De Eredan.
Acte 6 : Un monde brisé
Chapitre 1 - Prise de guerre
- Foutu sable ! Râla Valentin en sautant de cheval, s’enfonçant par la même occasion dans le sable créé par l’intervention d’un dieu. J’aime pas le sable, rajouta-t-il en parant le coup d’un Solarian avec son épée de cristal.
Le brouhaha de la bataille couvrait les jurons du Chevalier Dragon alors que le sol tremblait, meurtri par la violence des coups de Sol’ra. Puis ce fut l’explosion, la terre s’éventra, comme un coup de couteau passé sur la peau, la lave, sang de Guem, gicla de cette blessure. Valentin échappa de justesse à un tentacule incandescent qui tomba juste à côté de lui, calcinant le sable. Il vit plusieurs de ses soldats se faire engloutir comme de vulgaires lapins jetés dans un brasier.
- Par les cornes de Dragon ! Vite ! Éloignez-vous de là ! Hurla-t-il à grands renforts de gestes à l’attention de son régiment.
Écoutant leur commandant le groupe bifurqua et au lieu de progresser vers l’avant se retrouva vite sur le flanc ouest, retrouvant Zahal qui ne savait plus où donner de la tête. Les ordres fusaient dans tous les sens alors que dans le même temps les mages préparaient le rituel de la pierre. Zahal embrassa du regard le champ de bataille et vit une avancée des Solarians entre le milieu du front et le flanc est.
- Valentin, prends le reste de tes hommes et va appuyer Ardrakar et les Sorcelames.
Le Chevalier Dragon appela ses hommes et se mit en marche sans tarder.
Bien des démons étaient présents ce jour-là. Des grands, des petits, mais aussi des démons plus insidieux qui pour exister devait vivre aux dépends d’un autre. Néhant présent, beaucoup de démons affluaient, invoqués par le sombre maître. Si pour la plupart des autres démons cela se passa sans encombre, lorsque Néhant prononça le nom de Mortelame, l’instabilité de la nature même des démons fit presque basculer la bataille. Le démon quitta les Méandres et chercha rapidement quelqu’un qui pourrait lui servir d’hôte acceptable. Instinctivement ce fut vers Moîra la Sorcelame que le démon se tourna. La jeune femme se plia en deux de douleur.
- Ça recommence ! Cria-t-elle, le démon est de retour !
Eglantyne, aux prise avec un Solarian ne vit pas sa sœur s’écrouler par terre. Mortelame avait de cela de particulier que ce type de démon tirait sa force de la présence d’autres démons, les larbins. Hors les larbins pullulaient sur le champ de bataille aussi nombreux que des puces parcourant la peau d’un chien. Cette sur-représentation de larbins rendit Mortelame forte, terriblement forte. Elle avait déjà ressenti un tel flot de pouvoir, c’était durant la guerre contre Néhant, lors d’une bataille contre des hommes de la Draconie. Telle une furie la démone se jeta sur une première victime qui ne fut autre qu’Eglantyne. La Sorcelame tenta bien d’esquiver les coups et de raisonner sa sœur, mais la démone avait trop d’emprise et Moîra avait totalement disparu. La lame perça la poitrine d’Eglantyne de part en part devant les regards stupéfaits et surpris des autres sorcelames et d’Ardrakar qui non loin de là assista au geste de la démone. La pauvre Eglantyne tomba au sol lorsque Mortelame tira la lame avec rapidité, le sang coula à grands flots. Naya, Ardrakar et les autres Sorcelames hurlèrent de rage et se ruèrent sur la démone avec la ferme intention de l’abattre sans autre forme de procès. Cet incident provoqua alors une faiblesse dans l’armée des hommes et des démons. Les Solarians en profitèrent pour faire une percée, écrasant les humains par leur férocité. Eux ne connaissaient pas le désordre, implacables, résolus, ils agissaient de concert dans le seul but de mettre à bas les créatures de Guem. Les Sorcelames ne surent plus où donner de la tête entre Mortelame aidée par d’autres démons et les Solarians quoique affaiblis n’en restaient pas moins de redoutables adversaires. Naya ordonna à Ylianna, Anazra et quelques autres de tenter de les retenir pendant qu’elle et d’autres combattaient la démone. La situation était véritablement critique, si les Draconiens ne parvenaient pas à tenir les forces conjuguées allaient être coupées en deux armées et vite encerclées. Valentin arriva à ce moment-là.
- Vous à droite, vous à gauche, ordonna-t-il en désignant des soldats. Appuyez les Sorcelames mais n’entravez pas leurs mouvements.
Telle une vague les Solarians s'abattirent sur le rempart formé par les Draconiens. La lutte s’engagea rapidement et les Draconiens avaient pour le moment atteint leur objectif : ralentir la vague. Une créature plus grosse que les autres se faufila en bousculant tout sur son passage. Valentin crut d’abord à un démon, mais non, le style des habits et des bijoux étaient d’origine du royaume du désert. Cette chose à moitié humaine et à moitié lion chargea Valentin lance en avant. Le Chevalier Dragon encaissa l’attaque de plein fouet. La pointe de la lance brisa la résistance de l’armure de Dragon et trouva un chemin vers le ventre du guerrier. Dans un “crack” Valentin se retrouva propulsé plusieurs mètres plus loin. Son cœur cessa de battre dans sa poitrine en même temps qu’en la cité de Noz’Dingard une pierre-cœur se détachait de la gemme de Dragon indiquant la mort du chevalier.
Anryéna avait écouté l’histoire de l’Apôtre et lorsque la bataille commença elle se rendit aux jardins du palais, attenants à la gemme de Dragon. Là, les milliers de pierre-cœur de ceux qui avaient décidé de lier leur destin à celui de Dragon brillaient de couleurs chatoyantes. L’Apôtre l’avait suivie car elle n’avait pas fini son histoire. Toutes deux savaient qu’au loin, au Tombeau des ancêtres le sort des Terres de Guem se jouaient. Mais pour l’heure l’Apôtre ne parlait plus et Anryéna fixait les pierres. Puis un craquement la sorti de sa torpeur, une pierre-cœur se désolidarisa de la gemme de Dragon et tomba devant elle. Elle la ramassa le cœur peiné.
- Eglantyne est morte, chuchota-t-elle.
- Vous connaissez les propriétaires de chaque pierre n’est-ce pas.
- C’est là un don que m’a octroyé mon père.
- Attendez-vous à d’autres pertes, ce n’est pas la dernière de cette bataille.
Effectivement une autre pierre tomba plusieurs minutes plus tard, un beau cristal rond et bleu.
- Val... Valentin...
Une larme coula du visage de l’Archimage, une larme bleue.
Le Seigneur Runique Eilos regardait le champ de bataille l’esprit affûté par la curiosité et par l’envie d’en découdre.
- Tout ce trajet et cette maudite chose tombée du ciel n’est plus là ! gronda Harès.
- Lania ! Tu peux venir s’il te plait ??
La prêtresse aussi frêle que belle grimpa la colline où se trouvaient les deux guerriers non sans difficultés, elle n’était pas vraiment habituée à crapahuter ainsi.
- Oui seigneur Eilos ?
- J’aimerais avoir l’avis de la fidèle de Thyrs sur ce qu’il se passe ici.
- Il en sera selon votre volonté, dit-elle d’une voix douce et serviable.
La jeune femme aux cheveux noirs ondulés se plaça face à la bataille, s’agenouilla et commença à adresser des prières vers Thyrs. La déesse répondit favorablement, donnant diverses informations comme ce qu’il se passait ici et qui étaient les différents protagonistes.
- Les créatures à l’aura blanche ne sont pas de notre monde, Thyrs est catégorique, elles sont une menace pour nous. Les hommes en bleu et les êtres du dessous forment une alliance contre nature mais logique.
- Je reconnais les étendards, c’est la Draconie, nous ne sommes pas très loin de cette région du monde. Ajouta Eilos. Je te remercie Lania, nous offrirons la victoire à Thyrs et nous lui ferons une offrande.
- Tu es entendu seigneur.
Le Seigneur runique mit son casque et dégaina l’une de ses épées avant de se tourner vers le reste de la Légion runique restée en contrebas.
- Légion runique ! Les Envoyés de Noz’Dingard sont aux prises avec un envahisseur inconnu. Allons les aider, puis lorsque l’issue de la bataille sera certain nous pourfendrons du démon !
Les hommes et les femmes composant la Légion crièrent pour s’encourager les uns les autres puis suivirent leur chef vers la bataille. Ce dernier entouré d’Harès et Xenophon se focalisait sur leurs actions futures.
- Xenophon, emmène Loquitus et Neixiriam avec toi, tu auras aussi Lania en appui. Vous êtes de loin les plus massifs et les plus costauds, vous tiendrez le centre.
Le gigantesque minotaure hocha la tête et fit signe aux concernés de le suivre. Puis Eilos regarda le reste de la troupe.
- Vous autres avec moi, on prend le flanc est. Quant à toi Harès, cela fait maintenant plus d’un an que tu es avec nous. Ta force est incontestable et aujourd’hui tu as rejoins la Légion, aussi montre-toi digne de l’honneur qui t’est fait. Tu vas combattre seul dans cette bataille, je veux que tu détruises le plus de ces créatures et que tu analyses nos possibilités pour la suite.
Harès prit ça pour un défi.
- Très bien, dit-il en resserrant les lanières de ses gantelets runiques.
- Les dieux nous regardent et nous jugent, cria Eilos.
Tous reprirent en cœur.
- Les dieux nous regardent et nous jugent !
La Légion runique dévala la colline arme à la main. L’équipe du Seigneur Runique Xenophon bifurqua laissant le gros de la guilde aller sur le flanc. Les Solarians ne comprirent leur malheur que lorsqu’ils virent briller les runes sur les armes et les armures de ces soldats venus de nulle part. Les pouvoirs des Solarians ne purent rien contre eux, les rayons solaires ne purent passer les protections de ces armures runiques.
Harès devait prouver sa valeur, aussi chercha-t-il du regard l’ennemi qui lui semblait le plus fort. Au centre il en vit deux. Une femme aux allures de démon et aux prises avec des Envoyés de Noz’Dingard puis une créature mi-homme mi-lion qui abattaient ses larges cimeterres sur les soldats de la Draconie.
- Toi, je vais pas te rater dit-il en courant vers sa cible.
Les runes sur l’armure et les gantelets d’Harès brillaient intensément lui offrant ainsi un grand pouvoir. Puis arrivant enfin à sa cible il arma son bras et décrocha au Sphinx un coup de poing monumental en plein visage, lui prélevant ainsi quelques quenottes au passage. Le Sphinx vacilla, sonné par le coup. Harès ne laissa pas de temps mort, frappant à nouveau de son poing ganté, cette fois-ci façon uppercut. Les autres Solarians se jetèrent sur lui pour l’éloigner de leur meneur, mais sans pouvoir réussir à le plaquer au sol. Le Sphinx fit craquer les os de son cou sous la colère.
- Poussez-vous ! Il est à moi ! Tu vas voir ce qu’il en coûte de toucher au Sphinx !
Mais Harès ne se laissa pas démonter et suivant sa stratégie lança son poing dans le ventre de son adversaire. Mais celui-ci cette fois ne se laissa pas faire et un duel mortel s’engagea.
La Légion runique s’en sortait admirablement bien. Les armées de Tantad étaient reconnues à travers le monde pour leur incroyables tactiques martiales, même l’empire de Xzia les enviait. Alors que les guerriers, en rang étaient au corps à corps, les prêtre en appelaient à leurs dieux pour infliger de gros dégâts dans les rangs adverses. Le groupe du Seigneur Runique Eilos fut rejoint par les nouveaux Nomades, le Vizir Mahamoud avait déjà croisé la route du seigneur Eilos. En face d’eux se regroupèrent les anciens Nomades. Contrairement aux Solarians invoqués par Sol’ra, eux avaient un corps humain. Djamena avait repéré les arrivants et les serviteurs des anciens dieux et plus que les Draconiens, eux représentaient un danger. Cela fut une bataille dans une bataille, une coalition des dieux du panthéon de Tantad et des anciens dieux du désert face à Sol’ra.
Puis le rituel de la pierre lancé par Pilkim et les autres mages débuta coupant les Solarians de Sol’ra, renversant le cours de la bataille. Les anciens Nomades se retrouvèrent seuls face à la Légion et les nouveaux Nomades, s’en suivit alors une incroyable boucherie. Si bien qu’il ne resta plus personne en vie de ce côté-là. Au-dessus d’eux Néhant étaient aux prises avec Sol’ra, l’issue n’était pas évidente pour l’un comme pour l’autre, mais c’est finalement Néhant qui emporta la partie, extirpant Ozymandias. Néhant rigola de sa victoire et lança sa prise par terre. Comprenant que cette personne devait être capturée Eilos se rua sur elle, suivi de près par Mahamoud. Le Seigneur Runique le prit par la gorge et examina les blessures. Ozymandias n’avait pas grand chose physiquement, mais mentalement il était détruit. Mahamoud laissa faire Eilos, jugeant que la témérité et l’intervention de la Légion runique avaient plus qu’aidé dans cette bataille.
- Est-ce qu’il existe d’autres cristaux comme la pierre tombée du ciel ?? Parle !!
Mais Ozymandias n’était plus à même de révéler quoi que cela soit. Au-dessus d’eux les nuages s’amoncelaient rapidement, trop rapidement.
Un cor résonna, celui de l’armée de la Draconie, rassemblant ses troupes. La guerre de Sol’ra était finie, une autre allait commencer sur-le-champ.
Chapitre 2 - Libérer la Flamme
- Ne nous tuez pas !! Bégaya le premier ministre. Je suis sûr que nous pouvons trouver un arrangement... n’est-ce pas ?
Les pirates se regardèrent les uns les autres puis s'esclaffèrent en se tapant dans le dos.
- Vous nous prenez pour des sauvages ou quoi ? Ironisa Bragan. Vous en faites pas, on vous fera rien. Ordonnez à la flotte de se rendre, immédiatement... et tout ira bien.
Un des ministres, un petit homme au teint blafard sortit du groupe et, tremblotant, demanda à un des gardes de relayer l’ordre de retrait et de défaite de la flotte de Bramamir. A peine quelques minutes plus tard, Al la Triste entra triomphalement dans le lieu qui représentait certainement toute la puissance du gouvernement. De par sa taille elle toisa chacun des ministres avec aplomb et un brin de fierté.
- Vous faites moins les fanfarons maintenant, bande de traine-savates. En tant que meneuse de la rébellion pirate je déclare la dissolution du gouvernement.
- Vous ne pouvez pas ! S’insurgea un des ministres.
Le silence tomba sur l’assemblée comme une chape de plomb. Al la Triste se figea et fixa l’impertinent, un homme très sec habillé de vêtements beaucoup trop larges pour lui.
- Voyez-vous cela, le très corruptible Ardrios, ministre des finances prenant le peuple de Bramamir à la gorge, qui la ramène. J’ai tous les droits ici ! Dit-elle en sortant le pacte passé autrefois entre son père et le gouvernement. Et tout ceci est légal.
Puis regardant Briscar et Poukos.
- Amenez-le dans une des cellules du palais, je suis sûre que ça lui remettra les idées en place.
Les deux pirates s’occupèrent alors de l’ex-ministre des finances qui, après avoir émis quelques protestations, se retrouva vite... tabassé.
- Quelqu’un d’autre a une objection à formuler ??
A côté de leur capitaine, Ardranis et Ti mousse discutaient d’un sujet qui leur semblait capital.
- Je rêve pas hein ? Demanda Ti mousse.
- Quoi ? Rétorqua l’Elfine pirate.
- Beh t’entends pas ?
- Euh... non.
- De la façon de parler du capitaine, elle mâche plus les mots...
Ardranis fronça les sourcils écoutant Al la Triste. Effectivement en temps normal Al la Triste n’avait pas du tout ce langage.
- Elle cache bien son jeu celle-là... plaisanta Ardranis.
- …Hors donc notre action visait à faire toute la lumière sur la corruption de ce gouvernement. Nous allons donc faire un peu de ménage. Dit Al la Triste en frappant son poing de métal dans la paume de sa main de chair. L’armée passe sous mon commandement et je vous interdit de quitter la ville. Vous serez mis à contribution très rapidement car mon désir est de laisser les personnes intègres à leurs postes. Nul doute qu’il y en a parmi vous.
Sur ces dernières paroles Al la Triste s’en alla, non sans avoir donné la consigne à Bragan de veiller à ce que le premier ministre fasse le nécessaire côté administratif. Puis, dégainant son pistolame, elle fila à toute allure en direction du bureau de feu le gouverneur. La porte, fermée à clé, ne résista pas très longtemps et après quelques coups d’épaule mécanique l’infortunée serrure céda.
L’intérieur du bureau était presque aussi grand que le pont de l’Arc-Kadia. Tout paraissait neuf, le large bureau de bois commandé auprès des plus habiles artisans, au sol une fourrure d’un animal exotique aux couleurs incroyables, sur les murs diverses peintures présentant des scènes - souvent des batailles contre des insurgés pirates -. La lumière entrait par une large fenêtre qui offrait une vue imprenable sur la magnifique cité de Bramamir. Al fit attention à bien être seule, se méfiant du moindre recoin et de la moindre possibilité d’un tueur embusqué. Rien d'inattendu ne se produisant, elle posa sa lourde arme sur le bureau et commença l’examen en règle de la paperasse. Des rapports sur divers thèmes, des lettres écrites par divers ministres, des chiffres notés sur un parchemin et des rapports militaires. Exaspérée elle jeta les parchemins par terre puis se laissa tomber sur le confortable fauteuil de l’ex-gouverneur. Elle enfouit son visage dans ses mains pour mieux remettre de l’ordre dans ses idées lorsqu’une brusque variation de luminosité la tira de ses pensées. Soudainement la pièce s’obscurcit, puis un courant d’air chassa les quelques parchemins restants de la surface du bureau alors qu'apparaissait en même temps la forme d’une petite créature. Celle-ci à peine plus haute qu’un tonnelet de rhum présentait toutes les caractéristiques d’un démon. Petites cornes noires transparentes, aspect monstrueux et absence de bouche.
- Alors c’est réglé ? Gouverne... demanda-t-elle avant de se rendre compte que ce n’était pas le gouverneur assis dans le siège.
Al la Triste, furieuse l’attrapa par le cou avec sa main de fer. Supris le démon se mit alors à couiner comme un chien à qui on aurait donné un coup de pied.
- Lâche-moi ! Lâche-moi ! Lâche-moi ! Lâche *glurgl*.
Le démon se débattait, tentant désespérément de griffer la large main de métal.
- Qui es-tu ? Qui est ton maître, chiure de latrines !? T’as intérêt à parler si tu veux pas que je t’arrache la tête.
- J’dirais rien ! J’dirais rien ! Répondit le démon en secouant jambes et tête.
- Crac*
Al serra tellement fort le cou qu’elle finit par le broyer, tuant le démon. Elle jeta avec dédain le corps de cette chose à l’autre bout de la pièce. La colère montait, sentant que quelque chose lui échappait elle donna un grand coup de pied au large bureau, le renversant aussitôt. Là elle remarqua d’étranges écritures et symboles gravés sous le plateau du bureau.
- Qu’est-ce ??
Mais sa réflexion fut interrompue par Briscar et Poukos.
- Ca y est chef, c’est fait... Mais qu’est ce qui s’passe ici ? Demanda le vieux pirates, voyant le corps du démon et le bureau renversé.
- J’aimerais bien l’savoir, j’veux que les magots planchent sur ça, dit-elle en montrant les symboles. Ça sent mauvais cette histoire.
- Je suis bien d’accord, vous savez qui j’ai trouvé dans les geôles ?
- Des ennuis ?
- Nan, la p’tite Flammara.
- Flam... Pfffff, bien fait pour sa pomme, ça lui apprendra la vie.
- Elle demande à te voir chef, dit Briscar en montrant l’entrée de la pièce.
- Bon... voyons voir ce qu’elle me veut, dit-elle en ramassant et rangeant son pistolame.
Le palais de Bramamir fut autrefois un château fort très imposant avant que la royauté ne laisse la place à un gouvernement plus démocratique. Depuis, les bâtiments avaient subi de nombreux remaniements. Les geôles, elles, avaient été épargnées de toute modification. Les murs épais, suintant d’humidité, cachaient de nombreuses cellules insalubres. Al la Triste trouva le gardien évanoui, probablement en raison de la rencontre entre sa tête et la Coulegrouillot de Poukos. Dans la première cellule, plusieurs hommes aux barbes longues et habillés de haillons tendaient leurs mains pour qu’on les aide, mais Al la Triste les ignora pour le moment. Elle passa devant la nouvelle résidence d’Ardrios qui criait à l’injustice, puis après plusieurs cellules vides s’arrêta enfin devant celle tout au bout du long couloir. Appuyée sur le mur du fond gravé d’inscriptions la prisonnière évitait de regarder en direction d’Al la Triste.
- Alors Flam’ on s’est mise dans de beaux draps ? Ironisa-t-elle en prenant et ouvrant le registre de la prison posé sur une étagère en hauteur.
Mais Flammara répondit en la fusillant du regard, et quel regard ! Si ses yeux avaient bien la forme normale en revanche le blanc, comme l’iris étaient rouge vif.
- Me regarde pas comme ça, c’est pas moi qui t’ai mise là. Alors voyons... F... Flammara, voilà, rébellion... agression... incendie... étonnant. T’as perdu ta langue ? Tu t’es fait lâcher par tes copains de jeu ? Où est ce rat de fond de cale, ce suceur de moelle qui te sert de capitaine ? Alors ??
Piquée au vif, Flammara sauta sur les barreaux de sa prison, cognant l’étrange appareil qui lui serrait la tête.
- Joli chapeau, au moins un peu de bon sens dans cette baraque. Pas de magie du feu... tant...
- Je vais te dire ce que je fais ici... mais fais-moi d’abord sortir d’ici. Ça va te plaire... je te promet.
- Non ! La dernière fois que je t’ai écouté ça a tourné au désastre. Et puis t’es pas en position de la ramener, t’es en taule, pas moi.
Flammara grinça des dents, puis comprenant que ça ne conduirait pas à sa libération elle fit preuve d’un peu de bon sens.
- T’as gagné Al... Je me suis faite prendre alors que j’étais en mission, c’était un piège !
De suite elle gagna l’attention de son auditrice.
- Tu ne sais pas ce qu’il se passe ici en Bramamir...
Al coupa net.
- Tu crois ? Poukos et Briscar t’ont pas dit ??
Devant le visage interrogateur de Flammara, la réponse était vraisemblablement non.
- Nous venons de prendre le palais et le gouvernement vient de se soumettre, le gouverneur s’est suicidé.
- Bien ! Mais l’histoire qui me concerne est certainement bien plus importante que ça. Al je sais que nos rapports sont toujours très... enflammés, mais écoute-moi, j’ai découvert des indices et ce qu’il se passe est en rapport avec le vortex. Un secret que le gouvernement cache depuis la fin de la guerre contre Néhant.
- Quoi donc ?
- Ouvre-moi maintenant, je t’ai déjà révélé beaucoup, et de toute façon je ne peux pas tout mettre à jour sans aide. Je pense que ce chien de Doigts-Crochus m’a vendu au gouvernement et qu’il est de mèche avec tout ça.
- Ou il s’est rendu compte que t’es une véritable peste et a trouvé marrant de t’envoyer dans je ne sais qu’elle histoire rocambolesque. Mais bon, je suis dans un bon jour, je te gracie ! Puis Al récupéra les clés pour ouvrir la porte de la cellule.
- Par contre tant que je suis pas certaine de tes intentions, tu vas garder ça sur la trogne, ajouta le capitaine en montrant l’étrange appareil sur la tête de Flammara, je veux pas que tu brûles le palais... ajouta-t-elle à gorge déployée.
Chapitre 3 - Eradication
- Vous n’obtiendrez rien de moi, tuez-moi que je rejoigne le grand astre.
Ozymandias dodelinait de la tête. Cela faisait maintenant plusieurs semaines que Sol’ra avait été défait par l’alliance des Draconiens, des Néhantistes, des Nomades et des Runiques. L’ancien Prêtre-roi qui abritait en son sein l’avatar de Sol’ra n’était plus que l’ombre de ce qu’il fut. Désormais entre les mains de la Légion Runique il subissait un interrogatoire perpétuel.
- C’est là que tu fais erreur... commença à répondre Eilos avant d’être coupé.
- Non l’erreur c’est Néhant qui l’a faite, il aurait du me soutirer les informations que vous désiriez... mais c’est trop tard maintenant.
Eilos attrapa Ozymandias par la mâchoire et serra fort.
- Il y a d’autres moyens, tu as peut-être une volonté d’acier, mais nous autres sommes capables de modeler le métal, dit Eilos en relâchant son étreinte.
Les campements des Runiques et des nouveaux Nomades se trouvaient à l'extrémité nord de ce qui restait du Tombeau des ancêtres. Une alliance temporaire entre ces deux guildes se dessinait et Eilos et le Vizir Mahamoud tentaient vainement de remonter le moral des troupes après une bataille éprouvante face à Néhant. Pour Eilos seule comptait la mission que le Cénacle de Tantad lui avait confié : Récupérer le cristal tombé du ciel. Hélas il n’en restait rien après que la créature qui se trouvait à l’intérieur eut prit possession d’Ozymandias dans le but de détruire ce monde. Mais Eilos était la persévérance même, il n’allait certainement pas s’arrêter à cet état de fait, à cet échec.
Le lendemain matin, il y avait de l’agitation au campement. Eilos sortit de sa tente en même temps que d’autres un peu partout, eux aussi attirés par le bruit. Coranthia, Lania et Xenophon entouraient un homme en le révérant, le glorifiant. On ne voyait pas le visage de cette personne cachée par l’imposante stature du minotaure. Mais le bâton indiqua à Eilos que la personne qu’il attendait était enfin arrivée. Après avoir salué ses congénères l’homme avança jusqu’à Eilos. Son visage était marqué par les années, sa tenue blanche aux bordures dorées était celle d’un prêtre et effectivement c’était un homme de foi, et pas n’importe lequel.
- Je te salue Seigneur Runique Eilos, que le Panthéon te soit favorable.
- Et je te salue en retour Sapient, Oracle d’Orpiance, répondit Eilos en écartant les bras puis le serrant contre sa poitrine. Ton arrivée me soulage, nous avons cruellement besoin de tes talents... sur bien des points, ajouta-t-il en relâchant son ami. Mais entre donc, tu es le bienvenu sous la tente des Archontes comme il va de soit.
L’intérieur regorgeait d’armes, d’armures, de sièges, de lits. Il y avait au beau milieu une table avec divers objets dessus, un pichet d’eau et diverses coupes. Sapient posa son sceptre contre une des colonnes qui soutenait la toile de l’immense tente. Puis se posa dans un siège à grand renfort en laissant échapper un râle de soulagement.
- Je commence à me faire vieux pour ces voyages, dit-il en se servant un peu d’eau. Alors pourquoi m’as-tu fait venir jusqu’ici ? Ce n’est certainement pas pour t’apprendre l’art des runes, Coranthia et Lania sont des expertes en leur domaine.
- Non, du moins pas pour le moment, mais tu disposes d’un savoir qui va me permettre de déverrouiller une langue. J’ai un prisonnier, quelqu’un d’important, j’aimerais qu’il nous révèle ce qu’il sait, mais il ne veut rien dire. Après avoir empêché nos fortes têtes de lui arracher les bras, j’ai cru bon de te faire venir.
Sapient avala le contenu de la coupe avant de se servir à nouveau.
- Tu me fais venir pour jouer le tortionnaire ? Dit-il sur un air de reproche.
- Pas seulement, ce prisonnier peut nous dire où trouver des cristaux tombés du ciel, et tu serais le premier à pouvoir créer des runes avec. Je pense que c’est une motivation et une raison suffisante, non ?
Le prêtre soupira et posa sa coupe sur la table.
- Oui, c’est suffisant. Mes serviteurs vont installer mes affaires ici. Laisse-moi un peu de repos et nous irons... délier la langue de ton prisonnier.
- Vous n’obtiendrez rien de moi ! Cria Ozymandias.
Le Vizir Mahamoud, qui se tenait aux côtés d’Eilos et de Sapient, se demandait comment ils allaient obtenir des réponses. Après tout, eux aussi, nouveaux Nomades, avaient tenté de faire parler Ozymandias, mais à part des malédiction et des insultes, il n’avait rien dit. Sapient se plaça devant Ozymandias qui était attaché à un poteau profondément enfoncé dans le sol.
- Vous ne parlerez pas, mais devant nous va se dévoiler ce qui se cache dans les méandres de votre tête, dit Sapient d’une voix forte.
A ce moment là les runes sur ses habits et sur son bâton s’illuminèrent.
- Tenez-le bien, ajouta-t-il alors que ses yeux s’illuminaient à leur tour.
Loquitus passa derrière le poteau et tint Ozymandias de manière à ce que l’infortuné soit totalement immobilisé. A présent des runes scintillantes de mille feux volaient en cercle autour du bâton qu’il tenait d’une main. De l’autre main, Sapient dessinait des runes sur le front d’Ozymandias.
- Ô dieux du Panthéon, entendez la voix de votre serviteur, Sapient Oracle d’Orpiance. Faites apparaître ce qui nous est caché, accordez-moi la clairvoyance.
Puis les runes sur le visage d’Ozymandias s'effacèrent les unes après les autres, on aurait dit qu’elles étaient absorbées par la peau.
- Voyons tes souvenirs à présent !
Sapient ferma les yeux et posa la paume de sa main sur le front d’Ozymandias qui commençait à convulser. Des formes humaines, des lieux en fonction de différentes situations apparurent tels des mirages. Les souvenirs passaient à reculons, du plus récent vers le plus ancien. Ainsi au départ Avatar de Sol’ra, il redevint Ozymandias suite à quoi l’assistance vit comment il fut libéré d’un cristal jaune semblable à la pierre tombée du ciel.
- Il y a d’autres cristaux jaunes, dit Eilos en souriant.
Un long moment passa avant que d’autres souvenirs reviennent, à cette époque très lointaine Ozymandias était un grand chef de guerre, dirigeant les armées au nom de Sol’ra. Enfin, plus jeune un fait plus extraordinaire qui fit basculer le destin d’Ozymandias. Une pluie de météorites arrosa une bonne partie du désert, de ces cristaux étaient sorties des créatures de Sol’ra. Sapient arrêta là sa recherche, sentant que le prisonnier n’allait pas tenir plus longtemps. Les runes sur les habits et le bâton s’éteignirent lentement.
- Il y a d’autres cristaux parsemés dans le désert, dit Sapient en reprenant son souffle. J’ai vu dans son esprit que Sol’ra a prévu un plan de secours si son Avatar ne remportait pas la victoire. Partout dans le désert des... Comment vous les appelez déjà ? Sol’rain ?
- Solarian, répondit le prince Metchaf.
- Merci. Ces Solarians sont enfermés dans des cristaux et sont donc une menace pour l’avenir.
Mahamoud et Metchaf se regardèrent, la nouvelle était mauvaise et impactait directement le royaume du désert.
- Dans ce cas il est temps pour nous de retourner chez nous, décida le Vizir.
- Accepteriez-vous notre compagnie ? Nous comptons bien récupérer ces cristaux et détruire ces Solarians, ajouta Eilos en tendant la main en direction de Mahamoud.
L’homme à l’armure de lion saisit aussitôt l’opportunité offerte et scella la décision par une poignée de mains.
- Avec plaisir, nous ne seront pas trop de deux guildes pour cette tâche, nous devons débarrasser définitivement le désert de l’influence du dieu solaire.
- Légion Runique, nous levons le camp. Les dieux nous regardent et nous jugent ! Dit Eilos.
- Les dieux nous regardent et nous jugent ! Répondit comme un écho le reste de la Légion Runique.
La Légion Runique et leurs nouveaux alliés Nomades voyagèrent jusqu’à la porte à double sphinx, seul accès vers le désert d’Emeraude. Le vent chargé de chaleur s’engouffrait là avec force, projetant le sable fin sur les visages des voyageurs. Les Nomades ouvrirent la marche, habitués à suivre des routes invisibles aux yeux des étrangers. Les Nomades s’attendaient à devoir traîner les Runiques comme des fardeaux, accablés par la chaleur, mais tel ne fut pas le cas. La plupart d’entre eux était habitué aux températures extrêmes.
- Ça me rappelle l'entraînement à Faistaios, avec moins de lave, se souvint Agillian.
- Faistaios ! Mais ici il fait frais comparé à là-bas, répondit Loquitus en rigolant.
Ne comprenant pas les allusions, les nomades se concentrèrent sur leur nouvel objectif et menèrent le groupe suivant les indications de Sapient. Plusieurs jours plus tard les voici au nord-est du désert, devant eux se dressaient des ruines en partie recouvertes de sable.
- Nous y sommes, je reconnais cet endroit des souvenirs d’Ozymandias, plusieurs cristaux se trouvent par ici, expliqua Sapient.
- Bien, dressons un campement ici. Vous connaissez vos rôles, patrouille par deux, ordonna vivement Eilos.
- Nous allons vous aider pour le campement et pour les patrouilles, indiqua Mahamoud peu familier avec les tactiques militaires Tantadiennes.
- Du sable, du sable et encore du sable, comment font les gens d’ici pour vivre dans un tel environnement ? Râla Agillian et extirpant ses pieds du sable.
- Bah, tu sais d’où je viens c’est pas mieux, de la pierre et toujours de la pierre, ironisa Loquitus.
- Qu’est ce que...
Agillian montrait un point brillant en haut d’une dune. Les deux Guerriers Runiques coururent jusque-là pour découvrir de multiples éclats de cristaux jaunes. C’était comme si un cristal plus gros avait explosé, éparpillant des morceaux tout autour.
- Agillian, regarde là, des traces.
A priori une personne était venue jusque-là, puis était repartie dans une autre direction.
- Ça part vers cette montagne-là.
- Si ce que me disait Urakia est vrai, les traces disparaissent rapidement dans le désert. On peux en déduire que cette personne est passée il n'y a pas longtemps, expliqua Agillian.
- Allons voir ! Ordonna Loquitus en tenant fermement sa large épée.
Les deux Guerriers Runiques suivirent les traces jusqu’au pied de la chaîne de montagne qui entouraient le désert d’émeraude. Là ils virent un homme aux cheveux blancs avec des ailes lumineuses. Celui-ci dégageait un cristal enfoui sous des gravats. Lorsqu’il s'aperçut qu’il n’était pas seul le Solarian se retourna puis projeta une pierre sur Loquitus.
- Partez ou mourrez ! Cria le Solarian.
Il n’en fallut pas plus pour énerver le minotaure qui chargea sans plus attendre le provocateur. Le combat n’avait rien de vraiment équilibré mais le Solarian se défendit du mieux qu’il le put, blessant Agillian au bras gauche. Mais hélas pour lui il en fallait plus aux Guerriers Runiques pour les impressionner. Loquitus parvint à immobiliser son adversaire, puis Agillian arma son bras et transperça la gorge du Solarian avec sa lance.
