Pourtant je finis par y arriver. Elle était effectivement gigantesque je n’en avais jamais vu une aussi grande. Pour la première fois depuis longtemps je me sentais bien, cette pierre me parlait, sa magie m’était tellement familière, elle était moi et j’étais elle. C’était ma pierre-cœur. A son contact je pouvais me maîtriser et je compris tout, j’avais en moi une part sombre, à la fois moi et quelqu’un d’autre. La pierre ne voulait pas de moi tant que j’avais ce mal en moi. Alors pour retrouver une vie presque normale il me fallait me séparer d’elle et c’est ce que je fis, j'arrachais Néhant de mon âme, la coupant en deux, expulsant ce mal qui me rongeait. Puis je cachais ce mal au plus profond de la terre afin qu’il reste à jamais en dehors de ma vie. Me voici enfin devenu moi-même, simplement moi, Dragon. La suite fut une toute autre aventure, avec Zaina, puis Ehxien nous bâtissions Noz’Dingard, puis la Draconie. Nous étions enfin chez nous.

“Charmante histoire mon cher Dragon, mais tu le sais très bien, je ne suis pas quelqu’un d’autre ! Je suis toi, une partie de ton âme. Au lieu d’apprendre à vivre avec ce côté noir tu as choisi de me chasser, de ce fait tu m’as créé !”. “Ça aussi je le sais, je l’ai compris lorsque tu es revenu la première fois”. “Nous sommes attirés l’un vers l’autre, nous ne formons qu’un, sans moi tu es incomplet, et sans toi je ne suis rien, alors accepte-toi tel que tu es ! Délivre-toi et fais ce qui doit être fait pour sauver les gens que tu aimes et qui croient en toi !”. “Je ne veux pas redevenir le monstre que j’étais.” “Assez ! Le monde a changé, il y a bien plus monstrueux que nous, regarde ce que cette Impératrice a fait!”

Tous les maillons des chaînes qui retenaient Dragon se craquelèrent alors qu’une grande lumière bleutée se propagea dans toute la pièce. Puis les chaînes se disloquèrent pour devenir de la simple limaille. Lorsque la lumière disparut Dragon n’était plus sous une forme de grand reptile ailé, mais sous celle qu’il avait autrefois, un homme possédant cornes et queue, aux yeux fendus. Néhant n’était plus et Dragon était redevenu celui qu’il était. Il sentait que le lien avec sa pierre-cœur n'existait plus, mais sa magie était là, bien présente. Il devait agir à présent et mettre un terme à la bataille de l'Equinoxe.

Chapitre 16 - Sceller les portes

- Pouvons-nous rentrer sur les terres de Guem à présent, Gardien ? Demanda Laelyse véritablement intriguée par Ciramor.

Le ciel au-dessus d’Ambre-Bleue était dégagé, pas un seul nuage à l’horizon. Les rayons du soleil rendaient justice à la ville, chassant au fur et à mesure les reliquats de la malédiction de l’Equinoxe. Dès lors les arbres à l’écorce bleue, dépourvus de feuilles en cet hiver, offraient un spectacle magnifique car, légèrement couverts de rosée, la lumière s’y reflétait, mettant en avant la couleur de l’écorce. Ainsi la ville méritait véritablement son nom.

- Nous pouvons y aller oui, Grand Duc, nous accompagnerez-vous ? Demanda Ciramor en dégageant une mèche de cheveux de devant ses yeux.

- Hélas, j’ai encore quelques affaires urgentes à m’occuper dans les Confins. Mais je reviendrai en terres de Guem le moment venu, je suis et reste un protecteur, je me dois de soutenir le peuple de Dhun.

- Nous reprendrons contact à votre retour. Prenez soin d’Aëlle, c’est une femme extraordinaire qui a vécu des évènements extraordinaires.

- Ne vous en faites pas Gardien, je veille sur elle. Je vous souhaite un bon retour.

- Merci, dit Ciramor.

Les au revoir passés, Ciramor utilisa à nouveau la sphère de Dhal’os pour amener le groupe directement sur l’île où se trouvait la stèle de voyage des Lieurs de pierres. Puis ce fut le tour de Maître Maen d’agir pour transporter tout le monde.

- Je peux atteindre n’importe quelle autre stèle à partir d’ici. Où souhaitez-vous vous rendre Gardien ?

Ciramor prit quelques instants pour réfléchir puis il déclara :

- Au plus près de Noz’Dingard.