Loquitus lâcha le corps sans vie du Solarian, les ailes disparurent et l’homme reprit l’apparence qui était vraiment la sienne, un simple humain qui avait eu le malheur de passer par ici. De ce corps s’échappa alors une forme lumineuse qui aussitôt se dispersa. Si bien qu’il ne restait plus de trace du Solarian.
Chapitre 4 - Ni vivant, ni mort
Le feu crépitait dans l’âtre, l’odeur de la fumée se répandait dans toute la maison, sans que cela ne vienne gêner les occupants. A cela se mêlait un parfum de viandes et de vins cuits. Devant la cheminée deux écuelles traînaient là, vides de tout contenu, seules les traces de sauce et de pain indiquaient le festin passé. Non loin un petit chaudron de cuivre finissait de se refroidir après les assauts des flammes. Tournant un gobelet d’argent d’une main, Dimizar assis dans un fauteuil fixait le feu la tête remplie d’espoirs futurs. Il se laissa à rêver de cette descendance qu’il souhaitait tant, de bambins qui rempliraient cette grande maison vide de bonheur et de joies enfantines.
- A quoi penses-tu ? Demanda une voix féminine venant de derrière.
- A l’avenir.
Une jeune femme le rejoignit alors. Son visage blanc était encadré d’une longue chevelure brune bouclée. Ses yeux verts exprimaient un amour profond envers l’homme qu’elle regardait.
- C’est une belle maison, nous y serons bien, dit-elle en souriant.
- Espérons-le, les quelques personnes que j’ai croisé ne m’avaient pas l’air très accueillantes.
- C’est partout pareil les gens sont toujours méfiants de ceux qu’ils ne connaissent pas, laisse le temps au temps et...
La jeune femme s’arrêta de parler, quelque chose n’allait pas. Elle se tint la poitrine au niveau du cœur, ses jambes ne la retinrent plus et elle s’écroula sur les lattes du plancher. Dimizar lâcha la coupe de vin et s'élança vers le corps inerte de son épouse.
- Almaria ! ALMARIA ! Cria-t-il en saisissant délicatement sa tête.
Le cœur de Dimizar battait la chamade, aspirant et expulsant le sang de la terreur.
Le sang.
Le sang coulait sur le sol humide de cette caverne où se traînait Dimizar. Les souvenirs de cette vie passée tambourinait dans sa tête en rythme avec ce cœur qui battait de plus en plus lentement. La froideur de la lame plantée dans son thorax le glaçait à chaque respiration. Elle était pour lui un supplice. Nul son ne sortait de sa gorge trop serrée pour laisser la moindre émotion passer, seul le sang pouvait se frayer un chemin. Il tenta bien de l’ôter mais à peine eut-il poser la main sur la poignée de la dague qu’il souffrait le martyr. Cette fois il allait mourir, il le savait, son sort était réglé.
Almaria ouvrit péniblement les yeux. La lumière ambiante l’agressait, elle s’en protégea de son bras en râlant. Assis sur une simple chaise de bois Dimizar tenait son autre main au creux de la sienne. Depuis la première fois, la première crise, tout s’était enchaîné dans un processus infernal. Cette belle demeure n’était désormais plus qu’une coquille vide. Chaque meuble, chaque bijou, chaque livre vendu fut une cruelle déception, mais il le fallait. Pour lui seule sa femme comptait, tout le reste n’était qu’accessoire.
Il lui serrait la main comme pour l’empêcher de partir, comme si l’issue pourtant inéluctable pouvait être évitée.
- Je suis là, je suis là, dit-il la voix tremblante.
- Pardonne-moi...
- Tu n’as rien à te faire pardonner.
- Je ne t’offrirais jamais l’enfant qui aurait comblé tes rêves... J’ai... l’impression de t’abandonner. Ne leur en veux pas Dimizar, ils ne savent pas et ont peur.
Des larmes perlaient à présent sur les joues creuses de l’homme.
- Ne pars pas... ne pars pas !
La main qui tenait la sienne se décontracta, devenue inanimée, morte. Dimizar resta là, immobile, tentant d’admettre la mort de sa femme. Dehors la nuit tombait, comme un écho à la noirceur de la mort. Tremblant de tout son être il passa les bras sous le corps sans vie d’Almaria pour la serrer fort contre lui.
- C’est moi qui aurait dû te demander pardon.
Pardon.
- Elle pourra t’accorder son pardon mon ami.
Dans le brouillard sur le chemin de la mort Dimizar cru halluciner. Qui lui parlait, ici au milieu de nulle part ?
- Je ne vais certainement pas te laisser ainsi mon ami, nous avons traversé beaucoup d’épreuves ensemble.
Oui, il connaissait cette voix. Étrange qu’il se manifeste maintenant. La pierre-cœur de Zejabel, tombée lorsque Dimizar arriva là après avoir traversé les méandres brillait intensément. Une forme se dessina, comme une apparition fantomatique.
- Nous sommes morts mon ami. Néhant ne t’aidera pas, il nous a rejeté, tu sais que cela pouvait être ainsi, tu as toi-même agi comme le pire Néhantiste, moi aussi d’ailleurs, nous avons agi ainsi. La forme spectrale de Zejabel fit le tour de Dimizar, contemplant le Néhantiste agonisant.
- La mort te fait si peur que ça Zejabel ? Demanda Amidaraxar. Tu devrais être honoré de donner ta vie pour Néhant.
- Mais je suis honoré, le sujet n’est pas là. Je suis un mage... un sorcier, j’étudie la magie et je suis certain qu’il existe une application des pouvoirs Néhantiques avec la mort, dit Zejabel au beau milieu de la grande caverne sous son manoir. Mes recherches seront longues.
- Justement, ce n’est peut être pas le moment pour ça, le lézard bleu de Noz’Dingard a annoncé une prophétie. Tu es au courant ?
- Bien sur, tu crois quoi, c’est pas parce que je suis enfermé ici que j’ignore ce qu’il se passe ailleurs.
- Je vais bientôt conduire les légions vers le nord afin d'écraser ceux qui osent se rebeller. Quant à toi, vois avec Artrezil pour la destruction de ce Dragon de malheur.
- Je verrais, je finis quelques expériences et je me mets en route.
- J’ai travaillé des heures et des heures à manipuler les magies les plus obscures. Et lorsque Néhant a été défait j’étais sur le point de réussir. Dimizar, je vais enlever cette dague qui te transperce et tu vas mourir, ton cœur va cesser de battre pour toujours. A ce moment-là tout va changer. Je t’avais dit que nous ne formerions plus qu’un, que tu serais moi et que je serais toi. Nous allons continuer notre chemin et nous allons le faire à notre façon, car dès lors tes souvenirs se mêlerons aux miens, tes traits de caractère seront aussi les miens.
Dimizar s’était presque vidé de son sang lorsque la main spectrale de Zejabel attrapa la poignée de la dague que Télendar planta de toutes ses forces. Puis d’un coup sec il la retira dans un jaillissement sanglant. Le visage de Dimizar exprimait la terreur mais aussi la tristesse, des larmes coulaient de ses yeux exorbités.
Tout s’arrêta, la douleur, la peine, la peur. Tout cela fut balayé alors que sur lui s’étendait le voile de la mort.
Ses paupières papillonnèrent quelques instants alors que tout se chamboulait en lui. Quelque chose avait changé, il s’en rendit compte immédiatement, disons que le changement qu’espérait Zejabel s’était produit. Les deux esprits ne faisaient réellement plus qu’un, il le savait car il était à la fois Zejabel et Dimizar. Il avait la dague de Télendar dans sa main et en lieu et place de sa blessure se trouvait désormais sa pierre-cœur. Seule sa surface dépassait.
- Cela à fonctionné, la mort est vaincue, dit-il d’une voix caverneuse, à peine humaine.
Son cœur avait cessé de battre, son sang ne circulait plus et désormais il ne respirait plus. Il ne voyait plus le monde de la même manière, sa vision déformait la réalité. Après un temps d’adaptation il réalisa toute l’ampleur de ce qu’il venait de se passer. Cela était très confus mais le résultat était là, il n’était ni vivant, ni mort, mais il existait toujours, d’une manière... différente. A présent qu’ils ne formaient plus qu’un, le funeste évènement qui propulsa Dimizar vers lui apparut sous un jour nouveau, était-ce un simple hasard. Zejabel travailla autrefois à créer des maladies magiques qu’il expérimenta sur des villageois, précisément le village où Dimizar s’était installé avec sa femme.
La boucle était bouclée, Zejabel était un Néhantiste et malgré le fait qu’il avait du mêler son âme à celle de Dimizar il avait fini par avoir ce qu’il cherchait.
Chapitre 5 - Objectif : Dimizar
Les Combattants de Zil s’affairaient à ranger toutes leurs affaires. Le chapiteau aux bandes verticales noires et violettes se retrouvait au sol, attendant d’être plié une fois de plus. Les stigmates des fêtes successives s’estompaient dans les cœurs. Chacun avait un rôle précis à jouer dans l'organisation de la guilde. Farouche cachait son inquiétude vis-à-vis de Salem et de Kriss, partis pour régler un problème jugé vital. La jeune femme désormais chef de bande ne montrait pas ses craintes vis-à-vis de la bataille à venir et tentait de faire bonne figure. Télendar avait déjà ressenti ça dans une autre vie, il comprenait l'appréhension de Farouche. Mais il devait lui parler et ce qu’il allait lui dire ne lui plairait pas.
- Je peux te parler Farouche ? Demanda-t-il avec gravité.
- Euh... oui.
- Lorsque nous avons attaqué le manoir j’ai réussi à avoir le Néhantiste, du moins à lui mettre une lame en pleine poitrine avant que celui-ci ne disparaisse.
- Je sais ça... et ?
- Je ne suis pas sûr qu’il soit mort. Je dois m’assurer qu’il n’a pas survécu et si c’est le cas lui régler son compte. C’est crucial pour moi, tu comprends ?
- Oui je comprends, mais les ordres sont clairs, les Combattants de Zil doivent aider les Envoyés de Noz’Dingard. Et tes lames nous seront précieuses.
Les mains sur les hanches Farouche lui adressa un regard de reproche.
- Et comment comptes-tu t’y prendre pour suivre quelqu’un qui a disparu ? Demanda-t-elle pensant mettre ainsi un terme au désir de balade de Télendar.
Le jeune homme aux cheveux blancs s’attendait à cet argument.
- Je peux localiser la dague que j’ai planté dans ce Néhantiste... à l’autre bout du monde s’il le faut. Mais je sens qu’elle n’est pas si éloignée que ça d’ici. Quelques jours tout au plus, ensuite je vous rejoins.
- Bon, je suppose que tu te feras la malle durant le voyage si je te dis non. Et puis nous devons lutter contre les Néhantistes, ça serait bête de laisser un doute planer. Alors vas-y, pars, mais tu n’y vas pas seul, tu emmènes au moins un autre combattant.
- C’est tout vu, j’ai besoin de discrétion. Sangrépée et... celle que je ne connais pas, Saphyra c’est ça ?
- C’est ça. Par contre revenez le plus vite possible, s’il le faut passez par la demeure au retour et rameutez les Combattants qui pourraient s'y trouver. Je compte sur toi Telou, dit-elle en lui adressant un large sourire.
- T’étais obligée de faire une marionnette à mon effigie ? Râla Télendar.
Saphyra fut étonnée que les premiers mots prononcés depuis une demi-journée de marche furent ceux-là.
- C’est une longue histoire, c’était pour te rendre un hommage.
- D’accord, mais ça me perturbe, j’ai l’impression qu’il me regarde.
- Ce n’est qu’une poupée Télendar, tu vas pas avoir peur d’une poupée ? Se moqua Sangrépée en contenant un fou rire. Bouh la poupée elle me regarde de travers, maman j’ai peur !!
Les deux filles rigolèrent ensemble de leur camarade de voyage. Ce dernier ne se laissa pas faire et bien que les moqueries ne lui plaisaient pas, l’assassin aimait cette ambiance propre aux Combattants de Zil. Le trajet à travers les montagnes fut l’occasion de connaître un peu mieux Saphyra qui avait rejoint la guilde pendant l’absence de l’ancien chef. Son histoire réellement atypique avait tout d’une Zilerie comme ils disaient souvent. Le soir arrivant, les compagnons d’aventure s'installèrent dans une cuvette bordée de grands rochers. Sangrépée connaissait bien cet endroit pour s’y être arrêtée quelque fois avec certains Combattants de Zil, c’était un passage vers leur quartier général, la célèbre demeure d'Artrezil.
- Il nous nargue ton Néhantiste Tel’, il est loin d’ici ? Parce qu’on est près de chez nous quand même, dit Sangrépée interloquée.
- Je pense pas qu’il s’amuse à ça, pas après le coup que je lui ai porté. Je ne sens pas la dague bouger, à mon avis il est mort. Mais bon... On en aura vite le cœur net. Qu’est ce qu’il y a Sang’ ? Sansvisage te manque déjà.
- Non, dit-elle en laissant échapper un petit gloussement. Je me demande juste où sont passés Salem et Kriss.
- Pareil, au final nous sommes peu nombreux à avoir obéi à l’ordre d’Abyssien, dit Saphyra en remuant les braises du feu de camp.
- Et , c’est pas étonnant, nous sommes les Combattants de Zil, n’oublions pas que la guilde passe avant les intérêts autres. Ceci dit nous retrouverons les autres dès que possible, seulement nous arriverons avec du retard, tu vois nous avons été prévenus après les autres.
- Après ? Ah mais oui bien sur, répondit Saphyra comprenant l’idée de Télendar.
- Dormez les filles nous allons avoir de la marche demain, et ça risque de pas être facile en talons, hein Saphyra !
- Pfff, répondit l’intéressée en regardant ses chaussures.
Télendar, Saphyra et Sangrépée cachés derrière des rochers observaient l’entrée de la grotte depuis plusieurs heures maintenant. La route jusque-là s’était avérée plus difficile que prévu en raison de l’éboulement d’une falaise sur la route qui traversait les Monts noirs. L’équipe dû faire un large détour pour finalement revenir sur le bon chemin. Puis Télendar stoppa la course car ils entraient dans une zone où potentiellement ils pouvaient croiser des Néhantistes, des démons ou toute autre créature mal intentionnée à leur égard. Mais étant des experts en infiltration la petite troupe se retrouva vite indiscernable à l’œil d’un non initié.
- On y va, chuchota Télendar en dégainant une dague. Soyez prudentes.
- Vas-y, on surveille tes arrières, répondit Sangrépée.
Télendar sauta de rocher en rocher jusqu’à l’entrée de la grotte où il se plaqua contre la paroi pour être le plus discret possible. La grotte n’était en réalité qu’une caverne de petite taille. La faible lumière ne l'empêcha pas de discerner les taches au sol et l'éclat du métal.
- Du sang ! Ma dague !
- Tel ! Télendar ! Tu devrais venir voir ça ! Cria Sangrépée. Y a de drôles de gars qui arrivent...
- De drôles de gars ? Se demanda Télendar en allant voir.
Les trois hommes qui arrivaient vers la grotte n’avaient en réalité rien de particulièrement drôle. Au contraire, leur allure claudicante, les morceaux de chair manquants, leurs regards vides de la moindre étincelle de vie, avaient de quoi soulever les cœurs des plus endurcis. Leurs vêtements étaient déchirés et l’odeur qui s’échappait d’eux se sentait à plusieurs mètres autour. Saphyra et Sangrépée révulsées par ces “choses” reculèrent. Télendar qui n’éprouvait pas la peur s’avança non sans serrer sa dague.
- N’approchez pas ! Nous sommes membres des Combattants de Zil, guilde officielle !
Mais les arrivants ne produisaient rien de plus que des sons inhumains. Le premier arriva au niveau de Télendar et tenta de le griffer des ses doigts crochus. Le Zil réagit par instinct et enfonça sa lame dans la gorge de cette... chose. Peu de sang s’écoula de la blessure et lorsqu’il retira la lame celle-ci était couverte d’un liquide épais et noirâtre à l’odeur nauséabonde.
- Herk ! cria Saphyra en esquivant le coup d’un autre assaillant.
- C’est quoi ces trucs ? Des cadavres vivants ?? Demanda Sangrépée en donnant un coup de sa lame d’ambre dans le thorax du troisième.
- Des zombies dégueulasse ! C’est comme dans les histoires qu’on me racontait quand je n’étais qu’une fillette, expliqua Saphyra en tenant le zombie face à elle au moyen de sa poupée aux griffes d’acier.
Télendar batailla avec ce corps sans vie et il s'énerva après avoir frappé aux endroits vitaux avec sa dague sans parvenir à un résultat. Sangrépée elle n’y allait pas de main morte et trancha dans le vif sans autre forme de questionnement. Les membres volèrent vite, la résistance de ces corps n’était pas vraiment la même que celle des vivants. Si bien qu’assez vite le sol se trouva jonché de bras, de jambes, de doigts et de têtes. Et au bout d’un moment plus rien ne bougea.
- Y en a partout ! Ça chlingue ! Critiqua Saphyra qui commençait à nettoyer sa marionnette.
- Et ta dague Télendar ? Dit Sangrépée qui réfléchissait au pourquoi du comment.
- Elle est dans la grotte. Ce qui implique que le Néhantiste n’est pas mort et ça me met en colère.
- Du coup on fait quoi ? On reste là ?
- Non, je récupère ma dague, on prend une tête de... comment tu as dit que ça s’appelle ? Zombie ? Bref un bout de cette chose et nous allons faire une halte à la demeure pour faire le point sur tout ça et chercher à comprendre.
- Tu... tu veux qu’on prenne un bout de ça ?? S’étonna Sangrépée.
- Oui, répondit l’assassin en lui jetant un sac de toile dans les bras. Tu t’en charges... s’il te plait.
Alors que Sangrépée récupérait la tête de zombie, Télendar examina sa dague, le sang n’était pas encore sec car l’intérieur de cette caverne était très humide. Il remarqua des traces noir sur le sol et de minuscules morceaux de cristaux noirs qu’il récupéra précieusement en veillant à ne pas les toucher directement.
- Kriss, des gens approchent de ma demeure.
- Oui, euh Zil ? Je dois t’appeler comme ça ? J’avoue que ça me fait bizarre.
- Si mon aspect est différent, je n’en reste pas moi Salem, mais Zil est mon nom. Donc je disais, des personnes arrivent, des Combattants.
- Qui ça ?
- Télendar, Sangrépée et Saphyra.
- Devons nous leur révéler désormais qui tu es réellement ?
- Oui, nous pouvons et devons leur dire. De même le Triumvirat doit être de nouveau actif, je pense que tu as toujours ta place et la jeunesse de Farouche sera un atout. Mais nous en parlerons plus tard, ils sont là, allons les accueillir.
La porte grinça lorsque Télendar tira le large heurtoir en forme de serpent. L’endroit n’était jamais fermé afin d’accueillir les voyageurs en quête d’un moment de repos et les Combattants de Zil itinérants souhaitant se tenir au courant des nouvelles de la guilde. Revenir ici fit un bien fou à l’ancien chef de guilde, cela lui rappelait des souvenirs, bons comme mauvais. Saphyra elle découvrait la demeure d’Artrezil pour la première fois, elle remarqua vite les divers objets laissés là, des machineries de spectacle, de vieilles tentes, du matériel de jonglerie etc. La grande entrée était bien encombrée mangeant là tout l’espace. Ils se dirigèrent vers le grand escalier central lorsque Kriss, Alyce et Zil débarquèrent de la grande porte du premier étage, porte donnant sur la salle principale, immense salon servant de salle de réunion. Télendar fut ravi de revoir son ami, mais il ne connaissait pas les deux autres personnes. Toutes deux dégageaient vraiment quelque chose, comme une aura importante et familière.
- Télendar, Sangrépée et Saphyra, je ne m’attendais pas à vous voir ici, qu’est ce qu’il se passe ? Venez montons dans la grande salle nous devons parler.
- Tu as bien raison.
La grande salle n’était pas en reste niveau encombrement, mais un effort avait été fait pour que cela soit vivable. Au centre sur le mur du fond, encadrée par deux grandes fenêtres la cheminée aspirait à son maximum la fumée dégagée par le feu crépitant. Au dessus de la cheminée, le portrait de l’Archimage Artrezil regardait quiconque entrait là.
- Télendar, voici...
- Zil ? Dit le jeune homme. Difficile de ne pas voir la ressemblance frappante.
En effet Zil tourné vers eux avec le portrait dans le dos était le portrait craché de l’Archimage, disparu depuis des années.
- Bravo, tu ne cesseras jamais de me surprendre. Effectivement je suis Zil.
Saphyra ne savait pas trop quoi penser, quant à Sangrépée elle n’en croyait pas ses yeux.
- Zil... ZIL ! WAOUH ! Dit-elle. Pour de vrai ? C’est pas une blague ou un truc de magie de l’ombre j’espère !
- Non Sangrépée, douce Elfine assoiffée de batailles. Je vous raconterais tout, mais voici Alyce, une nouvelle recrue très prometteuse et qui par certains aspects me ressemble beaucoup.
- Bienvenue parmi nous, dit Télendar en donnant un vague coup d’œil à la jeune fille, l’esprit tourné par l’arrivée soudaine de Zil.
- Et vous alors ? Interrogea Kriss.
- Vous allez pas nous croire, ironisa Saphyra.
- Le lendemain de ton départ Kriss, je suis parti avec Saphyra et Sangrépée à la recherche du Néhantiste que j’ai presque tué durant l’attaque du manoir et qui s’était enfui grâce à sa magie. J’avais prévu une telle fourberie et la dague que j’ai utilisé me permettrait le cas échéant de remonter la piste, dit-il en déroulant la dague d’un tissu imbibé de sang. Nous avons fini par arriver là où il était réapparu, mais il a commis quelques erreurs.
Télendar montra alors le sac porté par Sangrépée, l’Elfine sembla satisfaite de pouvoir enfin se débarrasser de cette tête de zombie. Elle vida le contenu par terre sur le tapis déjà en partie dévoré par des insectes voraces.
- Nous avons été attaqués par des cadavres ambulants, des hommes sans vie, décharnés et très agressifs. Nul doute que la magie soit derrière ça.
- C’est... oui c’est ça, de la magie, s’exclama Alyce.
- Et une mauvaise, je déteste ce qu’on fait les Néhantistes des arts de l’ombre, mais cette magie là, mes petits, représente tout ce qu’il y a de pire, du Néhantisme perverti, détourné.
Zil attrapa la tête et la jeta au feu, très en colère.
- Du coup ce Néhantiste est encore vivant. Et j’enrage de l’avoir raté.
- Et l’éclat de cristal ? Se rappela Saphyra.
- L’éclat... à oui, j’ai trouvé de petits fragment de cristaux noirs à côté de la mare de sang.
- Montre-moi.
Télendar attrapa la bourse dans laquelle se trouvaient les fragments noirs et les donna à Zil. L’ombre vivante se concentra pour trouver les résidus de magie qu’ils pouvaient encore contenir.
- Zejabel... Cancrelat, pire qu’Amidaraxar celui là.
- Qui est-ce ? Demanda Kriss.
- Zejabel était un Néhantiste, un chercheur qui s’était mis en tête de pervertir et détourner toutes les magies. Ceci sont des éclats de pierre-cœur, de sa pierre-cœur, je sens un lien d’ombre, très faible mais existant. Zejabel vivrait toujours.
- Pourtant le nom de ce Néhantiste selon le Conseil des guildes serait Dimizar, pas Zejabel.
- Mes amis, reposez-vous, dès demain nous partons à la recherche de ce Dimizar ou Zejabel, peu importe son nom. Si il est capable de faire revenir les morts à la vie alors il est de notre devoir de mettre fin à ces agissements.
Télendar souriait, ravi de cette décision. Ils allaient partir à la chasse au Néhantiste et il le ferait aux côtés de Zil et de ses compagnons.
Chapitre 6 - Le vent du changement
Il est dit que Mineptra est la plus ancienne cité du monde. Elle aurait été construite par une civilisation bien antérieure aux hommes et cette civilisation aurait abandonné la cité pour une raison inconnue, telle est la légende de Mineptra et à vrai dire, elle est fausse. Les murs ont autrefois été les témoins de batailles incroyables, mais depuis que Sol’ra avait vaincu les Anciens Dieux et les avait fait disparaître des mémoires jamais plus aucune armée ne s’était présentée à ses portes. Pourtant une guerre avait bien eu lieu loin en dehors du royaume du désert d’Émeraude, le vizir Mahamoud, le prince Metchaf et d’autres valeureux combattants revenaient après plusieurs mois d’absence en l’éternelle cité. Rien n’avait vraiment changé. Dans les rues ombragées les habitants saluaient le retour de ces héros partis défendre une cause dont à vrai dire peu connaissaient la teneur. La rumeur sur leur retour alla bon train et très vite les ministres ainsi que le roi en personne allèrent à la rencontre de la troupe.
La grande place, devant la colossale porte du palais royal s’en retrouva noire de monde. Là le Roi du désert serra, devant tous son fils contre son cœur.
- Sois le bienvenu chez toi mon fils, tu as manqué au royaume des sables et du soleil.
La formule bien que classique n’était pas celle attendue par Metchaf qui aurait préféré un accueil moins solennel.
- Merci père... que les dieux... vous gardent, répondit Metchaf sans prendre garde. Nous avons vu mille merveilles et participé à mille batailles.
La phrase choqua profondément le roi ainsi que le grand prêtre de Sol’ra présent à ses côtés. En temps normal un tel blasphème, même provenant d’un membre de la famille royale serait puni avec sévérité. Le prince Metchaf voulait provoquer son père et surtout le grand prêtre, il allait y avoir du changement, et cette phrase l’annonçait.
- Merci d’être venu en personne nous accueillir enfant du désert et du soleil, dit Mahamoud comprenant la provocation de Metchaf.
- Je suis ravi de vous revoir, Vizir, autant vous dire que votre départ fut un houleux sujet de discussion de la part de mes ministres.
- Je suis à leur entière disposition.
- Allons parler de votre voyage et de vos actions au palais. Ordonna le vieux roi du désert.
La salle du trône avait pour particularité d’avoir un plafond de verre laissant passer le soleil du matin au soir. Le siège royal lui était fait de sable compacté et durci, presque incassable, orné d’une multitude de hiéroglyphes invoquant la protection de Sol’ra. Les murs de cette salle carrée, eux aussi, étaient couvert d’écriture, mais cette fois il s’agissait de noms des anciens rois et des héros qui marquèrent le passé. Seuls étaient présents le prince, le vizir, le roi et le grand prêtre de Sol’ra en remplacement de feu Ïolmarek. L’atmosphère était assez pesante et bien plus qu’un simple compte-rendu il s’agissait d’affirmer et amorcer les changements d’un côté et de maintenir la stabilité de l’autre.
- J’ai lu vos divers papyrus de notre ambassadrice au sein du Conseil des Guildes, avant qu’il ne lui arrive malheur. Est-ce que tout cela est vrai ? Sol’ra est-il réellement venu sur les terres de Guem et a été défait par les forces conjuguées de plusieurs guildes dont mes Nomades du désert ?
Metchaf allait parler, de manière cinglante comme à son habitude, mais il fut retenu par Mahamoud.
- Demandez à votre grand...
- Étant officiellement à la tête des Nomades, je me permet de prendre la parole pour éclairer votre éminence du savoir qui lui ferait éventuellement défaut. Ce qui est dit est vrai, Sol’ra a bien foulé les terres de Guem. Mais son but était de détruire ce monde et non de guider ses fidèles. Il a été vaincu avec l’aide des anciens dieux désormais libres. Ensuite nous sommes repartis en direction du désert avec de nouveaux alliés, une guilde du nom de Légion Runique. Nous avons entrepris de nettoyer le désert de la présence des Solarians qui menacent votre royaume.
Le grand prêtre Atetsis ne croyait pas aux anciens dieux, tout comme Metchaf n’y croyait pas non plus avant de faire face à la vérité. Quel plus grand outrage pouvait-on lui faire à ce moment-là ?
- Si telle était la volonté de Sol’ra alors ce monde aurait du périr et alors il nous aurait accordé miséricorde et pardon pour nos fautes, nous offrant la vie éternelle. Vous auriez dû être à ses côtés. Coupa le grand prêtre. Je ne saurais tolérer cette traîtrise faite à Sol’ra le tout puissant.
- Êtes-vous de cet avis père ? Moi aussi j’étais comme vous au début, fidèle à Sol’ra, mais j’ai ouvert les yeux. Autrefois avant que Sol’ra n’enferme les autres dieux il existait un panthéon qui protégeait le désert et prodiguait à notre civilisation leurs bienfaits. Le saviez-vous Atetsis ? Saviez-vous que durant les vieilles guerres des peuplades entières avaient disparu du désert. Des hommes, des femmes et des enfants ont été tués ou dans le meilleur des cas soit exilés soit réduits en esclavage, dit Metchaf en levant la voix. Atetsis ne répondit rien et cela se remarqua.
- Vous le saviez Atetsis ? Interrogea le roi du désert qui avait toujours prôné une politique tournée vers son peuple. Oui, vous le saviez, quels autres secrets cachez-vous grand prêtre ??
- Ecoute-nous enfant du désert.
La voix se répercuta contre le dôme de verre et les murs. Alors plusieurs silhouettes apparurent tel un mirage, un homme à la tête de crocodile, une femme au visage très doux et une autre au cheveux noirs comme les ténèbres et au diadème à tête de chacal. La femme au visage radieux s’avança vers le prêtre de Sol’ra qui tremblait de tout son être.
- Jamais Sol’ra ne vous est apparu Grand prêtre, pas comme nous le faisons en ce moment-même n’est-ce pas ? Nous arrivons au bout d’un cycle et il va y avoir un renouveau. Roi du désert nous sommes désormais de retour grâce aux Nomades du désert et nous promettons de veiller sur vous comme nous le faisions autrefois, alors vous en sortirez grandis. Mais cela ne peut se faire que si nous redevenons tels que nous étions. Hors nous étions cinq. Et nous ne pourrons être cinq à nouveau sans vous mortels et sans vous... Atetsis.
Ptol’a s’avança à son tour.
- La mort est différente pour nous autres divinités, elle revêt des formes variées mais en aucun cas elle n'est définitive. Aussi nous devons retrouver Cheksateth et... et Ra qui est devenu Sol’ra. C’est pourquoi nous avons besoin de vous Grand prêtre.
Le roi du désert très impressionné par la présence des dieux se posait tant de questions qu’il ne lui suffirait pas d’une vie pour toutes les poser. Mais il n’était pas prêt à jeter aux orties toutes ces années passées à prier Sol’ra et à croire en lui.
- Nous vous avons entendu... dieux. Un changement trop brutal risquerait de perturber l’équilibre du royaume. Un équilibre qui a déjà commencé à être brisé par les rebellions contre le culte de Sol’ra. Retenez vos fidèles, laissez-nous le temps, dit le roi du désert avec fermeté.
- Nous reviendrons bientôt, le temps pour vous de remettre de l’ordre dans vos affaires de mortels, dit Ptol’a en disparaissant avec Kapokèk et Naptys.
- A présent vous ne pouvez plus nier l’évidence, les anciens dieux sont libres et quoi qu’il se passe, le royaume du désert ne sera plus le même. Je mets ma vie entre leur mains, tout comme beaucoup de gens désormais. Vous devez acceptez cela et il faudra réformer les préceptes de Sol’ra, expliqua Metchaf.
- Fils du fils du désert, tes paroles sont plus sages qu’elles ne le furent il y a quelques temps. Je... je sais qu’il faudra accepter le changement. Mais cela ne se fera pas simplement. Le sang peut couler.
- Il faut faire en sorte que non, fils du désert, grand prêtre, les Nomades du désert peuvent être utilisés pour maintenir la paix et résoudre les conflits qu'il pourrait y avoir.
Le roi du désert qui connaissait parfaitement les préceptes de Sol'ra savait pertinemment qu'un problème épineux allait apparaître.
- Grand prêtre, avons-nous quelque chose à craindre de la part de l'Eclipse ?
Ce nom-là ne devait pas être prononcé car cette société secrète, au service de Sol'ra avait très mauvaise réputation tant les actions menées par ses membres étaient mal vues. Mahamoud en avait entendu parlé, il savait que l'Eclipse était un ordre d'assassins utilisé par le roi et les prêtres de Sol'ra hauts placés. Atetsis connaissait bien les membres de l'Eclipse, certains d'entre eux se montreraient implacables, mais beaucoup avaient déjà disparu, probablement en raison de la défaite de l'Avatar de Sol'ra.
- Question pertinente majesté. A vrai dire l'Eclipse subit déjà des répercussions des derniers événements. Il se peut que nous ne soyons plus en mesure de contrôler tous les Eclipsistes.
- Où est leur repère secret ? Demanda le vizir.
- Non, seuls les Eclipsistes le savent et je n'en suis pas un. Ils sont très prudent vis-à-vis des contacts qu'ils entretiennent avec les autres. Je peux les contacter.
- Dans ce cas contactons-les, je veux les voir, il ne faut pas qu'ils deviennent des chameaux sans berger, voir pire que le mouvement soit repris par quelqu'un qui pourrait se servir d'eux à notre encontre.
- Soit, Grand prêtre tu feras comme le désire le vizir. Ensuite je veux que tu convoques les autres grands prêtres, qu'ils viennent à Mineptra.
- Votre parole est celle de Dieu, dit Atetsis en s'inclinant.
La réunion s'arrêta là, des choses avaient été dites, mais peut être pas les bonnes. En attendant, Atetsis exécuta l'ordre du roi et demanda à ce que l'Eclipse entre en contact avec le vizir Mahamoud. Il ne fallut pas longtemps pour obtenir la réponse.
Le Vizir profitait de son retour pour remettre un peu d'ordre dans ses affaires. Son bureau, attenant à ses quartiers croulait sous les papyrus politiques ou économiques. Il se devait de récupérer son retard avant de rencontrer les autres ministres et faire le point avec eux.
- Excusez-moi.
Mahamoud sursauta. Il n'avait ni vu ni entendu venir Mouktar. Cela se produisait souvent, le jeune homme était des plus discrets.
- Mouktar ? Je peux faire quelque chose pour toi ? Demanda le vizir.
Le jeune homme accompagné de son scorpion blanc géant entra dans la pièce.
- Non seigneur, mais je pense pouvoir faire quelque chose pour vous. Sommes-nous seuls ?
- Je crois bien, devrions-nous l'être ?
- Vous avez demandé à rencontrer l'Eclipse et l'Eclipse vous répond. Je suis Mouktar, scorpion blanc de Selik et Eclipsiste.
Mahamoud s'étonna de cette révélation, il connaissait cet homme depuis quelques temps déjà et ne s'était rendu compte de rien.
- Très bien... Je me prépare et je te suis Mouktar.
Une fois son armure remise et Jugement de l'âme attachée à sa ceinture, le vizir suivit Mouktar. Ce dernier plaça une large pièce de tissu sur Mahamoud car ils allaient voyager de manière anonyme. A dos de chameaux tous deux se dirigèrent vers le nord, au pied des montagnes. Ils empruntèrent une ancienne route utilisée autrefois pour le commerce, avant que le désert ne se ferme aux étrangers et que les passages soient pour la plupart murés.
- La vallée du soleil ?
- Oui vizir, c'est là que je vous mène. Vous allez rencontrer Inatka qui est désormais celle qui est le plus haut dans la hiérarchie de l'Eclipse.
- J'ai hâte.
La vallée du soleil portait bien son nom. Une rivière coulait-là offrant un peu de fraîcheur dans cet environnement aride, la roche nue était jaunie par les rayons du soleil et le sable glissait entre les gemmes d’émeraude effilées comme des lames de poignard. Personne ne venait ici, c'était un lieu idéal pour des personnes voulant se rencontrer sans que cela ne se sache. Mouktar et Mahamoud montèrent jusqu'à un vieux temple caché derrière plusieurs petites collines. Cela ressemblait beaucoup à un temple de Sol'ra, mais l'architecture et le style étaient en décalage par rapport aux autres temples, Mahamoud comprit rapidement que cet édifice était dédié, à son époque, à Ra, avant qu'il ne devienne Sol'ra. L'intérieur fut tout aussi surprenant que l'extérieur. Les murs couverts de hiéroglyphes racontaient une histoire, celle de l'Eclipse. Voyant que le vizir désirait en savoir plus, Mouktar se risqua à lui expliquer la signification de tout cela :
- Qu'ils me rejoignent ou qu'il périssent. Il se déroberont à mon regard solaire, mais là où mes rayons ne peuvent les atteindre, les serviteurs de l'Eclipse eux, le peuvent.
- Ce qui veux dire que vous êtes à la base des déicides ?
- Non cela serait présomptueux et faire preuve d'arrogance que de prétendre à pouvoir tuer un dieu, nous simples mortels. L'Eclipse tua de nombreux fidèles d'autres cultes. Mais de nos jours c'est un peu différent. Du moins c'était différent lorsque la plupart des Eclipsistes étaient des Solarians.
- Et moi qui suis vizir j'ignorais tout ça.
Ils suivirent divers couloirs qui emmenèrent les deux hommes au cœur du temple, là où seul la lumière du feu pouvait éclairer les lieux. Puis au détour d'un de ses couloirs ils tombèrent face à face avec une grande femme à la peau brune. Ses peintures de guerre et son accoutrement indiquait ses origines. Kebèk venait de la même région qu'elle, là où le soleil frappe encore plus fort.
- Tu as l'Eclipse devant toi vizir. Que veux-tu lui dire ?
- J'ai l'Eclipse devant moi ? C'est toi qui la dirige ? Combien êtes-vous ? Quelles sont vos missions actuelles ? Est-ce...
- Tu es venu poser des questions, mais tu n'auras aucune réponse, car l'Eclipse ne répond qu'à l'Eclipse... Coupa-t-elle avant que Mahamoud n'agisse.
Prenant Inatka par surprise Mahamoud tira son arme poignée en avant pour enfoncer le pommeau dans le ventre de la femme. Puis, alors qu'elle était pliée en deux de douleur il lui attrapa les cheveux et lui plaqua le visage contre le mur, tout en lui faisant une clé de bras.
- Eclipse, un nouvel ordre va naître. Tu peux choisir entre te rendre utile pour le royaume du désert ou l'indépendance, tu peux choisir entre la vie et la mort. Je veux tous les renseignements que je demanderai, je veux que l'Eclipse reste une organisation secrète, mais ses buts seront différents. Tu as compris Eclipse ?? Dit-il avec Colère.
Mouktar regarda la scène sans intervenir et Inatka elle comprit les enjeux qui se cachaient dans les paroles du vizir. Elle n'avait en définitive pas le choix, coopérer ou mourir.
- Bien, dit-il en lâchant prise. Je suis vizir, mais je suis aussi le chef des Nomades du désert. Je sais et j'en ai eu la preuve il y a peu que certains membres de la guilde faisaient ou font partie de l'Eclipse, cela me convient si l'Eclipse agit dans le sens que je désire.
- Et que désires-tu vizir ?
Mahamoud glissa quelques mots à l'oreille d'Inatka, la jeune femme écarquilla les yeux, horrifiée par ce qu'elle venait d'entendre...
Chapitre 7 - Renouveau
Le temps dans sa course frénétique avançait inexorablement dans un présent en perpétuelle évolution. Ainsi l’hiver était passé et avec lui le froid s’en était allé, laissant la végétation reprendre le dessus. Au milieu de cette forêt, véritable mer de feuilles, Kei’zan, le nouvel Arbre-Monde poussait de manière fulgurante, et déjà les premiers fruits étaient là. Ils n’étaient pas bien nombreux, à peine une poignée. Mais pour les Daïs, eux qui n’avaient pas vu de naissance depuis l’explosion de l’ancien Arbre-Monde, assister à ce spectacle était un moment fort. Depuis que Kei’zan avait fait le choix de se sacrifier, les Daïs restants décidèrent de rester sur place pour fonder un nouveau foyer, une nouvelle cité. Très vite la nouvelle fit le tour de la forêt et beaucoup d’Hom’chaï, d’Elfines et d'autres créatures firent le voyage pour voir le nouvel Arbre-Monde et peut-être vivre là.
Le vent soufflait doucement dans les feuillages, la chaleur revigorait le peuple Eltarite encore un peu endormi par cet hiver ô combien particulier. En effet il s’en fallut de peu pour que la forêt ne soit ravagée par le plus important incendie de son histoire. Sans l’arrivée providentielle des Elfes de Glace, il ne resterait que des souches calcinées et un peuple à l’agonie. Ces alliés, à l’exception d’un, s'installèrent alors à l’extrême nord de la forêt, là où la température leur était plus acceptable. Hors donc le jeune Yulven, Elfe de Glace recueilli par une Elfine courait comme un cabri entre les différentes habitations Eltarites tout en exprimant sa joie.
- Ça y est ! Ça y est ! Il est là ! Il est là.
Les habitants regardèrent le garçon avec curiosité, puis la rumeur enfla, et chacun cessa ses activités pour aller voir ce grand événement. Si bien qu’une bonne dizaine de personnes se retrouva au pied de Kei’zan où d’ores et déjà l’ensemble des Daïs formait un large cercle autour d’Eikytan. Le gardien de l’hiver était penché au-dessus d’un fruit de Kei’zan qui s’était décroché, indiquant l’arrivée imminente d’un nouveau-né Daïs. Le fruit ressemblait à une noix plus lisse et beaucoup plus grande. Lentement Eikytan retira comme une sorte de peau gluante et filandreuse entourant le fruit. Puis une fois que cela fut fait il caressa la coque avec la plus grande attention, la magie qui s’en dégageait prouvait qu’une forme de vie se trouvait là, à l’intérieur. Les Daïs, de leur cœur de sève, ressentaient une énorme joie et à l’unisson ils exécutèrent un antique rituel de bénédiction, accueillant le nouveau venu.
- Clac*
La coque s’entrouvrit laissant échapper un liquide vert semblable à de la sève. Quelque chose bougeait à l’intérieur alors Eikytan entreprit d’aider cette jeune pousse en finissant d’ouvrir la coque. Les souvenirs coulaient en lui, ce geste, il l’avait fait à de nombreuses reprises avec Quercus et les autres premiers fruits de l’ancien Arbre-Monde. La plupart des Daïs actuellement présents se rappelaient de leur naissance car contrairement à beaucoup d’autres races foulant les Terres de Guem, eux gardaient leurs souvenirs dès la naissance. Le gardien de l’hiver examina cette petite créature encore engluée, celle-ci présentait tous les attributs des Daïs, l’absence de bouche, les yeux blancs, une peau semblable à de l’écorce lisse, une petite touffe de petites feuilles sur le haut du crane et deux petites cornes en haut du front. Ce Daïs avait la peau légèrement brune avec des stries horizontales plus claires, ses “cheveux” étaient blanc et rose. Eikytan attrapa le nouveau-né avec précaution en enlevant les restes de sève du fruit.
- Bienvenue parmi nous. Quel nom a choisi pour toi l’Arbre-Monde que je puisse le révéler au peuple Eltarite ?
Le petit Daïs reçut le message télépathique du gardien de l’hiver, ce n’était pas la première fois qu’on lui parlait, Kei’zan le faisait jusque-là.
- Fe’y.
Eikytan porta précieusement l’enfant dans le creux de ses bras et fit le tour du cercle formé par les Daïs. Puis une fois fait, il s’arrêta devant la foule pour le présenter.
- Voici Fe’y, né du premier fruit de Kei’zan et nouveau gardien du printemps !
Les Eltarites hurlèrent de joie, cette naissance donnait à tous l’espoir d’un avenir radieux.
Deux jours passèrent, deux jours de liesse, deux jours durant lesquels Fe’y grandit à une vitesse incroyable. Passant d’une trentaine de centimètre à presque un mètre de hauteur. Eikytan et les autres Daïs trouvèrent cela remarquable et imputèrent cette croissance exceptionnelle à ce nouvel Arbre-Monde. Les autres Daïs nés de cet arbre allaient-ils subir le même phénomène ? L’avenir le dirait, mais pour l’instant d’autres préoccupations allaient vite effacer cette question par l’intervention de Fe’y dont la précocité ne laissait pas de doute.
- Je suis en harmonie avec Kei’zan, il me parle et me guide, dit Fe’y.
- Tu veux dire que Kei’zan est une conscience, demanda Parlesprit.
- S'il a changé de forme il est toujours là, tel que vous l’avez connu. Vous ne l’entendez pas ?
- Non, nous ne l’entendons pas, répondit Le Grélé la curiosité piquée au vif. Que te dit-il ?
- Et comment l’entendre ?? Demanda Eikytan. Jamais l’ancien Arbre-Monde ne nous a parlé, il n’avait pas cette faculté-là.
- Kei’zan pense qu’il peut y avoir des tensions entre nous, entre votre génération et celle qui arrive et il ne veut pas de cela. Je propose à ceux qui le souhaite de s’harmoniser avec lui.
- Pourquoi craint-il une dissension ? Questionna un autre Daïs.
- A propos d’un autre sujet, primordial et qui va influer sur notre civilisation. Que savez-vous des Eltarites ? Dit Fe’y de sa voix cristalline.
- C’est le nom de notre peuple, s’exclama Parlesprit.
- Pas seulement, commença Eikytan. C’est une histoire que peu d’entre nous connaît je suis de ceux-là car j’étais là lorsque cet événement majeur s’est produit. En ce temps-là je n’étais qu’une jeune pousse, prêt à donner sa vie pour défendre l’Arbre-Monde. Hors justement une guerre avait éclaté contre une race sauvage, primitive et puissante : les Eltarites. Ils vivaient là où aujourd’hui se dressent des royaumes humains, ils étaient des conquérants et il ne restaient plus que nous sur leur passage. Nous étions alors si nombreux, des milliers et des milliers de Daïs. En peu de temps nous avons été balayé, tout en leur infligeant des pertes colossales. Enfin il y eu un point culminant, une dernière bataille où les dernières forces des deux côtés s’affrontèrent, non loin de l’Arbre-Monde.
Les Daïs se regardaient les uns les autres. Aucun d’entre eux n’avaient eu vent de cette histoire. Eikytan reprit.
- C’est là au cœur de cette bataille que l’Arbre-Monde intervint, alors que nous allions nous annihiler mutuellement. Du sol des milliers et des milliers de racines poussèrent subitement capturant toute les créatures de cette forêt, autant Daïs qu’Eltarites. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés enfermés, mais nous avons repris conscience peu à peu. Je me souviens parfaitement, j’aidais les autres à se défaire de leurs cocons et nous découvrîmes alors des êtres d’une nature nouvelle : Les Hom’chaï, ces grands guerriers pacifiques et les Elfines le cœur battant de liberté. Je ne comprenais pas vraiment, seuls Quercus et moi étions au fait de tout ce qui venait de se passer, les autres Daïs, Hom’chaï et Elfines n’avaient plus de souvenirs de la guerre passée. Quercus et moi avons alors compris, que l’Arbre-Monde avait créé les Hom’chaï et Elfines à partir des Eltarites et qu’il nous fallait, à nous Daïs, les intégrer à notre civilisation pour les garder au plus proche de nous. Et cela a fonctionné. C’est ce que tu voulais entendre, Fe’y ?
- Oui, dit le jeune Daïs.
- J’ai découvert ce secret il y a longtemps, déclara Le Grêlé, cela m’a valu de longues années emprisonné dans l’Ambre. C’est interdit d’évoquer cette histoire, nous risquerions un soulèvement des Hom’chaï et des Elfines si jamais ils trouvent une seule preuve de la véracité des faits.
- Il est déjà trop tard. Vous vivez parmi ceux qui savent, comme un certain Parleroche. Cela n’est pas un mal, car notre forêt est en péril, tout comme les terres de Guem. Les autres peuples n’en ont pas encore conscience, car ils sont ignorants, mais même si l’Arbre-Monde va faire naître des Daïs, nous peuple Eltarite ne seront pas de taille à faire face.
- Cela aurait-il un rapport avec Dragon et ce qu’il est advenu de lui ? Demanda Le Grêlé.
- C’est en incidence directe. L’Arbre-Monde veut faire revenir les Eltarites d’origine.
Cette nouvelle créa une vive protestation des autres Daïs.
- N’est-ce pas trop de risques que de les faire revenir ? Coupa Eikytan afin d’éviter un trop grand chaos.
- Toute action implique un risque, Ainé, la question que tu aurais dû poser est : comment ? Et là, seul toi peut être à même de répondre car tu es le seul en possession de la clé de l’énigme. Kei’zan n’a pas de solution à part que tout commence avec l’Ancien Arbre-Monde.
- La Souche ? Il faut aller voir là-bas, dit Le Grêlé impatient d’agir.
- Il y a beaucoup d’autres questions à poser avant de faire quoi que ce soit. Devons nous impliquer Hom’chaï et Elfine ? Quel est ce danger qui nous menace ? Tant de choses peu claires qu’il faut impérativement déterminer, ordonna Eikytan.
- Kei’zan veut que tu prennes sa place en dirigeant la Cœur de Sève dans cette... tâche.
- Étant l'Ainé je me dois de prendre la place qu'était celle de Kei'zan. Daïs, rassemblons la Cœur de Sève !
Chapitre 8 - Maître des esprits
- Ta fascination pour l’homme est déroutante mon petit Corbeau. Regarde comme ils sont faibles. Ils ont laissé se consumer le Tombeau des ancêtres oubliant que nous leur avions laissé ces terres sous leur protection. Dit Yashoukou le seigneur Karukaï des oiseaux.
Au loin les corbeaux, corneilles et autres oiseaux de malheur volaient à vive allure vers la demeure de la famille Kage connue comme étant la dirigeante du clan du Corbeau. Daijin ne pouvait pas intervenir, Yakoushou l’en empêcherait et face à ce dernier même ses fabuleux pouvoirs ne pouvaient rien. Non, la famille Kage était livrée à elle-même.
Harmonie, c’est la première des valeurs de l’ordre Tsoutaï, celle qui rythme la vie de ces Xziarites si particuliers. Au cœur de Meragi, à l’ombre de Pakyu l’arbre millénaire du jardin du temple Tsoutaï, Toran et ses disciples méditaient. Malgré la fraîcheur de cette journée de fin d’hiver nul ne bougeait hormis les Cherchefailles qui faisaient face à chacun d’entre eux. Toran savourait ce moment privilégié après avoir assumé la régence de l’empire et chaque matinée en harmonie avec ses Cherchefailles l’emplissait de plénitude. A présent il pouvait se consacrer entièrement à la formation des derniers arrivants dans l’ordre comme Ayako, la fille du seigneur Impérial Gakyusha, ou Hime. Le vieil homme avait choisi le plus petit des temples pour s’occuper d’eux, rejoins dans cette tâche par Xianren un ami de longue date. Aku de son côté ne subissait plus l’influence de son Cherchefaille. Akujin était à nouveau libre sous la surveillance de Toran, mais la relation entre Aku et lui était désormais sur des bases plus saines. Puis les deux Cherchefailles de Toran s’agitèrent perturbant aussitôt le vieux maître qui sortit alors de sa méditation.
- Et bien, qu’avez-vous ? Dit-il en sentant un sentiment de nervosité émaner d’eux.
Les autres Cherchefailles aussi sentirent que quelque chose n’allait pas et comme ceux de Toran firent preuve de nervosité, annonçant la fin de la séance de méditation. Toran qui connaissait bien ses deux compagnons s’inquiéta vite, d’autant plus lorsqu’il vit les immenses volatiles de Yakoushou passer à vive allure au dessus du jardin.
- Des esprits ! S’écria Ayako.
- Où vont-ils ? Demanda Aku.
- Je ne sais pas, mais je ressens chez eux une agressivité hors du commun. Nous devons les arrêter ! Déclara Toran.
Il n’en fallut pas plus aux Cherchefailles présents pour immédiatement retourner à l’état de tatouages sur leurs maîtres. La course dans les rues de Meragi commença alors. Les oiseaux furent plus rapides, profitant des grands couloirs des rues et du vent s’y engouffrant, ils arrivèrent en vue de la demeure du Corbeau. Sur place nul ne se doutait de la menace qui filait à vive allure sur eux, la surprise aurait été totale si Toran et ses Tsoutaïs n’avaient pas emprunté des raccourcis et intercepté une partie du nuage de volatiles. Sans prévenir le vieux maître ordonna à ses Cherchefailles d’attaquer, lui-même suivant le mouvement décocha un coup de pied magistral au premier oiseau à sa portée. Xianren et Aku s’élancèrent à leur tour dans le nuage de plumes, de becs et de griffes. Enfin de leur côté, Hime et Ayako se pressèrent vers l’entrée de la demeure du Corbeau où la grande majorité des oiseaux était entrée. La grande salle principale, toujours plongée dans la pénombre, était à présent le théâtre d’un affrontement peu ordinaire. En temps normal la famille Kage maîtrisait les corbeaux et ne subissait pas leur courroux. Les cris des Xziarites, les bruits des battements d’ailes et les piaillements se mêlaient dans cette gigantesque cohue.
Effectivement Yakoushou avait sous-estimé la famille Kage. Il n’avait pas songé à un seul moment qu’elle serait aidée par cet ordre de guerriers mystiques accompagnés de Cherchefailles. Qui d’autres que les Tsoutaïs pouvaient mettre en échec des esprits ? Ils avaient pour mission de protéger l’Empire de Xzia des esprits et ils respectaient leurs vœux au mieux. Dehors les quelques habitants eurent vite fait de décamper, fuyant l’attaque des oiseaux. Toran et Xianren n’avaient jamais connu une attaque d’esprits de cette envergure, surtout ici à Meragi à la vue de tous. De longues minutes passèrent avant qu’à l’intérieur le clan du Corbeau, soutenu les Tsoutaïs n’arrive à repousser l’assaut. Les oiseaux sortirent les uns après les autres effrayés par la puissance des Cherchefailles.
Voyant leurs congénères battre en retraite le reste suivit le mouvement. Le nuage ainsi reformé commença à repartir en direction du seigneur Yakoushou. Toran comptait bien tirer tout cela au clair et poursuivit alors les oiseaux. Les Tsoutaïs n’allaient certainement pas laisser leur mentor agir seul et la troupe se mit en route à son tour, dans la relative incompréhension des membres du clan du Corbeau. Daijin regardait Méragi avec beaucoup d’attention, observé de près par Yakoushou certain d’une victoire éclatante. Mais cela ne se passa pas ainsi, et le Corbeau jubila lorsqu’il vit revenir les oiseaux, mis en échec, piaffant de peur.
- Voyez votre défaite seigneur Yakoushou et admettez vos erreurs. Repartez d’où vous venez et laissez les terres de Guem en paix.
Yakoushou, blessé dans son orgueil ne pouvait pas laisser passer un tel affront. Il hésita longuement, puis se décida enfin.
- Vous comptez quitter le monde des esprits ? Vous êtes à la frontière de cette réalité seigneur Yakoushou. Mais avant de faire cela dites vous bien que c’est définitif.
- Si cela me permet de t’éliminer, c’est un petit sacrifice que je vais m’autoriser. Et puis... si je veux prendre le contrôle de cet empire, puis de ce monde.
Le seigneur des oiseaux sembla comme prendre corps dans ce monde, comme s’il traversait une barrière invisible. Son aspect, jusqu’à présent légèrement translucide et auréolé de blanc changea. La ressemblance entre Daijin et lui était frappante et intrigante, pourtant ni l’un ni l’autre n’était sous sa véritable apparence.
C’est alors que les oiseaux serviteurs de Yakoushou, perchés sur les arbres et les rochers avoisinant s’envolèrent, pris de panique. Toran et les autres Tsoutaïs courraient dans leur direction, encadrés par leurs Cherchefailles. Daijin sourit, recula de quelques pas et reprit son apparence de vieil homme afin d’être reconnu par Toran.
- Vous auriez dû m’écouter Yakoushou... Vous les sous-estimez trop, et vous aller payer votre arrogance.
Les serpents à plumes de Toran volèrent vite jusqu’à Yashoukou afin de l’encercler. Le seigneur des oiseaux se sentait pris au piège et n’avait pas le choix. Les Cherchefailles venaient à l’origine du monde des esprits avant d’en être banni vers un monde annexe où ils ne pourraient menacer les autres esprits. Mais certains mages Xziarites avaient réussi à les contacter, puis les faire venir sur les terres de Guem, donnant naissance à l’ordre Tsoutaï. Bien que puissant, Yashoukou savait qu’il ne pourrait rien contre autant de Cherchefailles, de Tsoutaïs et contre Daijin. Il choisit alors de fuir, se divisant en une multitude d’autres oiseaux, à la surprise générale. Cela n’aurait pas été un problème pour Daijin si ces oiseaux ne s’étaient pas mêlés aux autres. Les Tsoutaïs frappèrent quelques oiseaux, mais très vite ces derniers se dispersèrent, rendant impossible toute tentative de poursuite.
- Maître Toran, je dois avouer que votre arrivée m'ôte une épine du pied. Dit Daijin en accueillant le groupe.
- Seigneur Daijin... Avez-vous une explication à nous fournir, demanda Toran avec une pointe de sévérité dans la voix.
- Bien sur que j’ai une explication. La personne que vous avez vu est un Karukaï, un des plus puissants. Il a essayé de me convaincre du bien fondé de ses actes et tenté de me retourner contre l’Empire, ce qui est bien évidemment hors de question. Aussi a-t-il tenté la menace, puis le chantage en envoyant une attaque contre mon clan. Hélas pour lui son attaque n’a pas porté ces fruits. Peut être y êtes-vous pour quelque chose ? Mon clan a-t-il subit des pertes ?
- Nos Cherchefailles ont perçu l’attaque et nous avons fait en sorte de rétablir la situation. Rassurez-vous, tout va bien en votre demeure. Cette histoire de Karukaï commence à être un véritable problème.
- Problème que je suis bien décidé à résoudre. Aussi permettez-moi honorables Tsoutaïs de vous inviter chez moi afin de vous remercier.
- Nous n’avons fait que notre devoir, répliqua Xianren qui caressait son Cherchefaille panda roux.
- Nous acceptons, il est temps pour nous d’intervenir plus en avant dans cette affaire. Hime, dit-il en regardant la jeune femme. Va prévenir le Seigneur Impérial, dis-lui que je souhaite le voir, avec Iro.
Cela n’arrangeait pas Daijin, mais le Corbeau ne dit rien, cherchant à tout prix à garder son secret intact.
Chapitre 9 - Champion contre Champion
Agillian jeta en l’air le pigeon qui s’envola aussitôt, bravant la chaleur du désert d’émeraude afin d’apporter le rapport du Seigneur Runique Eilos à l’attention du Cénacle. Le chef de la Légion Runique suivait scrupuleusement les consignes et règles de la guilde afin que le Cénacle soit tenu au courant de façon très régulière des avancées faites. Voilà déjà un bon mois que la troupe venue de Tantad arpentait le désert d’émeraude en quête de cristaux jaunes et de Solarian à passer par le fil de l’épée.
- Combien il nous reste de piafs, demanda Agillian à l’attention du légionnaire en charge des oiseaux.
- A peine quatre. La chaleur en a terrassé la moitié, j’ai du mal à les maintenir en vie. J’en ai un qui va pas tenir longtemps je pense.
- Espérons qu’ils tiennent encore le temps de notre mission, dit le guerrier runique en tapant sur l’épaule de l’éleveur. Je vais faire mon rapport à Eilos.
L’ombre de la tente d’Eilos rafraîchissait à peine ses occupants. Le chef de la Légion Runique en partie nu discutait avec Sapient et Xenophon, eux aussi en nage. A côté d’eux, la table de bois croulait sous un amas de cristaux jaunes récupérés au fil de leur voyage. L’Oracle d’Orpiance avait fait une découverte assez incroyable à leur sujet.
- Ces cristaux-là ne sont pas issus de notre monde mais nous pourrons probablement en faire de puissantes runes. En les examinant j’ai observé un fait étrange mais néanmoins crucial pour la finalité de notre mission. L’énergie émise, même faiblement est d’origine divine, c’est vraiment discret si on prend les cristaux à part, mais devient plus évident lorsque, comme là, ils sont ensembles.
- C’est bien, mais en quoi cela va nous permettre de finir notre tâche ? Demanda Eilos en examinant un des cristaux.
- Cela va nous aider car, étant un Oracle d’Orpiance je peux suivre cette... comment dire... signature divine. Je ressens une telle présence non loin d’ici, un endroit puissant où nous devrions trouver soit un cristal équivalent à la pierre tombée du ciel soit une concentration remarquable de cristaux.
- Vraiment ? S’étonna Eilos. Cela vaut toujours le coup d’aller voir de quoi il retourne de manière à récupérer encore plus de cristaux et tailler dans les rangs ennemis. D’après toi, combien de temps pour nous rendre sur place ?
- Je n’ai pas de certitude, mais je dirais deux jours.
- Seigneur Xenophon il est temps que les troupes se préparent, nous partons dès que possible !
Lentement les hommes et femmes de la Légion Runique marchaient, suant sang et eau au fur et à mesure de leur progression. Le sable, véritable ennemi dans cet environnement freinait considérablement ces étrangers. Tant et si bien qu’au final c’est le double du temps annoncé que mis la troupe pour arriver sur place. Les émeraudes effilées et hautes comme plusieurs hommes perçaient les dunes aussi sûrement qu’une aiguille enfoncée dans la plante d’un pied. Le soleil très haut continuait son travail de sape, rabotant le moral des légionnaires pour beaucoup encore peu habitués à la chaleur. Sapient se protégeait les yeux pour éviter la forte lumière, regardant à droite et à gauche.
- C’est bien là Eilos, pourtant il n’y a aucun cristal jaune de visible, uniquement des émeraudes, comme partout ailleurs dans ce désert. Est-ce que nous cherchons quelque chose d’enfoui sous ce sable ?
- J’en ai bien peur, dit Eilos en se tournant vers cette petite armée qu’est la Légion Runique. On va chercher un peu.
Puis en criant de façon autoritaire.
- LEGIONNAIRES A VOS LANCES !! FOUILLEZ-MOI LES ENVIRONS !!
Écoutant leur chef chaque membre de la Légion Runique prit une lance et commença à repérer les lieux. Si bien que cela se transforma vite en chasse au trésor, au début infructueuse mais qui au bout de quelques heures s’avéra payante. En effet, un petit groupe tomba sur quelque chose de recouvert de gravas et de sable. Les autres cessèrent là toute recherche pour céder à la curiosité de la trouvaille. Sapient et les autres Archontes se questionnaient au fur et à mesure que les autres dégageaient l’objet. C’était une grande dalle d’émeraude entièrement taillée et sculptée d’un seul bloc.
- La taille de ce truc est impressionnante gronda Loquitus.
Le minotaure avait raison, cette chose était presque une petite bâtisse faite d’émeraude, à ceci prêt qu’il n’y avait nulle porte. Des inscriptions en langue du désert ornaient les parois, mais nul ne pouvait les lire. Enfin et c’était là le plus important le haut du parallélépipède était fendu de part en part.
- Il y a quelque chose à l’intérieur, remarqua Lania.
Comme un seul homme tous se penchèrent ou collèrent leur visage contre la paroi sablonneuse et en partie effritée. Au cœur de l’objet se dessinait une forme, vaguement humaine mais en beaucoup plus gros.
- Crac*
Un bruit intense se fit alors entendre, un bruit familier de la Légion runique habituée à entendre des cristaux se briser. Puis se fut l’explosion, jetant tout le monde à terre. Cette gemme retenait effectivement quelque chose qu’il aurait mieux valu laisser dormir à jamais. Les morceaux d’émeraude entaillèrent les chairs, blessant sérieusement quelques hommes, provoquant un léger mouvement de chaos. La créature libérée émanait comme un parfum de déjà vu. A la fois homme, à la fois animal, Eilos et certains autres en avait vu une de semblables durant la bataille qui avait conduit à la défaite de l’Avatar de Sol’ra.
- Le Sphinx ! Siffla Eilos en saisissant ses armes.
Non c’était un sphinx, mais pas celui rencontré précédemment, celui-là avait quelque chose de particulier dans son aspect. Ses pattes avant étaient des pattes d’oiseau, tout comme son visage comparable à celui de l’avatar de Sol’ra. La réaction de la Légion Runique ne se fit pas attendre et les guerriers dégainèrent leurs armes avant de former un cercle autour de ce sphinx. La créature bien que debout ne semblait pas en pleine possession de ses moyens. Debout mais les bras ballants et les yeux clos le sphinx respirait à nouveau l’air surchauffé du désert. Peu à peu ses forces revenaient et très vite il reprit conscience, faisant craquer les os de son cou il observa ces humains menaçants autour de lui. Avant de lancer une quelconque offensive Eilos s’avança pour prendre contact.
- Je suis le Seigneur Runique Eilos de la Légion Runique, déclinez votre identité !
Le sphinx s’étira longuement, ses muscles engourdis par l’immobilité, puis daigna répondre à l’humain qui avait l’audace de s’adresser à lui.
- Je suis Nebsen, Sphinx de Ra ! Seigneur Runique Eilos sais-tu où est Redzah le Mage-roi de Thèbirak ?
- J’ignore qui est cette personne... Que sais-tu des cristaux jaunes venus du ciel ? Nous savons qu’il y en a ici-même.
- Cristaux jaunes dis-tu ? Oui... je sais où tu peux les trouver car je suis le gardien des Larmes de Ra ! Indiqua le Sphinx espérant une confrontation.
- Dans ce cas, nous te ferons parler de force, dit Eilos en tentant l’intimidation.
- Me provoquerais-tu en duel ? Es-tu un humain doté d’honneur ou n’êtes-vous que des guerriers sans foi ni loi ?
Eilos s’attendait plus à une charge furieuse de la créature, comme l’autre l’avait fait durant la bataille au Tombeau des ancêtres. Ce Sphinx avait vraiment quelque chose de spécial dans son attitude. Oui, dans la Légion Runique il n’y avait que des gens d’honneur. Aussi lorsque le mot duel fut prononcé tous les regards se tournèrent vers le Seigneur Runique. Ce dernier n’avait pas le choix, accepter ou être déshonoré devant sa guilde.
- Un défi ? Très bien, si je gagne tu nous donneras ces Larmes de Ra.
- Et si la victoire est mienne, alors toi et les tiens deviendrez mes nouveaux serviteurs.
C’était un duel risqué, mais intéressant pour les deux partis. Les enjeux étaient importants et il était trop tard pour faire marche arrière. Eilos ordonna a la Légion de baisser les armes et de monter le camp.
- Je te laisse jusqu’à demain Seigneur Runique Eilos...
Le campement dressé pour la nuit grouillait de soldats prêts à défendre les lieux contre une éventuelle invasion de Solarians. Après tout, le Sphinx pouvait parfaitement jouer de ruse et mener une attaque surprise. Mais non, rien ne se passa durant la nuit à part une préparation minutieuse d’Eilos. Il fit appel aux savoirs ancestraux des prêtres runiques afin que lui-même et son armure soient dans les meilleures conditions possibles.
La journée était, une fois de plus, radieuse, pas l’ombre d’un nuage et la chaleur toujours dévastatrice. Mais Eilos n’était pas homme à se laisser abattre par la chaleur. A présent en armure complète, il quitta le campement, suivi de la Légion bien décidé à combattre le Sphinx et à gagner. De son côté Nebsen disposait à nouveau de toutes ses facultés... et d’un plan. Si son adversaire s’avérait être plus fort alors il respecterait sa parole, mais d’un certain point de vue. Désormais les deux adversaires se faisaient face, entourée par la Légion Runique soutenant son champion. Le combat allait être intense, violent et déterminant...
Tantad, amphithéâtre du Cénacle,
La jeune guerrière runique marchait d’un pas assuré dans les couloirs, il ne fallait pas qu’elle se mette en retard, le Cénacle l’attendait. Les portes s’ouvrirent alors sur la grande salle où siégeaient les personnes les plus importantes de Tantad. Seuls deux sièges étaient occupés. L’un par Apolodria, une jeune femme aux cheveux bruns lâchés sur un visage très maigre au regard sévère. L’autre par Centorium Aurius, un homme dans la force de l’âge au visage marqué par la guerre. Apolodria était celle que l’on appelait en cas de gestion de crise, l’autre commandait en tant que Grand Archonte les armées de Tantad et en cela était le supérieur direct d’Eilos. La guerrière le connaissait bien, et pour cause, Aurius n’était autre que son père. La guerrière mit un genou à terre et posa son bouclier et sa lance devant elle en signe de soumission au Cénacle.
- Relève-toi guerrière runique, nous ne sommes pas en séance officielle, laissons le cérémonial de côté veux-tu, dit Apolodria.
Sans répondre la guerrière obéit.
- Ce que nous allons te dire est confidentiel, tu ne devras en parler à personne, ajouta-t-elle.
- Mes lèvres seront scellées par les runes du silence, répondit la guerrière.
- Dans ce cas... Myrina, le Cénacle montre de l’inquiétude envers la Légion Runique, dit Aurius.
- Pourquoi cela ?
- Comme tu le sais, la Légion est en mission depuis plusieurs mois. Les dernières nouvelles d’Eilos et ses hommes datent d’il y a plus d’un mois, nous craignons qu’il leur soit arrivé quelque chose.
- Que disent les Clairvoyants d’Abypolis ?
- C’est là qu’est le problème, coupa Apolodria, les Clairvoyants ne trouvent pas la Légion Runique, à leurs yeux elle a simplement disparu.
- Disparue ? Impossible ! La Légion est constituée des guerriers les plus forts de Tantad !
- Je sais... ma fille. Nous devons avoir le cœur net quant au sort de la Légion. La perte d’Eilos et de ses hommes provoquerait une crise importante, crise qui ne doit pas exister. Aussi nous t’envoyons sur place découvrir ce qu’il est advenu d’eux et nous tenir informé. Constitue un groupe de personnes fiables et mets-toi en marche sans plus attendre... Les dieux nous regardent et nous jugent.
- Les dieux nous regardent et nous jugent ! Répondit Myrina avant de quitter le Cénacle, ce demandant quel destin avait frappé la Légion Runique.
Chapitre 10 - Maelström
- Alors Flammara, maint’nant qu’on est entre nous, vas-y on t’écoute.