- Nous avons un comptoir dans cette ville, nous pouvons y aller directement.

- Je vous en saurai gré.

Ailleurs, la bataille faisait rage dans la capitale de l’Equinoxe. L’effet de surprise passé l’armée de l’Equinoxe avait repris quelques rues mais semblait avoir des difficultés face à la coalition de la Légion runique, de la résistance et des Elfines.

Dans une de ces rues le Seigneur runique Eilos, Valerius, Privus, Coranthia et quelques autres venaient de défaire leurs adversaires qui se replièrent dans une autre rue. C’est là qu’arrivèrent des renforts inattendus, une énorme créature déformée, sorte d’Eltarite modifié, croisée avec un reptile. La chose mesurait presque deux fois la taille de Privus ! Mais il en fallait bien plus pour impressionner les guerriers de la Légion qui se jetèrent immédiatement dans l’action en hurlant “POUR TANTAD !”. Les runes scintillaient sur leurs armures et leurs armes et c’était là le signe que les légionnaires allaient tout donner pour remporter la victoire. Ce qui fut difficile tant cette créature avait le cuir épais et une force redoutable. Privus valdingua plus loin s’encastrant avec fracas dans le mur d’une maison. Le minotaure se releva en pestant, promettant la mort de son adversaire. Puis, après un affrontement sanglant de part et d’autre la créature tomba au sol, terrassée par le savoir-faire et la combativité des membres de la Légion.

- En voilà une qu’on ne reverra pas de si t… dit Eilos avant de remarquer que d’autres créatures semblables déboulaient avec férocité dans la rue.

- Je crois que ça va être… douloureux, dit Valerius en se positionnant de manière défensive.

- Il va nous falloir des renforts, dit Coranthia qui soignait les blessures de Privus.

- Pas le temps, va falloir faire face, répondit Eilos en se positionnant juste à côté de Valerius.

Finalement lorsque deux de ces créatures furent sur eux ils avaient formé une ligne de boucliers qui réceptionna la charge. Les légionnaires ne purent la contenir et la ligne de défense fut ravagée, les boucliers furent brisés.

Ce qui arriva avec ce petit groupe n’était pas un cas isolé, l’Impératrice avait jeté dans la bataille ses créations les plus terribles.

Du haut de son balcon, sur une des hautes tours de son gigantesque palais, l’Impératrice observait la progression de ses troupes. Elle exultait intérieurement de cette grande victoire à venir. A côté d’elle, la Maîtresse-Consul Jel-Darim usait de la magie de l’Equinoxe pour donner les ordres de l’Impératrice aux troupes tandis que, assise en tailleur non loin, la métamage Vazrelle coordonnait l’ouverture des portes de l’Infini. Si la bataille de l’Equinoxe avait bien lieu, ailleurs une autre bataille avait débuté, une bataille contre le temps car il fallait agir promptement pour éviter un assaut des ennemis de l’Equinoxe sur des métamages en transe.

- Parfait, la rébellion devrait être anéantie rapidement, une fois fait, nos troupes n’auront plus qu’à se diriger vers les portes grandes ouvertes, dit Jel-Darim en s’adressant à l’Impératrice.

- Maîtresse-Consul, comme vous le soulignez nous ne pourrons maintenir les portes ouvertes que pendant un laps de temps court. Nous allons siphonner la magie de l’Equinoxe au maximum. Cela va créer des perturbations importantes et plus nous attendrons et plus le risque sera important.

- Peu importe ! Coupa l'impératrice. Faites comme prévu !

- Bien votre altesse.

De leur côté les Chevaliers Dragon, aidé par un Equinoxien connaissant parfaitement les lieux, étaient parvenus à se frayer un chemin jusqu’au palais Impérial. Kounok hésita lorsqu’il vit les énormes créatures sortir du palais pour se ruer sur l’armée conjuguée, mais Ardrakar et Loryana le dissuadèrent d’agir sous le coup de l’émotion. Aussi ils profitèrent du départ de la grande majorité des occupants du palais pour s’y faufiler. Mais comment se repérer dans ce dédale de couloirs, de pièces et d’escaliers ? Leur guide ne connaissait pas plus les lieux que les Chevaliers Dragon.

Puis il y eu un bruit sort, une explosion quelque part sous eux, Kounok eut alors une étrange impression. Il arrêta ses compagnons.

- Attendez…

- Quoi ? Nous n’avons pas de temps à perdre, dit Ardrakar en montant l’escalier.