La guémélite du feu attendait depuis plusieurs heures qu’on daigne s’intéresser à son cas. Mais Al la Triste était une femme très occupée suite à son coup d’état... Enfin suite à la dissolution du gouvernement précédent des Îles Blanches. Flammara fut conduite à bord de l’Arc-kadia en attendant que le capitaine du navire daigne lui accorder un peu de son temps. ce qui arriva en fin de journée, alors que le soleil se couchait derrière les Îles Blanches. L’ensemble des capitaines de la flotte pirate attendait les révélations de l’ancienne prisonnière. Ce qu’allait raconter Flammara allait changer le cours de l’histoire sur bien des plans.
- Ce que j’ai vu... et entendu...
Flammara cherchait ses mots.
- L’essentiel n’est pas de savoir comment j’ai obtenu ces informations, mais plutôt ce que ça implique. Le gouverneur ainsi que bon nombre de politiciens et de militaires sont sous la coupe d’une organisation véritablement dangereuse. Tout cela est tellement incroyable... Je les ai vu faire, ils les ont... jetés dans le vide.
Elle semblait alors très perturbée par des souvenirs traumatisants.
- De quoi parles-tu, pour ma part je comprends pas tout, râla Galène en fixant le haut du crâne de la jeune femme. Puis regardant Al la Triste. Je peux lui enlever ça ? J’aimerais bien jeter un coup d’œil à cette technologie.
- Plus tard Galène, plus tard. Donc, qu’est-ce que t’as vu Flammara.
- Dessous la ville il y a un réseau de tunnels et de cavernes, je les ai parcourus... jusque tout en bas, dans une vaste salle disposant d’un accès vers l’extérieur. C’est là que j’ai vu... C’était des militaires, ils portaient l’uniforme. Ils avaient des gens avec eux, des prisonniers attachés comme des bêtes, hommes, femmes et même des enfants. Là... ils les ont jetés dans le vide... droit en direction du maelström. J’ai vu une ombre donner des ordres aux militaires puis disparaître.
- Et quoi d’autre ? Demanda Al.
- Puis, je me suis fait avoir et me suis retrouvé en taule. Et là j’ai assisté à leur manège, régulièrement des prisonniers que je savais être enfermés pour de petits délits ont été emmenés. Plus jamais on ne les reverra, c’est sûr eux aussi ont fini dans le maelström.
- Pourquoi ont-ils fait ça ? Dit Azalys intriguée.
- Que cherchais-tu exactement Flam’ ? J’ai l’impression que tu ne nous dit pas tout.
La jeune femme hésita longuement avant d’en venir à sa réelle motivation.
- Je cherche Eriade. D’après ce que je sais et ce que je ressens il est là dans ce réseau.
- Eriade ?? C’est qui ? Demanda Azalys.
Ce nom évoqua bien des histoires à Al la Triste, son père lui racontait les aventures extraordinaires de cette fabuleuse créature.
- C’est un phénix, répondit Al.
- Oui un phénix... Il y a longtemps et selon les légendes Eriade était le souverain d’une immense région des terres de Guem, allant des volcans jusqu’au bout de Bramamir. Il aurait disparu un beau jour sonnant la chute de son empire qui se morcela en deux grands royaumes, Tantad et Bramamir. Mon enquête m’a mené jusqu’ici même Eriade serait là quelque part.
- Deux raisons d’aller voir ! Exulta Al. Et désolé de t’dire ça, mais tu viens avec moi ma 'tite Flam’ ! Puis se tournant vers Galène. Tu peux lui enlever ce qu’elle a sur la caboche. En attendant je vais voir qui j’emmène avec moi... Je ferais bien une équipe d’filles tiens... Azalys ? Partante ?
- Avec plaisir, dit la cinq fois veuve.
Le lendemain matin, Al avait convoqué son équipe de choc composée d’Azalys, Flammara, Mylad et bien sur d’elle même ! Al et Azalys vérifiaient leurs armes pendant que Mylad et Flammara faisaient connaissance l’une de l’autre. Très vite les deux guémélites s’entendirent, l’une manipulant la foudre, l’autre le feu. L’Arc-Kadia s’arrima à un trou dans la paroi sous l’île principale de la cité. Sous eux en contrebas d’autres petites îles flottantes au-dessus du centre du gargantuesque maelström.
- Attendez-nous ici, ordonna Al la Triste.
Une par une les pirates sautèrent par l’ouverture, Al la Triste fermant la marche.
- Tout le monde va bien ? Demanda Al en allumant sa lampe. Alors où est-ce qu’on va Flam’ ?
- Mmm, si on suit ce conduit, on devrait arriver dans une heure de marche là où j’ai vu les soldats. Sinon on peut explorer et tenter de trouver des pistes d’Eriade.
- Évitons de se perdre dans un premier temps, suivons la route qu’tu connais Flam’.
Le groupe se mit en marche au travers des boyaux, forçant l’allure pour éviter toute mauvaise rencontre. Mais les lieux étaient déserts. Après la défaite du gouvernement les ennemis des pirates avaient pris la poudre d’escampette. Plus personne n’osait venir ici... enfin presque plus personne. Car lorsque qu’elles arrivèrent vers le lieux indiqué par Flammara, des bruits de discussions se firent entendre. Des ordres aboyés par une voix forte et des sanglots, une multitude de sanglots.
- Faites vite, j’en ai besoin ! VITE ! J’ai hâte ! Criait la voix.
- Pitié, nous n’avons rien fait ! Dit une autre personne sur un ton suppliant.
Al al Triste et Azalys, collées contre la paroi rocheuse à l’entrée de cette caverne observaient. Il y avait trois soldats au regard hagard, comme absent, tels des automates décérébrés gardant des prisonniers, de simples habitants de la ville. Puis non loin une forme d’ombre, peut-être humaine, mais son aspect avait quelque chose de magique. Enfin un peu partout des caisses et divers objets massifs entreposés là.
- C’est comme la dernière fois, chuchota Flammara à l’attention des autres filles.
Ni une ni deux, un des soldats agrippa le bras d’un prisonnier, fit trois pas et propulsa sa victime dans le vide. Il n’en fallut pas plus pour qu’Al la Triste ne donne l’assaut. Les soldats lâchèrent les prisonniers pour dégainer leurs armes à feu et commencèrent à faire un tir de barrage pour leur permettre de reculer un maximum. Leur plan était de parvenir jusqu’à une autre sortie, à l’exact opposé des pirates. Les filles comprirent vite la stratégie des soldats, Al cria de leur tirer dans les jambes. Azalys mit un genou en terre, épaula son fusil et visa une jambe. La balle perfora la chair de part en part et le soldat s’écroula. Flammara et Mylad firent parler la magie et neutralisèrent aussi un autre soldat. Quant à Al la Triste, elle courut jusqu’au dernier avant qu’il ne parvienne à s’enfuir, puis de son bras mécanique le plaqua au sol. Lorsque tout redevint calme la grosse voix de l’ombre se fit entendre.
- Parfait, voilà un plan qui se déroule parfaitement... HAHAHAHA !
Puis un coup de feu retentit... Al la Triste lâcha prise et se releva pour voir d’où provenait le tir. cela venait de derrière les grosses caisses, il y avait là plusieurs hommes avec des fusils trafiqués. Azalys, Mylad et Flammara réagirent vite malgré la surprise, canardant en direction des caisses. Al suivit le mouvement tirant à tout va. Mais la capitaine de l’Arc-kadia était très exposée, trop même car une balle toucha son bras mécanique et dans un bruit d’explosion la prothèse éclata littéralement. C’est alors qu’une autre balle la toucha, cette fois en pleine poitrine. L’imposante femme à la chevelure rousse s’effondra sur le dos, brisant alors la mini chaudière qui jusque-là animait son bras mécanique. Folle de rage Mylad déclencha une pluie de foudre sur leurs ennemis. Touchés par les éclairs les assaillants ne purent continuer de tirer, mais le mal était fait, l’objectif atteint. Al la Triste gisait sur le sol d’une caverne lugubre, le sang s’échappant par sa blessure. La douleur la paralysait et lui coupait le souffle.
Al la Triste ne sentait plus rien à présent, mais alors que ses amies se battaient pour éliminer leurs adversaires, le capitaine de l’Arc-kadia se trouvait entre la vie et la mort. Dans son inconscience elle entendit quelqu’un l'appeler.
- Alexandra. Alexandra !
Elle connaissait cette voix, resurgissant d’un lointain passé.
- Papa ? C’est toi papa ?
- Alexandra, je suis heureux de te parler à nouveau ma fille.
Al parlait à haute voix dans cette caverne, mais tout cela se passait ailleurs, imaginait-elle cette scène ?
- Il est temps pour toi de découvrir qui tu es, Alexandra.
Al se sentit comme aspirée, projetée dans un autre endroit, qu’elle connaissait bien : l’Arc-kadia. Elle était là, face à son père et entourée d’autres personnes qui lui souriaient ou la saluaient amicalement. Elle se sentait bien ici, parmi eux.
- Je suis morte ? Demanda la jeune femme rousse.
- Cela ne va pas tarder ma fille, répondit le Géant au regard triste. Mais avant que cela n’arrive j’aimerais que tu m’écoutes. Même si Al était sur le seuil de sa vie, la joie de revoir son père dépassait toutes les autres émotions.
- Alexandra, tu te souviens du jour de ton accident, quand tu n’étais qu’une petite fille ?
- En grande partie, je me souviens de la douleur principalement.
- Ce jour-là... Ce jour-là en réalité tu es morte ma fille. Le bras arraché tu n’as pas tenu. Ton cœur avait alors cessé de battre. A ce moment-là au-dessus du navire une forme enflammée passa lentement. Al était un peu perdue attendant la suite.
- Je t’ai alors fait un cadeau inestimable. Je t’ai transmis ce que l’on m’avait transmis des siècles avant, je t’ai ramenée à la vie. La forme enflammée ressemblait à un oiseau, qui n’avait rien à voir avec un moineau, car aussi grand que le navire.
- Alexandra, je vais faire vite car le temps m’est compté. Les personnes qui sont autour de toi sont nos ancêtres, tu es l’héritière d’une lignée prestigieuse qui autrefois régnait sur cette partie du monde. Chacun d’entre nous avons été le dépositaire d’un secret farouchement gardé. En toi vit Eriade.
La forme enflammée commença alors à rapetisser pour devenir d’une taille plus modeste. Finalement le phénix s’accrocha au bras du Géant au regard triste.
- Je veille sur toi Alexandra, je suis une partie de toi. Nous nous sommes déjà parlé autrefois, mais tu n’as gardé aucun souvenir. Mais c’est différent cette fois. Tu vas mourir Alexandra pour mieux renaître ensuite et continuer ce que tu as commencé à faire, dit le phénix.
- Qu’est ce que j’ai commencé à faire ?
- Tu luttes pour libérer les Îles Blanches des influences néfastes qui la détruisent. Regarde donc à bâbord.
L’Arc-kadia était à présent juste au-dessus du grand vortex, au centre de ce maelström.
- Sais -tu ce qu’est le Maelström ?
- Un sort puissant lancé par Néhant ?
- Pas tout à fait. C’est un démon, le plus grand démon existant à l’heure actuelle. Une créature dévoreuse. C’est elle qui t’a tendue cette embuscade pour te tuer, révéla Eriade.
- L’ombre ?
- Oui ma fille. Le gouverneur subissait l’influence des Néhantistes et du Maelström, un odieux chantage. Le démon ne dévorait pas les Îles Blanches si en échange des gens étaient sacrifiés, dévorés par le démon.
- C’est ignoble !!
- Oui, hélas comme Eriade était alors en toi, je n’ai pu renaître pour continuer la lutte, je n’ai guère eu le temps de prévenir qui que ce soit, il fallait que tu meures pour que je t’en parle...
Tout devint flou autour d’Alexandra.
- Il est temps de renaître, dit Eriade en écartant les ailes pour envelopper Al la Triste.
Les éclairs avaient eu raison des assassins. Mylad à bout de souffle regardait le corps inerte de son amie, Azalys penchée au-dessus pressait la blessure comme elle pouvait, les mains pleines de sang. Puis un halo rouge brilla autour d’Al. Flamamra sentit alors la magie du feu et d’instinct hurla.
- Barre toi Azalys !!! Ça va brûler !!
A peine eut-elle le temps de s’écarter que le corps du capitaine s’enflamma en même temps qu’elle se levait. Les flammes vivantes formèrent alors une forme d’oiseau de feu, un phénix. La blessure se referma et le cœur de la jeune femme se remit à battre, elle était vivante. Azalys, Flamarra et Mylad restèrent figées devant ce spectacle incroyable.
L’ombre qui avait assisté à la scène disparut alors, car Al la Triste vivait et son plan avait échoué.
Chapitre 11 - Le sacrifice de Dragon
Zahal courut jusqu’à sa monture laissée en arrière. Il devait faire vite car à présent les forces de Néhant n’avaient plus de raison de se battre aux côtés des Draconiens et de leurs alliés. Une fois en selle il fit tournoyer son épée en haranguant les troupes, les invectivant à reprendre courage pour la suite de la bataille.
- Resserrez les rangs !! Naya ordonne à tes sorcelames d’éliminer les démons qui sont derrière nous ! Marzhin, protégez-nous des pouvoirs Néhantiques !
Les ordres se relayèrent vite grâce à une mécanique bien rodée de transmission par les divers officiers de l’armée. L’organisation se mit en place de manière efficace. Kounok dirigeait son régiment de soldats à pied, Ardrakar assurait l’autre flan avec une poignée d’hommes, des vétérans endurcis et capables de prodiges. Les mages du Compendium dressèrent des boucliers magiques autour de ceux qui allaient au contact. Enfin Naya et ses Sorcelames exécutèrent l’ordre sans la moindre hésitation, détruisant les démons qui pourraient leur causer des problèmes en raison de leur position dans l’armée de la Draconie.
Zahal eut raison de réagir si rapidement car Néhant bien qu’en partie sous la domination de Ciramor brisa là l’alliance avec ses ennemis. Néhant laissa tomber Ozymandias, l’homme ne pouvait de toute façon aller bien loin vu son état. Dirigés par la volonté de leur maître, les démons et autres Néhantistes se lancèrent avec rage contre les lignes des Draconiens et quiconque se mettrait en travers de leur route.
Et des ennemis il y en avait, la Légion Runique, les nomades du désert, les Draconiens. Mais celui que craignait Néhant, c’était Kounok et son général, Zahal. Aussi et à son tour, il s’avança dans la grande mêlée où le noir dévorait vite le bleu. Alors que les démons découpaient les chairs et brisaient les os, les Néhantistes prenaient le dessus sur les volontés les plus faibles. Mais bientôt les mages du Compendium firent pleuvoir la colère des éléments sur les Néhantistes qui ne purent que constater leur supériorité dans le domaine de la magie. Là, au milieu des soldats effrayés par les démons, certains mages utilisèrent la magie de Dragon pour combattre au corps à corps, encourageant les autres. Cette guerre-là, contre Néhant, commençait directement par la fin, l’ultime bataille, ramenant le monde bien des années en arrière. A cette époque aussi les armées luttaient, Eredan en tête, contre les légions démoniaques. Cette fois encore les démons affluaient sans cesse. Des portails, ouvertures vers les Méandres, vomissaient les démons qui attendaient patiemment le moment de détruire toute vie humaine. Et les démons s’en donnaient à cœur joie à ce moment précis, car au fil de la bataille les rangs de la Draconie furent en partie décimés. Luttant à un contre dix, l’issue de la bataille était courue d’avance. Pourtant un événement qui a jamais changera les terres de Guem se produisit.
Alors que l'avatar de Sol’ra venait de perdre, Anryéna continuait d’assister impuissante à la chute des pierre-cœurs liées à Dragon. Une par une elle chutait sur l’herbe fraîche du jardin du palais. Que pouvait-elle faire de plus ? Coincée ici, en l’absence de ceux qu’elle chérissait, Anryéna avait peur. La présence de l’Apôtre du destin n’ajoutait rien à l’affaire car elle ne pouvait réconforter l’Archimage. Elle connaissait le destin de la fille de Dragon et c’est cela qui l’avait conduite à venir ici à ce moment précis. Car si elle savait ce qui allait se passer dans la globalité, elle en ignorait les détails, ne pouvant voir le destin de tous les êtres des terres de Guem. La lumière filtrée par le bouclier de protection dressé par Dragon devint d’un coup plus vive attirant l’attention des deux femmes. Effectivement le dôme protecteur avait disparu d’un seul coup, laissant la Draconie vulnérable face à une invasion. Anryéna ne comprenant pas appela son père. Alors sur la grande gemme bleue, cœur de Noz’Dingard et de la Draconie apparut une forme reptilienne aussi grande que la gemme elle-même. C’était Dragon en personne. Anryéna s’étonna de le voir ainsi alors qu’il devait protéger la Draconie. Accroché aux multiples arrêtes de sa pierre-cœur, Dragon portait son regard vers le lointain Tombeau des ancêtres. Puis après être ainsi figé pendant quelques minutes Dragon baissa la tête vers sa fille.
- Tu es toute ma fierté Anryéna. Tu es mon empreinte sur ce monde et l’avenir de la Draconie dépend désormais de toi.
- Qu’est ce que tu racontes ? De quoi parles-tu père ?? Cria-t-elle vers l’énorme guémélite de Guem.
- L’Avatar de Sol'ra n’est plus, mais Ciramor ne peut pas tenir plus longtemps la volonté de Néhant... Nous perdons ma fille. Cette fois je n’ai aucune prophétie, aucun Eredan pour venir redonner espoir aux peuples de ces terres. Je vais devoir intervenir. Je ne pense pas pouvoir venir à bout de Néhant, mais je vais le faire disparaître pour toujours. Cela implique aussi que je parte moi aussi.
Anryéna resta bouche-bée devant cette décision.
- Je dois réparer mes erreurs et laisser ce monde sans que de trop fortes puissances magiques ne risquent de détruire ces terres, comme ce fut le cas dans les Confins.
- Mais... tu veux te sacrifier ?
- C’est un sacrifice utile. A présent je dois partir. Je sais que la Draconie sera entre de bonnes mains. Lorsque j’aurais quitté les terres de Guem ma pierre-cœur serra tienne et tu deviendra le nouveau Dragon. Garde foi en toi.
Anryéna aurait bien hurlé, pleuré et crié, mais elle connaissait bien son père et rien ne le ferait changer d’avis. Elle se contenta de le laisser partir, elle aurait tant aimé le serrer une dernière fois dans ses bras. Dragon s’élança dans les airs puis après s’être éloigné utilisa sa magie pour aller d’un lieu à un autre en un battement d’ailes.
Au Tombeau des ancêtres, les démons perforaient les lignes des Draconiens aussi facilement qu’un couteau dans une motte de beurre. Les soldats tombaient comme des mouches, seuls arrivaient à résister les Chevaliers Dragon, les Sorcelames et les mages du Compendium. Néhant satisfait s’avançait lentement Calice en main vers un Kounok à bout de souffle. Mais le Prophète ne s’avouait pas vaincu. Chimère se fit un plaisir de guider au mieux son porteur dans son affrontement contre Néhant. Le Chevalier Dragon tint bon, résistant avec habileté. Appuyé par un Pilkim au summum de son art, contrant les assauts de la magie Néhantique, Prophète faisait jeu égal avec Néhant. Mais bientôt, l'étau se resserra sur la poignée de Draconiens et infatigable Néhant prenait le dessus peu à peu. Et alors que les premières blessures lui étaient infligés le doute étreint Kounok, et la fatalité annoncée devint évidence, s’en était fini d’eux. Mais jamais il ne se rendrait sans lutter, Chimère aussi voulait en découdre. Les chocs des lames étaient terriblement violents, jusqu’au moment où dans un dernier assaut Kounok frappa de toutes ses forces. Chimère détruisit alors Calice, cette dernière explosant alors, projetant toutes les personnes autour sur le sol couvert de sang.
Lorsque Prophète se releva il remarqua alors Zahal par terre, il s’était interposé juste au moment de la déflagration pour le sauver. Les éclats de la lame de Néhant criblait le pauvre chevalier. Alors que Kounok se penchait pour aider son ami, l’imposante silhouette de Néhant se dessina au dessus de lui. Le visage toujours impassible il jeta les restes de Calice.
- Je savoure ce moment de victoire. Il me sera désormais facile de soumettre ce monde à ma volonté.
Puis un hurlement se fit entendre, un cri puissant pouvant s’entendre d’un bout à l’autre du Tombeau des ancêtres. L’ombre d’une forme gigantesque, grand lézard volant, propulsa les armées entremêlées dans la pénombre. Kounok reconnut sans peine son grand père. Tout à coup Dragon se volatilisa pour réapparaître, sous une forme humaine devant Néhant, balayant les démons aux alentours. Dragon ressemblait à Kounok, ou inversement, sa peau était bleutée, son visage quasi-humain arborait de larges cornes de cristal. une aura de magie incroyable crépitait autour de lui. Sans faire le moindre mouvement il plongea son regard empreint de colère dans ceux de Néhant. Ce dernier porta immédiatement son attention sur lui.
- Mais qui voilà ? Dragon en personne ? Tu m’honores de ta présence...
- Ne sois pas flatté, tu sais ce que cela veut dire.
Le visage d’habitude inexpressif de Néhant forma une grimace menaçante. De part et d’autres, les armées avaient cessé les hostilités et effectué un repli stratégique. Renforcés par la présence de Dragon, Pilkim dressa un bouclier impénétrable autour du reste de l’armée Draconienne.
- Ce que cela veut dire ? Oh ? Tu veux me détruire cette fois ? Tu sais que cela te tuerait, n’est-ce pas.
La tension entre ces deux entités surpuissantes emplissait les lieux, la magie bleue de Dragon contre la magie noire de Néhant. Un sourire se dessina sur les lèvres de Dragon. D’un geste il téléporta Kounok à ses côtés.
- Kounok, il y a une histoire que personne ne connaît et que je dois raconter.
- Oh ? Tu veux tout lui dire ? Tu m’autorise à le faire ? Demanda Néhant exultant à l’idée de révéler un lourd secret.
Dragon fixant toujours son adversaire inclina la tête.
- Alors ouvre bien tes oreilles Kounok, petit fils de Dragon. Mon nom est Néhant et je suis une part de Dragon, enfin de ce qu’il fut autrefois, incapable de refréner cette part d’ombre qu’il avait en lui, cherchant la perfection, il m’a créé puis banni dans les méandres, les entrailles de Guem. Ce n’est que bien des années plus tard qu’enfin je pus revenir sur les Terres de Guem. Dragon occupé avec autre chose laissa les peuples de Guem se débrouiller seul un moment, du moins jusqu’à ce qu’Eredan entre en jeu.
- C’est plus complexe que ça, tu le sais, répliqua Dragon calmement.
- Laisse moi finir. Donc, sachant très bien que me tuer impliquerait sa fin, ton cher papy aida Eredan et ses amis pour me coller en prison. Mais tu connais ce passage-là de mon histoire. Ainsi donc si je meurs, Dragon meurt. Alors qu’est ce que ça fait de découvrir que le glorieux Dragon n’est en réalité qu’un égocentrique ? Prêt à sacrifier la vie de milliers et de milliers de gens pour se sauver lui-même.
- C’est là ta vision des choses. Kounok, lorsque tu retourneras en Noz’Dingard, va avec Anryéna dans le cristal et tu comprendras. A présent il est temps d’agir.
- Tu es vraiment prêt à me tuer ? Cela risque d’être difficile, douloureux, tu risques de provoquer un véritable cataclysme !
- Te tuer... non... je ne vais pas te tuer !
A ce moment-là la magie de Dragon opéra, Kounok fut renvoyé vers les siens, derrière la barrière magique de Pilkim. Néhant se prépara à l’assaut... qui ne vint finalement pas. Dragon se contenta de se concentrer. Alors Néhant réagit en lançant ses hordes de démons sur son adversaire. Voyant cela et n’écoutant que leur courage, les Mages, Sorcelames et Chevaliers Dragon intervinrent, bloquant une bonne partie des assaillants. Ceux qui réussirent à passer furent instantanément transformés en statues de cristal en approchant Dragon. Une lumière aveuglante baigna alors l’assistance, Dragon venait de libérer sa magie, non pas pour tuer Néhant comme ce dernier le pendait, mais dans un autre but. Une porte, de la taille d’une maison apparut là, derrière Dragon. Celle-ci, à double battant, était couverte de symboles magiques flamboyants. Néhant resta figé un instant, ne comprenant pas les intention de Dragon, que comptait-il faire avec cette porte ?
- Bien que tu sois une partie de moi, tu n’as pas pour autant mes connaissances. Ceci... Ceci est une des portes de l’Infini, dit Dragon alors que la porte s’ouvrait. Je ne vais pas te tuer, nous allons disparaître de ce monde ! Hurla Dragon. Tu vas retourner dans une prison, mais très différente de celles que tu as connu.
- Jamais, jamais je ne serais à nouveau enfermé ! Dit Néhant.
Dragon ne s’attendait évidemment pas à une coopération de sa part. Aussi tels des tentacules, de fins filaments bleues sortirent des mains du guémélite de Guem pour agripper Néhant.
- Que me fais-tu ?? Cria Néhant en tentant de se dépêtrer et de résister. NOOOOON !
Dragon ne faisait pas qu’attirer vers lui celui qui représentait sa part de ténèbres, il le neutralisait totalement. Le corps de Ciramor était au maximum de ses capacités, ses muscles tendus ne pouvaient rien face à l’attraction de Dragon. Néhant râlait, hurlait, était furieux, comme si tout cela se passait au ralenti. Bien sur les pouvoirs de l’ombre frappaient Dragon, mais au final que pouvait-il faire contre lui-même ?? Le seigneur des démons devait tenter de s’échapper, il devait abandonner Ciramor ! Instantanément Néhant se désolidarisa de son hôte.
- Parfait ! Cria Dragon.
Libérant alors l’héritier d’Eredan, Dragon lança de nouveaux filaments sur Néhant et activa un vortex provenant de la porte. Alors il ne restait pour Néhant qu’une solution : retrouver son intégrité pour redevenir celui qu’il était autrefois avec Dragon. Il fonça alors avec rage sur Dragon, et les deux magies, celle de l’Ombre et celle de Dragon luttaient l’une contre l’autre dans un paroxysme de puissance.
- J’avais prévu cela ! S’enchanta Dragon.
Il resserra les fins filaments autour de Néhant alors que ce dernier tentait de passer ses défenses magiques. Cela fut son dernier geste car la porte de l’Infini avala tels deux grains de poussière Néhant et Dragon. Ceci fait les deux battant se refermèrent dans un grincement devant les figures ébahies des draconiens qui avaient assistés à la scène sans vraiment réaliser son importance. Enfin la porte de l’Infini se referma et tel un mirage disparut. Kounok, Aerouant et les autres descendants de Dragon surent à ce moment là que Dragon venait de quitter ce monde. De leur côté les démons, à présents libres d’aller où ils voulaient, sans Néhant pour les diriger s’enfuirent en s’éparpillant. La dernière bataille de la pierre Tombée du Ciel s’acheva ainsi - la mort de l’Avatar de Sol’ra, Dragon et Néhant disparus, les terres de Guem ravagées.
- Cette fois c’est fini, tempêta Moîra qui serrait dans ses bras le corps sans vie de sa sœur. S’en est fini de la Draconie, dit-elle avec une infinie tristesse.
Chapitre 12 - 28 zombies plus tard
Il est toujours extrêmement difficile de repérer un Combattant de Zil cherchant à se faire discret. Même en bande ceux-ci pouvaient véritablement disparaître, à plus forte raison quand la magie de l’Ombre couvrait leur avancée. Farouche s’étonna de l’efficacité de Kuraying et des autres manipulateurs de l’Ombre. Ils avaient croisé plusieurs voyageurs fuyant les tumultes du Tombeau des ancêtres sans même que ceux-ci ne se doutent de leur présence. Ainsi l’aventure qu’allait vivre cette guilde resta longtemps secrète.
Les petites routes sinueuses venant de l’ouest coulaient telles des ruisseaux vers les anciennes terres de vieux conflits désormais en partie pardonnés. Avant d’arriver sur les lieux proprement dits la guilde se trouvait à la corniche d’une falaise surplombant la région. Vue imprenable s’il en était, la fine équipe put enfin réaliser toute l’importance de ce qu’il se passait là depuis leur départ du lieu d’impact de la pierre Tombée du ciel. Plus bas la forêt des Eltarites fumait encore de ses stigmates, la terre changée en sable réfléchissait les rayons du soleil. Mais le plus spectaculaire était certainement cet être entouré de milliers de formes lumineuses. Face à cela une autre armée de bleu et de noir tentait de contenir l’assaut des Solarians.
- Tu vois quelque chossssse Ergue ? Demanda Granderage.
- Oui, mais je me demande si je ne rêve pas. Les Envoyés sont bien là, mais ils sont au milieu de démons. J’ai comme l’impression qu’on a raté quelque chose, Farouche.
La plupart des Zil et Farouche n’en croyaient pas leurs yeux, les Draconiens côte à côte avec les Néhantistes ? A quoi cela rimait.
- On doit tirer ça au clair et accomplir notre mission. Le premier Draconien qui passe, vous me le choppez !
- Si vous voulez mon avis ma chère, nous arrivons après la fête, dit Kuraying.
- Hâtons-nous de rejoindre les Draconiens. Cette histoire ne me dit rien qui vaille. Des nouvelles des autres ?
- Non, rien, j’espère que Télendar a réussi et qu’il est en route. J’espère aussi qu’Oukanda va venir, dit Ergue en se passant la main dans les cheveux.
- Bah on les voit jamais, pourquoi tu veux qu’ils viennent aujourd’hui, se moqua Terrifik. Ils ont jamais accepté de faire leurs numéros avec nous.
- Ça n’empêche pas qu’ils restent des Combattants de Zil, répliqua Ergue.
- Ça suffit, on a du pain sur la planche. Dit Farouche en se retournant vers le groupe. La mission donnée par Abyssien était de rejoindre les Envoyés de Noz’Dingard pour affronter les Néhantistes. Hors les plans ont visiblement changé. Du coup on va appuyer les Noz, et seulement eux, le premier démon qui passe on le zigouille. Ah oui, important, j’offre une prime de vingt mille cristaux à celui qui me ramène la tête de Sélène, Silène ou cet enfoiré de Masque de fer.
Derrière la chef Zil la bataille prit une autre tournure car à ce moment là, l’avatar de Sol’ra venait d’être défait par Néhant.
- Farouche !!! Regarde !!! Hurla Sombre.
Les Combattants de Zil assistèrent alors à ce moment historique. L’armée de Sol’ra alors décapitée de son meneur se vaporisa. très vite les démons se retournèrent contre les Draconiens. Sans autre ordre les Combattants de Zil se mirent à courir vers le champ de bataille. Ils longèrent la falaise jusqu’à un passage qui descendait abruptement. Farouche espérait pouvoir arriver à temps et ainsi respecter les ordres d’Abyssien - il y aurait bien une bataille entre la Draconie et les Néhantistes et elle comptait bien prendre part au combat !
- Il n’y a plus personne ici. Les maisons sont vides. Dit Saphyra en jetant un œil dans une des vieilles maisons d’un petit village.
Zil, dagues déployées, attendait ses autres compagnons qui faisaient le tour des habitations. Ils étaient revenus là où Dimizar s’était transporté suite à son agression par Telendar. Les zombies qui attaquèrent le petit groupe provenaient sûrement des environs, ce qui les mena jusqu’à ce village. Avec la certitude que quelque chose d’affreux s’était déroulé ici Télendar retourna au centre du village pour partager ses découvertes.
- Il y a des traces de pas dans le sol imbibé de sang par là-bas, dit-il en désignant une ruelle. A mon avis il y a eu du grabuge et les habitants se sont enfuis.
- Si ce Néhantiste est capable de faire revivre les morts, nul village n’est à l'abri d’une attaque. Qu’en penses-tu Kriss ? Demanda Zil au musicien qui s’approchait à son tour.
- J’en pense que tu as raison, tout porte à croire qu’il y a effectivement des zombies qui sont venus ici et ont attaqué ces malheureux villageois. J’espère qu’il y a eu des survivants...
- A mon avis... Non !! Cria Alyce en courant vers le groupe. Là !
Un petit garçon, chancelant, s’avança depuis une ruelle, immédiatement suivi par d’autres personnes, hommes et femmes. Tous présentaient des contusions, des coupures, des morsures et autres blessures sanguinolentes. D’autres déboulèrent d’une autre rue, marchant lentement vers leur objectif : Zil et ses compagnons.
C’est dans le brouhaha de grognements et de cris rauques des zombies que Zil se jeta alors avec rage dans la mêlée. Télendar, Saphyra et Sangrépée tirèrent à leur tour leurs lames de leurs fourreaux et suivirent Zil déjà en train de trancher dans le vif. Kriss et Alyce quant à eux restèrent en retrait pour user d’autres talents plus mystiques. Les assaillants étaient innombrables, un véritable raz de marée de chairs en putrescence. Mais ces zombies n’étaient que d’infortunés qui usèrent de malchance en croisant la route de Zejabel et ses sbires non-morts. Les corps tombèrent les uns après les autres sur le sol terreux du village. Zil face à ces cadavres mus par une magie de l’Ombre pervertie était autant furieux que miséricordieux. Chaque coup porté apportait la délivrance et la vengeance.
Les corps s’accumulèrent, enchevêtrement de membres, tel un charnier se remplissant petit à petit. Les zombies n’arrivèrent pas à freiner la folie destructrice des Combattants de Zil et ce malgré leur nombre très important. Puis après une demi-heure d’un âpre combat, il ne restait plus que quelques morceaux de zombie encore “vivants”, mais très vite détruits. L’odeur qui s’échappait du tas en décomposition agressait les narines des vivants, si bien que Saphyra et Alyce quittèrent la place pour sortir du village par le nord.
Zil, hors d’haleine serrait fort ses dagues prêt à réagir au moindre mouvement suspect. Et assurément la forme qui se faufila rapidement dans une des ruelles lui parut des plus suspecte. Aussi s’élança-t-il, espérant mettre la main sur ce Néhantiste capable de créer de telles atrocités. En quelques bonds la forme fut rattrapée et Zil frappa, un coup sec, rapide et fatal. La lame perça la chair et se fraya un chemin jusqu’à l’organe palpitant de la fuyarde. Celle-ci devait avoir tout au plus sept ou huit ans, bien vivante jusqu’à ce que Zil ne la tue là, dans cette petite ruelle, de ce petit village où sa famille fut assassinée par des hommes et des femmes sans vie. Zil lâcha sa lame alors que les yeux de la fillette s'embuaient de larmes de sang, sa vie s'échappant. Il ne réalisa son geste qu’au moment où elle tomba par terre, à côté d’une vieille poupée défraîchie, alors les sentiments se bousculèrent en lui. Son visage se figea alors qu’il retirait la lame ensanglantée, puis entendant arriver Télendar il se retourna pour aller à sa rencontre.
- C’était quoi ? Demanda Télendar.
- Un autre zombie, mentit Zil, viens, allons chercher de quoi mettre le feu au village, il n’y a plus rien à voir ici et le Néhantiste doit être quelque part dans les environs.