- Non, attends, quelque chose ne va pas.

- C’est vraiment pas le moment, tu veux aller voir ?

- Oui, venez.

A contre-cœur Ardrakar et Loryana suivirent Kounok. Ils redescendirent d’un étage avant de se retrouver face à un phénomène des plus étranges. Des particules de poussière, résultant probablement de l’explosion, étaient en suspension dans l’air, voletant dans tous les sens. Kounok le savait, là dans ce couloir sombre, quelqu’un s’approchait. Le Prophète serrait Chimère, prêt à réagir en cas d’attaque. Une forme se détacha dans l’obscurité, puis l’éclat de deux lames scintillantes, une bleutée et une à la lumière noire, confirma la présence d’une personne.

- Qui est là ? Qui êtes-vous ? Demanda Kounok alors en garde.

- Kounok ? Que fais-tu ici ? Tu es venu… me chercher ? Dit le nouvel arrivant désormais clairement visible.

C’était un homme de relativement grande taille, arborant une paire de cornes, une queue et des yeux bleus fendus comme ceux d’un reptile. La ressemblance entre Kounok et lui était flagrante, on aurait pu les croire frères. Les Chevaliers Dragon n’en croyaient pas leurs yeux. Ardrakar et Kounok le reconnurent car il avait déjà adopté cette forme par le passé pour communiquer avec eux, mais pour Loryana c’était une grande première.

- Dragon ? Dit Kounok en regardant attentivement son interlocuteur.

Il y avait chez Dragon quelque chose de changé, mais Kounok n’arrivait pas à savoir quoi. Puis il s’attarda quelques secondes sur les deux lames, leurs formes et leurs styles ne lui étaient pas inconnus. Oui l’une d’elle était Naelrung, la première épée forgée par Dragon avant que celui-ci ne fonde Noz’Dingard, quant à l’autre il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que la magie qui s’en échappait n’était pas Draconique, mais bel et bien Nehantique. De son côté Ardrakar ne reconnut pas Naelrung, mais connaissait l’autre lame, Balmrung, créée par Néhant en personne.

- Ne vous en faites pas, je vous expliquerai lorsque nous aurons mis un terme à cette bataille, dit Dragon en regardant tour à tour ses chevaliers, il fixa Loryana et lui adressa un sourire franc. Tu me rappelles Zaïna, je suis ravi de te rencontrer.

Noz’Dingard.

Ciramor et les Lieurs de pierres avaient traversé le monde pour arriver jusque-là. Il faisait jour, c’était le milieu de l’après-midi. Le comptoir des Lieurs de pierres était en fait une boutique où la guilde vendait toutes sortes d’objets conventionnels ou non. Il se situait à quelques rues du quartier des Liés et donc de la grande Gemme bleue.

- Avez-vous encore besoin de nous Gardien ? Demanda Maître Maen. Nous aimerions rester ici le temps de faire un rapport à notre hiérarchie.

- Je n’y vois pas d’inconvénient. Je reviendrai par ici pour vous tenir au courant de l’avancement de notre affaire.

Ciramor laissa là ses compagnons et sortit de leur boutique… pour tomber nez à nez avec Moîra et ses Sorcelames.

- Gardien, Anryéna nous a prévenu de votre arrivée elle vous attend.

- Mais comment sait-elle que je suis ici ?

- Vous êtes à Noz’Dingard, et Anryéna sait tout se qu’il se passe à Noz’Dingard. Surtout quand arrive une personne de votre… puissance.

- Les Draconiens m’étonneront toujours.

- Suivez-nous je vous prie.

- Avec plaisir.

Dans les rues de la capitale Equinoxienne la bataille continuait et la contre offensive de l’Impératrice fonctionnait à merveille. La Légion ne pouvait tenir toutes les rues et la Résistance se retrouvait prise en étau entre les créatures et l’armée Equinoxienne. Le Centorium Aurius, appuyé de ses hommes menaient une lutte acharnée contre leurs adversaires, formant un bloc derrière lequel le reste des forces de la coalition pouvait se replier.

Dans le palais Dragon et ses chevaliers parvinrent enfin au plus haut des étages, écartant toute forme de défense des quelques soldats postés en faction. Sur le balcon, l’Impératrice ne se doutait pas que Dragon était parvenu à se libérer, trop concentrée à surveiller l’évolution de la bataille.

- Les métamages sont prêts à commencer l’ouverture des portes, majesté, dit Vazrelle.

- Donnez l’ordre ! Hurla l’Impératrice, il est temps d’en finir !

- C’est fait.

Le ciel, d’ordinaire rouge, s’assombrit aussitôt et des éclairs bruns tombèrent au loin, signe que la magie de l’Equinoxe était à l’œuvre. C’est alors que la large porte qui donnait sur la terrasse explosa dans une gerbe de bois et de métal. Dragon et ses chevaliers bondirent sur leurs adversaires.

- Vous comptez sceller les portes de l’Infini ? S’étonna Anryéna. C’est une excellente nouvelle, mais des gens des Terres de Guem s’y trouvent ! Dragon, mon fils et bien d’autres, qu’adviendra-t-il d’eux ?

- Si nous ne pouvons pas les prévenir et les faire revenir, alors ils resteront dans l’Equinoxe pour toujours.

- Impossible ! Il en est hors de question !

- Sans vouloir vous manquer de respect, autant archimage et fille de Dragon que vous soyez, je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous. Je fais ce qui doit l’être !

- Dans ce cas il nous faut les prévenir, et sans délai, je sais comment faire, laissez-moi un peu de temps…

Puis un bruit sourd, suivi d’un léger tremblement de terre vint perturber la discussion. Là au beau milieu du magnifique jardin du palais de Noz’Dingard une porte de l’Infini apparut. Celle-ci était entièrement faite de cristal bleu. De petits éclairs bruns parcouraient les battant en provoquant le bruit du tonnerre.

- Nous n’avons pas assez de temps, il faut les prévenir maintenant ! Hurla Ciramor. L’Equinoxe va provoquer l’ouverture de la porte, je vais devoir me mettre au travail et les sceller dès que possible !!

Anryéna agit sur l’instant, une petite créature se matérialisa devant elle, cela ressemblait vaguement à Dragon dans sa forme de reptile, mais en minuscule en comparaison.

- Va prévenir mon fils de ce qu’il se passe, ils doivent revenir sur le champs, qu’ils aient trouvé Dragon ou non !

La créature s’envola puis passa par le portail créé par Anryéna quelques temps auparavant.

- J’ai envoyé quelqu’un pour les prévenir, et maintenant ?

- Maintenant, j’ai besoin de vous et de la magie de la gemme de Noz’Dingard. Je sais sceller les portes, je pourrais le faire une par une, mais dans la situation actuelle il nous faut les clore toutes en même temps.

- Vous voulez la magie de la pierre ?

- Oui c’est une incroyable réserve de magie pure, je dois puiser dedans pour pratiquer le rite.

- Vous avez mon accord, mais en aucun cas vous ne devez utiliser toute cette magie, sinon la magie ambiante disparaîtra.

Ciramor hocha la tête en signe de compréhension. Maintenant qu’il avait la permission d’utiliser la magie de Guem, il pouvait commencer le travail.

En premier lieu il devait se concentrer sur les terres de Guem pour retrouver toutes les portes. Quelques-unes étaient connues, mais d’autres, à l’exemple de celle de Noz’Dingard restaient cachées. Pour Ciramor, qui entra alors dans une sorte de transe magique, le temps commença à s’écouler différemment pour lui, il était ailleurs, Noz’Dingard n’était plus là. Une à une il retrouva les portes, même celle brisée du désert d’émeraude, puis il les amena jusqu’à lui. Toutes sans exception étaient parcourues d’éclairs bruns. Il sentait la magie que les métamages lui opposait. C’était alors le bon moment pour fermer définitivement les portes. Puisant dans les réserves de magie de la Pierre-Coeur de Dragon il chassa l’Equinoxe, puis scella les portes chacune à leur tour et ce grâce aux connaissance d’Eredan. Il savait à présent que le Gardien des terres de Guem avait pour tache de surveiller et de maintenir ces portes closes.

- C’est fait…

Lorsque Ciramor ouvrit les yeux il était allongé dans un confortable lit d’une chambre du palais de Noz’Dingard. Il ne sentait plus ses membres, il avait l’impression d’être vide.

- Ah, vous êtres réveillé, dit une personne assise à côté du lit.

Ciramor reconnut la voix du Maître-Mage Pilkim.

- J’ai.. j’ai réussi ? Demanda-t-il.

- Oui Gardien, vous avez sauvé les Terres de Guem.

Fin de l’acte 9 et de la saga de l’Equinoxe.

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