Télendar n’eut pas la curiosité de vérifier les dires de Zil et se contenta de repartir dans l’autre sens. Une heure plus tard le village était en flamme, la fumée calcinant les chairs des morts et le bois des habitations. Saphyra et Alyce, de leur côté, avaient trouvé une piste, d’autres traces de pas traînants, des pas de zombies.
- Cela part vers Tantad, je sais pas si c’est une bonne idée d’y aller, ces gens sont bizarres, indiqua Saphyra.
- Rien ne me fera reculer, j’aurai la tête de ce Néhantiste, grogna Zil dont l’image de cette petite fille hantait les pensées.
- Mais les ordres du Conseil ? Si on part vers Tantad alors nous aurons désobéi, déclara Kriss.
- Le Conseil ne nous dira rien, car lorsque nous aurons réglé cette affaire on nous remerciera d’avoir agi, puis les Combattants de Zil ont répondu à l’appel, la grande majorité de la guilde est déjà sur place.
- B... bien balbutia Kriss, dans ce cas...
Le groupe se mit alors en marche vers Tantad.
Une fois les Combattants de Zil partis, alors que le village brûlait, en toute discrétion Zejabel brava les flammes pour récupérer un corps, celui de la petite fille tuée par Zil.
- Tu seras l’instrument de la défaite de Zil mon enfant, dit-il alors que les pouvoirs Néhantiques la ranimaient.
Les Combattants de Zil qui se trouvaient au Tombeau des ancêtres n’avaient plus beaucoup de chemin à parcourir avant de rejoindre la bataille. Mais hélas celle-ci tourna court, Dragon apparut alors que les Draconiens, en sous nombre perdaient la bataille. Puis la porte de l’Infini aspira Dragon et Néhant avant de se refermer. Les Combattants de Zil n’étaient pourtant plus très loin et tous ressentaient une certaine frustration d’avoir raté le gros de la bataille. C’est alors que les démons et autres Néhantistes, privés de leur leader, s'enfuirent, donnant aux Combattants l’opportunité d'extérioriser leur frustration.
- Tuez-en un maximum ordonna Farouche suivie de prêt par sa meute.
Les Combattants de Zil utilisèrent leurs tactiques de guérilla déjà éprouvées lors de l’attaque du Manoir de Zejabel. D’un côté la Meute, de l’autre Ergue, Soriek et Granderage et en retrait le reste de la guilde, ceux capables de neutraliser les fuyards plus rapides que les autres. Très vite et avec méthode les Combattants de Zil entreprirent une véritable purge de la population démoniaque. Les larbins ne firent pas un pli, cibles faciles s’il en était. D’autres démons, plus coriaces opposèrent une résistance plus importante, mais sans pouvoir non plus échapper aux lames et aux pouvoirs des Zil. Puis, dans cette masse un Néhantiste en particulier tenta de couvrir sa fuite par la présence de démons plus gros. Voyant qu’il était repéré, celui-ci fit appel à Fournaise. Le seigneur démon, responsable de maints malheurs, fut ravi d’avoir de nouvelles cibles. Le but étant de donner l’opportunité à Amidaraxar de partir sans se faire attraper. Le démon enflammé dégagea du passage Kolère et Sombre avec une facilité déconcertante, puis ce fut le tour de Brutus, pourtant jugé comme l’un des plus costaud des Zil et enfin Farouche n’opposa pas plus de résistance. Quelque chose n’allait pas, Fournaise montrait là une force beaucoup trop importante. Et pour cause, sur le dos du démon se trouvait un autre démon collé peau contre peau, comme un vulgaire sac à dos, c’est lui qui donnait autant de pouvoir à Fournaise, mais personne ne le vit. Devant ce manque de réussite face à Fournaise. Voyant cela, Ergue appela à lui Soriek et Granderage.
- Encore ? Râla le mastodonte à la peau bleue.
- Fais pas ta sssssale tête ! Répliqua Granderage en repoussant un démon.
Ergue ne prit pas le temps d’argumenter son choix et débuta le rituel qui faisait sa réputation. Très vite le front de la bataille fut immergé dans une brume épaisse alors que le son de tambour couvraient les bruits des combats. Au bout d’un instant les tambours cessèrent et la brume disparut en découvrant ce qu’elle cachait : l’Abomination.
- A nous quatre ! Hurla l’Abomination qui se jeta sur Fournaise.
Ce fut là le choc des titans, deux colosses s’affrontant parmi une nuée d’insectes. Les coups échangés auraient certainement mis au tapis n’importe qui, mais l’Abomination, comme Fournaise pouvaient encaisser sans trop sourciller. Personne n’osa intervenir, que cela soit du côté démon ou Combattants de Zil. Les deux adversaires, de forces équivalentes, n’arrivaient pas à trouver la faille dans l’armure qui permettrait la victoire.
C’est alors que de nouveaux sons de tambours se firent entendre, de même sonorités que les tambours du rituel de Ergue, mais sur un rythme et une mélodie différents. Puis un cri retentit avant qu’une masse aussi grosse que Fournaise ou l’Abomination se fraye un chemin jusqu’au deux adversaires. La ressemblance entre l’Abomination et ce nouvel arrivant était flagrante, bien que ce dernier malgré les grelots et couleurs Zil arborait des masques tribaux d’une civilisation inconnue.
- Alors l’Abo’ on arrive pas à venir à bout du démon de feu ?? Dit l’arrivant avec une voix multiple, comme l’Abomination le faisait.
- Tiens l'Aberration, tu tombes bien, attrapes son bras gauche et tire fort !
Les deux monstres ridiculisèrent Fournaise, qui incapable de reprendre le dessus se retrouva retenu par chaque bras, d’un côté l’Abomination de l’autre l’Aberration. De concert les deux monstres posèrent un pied sur la hanche du démon et tirèrent de toute leurs forces. Dans une gerbe de liquide semblable à de la lave les deux bras de Fournaise ne faisaient désormais plus parties du démon qui tomba au sol en hurlant de rage. L’Aberration attrapa la tête de Fournaise et l’arracha avec rage avant de la jeter parmi les autres démons présents. Le message était passé, les démons restant tentèrent de fuir de plus belle, mais le carnage fut tel qu’il ne resta, de côté plus aucun démon vivant. Quant à Amidaraxar, la diversion avait fonctionné à merveille, il avait passé les lignes ennemies et était désormais en route vers un repère connu de lui seul. La pression retomba, l’atmosphère de bataille se dispersa peu à peu. L’Abomination et l’Aberration se morcelèrent alors, sonnant la fin de cette petite bataille.
- Oukanda, N’ba, N’ta, Dar’i, je suis content de vous voir mes frères ! Salua Ergue, je pensais pas que vous accepteriez de venir. Oukanda était un homme proche de Ergue au niveau de sa tenue. Visiblement il était le meneur de ce petit groupe.
- Nous n’avions rien d’autre à faire dans l’immédiat, alors nous sommes venus. Apparemment nous avons bien fait, c’était vraiment un ennemi de valeur.
Farouche s’approcha et dévisagea les arrivants avant de les sermonner.
- Et bien, faut vraiment que vous n’ayez rien à faire pour vous décider à venir nous voir ?? La moindre des choses c’est de venir présenter ses respects au nouveau chef des Combattants de Zil !
Cette phrase fit rire N’ba et N’ta, et encore plus Oukanda.
- Nous comptions le faire... princesse Zil, répondit Oukanda avec ironie.
Tous rirent de bon cœur, même Farouche se laissa aller. Les Combattants de Zil venaient de remporter une belle bataille contre un ennemi puissant, il était inutile de se quereller.
Chapitre 13 - Chat et Lion
Le vent charriait son lot de sable fin, agressant la peau des rares bêtes tournant en rond dans un vieil enclos. Deux maisonnettes, usées par le temps et le soleil servaient de refuge à ses habitants. C’était aussi là que vivait un érudit ayant fuit les brimades et la censure du culte solaire. C’est ici que l’enquête menée par Mahamoud et Kébèk s’arrêta brièvement, dans une étape au beau milieu du désert, là où personne n’ose vraiment aller. Étrangement, depuis la disparition de l’Avatar de Sol’ra et du lent déclin du culte Solarian, les oppressés de tous bords réapparaissaient les uns après les autres, fait établi ou simple coïncidence ? En tout cas une des pistes suivies par les Nomades du désert mena ici. L’intérieur de la plus grosse des habitations était misérable. Ce rocher taillé se désagrégeait lentement, la poussière et le sable partout donnaient un sentiment d’inconfort. Les quelques tapis autrefois beaux étaient défraîchis, effilochés. Kébèk raclait sa tête contre le plafond en râlant alors que Mahamoud cherchait un endroit où s’assoir. Plusieurs personnes leur faisaient face : un ancien, homme au crépuscule de sa vie, la peau plissée et brunie par les années, en partie aveugle, une femme d’une quarantaine d’année tenant une amphore d’eau et enfin une homme du même age que la femme, habits simple, tête rasée et yeux noirs comme l’ébène. Au fond de lui, il était très impressionné par l’arrivée de ces guerriers aux casques d’animaux. Cela n’augurait rien de bon pensait-il.
- Es-tu Azim ? Demanda Mahamoud en enlevant son casque à tête de lion.
- Cela se peut, qui le cherche ? Répondit l’homme.
- Celui qui cherche Ra et Cheksathet, affirma le vizir. Je suis le Vizir Mahamoud, et voici Kébèk guerrier de Kapokèk.
L’homme qui était effectivement Azim ne pu garder l’impassibilité qu’il voulait montrer à ces visiteurs. Se réclamer ouvertement cherchant Ra et Cheksathet avec un guerrier de Kapokèk était soit de l’inconscience, soit un piège, soit l’indicateur que les temps avaient changé. Mais Azim garda sa retenue vis-à-vis des visiteurs, il avait déjà trop souffert dans le passé des pièges de ses opposants.
- Parle sans crainte, je sais qui tu es et si nous devions t’arrêter je ne serais pas venu en personne.
Effectivement, l’argument se tenait, aussi Azim se décontracta et invita les deux visiteurs à s'asseoir.
- Vous cherchez ce qui est perdu, les secrets sont des secrets.
- Mais toi tu connais ces secrets Azim n’est-ce pas ?
- Je les connais Vizir, mais que feras-tu d’eux ? Est-il sage de déterrer ce qui a sciemment disparu aux yeux des mortels ?
- Ceux qui avaient disparu foulent à nouveau le désert d’émeraude, nous avons pour tache de les aider. Renseigne-nous et tu pourras retourner chez toi.
- Chez moi, mais c’est ici chez moi vizir Mahamoud. Mais je perçois la sincérité dans tes yeux. Depuis le temps que je suis ici, coupé du monde, les choses ont évolué et il m’est difficile de te certifier que les secrets sont encore là. Les anciens dieux ont toujours des fidèles, des hommes et des femmes qui bravent tous les jours le fléau du soleil.
- Ce fléau n’en est plus un, et nous devons faire en sorte de rétablir l’équilibre des forces.
- Je vois, je vois... A une journée d’ici, il y a la cité de l’oasis de Kahouma. Tu trouveras la vieille Maât, elle vend des étoffes sur le marché. Peut-être acceptera-t-elle de t’aider... peut être pas, à toi de te montrer convainquant.
- Je ferai de mon mieux car ma quête est noble.
- Si tu ne mens pas et que les dieux sont avec toi alors tu ne devrais pas avoir d'ennuis, mais si tu te joues des dieux, ils te puniront !
Le lendemain, Kébèk et Mahamoud se trouvaient à Kahouma, une ville incroyable, un havre de paix et d’eau. Une source naturelle alimentait d’innombrable bassins reliés entre eux par un système d’aqueducs. De longs palmiers longeaient les allées du coup ombragées. Surplombant l’ensemble, un édifice. Malgré la taille relativement modeste de la cité, il y avait là une population très importante et très hétéroclite. Un peu partout les émeraudes géantes fréquentes dans le désert étaient sculptées pour parfaitement s’harmoniser avec l’architecture. Autour de la ville poussaient lentement les champs de papyrus sur les grandes étendues d’eau.
Le marché, centre principal de l’activité se trouvait au pied du plus gros édifice lui-même servant d'entrepôt et lieu de rassemblement.
- Cette cité est superbe ! S’étonna Kébèk.
- Elle l’est. Je suis déjà venu ici une fois, c’est une cité indépendante. Le roi du désert tolère son existence car elle achète sa liberté en fournissant à Mineptra le meilleur papyrus. Comme elle ne représente pas une menace militaire, le roi a consenti à laisser cette cité vivre par elle-même. Visiblement elle est florissante. Viens, allons trouver cette Maât.
La vieille dame en question avait l’étoffe d’une vénérable ancienne et sa renommée permit au duo de vite la retrouver. Criant sur les passants en vantant la beauté de ses tissus Maât débordait d’énergie malgré son âge. Tombant nez-à-nez avec l'énorme pectoral de Kébèk elle arrêta ses beuglements.
- Maât ? Questionna Kébèk sur un ton inquisiteur.
- Je sais pas si le bleu vous ira, guerrier ! Ironisa la vieille femme.
- Désolé de vous interrompre, nous aimerions vous parler, dit Mahamoud.
Maât connaissait bien les symboles et bijoux portés par le vizir, elle sut alors que c’était important. Elle posa les étoffes de soie sur l’étalage en confiant sa garde à sa petite-fille.
- Suivez-moi je vous prie.
L’autre coté de la ville n’avait pas le même cachet, un peu moins peuplé il s'agissait surtout d’habitations. Là, à l’abri des regards indiscrets Maât, Mahamoud et Kébèk pouvaient discuter sans être dérangés.
- Que voulez-vous à la vieille Maât ? Dit-elle en plantant son regard dans celui de Mahamoud.
- Je suis le Vizir Mahamoud et voici Kébèk, guerrier de Kapokèk. Nous venons sur les conseils d’Azim.
- Azim ? Il a toujours la langue bien pendue à ce que je vois. Et pourquoi Azim vous a-t-il conseillé de venir me voir ?
- Nous sommes à la recherche de Ra et Cheksathet.
Le visage de la vieille femme se ferma, son regard devint dur.
- Je ne sais rien de cela, et vous ne devriez pas en parler ouvertement, vizir Mahamoud, les murs de cette cité ont d’innombrables oreilles...
- Les chats, vizir, les chats, je vois les pensées de Maât, elle te le cache mais je peux voir clairement de quoi il s’agit... Ainsi c’est ici qu’elle se cache ! Dit une voix féminine.
Juste à côté d’eux apparut la forme translucide d’une femme magnifique à la tête de lionne. Maât fut stupéfaite et se prosterna alors devant cette apparition.
- Naptys, vous soignez toujours votre entrée à ce que je vois. Les chats vous dites ? Questionna Mahamoud en jetant un œil tout autour en espérant apercevoir un félin.
Justement, d’un muret à quelques mètres, un chat au pelage fauve et tigré sauta vers un autre muret non sans avoir observé rapidement Mahamoud, Kébèk et Maât.
- Suis-le, vizir ! Cria Naptys.
- Garde la vieille, ordonna le vizir en sautant d’un escalier.
Poursuivre un chat s’avéra être une mission des plus délicate pour un humain, surtout pour Mahamoud qui ne connaissait pas les lieux. Heureusement celui-ci pu compter sur Naptys qui le guidait. Les réflexions se succédaient dans la tête du Nomade et il trouva comique de se retrouver à courir après un chat. A vrai dire il se demandait bien pourquoi puisqu’il tenait Maât. Naptys devait avoir une bonne raison de vouloir ce chat et Mahamoud avait hâte de savoir de quoi il retournait. Le félin sauta de mur en mur et de toit en toit jusqu’à une maison parmi d’autres. Le vizir ne s'embarrassa pas des civilités, propulsé par l’élan il entra épaule en premier dans une porte de bois tenant à peine sur ses gonds. Le bois explosa dans un bruit assourdissant. C’était une petite habitation avec pour seule décoration un tapis de papyrus sur le sol. Les nombreuses ouvertures sur les murs laissaient passer la lumière. Pas la moindre trace d’un quelconque chat, pourtant l’odeur ne trompait pas. Une des ouvertures, celle face à la porte, au raz du sol, avait l’air plus empruntée que d’autres. Mais c’est le tapis de papyrus qui attira le plus son attention, pourquoi n’y avait-il que ça ? Il tira le tapis d’un geste découvrant une trappe dans le sol. Après quoi il la souleva pour s’engouffrer sans plus attendre. Le tunnel creusé dans le sol n’était pas très large et il eut quelques difficultés pour progresser avec son armure. Ce n’est qu’au prix d’un effort colossal qu’il finit par s’extirper du tunnel par une ouverture trop serrée pour lui. Quel ne fut pas sa surprise alors de se faire assaillir par une horde de chats visiblement mécontents de sa présence. Outre la meute une forme plus grande lui sauta dessus avec fureur. Cette fois pas de doute c’est un homme, enfin plutôt une femme vu l’allure. Portant une armure légère rappelant le chat, cette guerrière cherchait plus à repousser Mahamoud qu’à le blesser, celle-ci ne cessant de répéter le mot “sacrilège”.
Suffisamment énervé, Mahamoud dégaina Jugement de l’âme et écarta en premier lieux les chats avant de s’en prendre à cette guerrière. Celle-ci fut étonnée de la résistance de son adversaire ainsi que de son aspect. A la vue de l’armure à tête de lion, recula, temporisant l’affrontement.
- Je ne vous veut aucun mal ! Ragea Mahamoud épée en garde. J’ai été conduit ici par Naptys.
L’évocation de la déesse suffit à faire cesser le combat.
- Naptys ? Qui es-tu pour connaître Naptys ?
- J’ai la vague impression qu’on me demande souvent qui je suis, mon nom est Mahamoud, vizir du roi du désert et serviteur des anciens dieux.
A ce moment là un chat, bien plus grand que les autres sauta sur une colonne coupée à hauteur d’épaule. La jeune femme et le chat se regardèrent quelques instants, comme si l’un parlait à l’autre mais sans prononcer le moindre mot. Mahamoud profita pour regarder où il avait fini, cela ressemblait à d’autres temples qu’ils soient de Sol’ra ou d’autres dieux. Voyant les décorations et statues dédiés au chat il comprit qu’une divinité féline était priée ici, mais il n’avait jamais entendu parlé d’un dieu chat, à part Naptys qui adoptait la tête de lion ou de lionne suivant son humeur. A présent Mahamoud percevait une relation, un lien.
- Et toi qui es-tu femme au masque de chat ?
- Remets ton arme à ton côté, mon nom est Ba-Sthèt et voici l’incarnation de Baâst dont je suis la servante et protectrice.
Mahamoud qui avait rangé son arme durant la présentation enleva alors son casque à tête de lion, il ne le supportait plus tant il avait sué à l’intérieur.
- Es-tu venu demander pardon à la déesse au nom de celle que tu sers ? demanda Baâst en penchant sa tête de chat.
Mahamoud ne comprenait pas et devant l’absence de la manifestation de Naptys il se risqua à l’improvisation.
- Je cherche Ra et Cheksathèt, peux-tu m’aider ?
- Je suis la gardienne des savoirs perdus, cachée en attendant le retour des anciens dieux et la renaissance. J’ai vécu mon exil imposé par Naptys comme une punition.
- Comment vous demander pardon alors pour l’offense que vous avez subie ?
- Tu es bel homme, vizir, consens-tu à te sacrifier ? Demanda Ba-Sthèt en enlevant son casque à son tour, révélant une femme à la beauté... féline !
Ba-Sthèt tourna autour de Mahamoud en le frôlant du bout des doigts.
- Tu vas devoir m’offrir un enfant qui deviendra serviteur de Baâst, tu connaîtras son existence et tu le verras, mais jamais il ne t’appellera père.
Mahamoud était un homme d’honneur, jamais il n’avait posé les yeux sur une autre femme que la sienne et encore moins touché. On lui demandait beaucoup, concevoir un enfant dont il n’aurait jamais de nouvelles et aller avec une autre, cette affaire allait loin, trop loin.
- Tu doutes, tu es l’homme d’une femme n’est-ce pas, tant d’autres se seraient jetés sur moi pour un court instant de plaisir, mais toi... Tu te demandes si tout cela vaut le coup ? Pourtant ce n’est pas grand chose, regarde-moi... Mahamoud.
De Ba-Sthèt émanait une aura de sensualité, irrésistible elle enlevait ses atours un par un sans quitter du regard le vizir toujours dans le doute.
- Nul ne saura, car ce qui est secret des dieux reste caché, appuya Baâst sentant l’homme dont la volonté vacilla.
En réponse Mahamoud lâcha son casque à tête de lion et serra Ba-Sthèt dans ses bras en l’embrassant. Ce qui advint alors sous le regard de Baâst appartint au futur et l’impact qu’aurait ce moment de plaisir dépasserait l’entendement...
Bien plus tard, alors que Ba-Sthèt se rhabillait, le vizir était étreint de la culpabilité la plus basique, celle qui provoque un malaise profond. Mais c’était trop tard, les regrets n’avaient pas lieu d’être.
- Je vais te conduire au temple de Cheksathet à Thèbirak. Baâst sent qu’il va se passer un événement important à cet endroit. Prépare-toi, Vizir.
Chapitre 14 - L’Eltarite
Quelques années seulement après l’explosion de l’Arbre-Monde beaucoup d’Elfines, d’Hom’chaï et de Daïs décidèrent d’établir là une grande cité. On lui donna alors le nom de la Souche. Creusée, aménagée et peuplée, la Souche est devenue peu à peu la cité la plus civilisée de la forêt. Certaines tribus virent d’un mauvais œil cette ville jugée trop rurale. Mais cette véritable capitale devint un lieu incontournable. Eikytan et une grande partie de la Cœur de Sève arpentaient la grande rue qui partait de la porte taillée dans le bois de l’Arbre-monde, passait au milieu des jardins chatoyants et finissait sa course dans le lac à l’eau turquoise. Tout était fait ici pour respecter l’harmonie et la sérénité. Les maisonnettes accrochées sur la paroi intérieure de la souche étaient reliées entre elles par une gigantesque toile d’araignée faite de lianes dont le centre se trouvait légèrement surélevé grâce à un monumental pylône de troncs d’arbres attachés les uns aux autres. Fe’y s’émerveilla devant la beauté de la cité, il y avait là un peuple vivant ensemble malgré certaines différences.
- Alors Fe’y que sommes-nous censés trouver ici, questionna Eikytan qui lui n'appréciait guère de fouler les restes de l’Arbre-Monde qui l’avait fait naître.
- Je te l’ai déjà dit il y a plusieurs jours, c’est à toi de trouver la solution car je n’ai pas la réponse à l'énigme.
Eikytan réfléchissait déjà depuis qu’ils avaient quitté Kei’zan. Il regardait tour à tour chacun des membres de la Cœur de Sève. Il y avait quelques Elfines bien sûr, des Hom’chaïs, des Guémélites de la nature et des Daïs. Eikytan regrettait tellement la sagesse de Quercus. Lui aurait trouvé une solution... Lui aurait trouvé... Mais si c’était cela la clé ?? Eikytan sentait qu’une faible magie émanait encore des restes de l’Arbre-Monde.
- T’ai-je raconté ma dernière rencontre avec Quercus, jeune pousse, demanda le vieux Daïs à Fe’y.
- Non, raconte-moi.
- Quercus aujourd’hui n’est plus un Daïs. Il voulait faire renaître l’Arbre-Monde et a sensiblement fait la même chose que Kei’zan, mais sans graine il n’est devenu qu’un arbre simple, incapable de faire naître le moindre Daïs. Ceci dit j’ai trouvé un passage entre ses racines, un tunnel qui m’a conduit sous terre. Là je suis entré en contact avec Quercus, dont il ne restait qu’une semi-conscience. J’avais promis de ne pas en parler, mais je pense qu’il est important que tu sois au fait.
- Je suis le cheminement de tes pensées.
- Nous n’avons jamais cherché en dessous, dans les racines de l’Arbre-Monde. Si la magie est toujours présente, c’est qu’il réside encore une part de Mère quelque part !
Rapidement le message passa entre les différents membres de la Cœur de Sève. Commença alors une véritable enquête. Par petits groupes, ils cherchèrent un passage vers les entrailles de l’Arbre-Monde. Interrogeant les passants, fouinant un peu partout, leur présence ainsi que leur but fit vite le tour de la Souche et les habitants, forts coopératifs, les aidèrent au mieux. Personne n’avait jamais entendu parler d’un passage conduisant sous la Souche. Aussi la recherche fut-elle infructueuse, jusqu’à ce que la chance, certains diraient le destin, poussa deux personnes vers un avenir incroyable.
Maïlandar était un Hom’chaï chevronné, un chasseur aguerri et un excellent pisteur. Alors que les autres étaient dans la cité, accompagné par Gaya, leur recherche se porta du côté du lac.
- Regarde, de l’ambre verte ! Dit Gaya en montrant des lumières vertes non loin d’une cascade.
L’eau jaillissait d’une ouverture, comme une sorte de petite grotte légèrement en surplomb du lac. Gaya courut voir de plus près cet ambre, car elle en était certaine, ce n’était pas de vulgaires cristaux. Elle plongea le bras dans l’eau et en tira une pierre grosse comme le poing.
- C’est bien ça, de l’ambre verte. On en trouve uniquement sous terre.
- Donc par déduction, elle vient de là, dit Maïlandar en montrant l’orifice de la grotte. Ça m’a l’air assez grand pour pouvoir y entrer.
Sans attendre plus l’Hom’chaï entreprit de grimper les quelques mètres le séparant de la grotte. Puis à son tour l’Elfine monta jusque là. Grâce aux casques créés par Gaya, le duo put correctement voir dans ce boyau plongé dans le noir absolu. A peine assez large pour l’Hom’chaï, le tunnel plongeait directement sous la ville. Les deux amis avancèrent prudemment bifurquant de temps à autre. L’aventure s’avéra difficile de part le réseau important de souterrains qui se trouvait sous la Souche, et ce dans l’ignorance la plus totale de ses habitants. La balade, bien compliquée, n’avait rien d’insurmontable jusqu’à leur rencontre fortuite avec une bande de rats à la taille disproportionnée. Ceux-ci bouchaient le seul et unique passage non encore visité et qui changeait en apparence de part les larges racines de l’Arbre-Monde entravant le tunnel.
- Nous ne passerons jamais à deux, râla l’Hom’Chaï, je vais m’occuper de la vermine et toi tu passes.
Gaya n’avait rien d’une combattante, elle admirait les autres Elfines pour leur témérité. Elle préférait grandement son atelier où elle passait la plupart de son temps en compagnie de ses petits animaux mignons qu’elle chérissait. Rien à voir avec ces créatures moches. Elle accepta de tenter le passage, le cœur serré. Maïlandar qui tenait les rats à distance avec sa lance changea de tactique et en abattit un premier afin d’attirer l’attention sur lui. La stratégie fut efficace. Les rats ne s’occupèrent pas de Gaya, préférant attaquer l’Hom’chaï. Avec discrétion et agilité l’Elfine se faufila jusqu’au fond du tunnel où elle disparut aux yeux de Maïlandar. Manquant de prudence, elle ne vit pas le trou dans le sol et glissa non sans crier de stupeur. Le boyau d’argile prit l’air d’un toboggan et l’Elfine fila à toute allure sur une centaine de mètres avant que la paroi ne s'interrompe. Elle tomba alors sur le sol et tous ses outils volèrent avant de retomber avec fracas. C’était finalement dans une salle relativement grande qu’elle avait terminé sa course. Les larges racines de l’Arbre-Monde ressemblaient à d’énormes piliers où des champignons lumineux s’accrochaient fermement. Gaya se sentait bien ici malgré la douleur de la chute. Elle marcha prudemment entre les racines en s'étonnant.
- J’ai l’impression que les racines sont encore en vie, comment c’est possible, dit-elle à haute voix. La réponse vint un peu plus loin car tout au bout de cette caverne Gaya trouva ce que cherchait Eikytan, un secret depuis longtemps enfoui et qui concernait l’ancienne race des Eltarites.
- Le temps est venu, Gaya, la punition n’a que trop durée et elle doit être levée !
Cette voix ne résonnait pas dans la pièce, mais dans la tête de l’Elfine, comme le ferait un Daïs.
- Qui êtes-vous ? Montrez-vous !
Des racines, plus petites poussèrent des racines plus grosses et s’enchevêtrèrent pour former un corps, semblable à celui d’un Daïs.
- Je suis ce qu’il reste de l’Arbre-Monde, dernière parcelle de vie cachée ici en l’attente de ce jour. Je vais enfin pouvoir disparaître définitivement et retourner auprès de Guem qui m’appelle depuis si longtemps. Gaya restait figée, attendant d’en savoir plus, ne sachant quoi dire, elle se contenta d’écouter ce que l’Arbre-Monde avait à lui dire.
- Depuis l’explosion je suis resté ici endormi, fragilisé...détruit, réduit à l’état de racines. Vous m’avez réveillé lorsque vous vous êtes approchés. Pourquoi est-ce vous et non un Daïs qui est là à ce moment précis reste un mystère, peut-être est-ce l’héritage Eltarite coulant dans votre sang qui vous a poussé jusque là ? Un Hom’chaï et une Elfine, liés l’un à l’autre.
A ce moment là un bruit sourd, suivi d’un juron, coupa la solennité de la scène. Gaya guida son compagnon jusqu’à eux. L’Hom’chaï, un peu couvert de sang ne semblait pas blessé. Gaya expliqua de quoi il retournait avant que l’Arbre-Monde ne continue son récit.
- Vous portez en vous un héritage ancestral, dans vos rêves, parfois, vous voyez des scènes et des lieux que vous ne connaissez pas, des personnes que vous ne connaissez pas. C’est là la seule chose que je n’ai pu vous enlever.
Maïlandar et Gaya avaient effectivement ce genre de rêves incompréhensibles. Ils ignoraient les petits secrets des Daïs et la nature exacte de leurs origines.
- Ne vous êtes-vous pas rendu compte que quelque chose vous attirait l’un à l’autre ?
Les deux compagnons se regardèrent et réalisèrent soudainement que oui. Dans leurs souvenirs l’un était souvent non loin de l’autre et ce peu importe les circonstances ou les lieux. Ils ne ressentaient pas de l’amour, non c’était quelque chose de plus profond.
- Vous êtes une seule et même personnes, chacun complète l’autre. Je vais vous donner le moyen de redevenir un, mais cela ne se fera pas sans le nouvel Arbre-Monde... Lui seul a la magie nécessaire pour briser le sort. Tenez, prenez ceci et finissons-en.
A ce moment là sortirent du plafond plusieurs racines de taille moyenne. Elles enserraient une pierre verte dont émanait une magie pure.
- Ceci est ma dernière parcelle de vie, elle renferme le secret concernant les Eltarites. Gardez-là jusqu’à ce que vous soyez face au nouvel Arbre-Monde. La boucle sera ainsi bouclée.
- Cela va vous tuer ? Demanda Gaya.
- C’est déjà le cas, mon temps est définitivement venu. J’espère juste qu’une fois que vous serez redevenus un vous ne vous laisserez pas votre bestialité resurgir.
Maïlandar posa la main sur la pierre, puis après un court instant s'en saisit et tira de toutes ses forces, déchirant les racines. Immédiatement l'enchevêtrement formant l'Arbre-Monde s'effondra sur lui-même comme si quelqu'un avait tiré sur le bout d'une corde formant un nœud et l'avait ainsi défait. Les champignons lumineux s'éteignirent lentement, plongeant la salle dans le noir. Gaya récupéra son casque et le remit sur sa tête.
- On fait quoi maintenant ? Demanda-t-elle inquiète.
- On sort !
- Mais par où ?
- Par là d'où nous sommes venus !
Plusieurs jours plus tard, la Cœur de sève était de retour au pied du nouvel Arbre-Monde. Après avoir raconté leur aventure sous la Souche, Maïlandar et Gaya virent toute l'attention tourner autour d'eux. Les Daïs firent reproches au duo de ne pas les avoir prévenus avant de poursuivre leur aventure. En tout état de cause la frustration d'avoir raté l'occasion de parler avec l'Arbre-Monde précipita l'ambiance dans la tension. Aussi le duo fut-il ravi d'arriver à destination, pressé d'en finir. Fe'y, qui ne ressentait aucune animosité envers eux, les convia à se rendre sous l'Arbre-Monde et ce sans la présence des autres.
- Il faut les comprendre, c'était leur mère. Mais ne vous en faites pas, ce que vous avez rapporté avec vous va finalement être la sève qui va de nouveau couler dans leurs cœurs. Auriez-vous l'amabilité de me confier la pierre-cœur de l'Arbre-Monde ?
Gaya hésita, puis après un regard approbateur de Maïlandar elle tira du sac l'objet tant convoité. Si Fe'y avait eut une bouche, alors il est certain qu'à ce moment même le Daïs souriait.
- Merci. A présent et à nouveau ce qui fut sera de nouveau. Kei'zan va intégrer cette pierre-cœur, permettant à l'Arbre-Monde d'être complet. Après quoi je vais vous laisser avec lui, il veut vous voir, juste vous et lui.
- Que va-t-il nous arriver ? Demanda Gaya qui n'arrivait pas à tout comprendre.
- Je ne peux pas répondre à cette question, je n'ai pas la réponse. Vous verrez avec Kei'zan.
Fe'y se retourna et marcha jusqu'au tronc de l'Arbre-Monde. Non loin de là le reste de la Cœur de Sève regardait la scène en théorisant sur la suite des évènements. Eikytan respecta la volonté de l'Arbre-Monde et resta à l'écart.
Le plus jeune des Daïs posa la pierre-cœur contre l'écorce de Kei'zan qui commença lentement à l'absorber. Quelques minutes plus tard la pierre fut bien incrustée dans le tronc et seul un petit bout était encore visible. Puis rassuré, Fe'y quitta les lieux, laissant Maîlandar et Gaya dans l'expectative.
Les branches les plus basses et les plus proches du duo bougèrent alors qu'il n'y avait aucun vent. Ce spectacle sembla familier à l'Elfine qui avait vu la même chose se produire avec les racines de l'ancien Arbre-Monde. Néanmoins, cet enchevêtrement là forma un Daïs connu de Maïlandar puisqu'il s'agissait de Kei'zan, dans son aspect Guémélite de la nature qu'il prenait dans lorsque cela s'avérait nécessaire. L'Hom'chaï s'inclina respectueusement.
- Je ne pourrais garder cette forme bien longtemps. Aussi je vais être bref sur ce qui vous attend. Eikytan vous a, il me semble, raconté l'histoire des Eltarites, je parle des véritables Eltarites ?
Effectivement sur le chemin du retour on les avait mis au courant. Mais pas forcement dans tous les détails.
- Dans ce cas je peux vous faire retrouver votre unicité, mais à vous et vous seuls car je ne dispose pas encore de suffisamment de puissance.
Maïlandar n'hésita pas, sa dévotion envers Kei'zan était totale depuis bien des années. Par contre Gaya hésitait.
- Ça veut dire que je n'existerai plus ? Dit-elle vraiment inquiète.
- Au contraire, tu seras plus vivante que jamais, c'est la façon dont tu vas vivre qui sera nouvelle et incroyable. Balaye tes craintes, nous sommes à l'aube de l'unité retrouvé. Il ne faut surtout pas que tu te sentes obligée. Il existe d'autres Hom'chaï et d'autres Elfines qui pourraient accepter.
- Tu peux avoir confiance en l'Arbre-Monde, Gaya. J'ai passé toute ma vie en sentant un manque au fond de moi, et ce manque, c'est toi.
- Je... Tu as raison, je sais que tu as raison car nous ne sommes qu'un en définitive. D'accord Kei'zan, libère-nous de notre entrave.
- Abandonnez tout ce qui fait de vous ce que vous êtes actuellement, laissez vos objets et vos vêtements, ils ne vous serviront plus à rien.
Gaya hésita, sachant pertinemment que les regards se portaient sur elle. A côté Maîlandar qui n'avait pas de souci de pudeur s'exécuta, posant sa lance et se déshabillant. Timidement Gaya fit de même. A peine eurent-ils fini que, sans perdre de temps, Kei'zan débuta son rituel. Des dizaines de racines de l'Arbre-Monde sortirent du sol et entourèrent doucement le duo pour les enfermer dans une sorte de cocon. Puis Kei'zan leva les bras, sans prononcer la moindre parole il entreprit de défaire ce qui avait été fait par l'ancien Arbre-monde, mais que pour un seul Eltarite, craignant qu'un retour trop rapide de cette civilisation pourrait entraîner un risque pour les mondes. La magie se concentra dans ce cocon et entre les racines une vive lumière prouvait le déroulement du puissant sortilège. Plusieurs heures durant on pouvait entendre des cris, tantôt de Maïlandar, tantôt de Gaya, des paroles dans une langue qui ne fut plus parlée depuis un âge lointain. Enfin une voix émergea, forte et au timbre particulier. Kei'zan arrêta son rituel car sa tâche était accomplie.
Des doigts glissèrent par l'interstice entre deux racines, deux mains qui déchirèrent le cocon...
Chapitre 15 - Passé décomposé
Comme une triste mélodie Amidaraxar suivait le cours des événements passés, cet enchaînement catastrophique finissant par la disparition de Néhant. Tant d’efforts pour un résultat si décevant. Le Néhantiste, caché dans une vieille maison abandonnée avec d’autres ruminait tant et plus. Azaram, le visage couvert d’un mélange de sang tenait encore sa lame-démon brisée au niveau de la pointe, groggy par cette défaite cuisante. Il ne restait plus beaucoup de démons, à peine une dizaine. Les méandres avaient aspiré la plupart d’entre eux et quelques rares furent totalement détruits. Amidaraxar détacha son masque et laissa respirer sa peau gonflée par la transpiration. Son visage était en partie rongé, résultat d’expériences anciennes. Son sang bouillonnait de rage.
- Comment avons-nous pu perdre !? COMMENT !? Nous l’élite de ce monde aux pouvoirs incommensurables, défaits par une poignée de Draconiens !
- Nous sommes encore en vie, rien n’est encore perdu, déclara Azaram.
- Qu’as tu en tête ?
- En premier lieu il nous faut reprendre des forces et nous faire oublier. Il est probable que la prison du maître soit surveillée dans l’immédiat.
- Oui nous ne pouvons accéder à la quatrième chaîne sans nous faire voir.
- Dans ce cas, j’en viens au deuxième point, infiltrer les royaumes, républiques et autres nations puis prendre le contrôle. Sans Dragon, la Draconie est une proie facile.
- Mais ils seront sur leur garde, ils risquent de nous traquer. Tu as raison Azaram, il nous faut disparaître comme ce fut le cas après la guerre contre Eredan. Le manoir de Zejabel étant détruit, il nous faut trouver un nouveau quartier général.
- Il y a d’autres Néhantistes en sommeil, il faut aussi les trouver.
Anagramme arriva alors essoufflée.
- Nous sommes poursuivis il faut mettre les voiles... de suite ! Dit-elle paniquée.
Jamais Amidaraxar n’avait du fuir autant que pendant les jours qui suivirent. Parvenant finalement à se dépêtrer des poursuivants le groupe de Néhantistes s’arrêta dans une ferme, au grand dam de ses habitants, transformés alors en esclaves.
- Au moins la disparition de Néhant n’impacte pas sur nos pouvoirs magiques, dit Azaram.
- Non, c’est là la particularité du Néhantisme, il dépend de la personne qui l’utilise, expliqua Amidaraxar. J’ai réfléchi à notre fuite, il va nous falloir passer par le manoir, il me faut la pierre-cœur de Zejabel et des autres Néhantistes morts. Il faut que j’augmente mes pouvoirs à leur maximum si je veux pouvoir faire revenir le maître. Il nous faut aussi des renseignements sur le sort qu’a employé Dragon, ce qui a permis d’ouvrir cette... porte.
Zejabel marchait à pas réguliers, infatigable, mu par une volonté inflexible. Il n’avait pas de plan exactement si ce n’était le désir d’échapper aux Combattants de Zil. En réalité il n'avait nullement l'intention de se rendre ailleurs que là où il considérait être chez lui, c'est à dire au Manoir de Zejabel. Il entreprit donc de faire le tour des montagnes, accompagné de la petite fille qu'il avait « sauvée » des flammes et de la mort. Ses deux autres compagnons, deux zombies plutôt hargneux suivaient l'ombre de leur maître comme deux ignobles toutous décharnés. Qu'il pleuve ou qu'il vente la troupe avançait inexorablement vers son objectif. Zejabel changeait rapidement, sombrant lentement dans la folie, entendant la voix d'une femme, pleurant et gémissante. Cela le perturbait au plus haut point car quelque chose le gênait, cette voix il la connaissait bien, mais sans pouvoir comprendre de qui il s'agissait.
Enfin la grande paroi et son ouverture discrète vers le manoir furent en vue. Sans joie, ni peine, ni aucune autre émotion Zejabel progressa le long d'un chemin caillouteux bordé d'arbres morts. Puis il s'arrêta net, la voix était insoutenable, hurlant dans sa tête des jurons, comme quoi il devait faire quelque chose pour elle. Mais qui était elle ? Qui criait, qui était cette femme ?? Le déclic se produit alors lorsque Dimizar reprit le pas sur Zejabel. Lui savait pertinemment qui lui parlait, comment l'oublierait-il, tout ceci avait commencé ici.
- Al...ma...ria...
Zejabel tourna la tête vers la gauche et remarqua le monticule de pierres. C'était là l'endroit où il avait déposé et recouvert le corps de sa femme. Dimizar ne put se contenir et brisa la volonté de Zejabel.
- Tu ne peux m'arrêter Zejabel...
Le Néhantiste claudiqua jusqu'à la tombe et entreprit de découvrir le corps de sa femme. Il ne fallut pas longtemps avant que la dépouille ne soit visible. Il ne restait pas grand chose d'elle, mais par un étrange procédé la chair était encore là, flétrie bien sur, mais présente. Le nécromancien passa sa main sur le visage mort et se dessina alors comme un sourire, provoqué par la satisfaction des retrouvailles et la perspective d'être de nouveaux réunis. La magie de Néhant opéra et le corps se secoua de spasmes violents.
- Reviens ma chère et tendre Almaria, reviens, regarde qui je t'amène, notre petite fille.
La main du cadavre se mit à trembler, puis les doigts se crispèrent sur le bras de Zejabel. Ce dernier l'aida à se relever, les os craquaient, trop longtemps restés dans l'immobilité de la mort. Le zombie sembla regarder cette petite fille puis en boitant s'avança jusqu'à elle avant de passer sa main sur sa joue.
- Elle est... ma...gnifique... dit le zombie d'une voix féminine terriblement torturée.
« Même à travers la mort sa volonté est forte, ce n'est pas qu'un simple cadavre ambulant, Almaria est là, je peux la faire revenir si tel est ton souhait. » Cette voix qui s'adressait à lui, est-ce qu'il l'imaginait ? Une nouvelle personnalité naissait-elle en lui ? La réponse était non, il ne l'imaginait pas car une forme de femme apparut, tel un fantôme.
- Alors le veux-tu ?
- Qui êtes-vous ?
- Le veux-tu ?
- Oui, je veux qu'elle soit elle-même.
La forme fantomatique vola jusqu'à Almaria et passa à plusieurs reprises au travers d'elle. Le zombie s'agita alors que la magie opérait. Peu à peu Almaria reprit un aspect plus vivant, ses chairs se reconstituèrent, ses cheveux s'allongèrent et devinrent blancs, tout comme ses yeux. Le plus remarquable furent ses doigts qui s'allongèrent pour devenir comme des griffes, les mains couvertes de sang. Puis le fantôme disparut sans que Zejabel n'ait obtenu de réponse au sujet de son identité. Ceci dit il s'en moquait pour le moment car seul importait le résultat, Almaria était de retour, il avait enfin sa famille avec lui. La femme à la peau d'une extrême pâleur prit dans ses bras la petite fille zombie et dans un simulacre de maternité l'embrassa comme s'il s'agissait de sa propre progéniture. Zejabel, satisfait de cette résurrection providentielle se remit en marche en direction de son ancien manoir. La troupe emprunta alors la galerie dans la paroi jusqu'aux jardins en partie détruits lors de l'attaque des Combattants de Zil.
- Quelqu'un arrive ! Chuchota énergiquement Anagramme en écoutant par l'ouverture dans les jardins du manoir.
- Je n'entends rien, dit Azaram. Mais soyons prudents, reculons-nous.
Les deux Néhantistes allèrent un peu plus loin, cachés derrière deux statues démolies. A peine une minute plus tard un homme apparut dans l'encadrure, le pas hésitant il s'arrêta le temps d'être rejoint par un autre, puis Zejabel arriva avec Almaria et leur petite protégée. Anagramme avait passé beaucoup de temps avec Dimizar, suffisamment pour le reconnaître même dans un état proche du cadavre ambulant qu'il était devenu. La jeune femme fut à la fois contente de le voir et à la fois craignit le grabuge. Elle hésita puis prenant son courage sortit de sa cachette pour aller à la rencontre des arrivants. Zejabel la reconnut et retint ses zombies.
- Dimizar ? On te croyait mort !
- Mort ? Je le suis oui, Dimizar est mort d'une certaine façon, je suis désormais Zejabel, affranchi du joug de Néhant, dit le nécromancien en avançant vers le manoir.
L'annonce était claire, la scission consommée, mais il ne fallait pas pour le moment jeter de l'huile sur le feu. D'ailleurs en parlant de feu, celui qui avait ravagé le manoir n'y était pas allé de main morte. Les flammes avaient ravagé une bonne moitié de l'édifice et l'autre moitié s'était en partie écroulé, le toit ayant décidé de descendre d'un étage.
Amidaraxar, Ombreuse et les autres démons qui entre temps les avaient rejoints virent arriver la troupe de non-morts avec appréhension, jusqu'à ce que le leader soit identifié. A partir de là tout ce petit monde se retrouva devant la grande entrée du manoir où il ne restait plus qu'un morceau de bois sur les gonds.
- Dimizar, où étais-tu passé ? Le maître...
Mais Amidaraxar n'eut pas le temps de finir sa phrase que la rage se saisit du nécromancien.
- Que le maître QUOI ?? Je suis mon seul maître à présent, Néhant m'a laissé tomber trop de fois pour que je puisse encore l’appeler maître !
- Pourtant c'est ce qu'il est, ton maître, dit calmement Amidaraxar.
- Ne nous disputons pas, intervint Ombreuse, nous sommes trop affaiblis pour que nous nous retournions les uns contre les autres.
- Je ne suis plus des vôtres, je suis désormais ma propre voie, j'ai poussé la magie de Néhant à son paroxysme.
- Comment as-tu fait Dimizar ? Questionna Amidaraxar en comprenant que toutes les personnes qui l'accompagnaient étaient mortes.
- Cesse de m’appeler ainsi, je suis Zejabel, tu sais celui que tu dénigrais autrefois car jugé trop passif. Aujourd'hui j'ai réussi, mon plan a fonctionné et je suis libéré de mes chaînes.
- Que comptes-tu faire Di... Zejabel ? Demanda Ombreuse. Veux-tu nous aider ?
- Vous aider ? Vous vous êtes mis seuls dans cette situation, où est donc votre Maître ?
- Dragon nous l'a enlevé, par une porte magique, nous comptions justement trouver ici des informations à ce sujet.
Zejabel avait là un atout dans sa main, il aurait eu du mal à se défaire de ces gêneurs si jamais ceux-ci décidaient de le détruire et de détruire ses créations. Aussi joua-t-il la carte de l’apaisement, poussé par l'avidité. Il laissa donc Ombreuse et Amidaraxar lui expliquer tout ce qu'il s'était passé. La libération de Néhant, la possession de Ciramor, la grande bataille contre l'avatar de Sol'ra et sa défaite, puis l'arrivée de Dragon et la disparition de Néhant. Zejabel vit là de nombreuses opportunités.
- Mais il ne reste plus rien de ta bibliothèque, tout est parti en fumée.
- Tout mon savoir n'est pas perdu, je détiens les clés pour faire revenir Néhant. Mais avant cela il va me falloir une composante majeure, indispensable pour réaliser ce que je veux faire. Ramenez-moi l'héritier d'Eredan, ramenez-moi Ciramor.
Chapitre 16 : Le Grand Concile
Déjà le bruit emplissait le bâtiment. Les discussions allaient bon train parmi toutes les personnes présentes en ce jour historique. Le Conseiller-Doyen Vérace réajustait sa tenue et soufflait devant cette porte qui le menait à l'abattoir.
- Allez mon vieux, tout va se jouer maintenant.
D’un main molle il tira la poignée de la porte et immédiatement la chaleur lui frappa le visage comme une claque. Il s’engouffra alors par l’encadrure de la porte dans l’hémicycle du grand Concile. La salle était comble, même les trois escaliers qui desservaient les différents étages de l'amphithéâtre étaient occupés. Les Conseillers formaient la première ligne, puis derrière les différents représentants de guildes et autres curieux venus assister à cet évènement. Vérace prit place derrière son pupitre, légèrement surélevé sur la grande scène au parquet de chêne. Devant l’indiscipline générale Vérace fit parler son bâton de cérémonie en frappant à trois reprises. Le son se propagea et eut l’effet escompté, le silence se fit alors. Tous les yeux se figèrent alors en direction du Conseiller-Doyen. Celui-ci avait déjà vu Kaketsu faire autrefois, il espérait tant être à la hauteur de sa fonction.
- Votre attention je vous prie, votre attention ! Je déclare à présent ce Concile ouvert et je vous en rappelle l’ordre du jour. En premier lieu nous allons faire un récapitulatif de ce qu’il s’est passé au sein du Conseil des guildes, puis la parole sera donnée aux différents intervenants. Je vous remercie par avance de bien vouloir respecter le silence et de ne pas couper la parole.
Devant les regards approbateurs, Vérace continua sa prose.
- Concernant le Conseil des guildes, cette année a été pour l’organisation une épreuve de passage. Comme vous devez le savoir le Conseil a été la cible d’un complot Néhantiste visant a s’en emparer par le biais de conseillers manipulés. Mais grâce aux efforts conjugués des guildes le pire a été évité. Nous avons hélas déploré la perte de plusieurs conseillers et à la fin de cette histoire et du départ du Conseiller-Doyen Kaketsu, la moitié du Conseil a disparu. Aussi nous avons depuis de nouveaux Conseillers : Abyssien, Marlok, Sevylath, Maître Maen, et Myrie d’Avalonie.
Des applaudissements eurent lieu pour saluer et donner du courage aux conseillers.
- Depuis le Conseil a eu à cœur d’organiser l’offensive contre les Néhantistes. Nous avons mené les investigations nécessaires et découvert nombre d’informations qui ont été utiles dans ce dossier. Pour connaître les détails vous pouvez vous reporter aux archives publiques du Conseil. Nous sommes cependant en mesure d’assurer une meilleure sécurité des peuples des terres de Guem et ceci grâce aux guildes. Ce qui nous rappelle l’utilité de ces dernières et du Conseil. A présent passons aux questions au Conseil.
Vérace lista les noms des personnes qui souhaitaient interpeller le Conseil sur un sujet ou un autre.
- Le Conseil appelle le seigneur Galmara.
L’homme bien connu du Conseil avança de manière à ce que tous puissent le voir. Étincelant dans ses atours rouges et noirs.
- Merci Conseiller-Doyen. Ma question concerne les finances du Conseil. Il est inscrit dans la demande de cotisation aux guildes des sommes démesurées demandées pour l’année future. Comment le Conseil justifie-t-il une pareille demande ?
Le conseiller Chantelain, en charge des finances se leva pour monter sur la scène afin de répondre au mieux à cette question.
- Seigneur Galmara, le Conseil des guildes demande plus parce qu’il fait plus tout simplement. Jamais depuis sa création l’organisation n’avait connu semblable activité. Nous avons tissé un réseau à entretenir, entreprit la rénovation du château et engagé une brigade de scribes et de bibliothécaires afin d’entreprendre une réforme de nos archives. Cela améliorera notre efficacité.
- N’avez vous point d’autres manières de trouver les sommes nécessaires ? Outre le Conseil, la plupart des guildes, comme les Envoyés de Noz’Dingard ou les Nomades du désert ont payé un lourd tribut. Leur demander de contribuer plus peut leur être fatal, ajouta Galmara souhaitant amener Chantelain à aborder un point particulier.
- Je comprends bien, mais ce qui profite au Conseil profite aux guildes. Si le Conseil pouvait aller chercher cet argent ailleurs, il le ferait.
- Pouvons-nous nous permettre ? Coupa quelqu’un dans l’assistance.
Une personne noyée parmi d’autres leva la main à l’attention de Vérace.
- Si le seigneur Galmara et le conseiller Chantelain veulent laisser la parole.
Les deux hommes firent oui de la tête. A ce moment là avança un homme à l’allure extraordinairement... voyante. Pas vraiment grand il était engoncé dans une perruque aux boucles chatoyantes. Sa tenue aussi avait de quoi surprendre par la richesse extérieure qui s’en dégageait : manteau brodé d’or, vêtements faits de la soie la plus belle, bijoux. Tout en lui était élégance et raffinement. Tenant un mouchoir au niveau de son nez pour éviter les mauvaises odeurs des quidams il se faufila jusqu’à la scène.
- Excusez-nous, excusez-nous, dit-il en faisant une courbette. Qu’il vous soit remercié d’accorder au Marquis de s’exprimer ici devant tous. Le Marquis viens présentement des Îles Blanches et il a en cela des nouvelles à vous donner. Aussi le moment nous semble tout à fait propice à ce que notre humble personne offre le présent que nous sommes venu offrir.
Le Marquis agita son mouchoir et deux hommes habillés comme des pirates mais avec des perruques portèrent un gros coffre jusqu’à la scène.
- Voici l’annonce que le Marquis a à faire. Dit-il en même temps que ses serviteurs ouvraient le coffre. Qu’il soit porté au Conseil des guildes la victoire des pirates menés par Al la Triste contre le gouvernement de Bramamir. A présent nommée Amiral elle fait don au Conseil une infime partie des trésors soutirés aux très maléfiques gouvernementaux. Ainsi la guilde menée par Al la Triste espère pouvoir fournir, par ce geste désintéressé, de quoi contribuer au bon fonctionnement du Conseil des Guildes.
Les yeux des spectateurs brillaient, il y avait là un véritable trésor. Les conseillers s’étaient levés et discutaient entre eux de cet acte, au combien politique et magistral.
- Je dois lui reconnaître une habileté pour la dramaturgie, dit Marlok.
- Manœuvre politique intéressante, Vérace ne pourra pas refuser un tel présent, ce qui permettra aux pirates de légitimer leur coup d’état, affirma Abyssien.
Sevylath resta assit, il n’accordait aucune importance à ce genre de coup politique. Aussi il se contenta d’observer les réactions des autres, surtout du Conseiller-Doyen. Celui-ci frappa le sol avec le bout de son bâton pour ramener l’ordre. Hélas cela ne sembla pas calmer les ardeurs de certains aussi insista-t-il.
- SILENCE !! SILENCE !! La séance est suspendue pour régler cette affaire et remettre de l’ordre. Rendez-vous demain matin !!
Puis s’adressant aux conseillers :
- Je vous attends pour réunion extraordinaire, dans mon bureau.
- Et bien, pour ton premier Concile, on ne peux pas dire que l’on s’ennuie, comme avec Kaketsu, plaisanta Chantelain.
Mais Vérace n’avait pas le cœur à rire. Installés dans le grand salon des appartements du Conseiller-Doyen ils attendaient la réaction de leur meneur.
- Je ne me vanterai pas d’un tel Concile. Dit-il avec une pointe de colère. J’aimerais que chacun réfléchisse à l’offre du Marquis, il nous faut peser le pour et le contre avant de donner une réponse officielle.
- Peut être devrions-nous interroger le seigneur Galmara, proposa Marlok. D’après le conseiller Abyssien cela serait un coup monté dans le but de faire un coup d’éclat au cours du Concile.
- Damoiselle Myrie, qu’en dites-vous ? Questionna Vérace.
- Je confirme la crainte de mes éminents confrères, ceci est à coup sur un coup d’éclat. Arriver ainsi, questionner à propos des finances, puis dans le même temps un homme arrive pour proposer une solution au problème. Ce n’est pas une coïncidence.
- Cela est-il... illégal ? Demanda Sevylath.
- Non, il n’y a rien d’illégal, dit Argalinard, le spécialiste en droit du Conseil et des Guildes. Une guilde peut tout à fait aider le conseil par un don, alors que le prêt, lui, est proscrit.
- Mais cette manœuvre, certes légale n’en reste pas moins un coup bas. Je comptais aborder les actes des pirates d’Al la Triste, déclara Marlok.
- Nous ne pouvons pas refuser une telle somme. Si nous l’acceptons, nous allégeons les charges sur les guildes. Déclara Chantelain.
Le conseiller, nouveau dirigeant des Traquemages prêchait pour sa paroisse. En effet si il y avait une augmentation du budget c’était en partie pour officieusement financer l’organisation Traquemage. Mais cela il ne pouvait pas le révéler devant les autres conseillers ignorant cet état de fait.
- Et ainsi créer un sorte de dette envers les autres guildes ? Les pirates vont en profiter et en tirer un avantage certain, ajouta Marlok agacé par cette affaire. N’avez-vous pas l’impression qu’Al la Triste essaye d’acheter le Conseil afin de se protéger ?
- Oui messire Marlok, c’est le cas, j’ai cette impression aussi, mais faisons confiance au Conseil pour qu’il reste en dehors des influences des guildes. Du moins de cette influence là, dit Myrie en gratifiant l’assistance d’un sourire ravageur.
- Ce n’est pas la première fois que le Conseil reçoit un don, ce fut le cas à maintes reprises par le passé. Verace, ne vous posez pas plus de questions, acceptez cet argent, remerciez officiellement Al la Triste et passons à autre chose, dit le Conseiller Nadur avec fermeté. Je vous accorde que c’est plutôt spectaculaire, très peu conventionnel et politique, mais c’est la façon de faire des pirates... croyez-moi. Cessons donc de tourner autour du pot, si vous n'appréciez pas ce petit jeu je ne peux que vous recommander de rencontrer le seigneur Galmara et le Marquis pour leur faire part de vos griefs.
Nadur était avec Vérace le plus ancien membre du Conseil. D’habitude peu loquace, la situation l’agaçait au plus haut point, préférant les résolutions rapides des conflits plutôt que de longs débats. Aussi l’assemblée fut-elle surprise de cette prise de parole.
- Bon... Effectivement, on ne va pas tergiverser plus longtemps. Merci pour vos divers avis, je vais trancher la question rapidement et recevoir le seigneur Galmara et le Marquis. Nous nous revoyons demain pour la reprise du Concile dans de meilleures dispositions.
Le soir même Galmara et le Marquis étaient reçus par le Conseiller-Doyen, chez lui.
- Asseyez-vous messieurs, asseyez-vous, demanda Verace en montrant les larges fauteuils où tant d’illustres personnes s’étaient déjà installées.
Lui-même se vautra dans son vieux fauteuil, un meuble qui avait traversé les âges sans en sentir les effets. Une servante du Conseil servit une collation aux personnes présentes dans de grands gobelets de cristal. Puis Vérace leva son verre en direction de ses invités.
- Buvons en l’honneur de l’Amiral Al la Triste et du don généreux qui est fait au Conseil des guildes.
Galmara et le Marquis se regardèrent l’un l’autre puis se sourirent, un échange qui en disait long sur la connivence des deux hommes dans cette affaire. Les deux courtisans trinquèrent de bon cœur avec leur hôte. Vérace ne s’était pas moqué d’eux car la boisson servie étaient réservée à de grandes occasions et valait une petite fortune.
- Marquis, faites part à Al la Triste que le Conseil des guildes la remercie et qu’une délégation viendra a Bramamir la saluer et lui présenter ses respects, ce qui est me semble-t-il la moindre des choses.
Oui c’était la moindre des choses, mais cela n’arrangeait pas le Marquis qui aurait préféré que le Conseil se tienne à l’écart des Îles Blanches.
- Allons allons ! Conseiller-Doyen, il est tout à fait hors de question de déranger les membres du Conseil pour si peu ! Il est tout à fait normal que les guildes participent à la vie de l’organe dirigeant, intervint le Marquis. Le Marquis se chargera de transmettre vos remerciements à la noble Al la Triste !
Vérace avait fait mouche, c’était donc cela qu’essayait d’acheter Al la Triste, l’éloignement vis à vis des Îles Blanches.
- J’insiste, cela fait partie de l’étiquette et des règles du Conseil des guildes. Cette affaire est entendue, je pense que j’irai en personne saluer Al.
Le Marquis n’en parut pas, mais il était déstabilisé, le jeu revenait à l’équilibre et Vérace s’avérait un adversaire tout à fait à sa hauteur.
- Cela n’est que trop d’honneur Conseiller-Doyen, si tel est votre désir il est de notre devoir de vous satisfaire.
- Dites moi Conseiller-Doyen, pourquoi m’avoir fait venir au fait, demanda Galmara intrigué.
- Vous faites bien d’amener ceci sur la table, j’allais de toute manière aborder le sujet. Voyez-vous je suis dans le milieu de la politique depuis plus de vingt ans maintenant, j’ai suivi les enseignements de grands maîtres en la manière. Je peux me targuer de repérer les manœuvres politiques lorsque j’en vois. Si j’apprécie le don fait au Conseil, en revanche j'apprécie moins le coup monté et encore moins le fait d’avoir du suspendre le Concile pour ça. Aussi pour le bon déroulement de futures séances auxquelles vous pourriez participer et pour votre propre bien je vous suggère d’éviter ce genre de manipulations. Comprenez que cela vous dessert fortement aux yeux du Conseil. Je préférerais que vous vous amusiez à contrer nos détracteurs plutôt que vous adonner à la fanfaronnade. A l’occasion je vous suggère de relire les règles du Conseil des guildes à propos des dons qui lui sont faits. Ne vous méprenez pas, le geste est beau, intéressé, mais beau.
Galmara se retrouva le bec dans l’eau, mais c’était le jeu et en fin de compte peu importait le moyen tant que le résultat escompté était là. Mais l’avertissement avait été entendu, de lui comme du Marquis. Le lendemain le Concile reprit, sans qu’aucun imprévu ne vienne le perturber.
Chapitre 17 - Imprévu
Rarement la demeure du Corbeau n’avait accueilli autant de personnes en son sein. La quasi totalité de la Kotoba avait investi les lieux et tous les groupuscules qui la composaient discutaient du sujet brûlant du moment : les Karukaï. Et plus précisément d’un, le seul restant encore sur la liste noire de l’empire de Xzia, le très antipathique, mais néanmoins puissant Yakoushou. Le Corbeau ne pouvait définitivement pas laisser son secret s’éventer et mettre en péril la famille Kage, aussi il prit les devants de cette affaire et convia tout le monde à s'asseoir. Gakyusha prit place à côté de lui et de Toran.
- Merci au Seigneur Daijin de nous recevoir chez lui, nous vous honorons pour votre hospitalité, dit Gakyusha en introduction.
- La maison du clan du Corbeau est toujours ouverte pour la main de l’Empereur. Quelqu’un veut-il prendre la parole ?
Toran sauta sur l’occasion.
- Seigneur Daijin, honorables membres de la Kotoba, je dois m’avouer un peu perdu. L’ordre Tsoutaï est-il à ce point si mésestimé qu’on ne fait pas appel à lui alors que l’Empire est attaqué par des esprits ? Pourtant n’est-ce pas nous qui nous battions aux côtés de l’Onabunda autrefois ? Hors, depuis l’intervention du fantôme du premier Empereur, nous n’avons eu aucune nouvelle. Pire, c’est par le biais d’une invasion d’esprits-oiseaux, venus jusqu’ici que l’Ordre se retrouve impliqué.” Puis, se tournant vers Daijin, “Ne fais-je pas non plus partie du clan du Corbeau ?”
Le coup de semonce ébranla l’assemblée. Toran était mécontent et visiblement le Seigneur Impérial avait fait défaut dans son rôle de coordinateur. La faute en revenait principalement aux chasseurs de démons et à Daijin. Il fallait un coupable pour cette défaillance d'organisation. Toran s’était adressé à Daijin. Aussi une fois Toran retourné à sa place, c’est lui qui poursuivit la discussion.
- Effectivement maître Toran, nous pensions pouvoir stopper par nous-même les Karukaï. Il ne semblait pas utile de mobiliser tout le monde suite à nos diverses victoires.
A ce moment-là, Daijin déroula un parchemin et annonça les diverses nouvelles.
- Zatochi a retrouvé plusieurs ancêtres et avec leur aide ont renvoyé Yesou le mangeur. Kyoshiro et Okooni sont parvenus à détruire Oogon le passeur et ses serviteurs. Iro le champion impérial et le maître traqueur Tsuro ont capturé Onoba, que nous avons renvoyé par la suite. Et récemment nous avons repoussé Yakoushou le maître des esprits-oiseaux. Vous voyez Maître Toran avec autant de victoires il était inutile de vous déranger dans la formation de vos élèves.
Néanmoins, malgré les arguments, cela n’empêchait pas Gakyusha de se sentir à la fois responsable et déçu de ce problème de concertation et d’entraide. Aussi, il se devait de remettre en place son autorité. Aussi se leva-t-il pour que tout le monde le voit bien.
- Seigneur Daijin, quand l’Empereur vous demande de travailler avec la Kotoba, il serait bien que cela soit le cas. Nous sommes tous à bord de la même pagode et, telle que je la vois, celle-ci prend l’eau. D’un côté, certains écopent et tentent de remettre la barque à flot, d’autres ne font rien et quand les derniers partent sur une autre embarcation. Ceci m’est intolérable ! Maître Toran, veuillez accepter mes plus humbles excuses pour tout ceci, dit-il en s’inclinant devant le Tsoutaï. Ceci ne se reproduira plus. Jamais la Kotoba n’avait eu autant de membres, aussi je compte sur chacun pour jouer son rôle au mieux. La prochaine fois qu’une telle affaire se reproduit, des têtes tomberons.
Puis, laissant tout le monde réfléchir à ses parole, Gakyusha se rassit.
- J’accepte vos excuses... mon ami, dit Toran avec un regard amical. L’important est à présent de clore cette histoire. Voilà presque six mois que cela dure et le monde a besoin de la Kotoba. Dragon est parti, emportant Néhant avec lui, et l’instabilité politique qui en découle ébranle les terres de Guem. Un problème à la fois, mais en priorité les Karukaï. Seigneur Daijin, savez-vous où peut se cacher Yakoushou ?
- Je vous dirais... n’importe où. Mais il est probable qu’il se cache sur les hauteurs. Peut-être même a-t-il passé la frontière entre le monde des esprits et le nôtre, emportant ses nombreux serviteurs avec lui. Puis...
C’est alors qu’un homme passa la grande porte. Par rapport aux Xziarites, il avait une, voire deux têtes de plus et une carrure impressionnante. Sa peau noire indiquait qu’il n’était pas originaire de l’Empire, mais plus probablement du lointain Désert d’émeraude. Pourtant, sa tenue était tout à fait accordée à celles des autres personnes présentes. Il balaya du regard les différents protagonistes et se dirigea droit vers le Seigneur Impérial. Une fois devant lui, il se prosterna comme le voulait l’étiquette.
- Seigneur Impérial, je suis porteur de nouvelles de la province de Maoling. Je pense que cela vous intéressera.
- Parlez maître Mà.
Mà se releva, restant alors sur ses genoux.
- Des villageois de Maoling ont rapporté aux soldats en faction sur place un étrange évènement. Au pied des falaises du Tsang, gisent une vingtaine d’oiseaux, morts sans qu’aucune justification ne soit possible.
- Et qu’est-ce que cela a de si extraordinaire que vous veniez interrompre notre réunion ?, questionna Yu ling.
- Je suis moi-même en charge de cette province, j’ai donc vu de mes propres yeux ces oiseaux morts. Ce qu’il y a d’extraordinaire c'est leur taille et leur variété. Corneilles, Corbeaux et autres, tous deux à trois fois plus gros qu’à l’accoutumée.
- Yakoushou !, lâcha Daijin. Il est à Maoling !
- Mais pourquoi tuerait-il ses propres serviteurs ? Cela n’est pas logique, déclara Toran.
- Vous avez raison, c’est assez incompréhensible, ajouta Daijin qui partageait ce point de vue.
- C’est peut être un piège, affirma Tsuro. Yakoushou nous attire là-bas et nous tombe dessus.
- Peut-être bien. Aussi n’allons nous pas tous y aller, décida Gakyusha. Iro, Asajiro, Yu ling, Xianren et Kotori Kage, vous partez sur place avec maître Mà. Soyez prudents, tenez-nous informés de ce que vous trouverez sur place. N’entreprenez rien sans mon accord.
Le Tsang était le deuxième plus gros fleuve de l’empire de Xzia, descendant du nord lointain, se frayant un chemin par une vallée de plusieurs dizaines de lieues. Il creusait un large sillon dans la massive falaise par une chute d’eau vertigineuse. Puis, passait à Meragi la capitale avant de mourir en plusieurs bras dans l’océan.
Maoling était une petite contrée à une journée de marche de Meragi. La région vivait de la production de riz dont la culture était favorisée par le Tsang. Des dizaines de rigoles acheminaient l’eau jusqu’à divers grands bassins où les villageois se fatiguaient à la tâche. Voyant passer les illustres guerriers de la Kotoba, les villageois se retrouvèrent vite agglutinés à Maître Mà et ses compagnons. Puis, sans perdre plus de temps le guerrier à la peau noire renvoya tout ce petit monde au travail avant de mener la troupe sur le lieu où se trouvaient les oiseaux morts. L’odeur de décomposition indiqua à l’avance l’arrivée sur place. C’était le long de la falaise même, tout portait à croire que les volatiles s’étaient posés sur la végétation émergeant de la paroi rocheuse. Kotori grimpa pour inspecter plus en hauteur alors que Yu ling inspectait les cadavres.
- Ils n’ont pas l’air d’avoir subi de blessure physique. Vu leur état on ne peut pas présager d’une quelconque maladie. Je n’aime pas ça, si ce n’est ni par le fer, ni par la maladie, c’est que cela révèle du surnaturel. Que dit votre Cherchefaille, Xianren ?
L’esprit du Tsoutaï, à l’aspect de panda roux ne semblait pas particulièrement inquiété de quoi que ce soit.
- Apparemment... pas grand chose, répliqua-t-il.
- J’ai trouvé quelque chose !, cria Kotori arrivé au sommet de la haute falaise, venez voir ça !
Une fois en haut, le spectacle était pour le moins surprenant. Si au pied de la falaise il n’y avait qu’une dizaine d’oiseaux environ, en haut il y en avait une bonne trentaine, gisant eux aussi morts. Il y avait comme un tapis de plumes et de corps... à l’exception d’un endroit, au beau milieu du charnier. Là, pas la moindre plume, juste la roche et quelques arbres. Cela aurait pu être une coïncidence si ce “trou” n’avait été strictement circulaire.
- Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ici, mais on dirait bien que Yakoushou a eu des ennuis, dit Iro en tirant Kusanagi de sa ceinture.
Chapitre 18 - Retour à Noz'Dingard
La marche fut longue jusqu’à Noz’Dingard. La victoire était certes acquise, mais elle le fut dans la douleur, les larmes et le sang. Les grandes barges de cristal créées magiquement ramenaient les nombreux défunts vers leur dernière demeure, glissant lentement sur la route pavée menant à la capitale. Déjà les hautes tours volantes perçant le ciel accueillaient les soldats alors que les habitants de la cité affluaient de partout. Kounok entra le premier, en tête de la petite cohorte, suivi immédiatement par Zahal et les autres chefs des différents corps de l’armée Draconienne. Aucun d’eux n’avait le cœur à faire la fête mais Prophète se devait de saluer cette foule impressionnante venue les couvrir d’un honneur gagné sur le champs de bataille. Le peuple avait-il compris l’impact qu’aurait la disparition de Dragon sur l’avenir de leur nation ? La question n’échappa pas aux principales personnalités occupants des places stratégiques en Draconie.
La file progressa lentement le long de l’avenue menant au quartier des liés. Anryéna attendait patiemment devant la porte de cristal bleu à double battant, elle se devait d’être là pour accueillir les héros et pleurer les morts. Elle ne retint plus ses larmes lorsque le visage aux traits tirés de son fils lui apparut. Sautant de cheval Prophète parcourut le reste de la distance à pied avant de serrer fort sa mère dans ses bras, faisant fi du protocole.
- J’ai le cœur fendu mon fils, mais je suis tellement heureuse de te revoir en vie, dit-elle la joue contre la poitrine de Kounok.
- Mère, mon cœur est aussi fendu, tant de braves sont morts... Va... Valentin.
- Je sais cela, coupa-t-elle en relâchant son étreinte et séchant ses larmes. La Draconie pleurera ses héros comme il se doit. Mais avant cela renvoie tes soldats dans leurs foyers, qu’ils se reposent.
Naya, dirigeante de la caste des Sorcelames, le Maître-Mage Marzhin et son fils Pilkim, Ardrakar, Aerouant... ils étaient tous épuisés, aussi lorsque Prophète ordonna le renvoi au foyer chacun fut soulagé. Les au-revoir furent amicaux et promettaient d’un temps nouveau. Les soldats se mêlèrent à la foule recevant les accolades des hommes et les baisers des femmes, libérés de plusieurs menaces.
Ardrakar, enveloppée dans un simple drap regardait Noz’Dingard du balcon des appartements de son époux au palais. Cette vie qui était la sienne jusque-là, mouvementée, dure, avait prit une tournure qu’elle n’avait pas prévue. Elle sourit lorsqu’elle songea à l’avenir, passant sa main sur son bas-ventre, elle jugea le moment idéal.
- Kounok, dit-elle de manière à se faire entendre. Si nous avions un enfant, quel nom porterait-il, demanda-t-elle ?
Prophète fut surpris par la question, alors allongé sur le lit il se redressa d’un coup.
- Que... quoi ?
- Je ne croyais pas cela possible, dit-elle en se retournant vers lui, ses cheveux châtains détachés flottant au vent. Je crois que nous allons être parents dans quelques mois, annonça-t-elle, craignant la réaction de Kounok.
Ce dernier resta bouche bée, l’air un peu idiot, puis bondit du lit pour enlacer son épouse avec la plus grande tendresse.
- Quel nom pourrions nous bien choisir ? Ceili si c’est une fille et Krenv si c’est un garçon ? Chuchota Kounok.
- Ce sont de beaux noms.
- Je l'annoncerai à mère après les funérailles. Je pense que ça lui mettra un peu de baume au cœur après la perte de son père, et je sais de quoi je parle.
Ce jour là, la pluie battait les flancs des maisons et des tours de Noz’Dingard, contribuant ainsi à l’ambiance morose. Depuis la veille les familles endeuillées parcouraient les allées bordées de cristaux du funérarium. Le Chevalier-Dragon semblait paisiblement dormir dans son cercueil de verre, pourtant il ne foulerait plus la Draconie, ne parlerait plus avec Zahal pour lui prodiguer ses conseils. C’était un homme d’une grande discrétion, vivant simplement aux côtés d’une femme qu’il chérissait et avec qui il avait eu deux enfants, des jumeaux. La femme éplorée se tenait en avant, face au cercueil, elle écouta d’une oreille distraite les paroles de Prophète, comme le devait la tradition de l’ordre des Chevaliers-Dragon. Puis une fois fini elle se retourna vers Zahal et plongea son regard dans celui du chevalier. Il avait vu la main se lever et arriver sur sa joue, mais il laissa le geste se finir, il pensait amplement le mériter. Puis la colère laissa place à la tristesse et elle embrassa sur chaque joue le chevalier qui pleurait, avant de laisser là les puissants de ce monde.
- J’ai mérité cette haine, dit Zahal à l’attention de Kounok, je n’ai pas protégé Valentin, tout comme je n’ai pas protégé Ketanir.
- Allons, tes états d’âme t’honorent, mais Valentin était un chevalier de Dragon, il n’avait pas à être protégé, encore moins par toi. Sa vie fut longue et pleine d’aventures, la peine s’effacera avec le temps, nous lui ferons une cérémonie au temple d’Ehxien demain.
Une par une les personnalités quittèrent les lieux laissant le Chevalier-Dragon seul face à son ancien maître.
- Au revoir mon ami, tu m’as tout appris, à mon tour je passerai le flambeau comme tu l’as fait avec moi il n’y a pas si longtemps.
Zahal posa la main sur le cercueil de cristal, il espérait tant que cela ne soit pas vrai, que cela ne soit qu’un mauvais rêve dont il pourrait s'échapper bientôt. Mais l’eau et les larmes sur son visage lui rappelaient la triste réalité de ce monde brisé.
- Qui sont ces enfants ? Demanda Ardrakar intriguée à Arkalon venu spécialement de l’Empire de Xzia pour le dernier adieu à Valentin.
- Valentin avait une famille, une femme certes, mais aussi deux enfants, des faux jumeaux.
Les enfants se tenaient droits impressionnés qu’ils étaient de voir le temple d’Ehxien, leur mère discutait depuis une bonne demi-heure avec Zahal et visiblement la conversation était animée. Depuis la veille le Chevalier-Dragon cherchait un potentiel apprenti à qui il pourrait enseigner tout se qu’il savait. Hors durant son enquête rapide il tomba vite sur un fait peu ordinaire. Une femme se serait faite agresser dans un quartier extérieur de la cité et son salut serait venu de deux enfants déguisés, l’un en sorcelame, l’autre en Chevalier-Dragon. Ils auraient ainsi attiré l’attention de miliciens et permit l’arrestation des agresseurs. Cette histoire peu banale interpella d’autant plus Zahal lorsqu’il apprit le nom des héroïques jeunes gens : Nadarya et Absalon, respectivement fille et fils du chevalier dragon Valentin. Aussi Zahal s’escrimait de négocier auprès d’une mère peu encline à se retrouver seule et endeuillée.
- Il ne s’agit pas de vous priver d’eux, ils resterons à Noz’Dingard tant que leur formation durera, c’est à dire au moins cinq ans. Vous pourrez les voir quand vous voudrez, je ne pourrais jamais laisser ces enfants sans l’amour de leur mère. J’ai moi-même perdu mes parents très tôt.
- Je n’ai pas envie qu’Absalon devienne comme son père et meurre au combat, je veux qu’il ait une vie paisible loin des conflits.
- Et si il ne veut pas de cette vie ? Lui avez vous demandé ce qu’il désirait le plus au monde ?
Elle savait très bien se que voulait son fils, ressembler à son père et servir Dragon. Cela lui brisa le cœur une fois de plus, mais Zahal avait raison, elle devait les laisser partir et vivre leur vie, quelles qu’elles soient dans le futur.
- Je... Dit-elle en fixant ses enfants. D’accord, très bien, qu’ils suivent leurs propres voies. Qui va s’occuper de Nadarya ?
- L’ordre des Sorcelames va l’accueillir, Moîra sera sa préceptrice, vous n’avez aucune inquiétude à vous faire.
Puis un son cristallin se fit entendre, la cérémonie d’adieu au Chevalier-Dragon allait commencer.
Un mois plus tard l'entraînement d’Absalon battait son plein. Le jeune garçon s’avérait très appliqué avec une excellente discipline. La leçon du maniement d’épée allait bon train et était l’occasion d’un jeu entre le maître et son élève. L’un courait après l’autre dans les jardins du palais, dérangeant les rares personnes qui y cherchaient un peu de sérénité. Puis Prophète débarqua la mine soucieuse, coupant là l’entraînement.
- Zahal, j’aurais besoin de toi, enfin de vous, dit-il en regardant l’apprenti chevalier.
- Nous sommes à tes ordres Prophète.
- Depuis deux semaines les rapports du Seigneur-Dragon Anselme d’Arpienne ne nous parviennent plus, et aujourd’hui nous venons de recevoir un message de Moîra, le contenu est plus qu’explicite, incroyable et inédit. Le Seigneur-Dragon la chasse de sa cité et de ses terres, il déclarerait ne plus vouloir être sous le joug de Noz’Dingard.
- Moïra ? Et ma soeur ? Demanda Absalon inquiet.
- Elle va bien rassure toi. Moîra essaye de temporiser son départ et je veux que tu te rendes sur place pour tirer ça au clair.
- Anryéna ne peut pas intervenir ?
- Elle est très occupée par d’autres gros problèmes qui requièrent toute son attention. Je préfère éviter un affrontement direct en t’envoyant là bas.
- Nous partons sur le champ.
Chapitre 19 - Héroïsme
La Légion Runique encourageait son champion avec ardeur. En cercle autour des deux guerriers, la chaleur aidant, la hargne montait dans les rangs. Parmi eux Privus le gladiateur et ami d’Eilos se souvint des fabuleuses aventures du seigneur runique du temps où ils n’étaient que des jeunes gens épris d’évasion...
Le jeune Eilos tira de toutes ses forces sur le rocher bouchant en partie l’ouverture d’un passage d'une grotte qui traversait une petite montagne.
- T’y arrives ou quoi ? S’impatienta une forme de l’autre côté du rocher.
- Si tu m’aidais aussi, t’as des bras deux fois comme les miens ! Puis si t’étais pas si gros, tu passerais sans problème sans bouger la moindre caillasse.
La forme grommela un coup puis poussa fortement le rocher qui céda. La lumière vive frappa le minotaure qui se couvrit le visage.
- La prochaine fois on passe par ailleurs si tu veux bien, regarde ça, j’ai des écorchures partout.
- Tu ne fais que de te plaindre depuis que nous sommes partis, regarde où nous sommes et profite ! Nous sommes dans le repère du lion d’Atios, t’imagines un peu ?
- J’imagine bien, d’ailleurs tu devrais pas crier trop fort pour pas qu’on attire son attention.
- Il peut venir, je l’attends ! Dit Eilos d’un air de défi.
On ne peut pas dire qu’Atios était un endroit accueillant ou agréable. Proche des grands volcans du nord de Tantad rien ne poussait à part une herbe tenace semblable à un cactus, mais sans aiguille. Ici n’importe quel rocher pouvait trancher les chairs car naturellement affûtés. Les deux amis avancèrent en faisant attention à là où ils posaient leurs pieds. Puis au détour d’un tournant ils tombèrent nez à nez avec les restes d’une personne. A en juger par le peu de vêtements, c'était un soldat, à moitié mangé et dont il ne restait que les jambes et une partie du torse. L’odeur épouvantable stoppa la progression d’Eilos et Privus.
- Herk, quelle horreur, on dirait qu’il s’est fait... manger.
- C’est quoi déjà la légende ? Un lion à trois têtes aussi grand qu’une maison non ?
- Ouais.
- Genre... genre... hésita Privus.
- Genre quoi ? S’impatienta Eilos.
- GENRE CA !? Cria Privus et fuyant.
A ce moment là une tête de lion disproportionnée apparut, suivie par une deuxième et une troisième. Puis le corps, monstrueux aux griffes acérées. Eilos se tétanisa devant la bête. Sans la moindre arme il se trouvait face à deux choix : mourir dévoré par trois énormes gueules ou alors courir le plus vite possible vers le passage où le lion ne pourrait pas le suivre. Ni une ni deux il détala, se ressaisissant. Sa vie en jeu il n’osa pas regarder derrière lui, mais il était certain qu’il était suivi, il entendait les griffes s’agripper aux rochers et les souffles des trois têtes dans sa direction. Privus, plus grand et plus rapide avait pris la poudre d’escampette et attendait dans l’ouverture de la grotte. Il vit son ami immédiatement suivi du lion, son cœur battait la chamade, allait-il arriver jusque-là. Puis une première gueule claqua des mâchoires, ratant de peu leur cible. Eilos changea de stratégie et zigzagua entre les rochers pour déstabiliser le monstre.
Effectivement les têtes se génèrent dans leurs attaques et in extremis le Tantadien plongea par l’ouverture. Les deux amis ne restèrent pas là et repartirent comme ils étaient venus, la frayeur en plus.
- Waouh, c’était limite, dit Privus en s’étirant une fois sortie de l’autre côté du passage.
- Limite pour moi tu veux dire, sacrée bête.
Quelques années plus tard, dans le village où vivait Privus, Eilos achevait de mettre à terre un énième combattant. C’était déjà le dixième qu’il affrontait dans cette arène en piteux état. Il ne s’attendait pas à autant d’obstacles pour obtenir les faveurs des minotaures de cette région.
- Combien ! Combien dois-je encore affronter d’adversaires avant que vous ne me donniez la rune de Tavros !?? Cria-t-il à l’attention du Seigneur-Runique dirigeant de la bourgade.
Ce dernier se leva et de sa hauteur réclama le silence du public.
- Tu te montres fort, jeune Eilos, mais tu n’as affronté jusque-là que des freluquets d’humains, nous allons voir ce que tu vaux face à cet adversaire-là !
- Peu importe sa taille et sa force, je suis le Guerrier Runique Eilos et ma mission est sacrée, que les dieux me regardent et me jugent !!
La grande grille de métal grinça en s’ouvrant, une masse imposante en sortit. Bondissant de quelques mètres cet adversaire se planta devant Eilos et lui asséna une gifle qui le mit à terre. Le jeune homme fit un roulé-boulé pour se remettre debout. Ce minotaure avait une carrure très imposante, le visage caché derrière un large casque de métal d'où s'échappa une voix familière.
- Alors mon ami, je vois que tu as fait du chemin.
- P... Privus ?
Le minotaure abattit son cestus sur Eilos qui sauta en faisant une roulade.
- Et oui Privus, moi aussi j’ai roulé ma bosse depuis que nous nous sommes quittés. A présent je suis le champion de cette région, tu aurais du le savoir !
Effectivement Eilos l’ignorait, loin de se sentir coupable il fut content d’affronter un adversaire qu’il jugeait digne de lui. Il tira ses deux épées de leurs fourreaux et se mit en garde.
- Te met pas en travers de ma quête et nous resterons amis Privus.
- Pourquoi veux-tu la rune de Tavros ? Dit le minotaure tout en continuant l’affrontement.
- Pour tuer le lion d’Atios.
Malgré les cris d’encouragement du public le nom fit taire tout le monde et figea le combat. Le lion avait réussi à sortir de cette prison naturelle dans laquelle il se trouvait et ravageait la région voisine. Ne se sentant pas capable de défaire la bête Eilos supposait que la rune de Tavros le rendrait suffisamment fort.
Privus ne bougeait plus à présent, ce qui laissa une ouverture à Eilos qui s’engouffra devant cette garde baissée. Il sauta les deux pieds en avant et fit choir son ami. Le temps que celui-ci réalise il se retrouva avec deux lames sous la gorge.
- Je me rends, tu as gagné Eilos.
- Tu m’as laissé gagné, chuchota le Guerrier Runique, je te revaudrai ça.
Eilos rangea ses épées et s’approcha du seigneur runique pour réclamer son dû.
- Soit tu auras ce que tu demandes, mais prend garde lorsque tu feras appel à elle, c’est une rune puissante qui peut te rendre fort mais peut aussi te faire chuter.
Eilos salua la foule qui exulta de joie devant une telle victoire. Privus enleva son casque et salua à son tour les gens venus assister au spectacle.
- Il est là dans cette caverne, dit Eilos en se mettant torse nu. Si jamais ça tourne mal, rapporte mes armes à mon père.
- Tout ira bien mon ami, Tu portes la rune de Tavros sur ton dos.
- Je préfère envisager toutes les options, même les plus désastreuses. Bon j’y vais. Les dieux nous regardent et nous jugent.
- Les dieux nous regardent et nous jugent, répondit Privus, certain d’assister à une bataille titanesque.
Eilos s’avança en marchant le long de la large corniche donnant sur l’entrée de la caverne, il dégaina ses épées et appela la créature à trois têtes.
- Lion d’Atios, je suis le Guerrier Runique Eilos, je viens ici pour mettre fin au chaos que tu génères !!
L’écho répercuta les paroles d’Eilos, puis plusieurs cris retentirent, forts, puissants, tout comme la créature qui les émirent. Déjà repu par l’ingestion de plusieurs habitants de la région le lion d’Atios parcourut les quelques mètres en un rien de temps. Eilos crut qu’elle avait grossi depuis la dernière fois qu’il l’avait vu, mais en réalité c’était simplement parce qu’il lui faisait face pour la première fois. Il écarta les bras, serrant les poignées de ses armes et se répéta pour lui même “les dieux me regardent et me jugent” en boucle. Les runes sur les lames brillèrent intensément puis un dessin s’illumina, prenant tout le dos du guerrier. La rune de Tvaros représentait une tête de taureau stylisée. L’effet fut immédiat, ses bras tremblèrent tellement l’énergie qui l’envahissait était puissante.
Le combat qui s’en suivit restera dans les légendes parlant du Guerrier Runique Eilos qui combattit et vainquit le lion d’Atios grâce à sa bravoure et l’aide des dieux. Lorsque le jeune Eilos ramena, avec l’aide de son ami Privus, la dépouille au Cénacle, ils furent immédiatement honorés. Privus entra dans la Légion Runique et suivit son ami dans toutes ses autres et nombreuses aventures. Quant à Eilos, à partir de ce jour-là, il gagna le titre de Seigneur-Runique.
Les deux adversaires s’étaient longuement observés. Ni l’un ni l’autre ne connaissait l’étendu des facultés de l’autre. Nebsen bien que Sphinx de Ra ne prit pas le parti de sous-estimer son adversaire, au contraire. Eilos quant à lui n’avait pas la moindre once de peur dans son cœur, lui qui avait vaincu le lion d’Atios et d’autres créatures, la plupart bien plus terrifiantes que ce sphinx. L’enjeu était important, le Cénacle l’avait chargé de ramener ces cristaux tombés du ciel, hors ce sphinx connaissait un endroit regorgeant de ces cristaux. Mais il ne montrerait ce lieu que si quelqu’un arrivait à le battre en duel. Nebsen sentait que le guerrier qui lui faisait face n’était pas n’importe qui, cette aura que lui seul pouvait percevoir et ces runes flottant autour de lui et gravées sur ses armes avaient une origine divine.
Eilos passa à l’offensive, tentant en vain d’infliger des blessures au sphinx avec ses armes. Ce dernier préféra se mettre sur la défensive, esquivant les coups, se protégeant grâce à sa théurgie. Très vite la Légion Runique conspua le sphinx, le traitant de tous les noms devant cette fuite du combat. Eilos s'énerva très vite voyant qu’il ne parvenait pas à saisir son adversaire. Puis la situation s’inversa. Nebsen avait analysé les gestes d’Eilos et contre-attaqua à poings nus. Les coups n’avaient pas pour but de faire mal, mais de montrer à ces humains qu’il avait le dessus sur leur chef. L’homme recula jusqu’à Privus qui lui glissa dans l’oreille.
- Laisse tes lames, utilise tes poings et la rune de Tavros.
L’idée n’était pas mauvaise. Il rangea ses lames dans leurs fourreaux qu’il tendit ensuite à Privus. Puis il tira sur sa cape et ses vêtements pour s’en défaire. Sur son dos la rune de Tavros, la tête de taureau brilla de mille feux. Le combat reprit de plus belle, Nebsen surpris par la rapidité et surtout la force de l’humain reçut un magistral coup de poing en plein visage. Les hurlements des membres de la Légion Runique doublèrent d’intensité. Les coups échangés devinrent plus violents, les deux lutteurs étaient à présent totalement plongés dans ce combat. Nebsen avait un plan et jugea, au bout d’un moment, qu’il était temps de clore le spectacle. Il fit croire à Eilos qu’il était à bout et se laissa frapper pour lui indiquer qu’il avait l’ascendant. Prétendument à bout de souffle il fit signe à son adversaire.
- Tu es un grand guerrier, humain. Peu de personnes m’ont battu et je te félicite pour ça.
Eilos fut soulagé, il n’aurait pas continué ainsi bien longtemps. Privus et les autres runiques vinrent féliciter les duellistes pour leurs performances.
- Je t’ai vaincu, à présent il est temps de nous mener aux cristaux... ce que tu nommes larmes de Ra.
- C’est ce que tu souhaites vraiment ?
- Oui, je le veux.
Nebsen employa alors ses pouvoirs, achevant son plan. Le sable sous les pieds des Runiques s’éleva dans les airs comme lors d’une tempête de sable. Très vite plus personne ne vit grand chose. Eilos crut à une entourloupe de Nebsen et se jeta là où il devait se trouver, mais le sphinx n’était plus là. Puis le sable tomba d’un coup sur le sol, recouvrant les membres de la Légion. Le décors n’avait plus rien à voir, ils étaient dans un autre endroit. D’immenses cristaux jaunes luisaient doucement éclairant cette caverne géante, vestige d’une ancienne cité dédiée en son temps au dieu Ra. Eilos ne se sentit pas bien et s’écroula inconscient.
- Eilos ! crièrent Privus et Agillian.
Sapient se fraya un chemin jusqu’au Seigneur-Runique et l’examina longuement. Puis l’émotion sur son visage se figea.
- Il est en vie, mais impossible d’en savoir plus, ma théurgie ne semble plus agir.
Lania regarda autour d’elle avec effarement.
- C’est ce lieu, il nous coupe des dieux !! Ragea-t-elle.
- Il nous faut trouver une sortie. Légion Runique ! Formez le camp et ensuite patrouillez les environs, il nous faut trouver une sortie, et vite !
Chapitre 20 - Les Dévorés
Malgré la fatigue Galène finissait enfin le nouveau bras d’Al la Triste. Celui-ci, outre l’esthétique, était une merveille de technologie. Galène avait suivi le modèle de sa création ultime S.A.R.A.H. La jeune Klémence restait émerveillée devant les prouesses de son idole, elle n’avait pas raté la moindre manipulation lors de la greffe.
- Je peux pas faire mieux, dit le capitaine du Titan de Fer à Al. J’ai fini les tests, il est opérationnel et au maximum de ses capacités. Il fonctionne différemment de ton vieux bras mécanique. Plus la peine de l’alimenter, comme tu es Guémélite je l’ai directement branché sur ta pierre-cœur qui se trouve à la base de ta nuque.
Al la Triste se leva lentement, elle qui avait l’habitude du poids sur son côté droit fut déstabilisée. La légèreté de ce bras la satisfaisait.
- On dirait un vrai, dit-elle en souriant.
A côté d’elle Klémence applaudissait, ravie de voir son capitaine éprouver une telle joie.
- Je te revaudrai ça Galène, ton prix sera le mien.
- Allons Amiral, le simple fait que vous portiez ma création est déjà une récompense. Je réfléchirai à autre chose, mais il ne sera pas question d’argent.
- Très bien... Nous allons faire le point sur la situation dans la salle de banquet du palais de Bramamir. Il faut décider des prochaines actions à mener.
- Tu ne mâches plus tes mots maintenant ? Quel drôlerie... Je vous y rejoins dès que possible.
- Cette histoire est de plus en plus énorme ! Déclara Corc. Amiral vous avez rallié les pirates puis mené une grande bataille que nous avons gagné. Puis vous êtes morte avant de renaître. Et là vous nous apprenez que le vortex en dessous de nous est en réalité un démon qui peut à tout moment dévorer les Iles Blanches et nous avec. Incroyable, difficile à admettre, mais incroyable.
- C’est la vérité, annonça Flammara. Le problème est que ce démon ne doit pas avoir grand chose à se mettre sous la dent. Le temps presse donc.
- Et cette forme noire ? Questionna Azalys. Sait-on ce que c’est ou qui c’est ??
- Pas encore, répondit Ardranis, nous fouillons le palais et la ville.
- Très bien, faites passer la description de cette forme, peut-être que quelqu’un a vu quelque chose, sait-on jamais, ordonna Al la Triste. J’aimerais que les lettrés farfouillent les bibliothèques pour trouver un maximum d’informations sur ce Maelström. Qu’est-ce qu’il y a là dessous ?
- La mort, cracha Bragan, j’en connais des navires qui s’y sont engouffrés, aucun n’en est ressorti.
- On connaît tous les histoires à propos du vortex, assura Al la Triste. Galène, est-ce que tu pourrais bricoler un truc qui nous permettrait de voir ce qu’il y a là dedans ?
- Je peux faire mieux et y envoyer S.A.R.A.H elle pourra alors nous transmettre grâce à un appareil fabriqué par Klémence des images de ce qu’elle voit.
- Très bien prépare-la pour cette mission.
- Nous partons immédiatement.
Le Titan de Fer, monstre des airs, stagnait au dessus de l’œil du vortex, turbines au maximum. Galène et Klémence ajustaient les derniers réglages tout en donnant les consignes à S.A.R.A.H. La créature de métal ne ressentait pas sa propre peur mais percevait l’anxiété des humains autour d’elle.
- Pourquoi êtes-vous nerveux ? Demanda-t-elle à son créateur.
- C’est moi qui ai proposé de t’envoyer au casse-pipe, mais je crains qu’il ne t’arrive quelque chose ou pire que tu sois détruite.
- Dans un tel cas vous me répareriez ou me reconstruiriez.... Tous les préparatifs de la mission sont achevés.
Klémence décrocha des câbles qui reliaient l’automate à une sorte de gros générateur à vapeur. Puis elle vérifia le câble qui allait la faire descendre dans le maelström avant de donner le feu vert.
- Allez, fais de ton mieux.... Klémence, active le cristal de vision.
La jeune ingénieure attrapa un objet cylindrique dans lequel de larges trous permettaient de voir un cristal central gris. Elle fit pivoter le couvercle et le cristal se mit à luire intensément. S.A.R.A.H s’approcha du bastingage et l’enjamba. Le câble se tendit brusquement lorsque l’automate fut en l’air. Débuta alors une très longue descente vers l’objectif. Galène espérait que le longueur du câble suffirait. Au bout d’un certain temps ils ne purent discerner la forme de S.A.R.A.H, engloutie par la gueule du démon.
- Ça enregistre, dit Klémence, tout va bien.
Puis le câble ne se déroula plus, indiquant à Galène et Klémence que l’automate avait touché terre ou du moins une surface solide. De longues minutes passèrent, les yeux rivés sur le cristal de vision. Puis un incident se produisit. Le cristal de vision ne captait plus son double connecté à S.A.R.A.H, le câble ne retenait plus rien et claquait contre la coque du Titan de Fer.
- NON ! Cria Galène en tirant le câble, c’est pas vrai !
Klémence resta plantée là, elle savait que cela comportait de gros risques, mais elle entrevit une solution.
- On ne peut pas faire plonger le Titan là-dedans, mais on peut savoir ce qui lui est arrivé Galène. Le cristal de vision va tout nous dire.
L’Arc-Kadia avait l’air minuscule à côté du Titan de Fer. A bord du nouveau vaisseau amiral, Galène et Klémence expliquaient à Al la Triste le résultat de leur mission. Après avoir visionné l’enregistrement ils n'avaient pas tardé à revenir à Bramamir pour montrer leurs trouvailles. Après avoir installé dans les appartements un appareil capable de projeter le contenu du cristal de vision, Galène et Klémence commentèrent les images qui défilaient à la manière d’un film. Au départ il n’y eu rien de passionnant jusqu’à ce que l’automate entre dans le Maelström. La couleur de la lumière changea pour devenir plus rougeoyante, S.A.R.A.H regarda vers le bas et le sol apparut. C’était un désert de rochers pointus où gisaient des épaves de navires à perte de vue. Elle toucha terre et examina les environs. Après un moment à parcourir le périmètre plusieurs formes bondirent sur elle et la maîtrisèrent très vite. Les images s’arrêtèrent là.
- Il y a quelque chose sous le maelström, ou dedans, dit Al la Triste en ouvrant de grands yeux devant cette perspective d’une nouvelle aventure. Nous allons voir ce qu’il est advenu de ton automate. J’en reviens pas, les rapports trouvés depuis votre départ précisaient qu’il n’y avait rien en dessous du vortex à part le vide et les ténèbres.
Puis sans plus tarder l’Amiral quitta la pièce en beuglant ses ordres, cherchant Œil de Gemme son second à bord de l’Arc-Kadia.
L’Arc-Kadia se tenait là où le Titan de Fer était quelques jours auparavant. Le vortex attirait irrémédiablement le navire vers le bas alors que les moteurs crachaient le maximum possible. Al se tenait au bastingage et hurlait les manœuvres à l’attention des membres d’équipage. Le navire avait participé à de nombreuses batailles sans que jamais il ne défaille. Puis le navire tangua et s’inclina. Œil de Gemme barra et le vaisseau s’engouffra dans le gigantesque œil du Maelström. Le bois craqua, la pression devint forte pour lui menaçant de briser la coque comme de la vulgaire paille. Quelques lames de bois se brisèrent, les unes après les autres. Pourtant les mages s’étaient préparés et avaient dressé une bulle de protection magique autour du navire, sans conséquence sur les effets du Maelström. Puis pour ne pas rester dans cette zone qui pourrait broyer l’Arc-Kadia Al la Triste ordonna de pousser les moteur à de leurs limites. La vitesse projeta une bonne partie des pirates par terre alors que l’autre se tint à ce qui se présentait. Tel un boulet de canon le navire fonça droit en inclinaison et quitta la zone dangereuse. Sauf qu’un autre problème se présenta face à l’équipage : le sol. En réalité le maelström n’était là que pour tenter de broyer et de démolir le plus possible un navire avant que celui-ci ne s’écrase sur les rochers en forme de dents aiguisées. Œil de Gemme tenait la barre fermement, elle avait déjà fait des manœuvres bien plus délicates, étant Guémélite de l’air elle ne sentait pas les effets de la pression et de l'accélération. Elle barra à nouveau tout en baissant la puissance des moteurs. L’Arc-Kadia se retrouva parallèle au sol, à peine quelques mètres au-dessus d’un rocher qui à coup sur l’aurait éventré. En mauvais état mais entier le navire se posa dans un endroit plus plat. Les moteurs s’arrêtèrent d’eux-mêmes, tout comme le reste de la machinerie.
- Klémence, vois ce qu’il se passe. Galène, Flam’, Jon, Poukos, vous venez avec moi. Œil le navire est à toi, si nous ne revenons pas dans trois heures, décolle et fait un tour, ne risque pas plus. Surveillez le cristal de vision au cas ou. Ah ! Et laissez le bouclier protecteur actif, sait-on jamais.
Une heure avait passé et la petite équipe vadrouillait entre les rochers et les nombreuses épaves des navires depuis longtemps écrasés ici.
- Le Némésis... L’Argo... tant de navires qui ont disparu au travers de l’histoire, dit Jon.
- Il n’y a pas un seul cadavre, remarqua Flammara.
- Ouais, étrange, dit Poukos en tenant fermement Couille-grouillot son arme en forme d’ancre.
- Attention, l’endroit est propice aux embuscades, déclara Al la Triste en tirant son arme de son fourreau.
Le groupe continua encore quelques temps avant d’apercevoir des formes marcher dans sa direction.
- Voilà les ennuis, en position, gaffe à nos arrières !
Les formes indistinctes s’avérèrent humanoïdes, puis au fur et à mesure de leur avancée les pirates reconnurent des hommes, tous portaient des espèces de scaphandre et appareils respiratoires. L’un d’eux se détacha de son groupe.
- Vous venez de l’Arc-Kadia ? Nous vous avons vu tomber ici, est-ce qu’il y a d’autres survivants ?
- Qui êtes-vous ? Demanda Al al triste.
- Balastar.
- Balastar !? S’étonna Galène, impossible, Balastar est mort.
- Dans le maelström avec le reste de l’équipage de l’Echine de cristal.
- C’est qui ? Interrogea Poukos.
- Balastar est un armurier de renom, c’est lui qui a inventé la plupart de nos armes à poudre, expliqua Galène fasciné.
- Vous ne devriez pas rester ici, vous êtes en danger de mort expliqua Balastar en s’approchant plus.
L’homme semblait examiner les pirates et s’arrêta devant Galène et lui attrapa le haut du col avant d’écarter le tissu. Poukos réagit vite et poussa Balastar.
- Touche pas !
- Non ! Attendez, regardez là, dit-il en montrant le cou de Galène, cela a déjà commencé. Vous ne comprenez pas, vous allez être dévoré par le démon, comme beaucoup ici.
- Quoi ? Qu’est ce que vous racontez ? Coupa Al la Triste.
- Allons à l’abri, je vais tout vous dire.
L’abri en question était une caverne creusée dans le sol éclairée par plusieurs trous pourvus de hublot. Il y avait aussi un immense sas pourvu de deux portes métalliques. Une vapeur bleutée s’échappa d’orifices dans les murs et aspergea tout le monde.
- Cela devrait aller mieux, vous n’étiez pas très atteint. Soyez les bienvenues dans la Tanière des dévorés.
- Dévorés ? Expliquez-vous enfin, somma Al la Triste.
- Je vous dois bien ça.
Il y avait bien une cinquantaine d’habitants vivants dans cette tanière, la plupart à la triste mine et à l’allure pouilleuse. Ici tout était fait à partir de trucs récupérés sur les navires écrasés dans les environs. Néanmoins il y avait une certaine avancée technologique dans ce chaos. Balastar accueillit les pirates dans ses appartements, une vaste pièce creusée dans le sol. Chacun s’assit où il put.
- Nous sommes dans le ventre du démon. Bien sûr ce n’est qu’une métaphore ce n’est pas un vrai ventre, mais c’est ici que les vivants sont corrompus et leur énergie aspirée par le Maelström. J’ai moi-même failli y passer, je porte sur mon corps les stigmates de l’attaque du démon. Mais je m’en suis sorti en bricolant un scaphandre avec le matériel contenu à bord de mon pauvre navire. Coupé de l’influence du démon mais incapable de pouvoir repartir j’ai récupéré d’autres naufragés et fondé cet endroit où nous survivons plus que nous ne vivons. Nous récupérons ce que nous trouvons, rations, eau, objets...
- En parlant de ça, vous n’auriez pas trouvé un automate ? demanda Galène souhaitant vivement récupérer ce qui lui appartient.
- Pas à ma connaissance, non, enfin des automates nous en avons trouvé, mais il y a bien longtemps.
Chapitre 21 - Visite d’un soir d’été
Un an s’était écoulé depuis la fin de la guerre de Sol’ra. Les Combattants de Zil avaient repris une vie de bohème, parcourant le monde, divertissant grands et petits. Cet été-là, la compagnie de saltimbanques aux pouvoirs aussi hétéroclites qu’incroyables assurait une tournée dans l’Empire de Xzia. Au fil des routes la caravane arriva à Meragi, la grande et magnifique capitale où la guilde devait donner trois grandes représentations. Mais aucun des Combattants de Zil ne s’attendaient à recevoir en ce dernier soir dans la ville, la plus illustre et importante personnalité à cinq cent lieues à la ronde.
A l’entrée et comme à son habitude Mashtok filtrait, assurant le service de sécurité pendant que Granderage vendait les places. Alors que les spectateurs entraient les uns après les autres dans une rare discipline, il y eut un mouvement de foule. Ceux qui attendaient leur tour s’écartèrent de l’entrée alors que d’autres personnes s’avancèrent. Celles-ci n’avaient vraisemblablement pas les mêmes origines sociales que les simples habitants. Iro le champion impérial s’avança, suivi d’une délégation d’une dizaine de personnes. De sa hauteur le videur Zil reconnut quelques têtes de gens de la Kotoba, au milieu d’eux une personne très importante. Iro s’inclina respectueusement devant le géant à la peau bleue.
- Je vous salue honorable Combattant de Zil. Sa majesté l’Empereur souhaite assister à votre spectacle, la renommée de votre guilde en terme de divertissement est parvenue jusqu’à lui.
Mashtok se retrouva un peu bête. L’Empereur en personne ? Sous leur chapiteau ? Granderage qui assistait à la scène s’interposa entre Iro et Mashtok qui, le pensait-elle, allait certainement commettre un impair. - Nousss ssssommes honorés de la prézzzzensssse de l’Empereur. Soyez les bienvenus sous notre chapiteau ! Dit-elle en faisant comme une révérence.
Iro entra en premier, comme toujours, suivi par l’Empereur et le reste de la délégation. Leur entrée dans le chapiteau fut remarquée par la population. Les spectateurs affalés sur les gros coussins se jetèrent au sol, front contre terre. Quant aux autres Zil présents, la surprise fut de taille. Granderage prévint vite Farouche. Le chef des Zil avait déjà remarqué ce qu’il se passait sous son toit, elle se posait une question : pourquoi ? Après tout ce n’était pas la première fois que les Combattants de Zil passaient à Meragi sans attirer l’attention des notables. Un déplacement tel que celui-ci était toujours prévu longtemps à l’avance, comme ce fut le cas à chaque fois qu’une importante personnalité venait les voir.
- Qu’est-ce que l’Empereur nous veut ? Demanda Farouche à l’attention de Kuraying. Je compte sur toi pour m’apporter des réponses. Puis regardant Granderage, merci de m’avoir prévenu, il ne faut pas décevoir nos invités surprises... Offrons leur un peu de musique !
Le spectacle débuta, les Zil donnant le meilleur de leur savoir faire pour satisfaire au mieux leurs invités. Et il ne fut pas facile de savoir ce que ressentait l’Empereur et sa clique car aucun d’eux n’exprimait la moindre émotion. Même les bouffonneries horribles de Terrifik ne purent les impressionner. Un poil vexé, le clown laissa sa place à Mallascaria, recrutée moins d’un an auparavant. La jeune femme avait été repérée alors qu’elle chantait au bord d’une rivière lorsque passa la caravane Zil. Impressionnés par le timbre particulier de la demoiselle, Farouche et les autres s'arrêtèrent pour l’écouter. Elle se retrouva vite entourée par la bande de joyeux drilles. Lui promettant une nouvelle vie, la cantatrice laissa-là son passé et partit avec les Combattants de Zil. Elle était un atout de charme à la voix inoubliable. Le chant hypnotique et suave ravit les oreilles de l’auditoire. Plongés dans une sorte de rêve éveillé, envoûtés, les spectateurs ne virent pas le temps passer. Mallascaria aimait par dessus tout ce moment où les émotions piquaient les cœurs à vif, même les plus endurcis des guerriers ne purent résister. Elle descendit de la scène pour continuer son numéro chantant au plus proche des spectateurs. Elle prit le risque de s’approcher de l’Empereur, captant son regard elle l'envoûta encore plus. Mais Iro veillait et fit comprendre à la chanteuse qu’elle n’avait pas intérêt à ce qu’elle tente quoi que ce soit contre eux. Mais telle n’était pas son intention, aussi continua-t-elle son chemin dans le chapiteau.
Durant ce temps, en coulisse d’autres événements se passaient. Alors que Terrifik montait sur scène Kuraying s’approcha du groupe de la Kotoba et repéra une personne qu’il connaissait bien : Yu Ling. Celle-ci s’était levée et semblait chercher une ouverture pour passer derrière la scène. Aussi alla-t-il à sa rencontre, lui tapotant sur l’épaule.
- Tu es perdue ?
Yu Ling se retourna lentement, cette voix ne lui était pas inconnue.
- Toi ? Dit-elle en ouvrant de larges yeux.
- Oui, moi. Je vois que tu me reconnais c’est déjà ça.
- Je... je... balbutia Yu Ling.
- Tu es venue t’excuser de m’avoir brisé le cœur et abandonné ?
Yu Ling baissa la tête, honteuse.
- Nous réglerons ça après, j’aimerais au nom de la Kotoba, voir ton chef, dit-elle.
- Oui nous réglerons ça, enfin si tu ne t’éclipses pas entre-temps. Dis-moi ce que tu veux.
- Je ne dois en parler qu’à ton chef.
Kuraying fronça les sourcils de mécontentement puis la pria de le suivre. Il poussa une tenture avant de se faufiler tous deux par un passage entre deux pans de toiles. Un peu plus loin Farouche et N’ba théorisaient à propos de la venue de l’Empereur.
- Tu crois qu’il vient s’excuser de nous avoir repris notre territoire ?
- Bah, j’crois pas, p’têt qu’elle nous le dira, répondit N’ba en montrant Yu Ling.
Kuraying laissa là Yu Ling, encore perturbé de la retrouver ici. La Kotoba se retrouva donc face à Farouche et N’ba. Comme le voulaient les traditions dans l’empire elle se prosterna, jugeant ses interlocuteurs plus haut gradés qu’elle.
- Merci de me recevoir, mon nom est Yu Ling, membre de la Kotoba.
- Yu Ling... YU LING ? La Yu Ling dont nous rabâche sans cesse Kura’ ?
La chasseuse de démons se mit à rougir.
- Je suis désolée de vous interrompre dans votre spectacle, mais je viens de la part du Seigneur Impérial Gakyusha.
Farouche fut déçue, elle pensait que Yu Ling venait de la part de l’Empereur, mais bon ce n’était pas si mal.
- Ah ? Ouais, et qu’est-ce que nous veut Gakyusha ?
- Il requiert l’aide des Combattants de Zil concernant une affaire liée au monde des ombres et des esprits.
- Notre aide ? Dit-elle nerveusement. Pourquoi est-ce que l’on vous aiderait, vous qui nous avez repris ce que vous nous aviez donné.
Farouche n’avait pas tort, Yu Ling le savait, tout comme Gakyusha, aussi l’Empire était prêt à un petit sacrifice s’il le fallait.
- Sa majesté l’Empereur de Xzia vous rémunérera pour votre aide, dites votre prix.
Immédiatement N’ba chuchota quelques mots à l’oreille du chef Zil.
- De l’argent... vous achetez notre aide comme si nous étions de simples mercenaires ? Oui si on vous aide vous ferez sonner les pièces, mais pas que cela. Restituez-nous immédiatement les terres qui ont été les nôtres sans possibilité de revenir sur notre accord. Faites cela immédiatement et nous verrons ensuite pour la question financière.
Yu Ling resta silencieuse, écoutant les récriminations de la Zil et ses conditions. Elle s’attendait à cette demande et cette option était déjà envisagée. Elle fut plus surprise par le fait que Farouche ne demandait même pas de quelle aide il s’agissait. Ce sujet ne viendrait même que le lendemain.
- Je vais porter votre demande auprès de mes supérieurs, je reviendrai vous apporter une réponse demain.
- Faites, faites, lança Farouche en secouant la main manière de dire “laisse-nous”.
La Kotoba chercha ensuite Kuraying pour clarifier les événements qui l’avaient conduite autrefois à partir. Le Zil d’origine Xziarite attendait patiemment Yu Ling à l’entrée, Mallascaria chantait toujours. Tous deux sortirent du chapiteau dans un silence pesant.
- Je t’écoute. Quelles excuses vas-tu me servir ?
- Je comprends ta rancœur à mon égard, mais je n’ai jamais cherché à te blesser. A l’époque on m’a envoyé en mission, cela a très mal tourné et j’ai mal agi. A mon retour de Meragi j’ai été punie par la malédiction d’Ajaï.
- Ajaï... la malédiction de la vieillesse ? S’étonna Kuraying.
- Oui... honteuse, je ne pouvais ni ne voulais te revoir. Je n’aurais pas supporté ton regard. Je suis partie vivre ma vie de femme âgée en essayant de t’oublier, mais cela s’est avéré impossible et mon cœur t’appartient toujours, dit-elle en laissant perler une larme sur sa joue.
Kuraying essayait vainement de fermer son cœur et de faire taire ses sentiments, mais ceux-ci étaient trop présents.
- Lorsque tu es partie j’ai imaginé le pire au début, puis lorsque j’ai su que tu vivais toujours j’ai eu mal comme si un poignard m’avait transpercé le torse. C’est à cause de toi si j’ai quitté l’empire et rejoint les Combattants de Zil, laissant derrière moi ma vie de chasseur de démons.
Cela ébranla Yu Ling, elle savait cela mais l’entendre de la bouche du concerné la fit céder. Les larmes coulèrent de plus belle alors qu’elle restait les yeux dans le vague.
- Me laisserais-tu une deuxième chance Kura’ ? Demanda-t-elle dans un souffle.
- Ma raison me dit que non, mais mon cœur bat pour toi, laissons-nous le temps de nous retrouver...
Le lendemain es Combattants de Zil finissaient de démonter leur chapiteau lorsque Yu Ling revint, accompagnée de Toran.
- Avez-vous une réponse à nous donner, dit Farouche sans même saluer les visiteurs.
Kuraying s’inclina devant Toran et jeta un bref coup d’œil à Yu Ling. Les Cherchefailles de Toran tournoyaient lentement autour de lui. Le maître Tsoutaï regardait les deux serpents d’ombre ondulant à côté de Kuraying.
- Kuraying, la rumeur de votre présence dans la guilde de Zil n’est donc pas une rumeur. Je vois que vos techniques d’ombre imitant les Tsoutaï sont toujours d’actualité.
- Maître Toran, veuillez pardonner l’impulsivité de notre chef, vous savez que nous avons un... contentieux avec l’Empire au sujet d’un certain territoire.
- Oui et je me déplace à ce sujet, dit Toran en tendant un porte-parchemin en bambou. Sa majesté vous offre un territoire semblable.
- Semblable !? S’irrita Farouche.
- Cette affaire est malheureuse, mais les terres que vous désirez sont le théâtre d’une affaire importante pour l’Empire. De ce fait l’Empereur ne veut pas s’en défaire. L’offre qui vous est faite est extrêmement généreuse et il serait dommage que vous la refusiez. Ce territoire se situe à l’ouest de l’empire, il rejoint ce que vous nommez Demeure d’Artrezil.
Effectivement c’était généreux, peut être trop. Les Zil étant par nature méfiants Farouche se demanda ce que cela pouvait cacher. Elle accepta tout de même le territoire.
- D’accord, nous vous aiderons. Cela doit être grave pour que l’Empire soit si...
Mais Kuraying coupa la discussion, sentant qu’elle allait dire une ânerie.
- Permets-moi de prendre cette affaire en charge, demanda le Zil.
N’ayant pas de raison de refuser elle laissa là les membres de la Kotoba pour retourner superviser le futur départ de Meragi.
- Maintenant que nous travaillons ensemble, et j’insiste sur ce terme, qu’est-ce que les Combattants de Zil peuvent faire pour la Kotoba et l’Empire ? Interrogea Kuraying non sans admirer Yu Ling.
- Accompagnez-nous jusque la demeure du Seigneur Impérial je vous prie, à ce moment-là nous parlerons librement.
Arrivés au moment du déjeuner, Kuraying fut reçu à la table du Seigneur Impérial en présence de Yu Ling, Toran et bien sûr de leur hôte. Le Zil se sentait bien ici, il avait quitté l’Empire depuis longtemps et cela lui manquait. Les senteurs de la nourriture Xziarite lui rappelait bien des souvenirs agréables. Ce n’est qu’à la moitié du repas que la conversation s’engagea réellement.
- Ce que je vais vous raconter ne devra jamais être raconté en public et ne doit pas s’ébruiter, dit Toran sur un air solennel. Il y a un peu plus d’un an, le Tombeau des Ancêtres a été détruit par l’esprit de la pierre tombée du ciel. Cet événement a provoqué des incidents dans l’empire car nous étions alors les gardiens des esprits. Les Karukaï ont cherché à se venger de nous et la Kotoba leur a opposé une forte résistance. Nous étions sur les traces de Yakoushou, l’un des plus puissants d’entre eux lorsque nous avons trouvé ses serviteurs oiseaux... morts.
Kuraying écoutait, mais il ne comprenait pas la finalité de l’histoire.
- Voilà un an que nous enquêtons sur cette disparition, Yakoushou n’est pas réapparu depuis. Nous aurions très bien pu nous arrêter là, après tout l’ennemi ne se montre plus. Kuraying, ce sont les découvertes que nous avons faites qui vous font entrer dans cette histoire. Dans la région où Yakoushou aurait disparu les rapports affluent, un étranger, décrit comme de grande taille portant une large armure d’où sortent des cristaux blancs a été vu à maintes reprises. Nous l’avons cherché sans relâche, que cela soit les Traqueurs, les Tsoutaï, le clan du Corbeau ou les Chasseurs de Démon.
- Nous avons trouvé de faibles résidus d’une étrange magie. Malgré nos efforts nous ne parvenons pas à comprendre de quoi il s’agit, dit Yu Ling.
- Dans ce cas pourquoi ne pas avoir contacté les Envoyés de Noz’Dingard, c’est plus dans leurs cordes non ?
- Nous réglons encore quelques problèmes avec la Draconie, qui est en proie à un mal interne. Cette magie, nous pensons que c’est un dérivé de la magie de l’ombre et que notre ennemi se cache grâce à elle. Vous, Combattants de Zil, êtes les spécialistes de l’Ombre et de la tromperie. Retrouvez-nous cet... étranger, expliqua Toran.
- Je vois... Vous vous êtes adressés aux bonnes personnes. Nous allons tout faire pour retrouver cette personne. Vous pensez que c’est Yakoushou qui se terre ?
- Nous l’envisageons et il nous faut en avoir le cœur net, affirma Gakyusha. Une partie de la Kotoba vous accompagnera. Yu Ling sera votre interlocutrice.
La jeune femme sourit timidement à Kuraying.
- Je vais faire appeler les combattants nécessaires à cette opération.
Chapitre 22 - Les secrets de Thébirak
Thébirak, un nom tout droit sorti des légendes. De tout le royaume du désert, cette région était considérée comme un lieu à part, c’était autrefois un minuscule royaume important de part la nature de ses habitants. En ce temps là, le Mage-roi régnait sur ses sujets et la magie côtoyait les puissances divines. C’est alors que la guerre entre Ra et les autres dieux éclata, ravageant le désert, rasant des peuplades et leurs cités. Thébirak fut l’une des premières régions à être ciblée. Nebsen, sphinx de Ra menait les troupes lorsqu’ils envahirent l’incroyable cité. Ils n’y trouvèrent rien d’autres que du sable et des bâtiments vides de toute présence. Il n’y avait plus rien, ni meuble, ni livre, pas de lit, pas de nourriture...
Mahamoud observait les alentours sans dire un mot. Bas-thet l’avait mené jusqu’ici suite au marché passé ensemble.
- Où est le temple de Cheksathet ? Il n’y a que des dunes par ici.
- Thébirak n’est plus qu’une cité en partie engloutie, tu t’attendais à quoi Vizir ? Garde courage, nous ne sommes plus loin. A moins que tu ne veuilles rebrousser chemin... ou peut-être as-tu une autre idée en tête, une envie particulière ?
- Je n’ai d’autre idée que de remplir la mission que l’on m’a confié. Même si c’était agréable entre nous, cela s’est fini à Kahouma, alors contente-toi de me guider.
- Je ne suis pas qu’une vulgaire guide, je suis ta compagne de voyage, tu peux compter sur moi.
- C’est une bonne nouvelle.
- Attends ! Qu’est-ce que c’est... là ! Des traces !
Bas-thet s’accroupit autour de marques au sol, qu’elle examina attentivement.
- Elles sont assez récentes... et peu ordinaires. Regarde leurs formes Vizir, elles n’ont rien de banales.
- Tu as raison, vu l’espacement des pas la créature doit être assez grande.
- Et les traces partent vers Thébirak. Ça ne me dit rien de bon, râla Bas-thet.
- Je n’ai peur de rien car je sais que l’on veille sur moi, déclara le vizir avec détermination.
La jeune femme se contenta de sourire avant de reprendre la marche en suivant les traces. Il leur fallut plusieurs heures avant de parvenir à la cité en elle-même. Mahamoud fut un peu déçu par ce qu’il y trouva, de vieilles ruines et encore et toujours du sable. Les peintures sur les murs devaient être somptueuses, mais il ne restait plus que des couleurs éparses témoignant d'un passé révolu. Les deux nomades continuèrent leur progression entre les décombres, suivants les traces. Finalement elles s’arrêtèrent sur une grande place en partie recouverte par le sable et bordée autour par de grandes dunes. Cette place n’était en réalité qu’une seule grande dalle de pierre gravée de milliers de symboles, ce qui étonna les visiteurs.
- Qu’est ce qu’il y a d’écrit ? Demanda la femme au masque de chat.
- J’aimerais bien le savoir, dit Mahamoud, mais ce langage n’a rien à voir avec le notre.
- C’est le langage de Thébirak, annonça une voix perçante.
Les nomades se tournèrent dans la direction de la voix et furent éblouis par le soleil. Se protégeant les yeux ils virent en haut de la dune une forme dans l’axe du soleil. La créature dévala la pente à vive allure avant que Mahamoud ne reconnaisse la stature.
- Non c’est impossible ! Tu es mort ! Comment as-tu réussi à survivre à la ba...
Mais il s’arrêta lorsqu’il la vit mieux. Moitié homme, moitié bête, aucun doute n’était permis, c’était bel est bien un sphinx. Mahamoud tint Jugement de l’âme fermement. Bas-thet, plutôt curieuse, ne voulait pas tenter quoi que ce soit fit quelques pas en arrière. Ce sphinx n’était pas celui qu’il connaissait, ce n’était pas Aziz. En outre si le sphinx était à moitié lion, celui-ci avait des attributs physiques proche de l’oiseau. La créature, de deux bonnes têtes plus haut que Mahamoud tourna autour des deux nomades.
- Que venez-vous faire ici, enfants du désert ? Qui êtes-vous ?
Puis Mahamoud, qui continuait à chercher l’origine du sphinx compris qui il servait.
- Je suis Mahamoud, vizir du royaume du désert, et voici Bas-thèt... ma... servante. Et vous êtes un Solarian, n’est-ce pas ?
- Je suis Nebsen sphinx de Ra.
- Sphinx de... D’où sortez-vous ? Demanda Mahamoud en relâchant l’étreinte sur son arme.
- Le roi de cette maudite cité m’a enfermé, je sais qu’il se cache encore ici ! Dit Nebsen en montrant la place.
- Le roi ? Il y a longtemps qu’il n’y a plus de roi à Thébirak, Nebsen.
- Non, je sais qu’il vit encore et qu’il est là quelque part.
- Dans ce cas, permettez-moi de vous aider à le trouver ?
Bas-thet inclina la tête, elle ne comprenait pas où le vizir voulait en venir. Ce dernier lui chuchota alors de continuer pour le moment et de chercher de son côté. Elle rechigna un peu mais accepta de les laisser tous les deux.
Nebsen et Mahamoud partirent faire le tour des ruines. Pour le vizir c’était surtout la volonté d’en savoir plus sur cet énigmatique sphinx qui l’animait, plus que la recherche d’un roi illusoire. La cité était grande et devait l’être encore plus durant son âge d’or.
- C’est aussi grand que Mineptra, déclara Nebsen.
Cette remarque intrigua Mahamoud, Thébirak était certes grande, mais loin d’égaler Mineptra.
- Excusez mon indiscrétion, Nebsen, quand étiez-vous à Mineptra ? Pouvez-vous me raconter votre histoire ?
Mais Nebsen n’avait pas vraiment envie de parler de lui, préférant poursuivre sa quête. Mahamoud persévéra néanmoins.... sans succès. Loin de se laisser abattre par le peu de réaction du Sphinx il essayait de comprendre de quoi il retournait. Les éléments en sa possession étaient maigres : un sphinx de Ra, une ville ancienne, la recherche d’un Mage-roi, mais aussi le temple de Cheksathet. Y avait-il une relation entre sa recherche du temple et le sphinx ? Il ne croyait pas aux coïncidences, pas lorsque les dieux entraient en ligne de compte, ce qui était le cas. Les heures passaient rapidement et le soleil déclinait lentement.
- Il n’y a rien ici, Nebsen, se risqua Mahamoud. Venez avec nous au temple de Cheksathet et revenez à Mineptra où nous vous accueillerons comme il se doit.
Le sphinx s’arrêta pour regarder le vizir.
- Tu es d’une remarquable politesse, mais tant que je n’aurais pas trouvé ce maudit Mage-roi, je resterai là.
- Soit, dans ce cas continuons.
La nuit arriva vite et le froid chassa la chaleur de la journée. Nebsen n’aimait pas la nuit car Ra était le dieu solaire, celui qui brûlait le sable. Lorsque le dernier morceau du soleil fut loin les étoiles et la lune éclairèrent Thébirak. C’est à ce moment qu’un phénomène magique anima la cité morte. Des formes humaines et translucides apparaissaient, puis disparaissaient, de même pour les murs des maisons. Une lumière vive semblait venir de l’autre côté d’une dune, là où se trouvait la grande place. Nebsen fonça à toute allure, suivi de près par Mahamoud. Une fois au sommet, le spectacle qui s’offrit à eux était grandiose. Toutes les écritures gravées sur la dalle de la place brillaient intensément. Des gens, tels des fantômes continuaient à apparaître et disparaître.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? Demanda Mahamoud.
- C’est lui qui fait ça, c’est le Mage-roi ! Cria Nebsen en s’élançant sur la pente de la dune.
Au moment même où Nebsen et Mahamoud furent sur la place, ils disparurent à leur tour.
Une fois de plus le soleil se couchait derrière les dunes de Thébirak. Cette nuit là ne fut pas comme les autres, ou du moins se qu’il s’y produit n’était pas arrivé depuis bien longtemps. Des formes humaines, toutes assemblées sur la place apparurent. Un enfant se trouvait là au moment où cela se produisit, il fut terriblement étonné et s’en alla. Il passa de rue en rue jusqu’à une grande bâtisse devant laquelle des chats jouaient. Une femme à la longue chevelure noire discutait avec un homme de grande taille et aux larges épaules.
- Maman ! Maman, vient vite ! La place, elle brille !
- Elle brille.. elle brille !! Dit-elle en bondissant.
Le petit groupe courrait dans les rues. Lorsqu’il arriva à la place, d’autres personnes étaient là, de véritables personnes, mais aussi des personnes intangibles. Les écritures sur le sol brillaient fortement. Puis tout s’arrêta d’un coup. Les lumières des braseros tout autour de la place éclairaient d’innombrables formes humaines. des gens étaient là, venant de nulle part. Parmi eux Nebsen et Mahamoud qui semblèrent perturbés en voyant où ils étaient et qui étaient là. Le cœur de Bas-thet se serra lorsqu’elle s’avança vers Mahamoud. Ce dernier la reconnut, pas immédiatement, car quelque chose avait changé chez elle.
- Bas-thet ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Qui sont ces gens... et... par tous les dieux, la ville est debout ! Dit-il en n’en croyant pas ses yeux.
- Mahamoud... Je sais que je ne devrais pas, mais vu les circonstances, dit-elle en serrant la main du garçon qui l’avait prévenu plus tôt. Voici ton fils, Sethnak, il vient d’avoir dix ans.
- Mon fils... nous sommes à Thébirak... mais dix ans plus tard.
- Je te croyais... enfin nous te croyons morts, dit-elle en montrant Kébèk, Urakia et Sakina derrière elle. Lorsque tu as disparu je t’ai cherché longtemps. J’ai trouvé le temple de Cheksathet et j’ai eu une révélation, les dieux m’ont prévenu, ils m’ont dit de rebâtir Thébirak avec ceux qui voudraient et qu’un jour tu nous serrais rendu. Mais qu’est-ce qui vous est arrivé ?
- Il ne s’est écoulé que deux jours depuis que nous avons été aspiré dans le royaume du Mage-roi...
Chapitre 23 - Les rejetons
Sitôt Néhant disparu, le chaos, tel un vent de peste se répandit dans les Méandres. C’est dans ce contexte qu’Azaram, ses servants et les tourmenteurs retournèrent chez eux, dans ce monde à la fois si proche et si loin des Terres de Guem. Le Grand Dévoreur profondément touché par la disparition de Néhant eut du mal à ouvrir son énorme gueule pour avaler la compagnie. Les Méandres furent créés pour abriter les pires créations du sorcier à l’âme noire : les démons. Seuls eux et quelques rares créatures pouvaient endurer la chaleur et l’atmosphère triste de ce dédale de tunnels. A vrai dire, personne, à part Néhant, ne connaissait l’étendue exacte des Méandres et personne n’avait l’intention de découvrir les choses qui pouvaient se cacher dans les pires endroits. Azaram connaissait bien les lieux et le travail à effectuer allait demander du temps, de la persuasion et de la force. En premier, il fallait s’occuper des groupuscules anarchiques semant le désordre dans certaines parties reculées. Pour ceux-là, il envoya Peine et Souffrance qui grâce à Tourment, soumettraient les indisciplinés sans trop de difficulté. Pendant ce temps là, Azaram, Déchirure et Cauchemar allèrent dans la plus grande salle des Méandres, là où une grande majorité des démons résidait. C’était aussi là que se trouvait la pierre-cœur de Fournaise. Ardente, aussi grande qu’un enfant de dix ans la pierre rouge luisait doucement. Lorsque le petit groupe se fraya un chemin parmi les autres un démon un peu plus grand que les autres se dressa en travers de leur route. Azaram regarda l’inconscient.
- Mâche l’âme, je suis étonné de te voir ici... à mais je comprends pourquoi, tu n’as plus ta pierre-cœur, dit le seigneur démon en montrant le ventre vide de Mâche l’âme.
- Oui seigneur... je ne peux revenir sur les terres de Guem, pire je peux être invoqué par n’importe qui à présent. Je vous en prie seigneur, aidez-moi.
- Nous réglerons ton cas le moment venu, seulement pour que je te vienne en aide il va falloir que tu me jures allégeance.
Le démon hésita, il aimait son indépendance par dessus tout, mais prêter allégeance à un seigneur démon permettait de le protéger en partie des invocations des terres de Guem.
- Soit, Azaram je te reconnais comme mon maître...
- Voilà un exemple à suivre, dit Azaram en regardant les autres démons autour. Pourquoi vous n’avez pas fait revenir Fournaise ?? Puis-je savoir !? Cria-t-il.
Mais personne ne répondit.
- Néhant n’est plus là et du coup vous pensez pouvoir vous soustraire à vos obligations ?
Azaram poussa les larbins et les petits démons devant lui, frappant certains d’entre eux pour leur apprendre le respect. Une fois devant la pierre-cœur il la toucha pour faire apparaître le symbole de Néhant. La pierre s’illumina en s’élevant un peu, la forme de Fournaise se dessina et le démon finit par prendre corps. Après s’être étiré les muscles il regarda Azaram avec un calme inhabituel chez lui.
- Fais-toi plaisir Fournaise, soumets ces larves à ta volonté, tu es leur nouveau maître, et tu n'obéis plus qu’à moi. Regarde, ceci est la page du recueil interdit, dit Azaram en la brûlant.
Pour Fournaise, ce geste signifiait beaucoup car on l’avait invoqué à maintes reprises par ce livre et cela lui avait valu un dernier affrontement douloureux contre deux créatures féroces. A présent seules quelques rares personnes seraient capables de le manipuler et ça le soulagea grandement. Azaram, Cauchemar et Déchirure laissèrent Fournaise remettre de l’ordre, une autre tâche importante devait être accomplie. Ce n’était pas de gaieté de cœur, pour peu qu’un démon pouvait en avoir, qu’ils allèrent dans une zone reculée des Méandres. Les pires démons vivaient là, ceux qui sont incontrôlables et ceux qui ont été bannis, parfois par Néhant lui-même.
C’était un réseau très dense de petits tunnels sombres où des démons peu habitués à passer par ici auraient tôt fait de se perdre. Fut un temps, Cauchemar fréquenta les occupants des lieux, avant de retourner sur les terres de Guem, il guida ses deux compagnons sous les regards hargneux de congénères parfois dégénérés. Azaram avait sorti sa lame démon, tenant dans l’autre main un large sac de cuir noir. Les larbins, toujours curieux, tentèrent de se saisir du paquet sans y parvenir, ne gagnant que des coups de fouet ou d’épée. La rumeur de l’arrivée du groupe se répandit dans les boyaux et tous les démons des environs s’agglutinèrent dans une caverne où en son centre se dressait un étrange monolithe noir.
Le brouhaha était assourdissant, mélange affreux de caquètements, de grognements, de cris et de paroles. C’est dans cette ambiance qu’ils se présentèrent à l’assistance. Azaram fit face à cette masse de démons avec autant de détermination que possible. En réalité il ne craignait pas de se faire agresser ici, la présence de Cauchemar et de Déchirure, en plus de lui, suffisait à dissuader les plus nerveux. Non, ce que craignait Azaram était là face à lui, ce grand objet noir et rectangulaire. Tous les regards étaient braqués sur eux et sur leurs gestes. Azaram planta sa lame démon face à lui et écarta les bras. Alors les symboles sur les cornes de tous les démons présents s’illuminèrent, découvrant des centaines de glyphes Néhantiques.
“ Ne fait pas ça... Ils ne doivent pas sortir... Il les a banni... Tu n’as pas le droit...”
Les chuchotements dans l’assistance ressemblaient à des râles et des avertissements. Mais il était trop tard. Le symbole du mage noir s’enflamma sur la surface rectangulaire du monolithe. Azaram baissa alors les mains et se tourna vers ses compagnons.
- Attendez-moi ici, quoi qu’il arrive, dit-il avant d’avancer vers le monolithe.
Il continua sa route et passa alors au travers comme si la surface était liquide.
- Qui es-tu ? Demanda une sinistre voix.
Enveloppé dans les ténèbres Azaram ne voyait pas plus loin que le bout de son nez.
- Je suis le seigneur-démon Azaram ! Je viens pour...
- Je ne t’ai pas demandé ce que tu venais faire ici ! Coupa la voix.
- Vous avez vu c’est le seigneur-démon Azaram qui nous rend visite, déclara une autre voix.
- Oh oui, LE seigneur-démon Azaram, le petit chouchou du boss est là, dit encore une autre voix.
L’épée d’Azaram s’enflamma, projetant une lumière rouge aux alentours. Plusieurs formes se discernèrent et l’une d’elle avança dans la lumière.
- Tu viens nous narguer Azaram ? Tu sais que nous ne pouvons lever la main sur toi et ta misérable génération démoniaque, expliqua le démon à la voix sinistre dont l’aspect était à la fois proche et éloigné de celui d’Azaram.
- Non je ne viens pas vous rappeler votre condition, rejetons de Néhant, répondit-il en s’adressant à tous. Tu es Utkin n’est-ce pas je te voyais plus impressionnant que ça, railla Azaram pour tester son interlocuteur.
Utkin avait l’air bien plus humain qu’Azaram, du moins jusqu’à ce que, irrité par la remarque d’Azaram son aspect physique devient plus “Néhantique”.
- Ne me provoque pas ! Dit Utkin en tentant de frapper Azaram sans y parvenir.
- Laisse-le parler, que veux-tu Azaram, dit une voix derrière lui.
- Le maître a disparu, emmené on ne sait où par Dragon.
- Ça nous le savons ! Même bannis nous sommes connectés à lui, expliqua l’une des voix.
- Savez-vous comment le faire revenir ?
- Peut être bien, dit Utkin, mais pourquoi partagerions nous ça avec nos petits frères ?
- Oui pourquoi ? dit une des voix.
- Parce que je peux vous permettre de sortir d’ici. Nous sommes peut être la génération suivante des démons de Néhant, peut être sommes-nous inférieurs à vous sur certains aspects, mais nous sommes ce que le maître voulait, nous détenons les clés des Méandres car c’est notre domaine. Votre prison en fait partie.
Utkin regarda à droite, puis à gauche alors que les voix chuchotaient entre elles.
- Pour vous prouver mes intentions je vous ai ramené un présent.
Azaram posa son sac de cuir et en tira Calice, du moins un bout de l’ancienne épée de Néhant. Utkin se pencha et examina la lame avec attention.
- Mais qui voilà, Calice, le premier des rejetons. Tu es dans un sale état, comment t'es-tu fait ça ?
- Chimère, souffla Azaram.
- Chimère ! Cette sale engeance de Dragon existe toujours !?
Puis après un temps de réflexion.
- D’accord nous allons vous aider à faire revenir Néhant. Mais tu devras nous laisser Calice.
- Très bien, je ne peux faire sortir que l’un d’entre vous...
- Moi évidemment, déclara Utkin, mais laisse Calice ici !
- Soit.
Azaram utilisa ses pouvoirs pour laisser sortir Utkin. Le rejeton admira les Méandres avec satisfaction. Cauchemar et Déchirure les saluèrent puis ensemble il quittèrent les Méandres pour retourner à la surface des terres de Guem.
Amidaraxar vit revenir la fine équipe, à part Calice il n’avait jamais rencontré de rejeton. Il les savait puissants et surtout instables, premiers des démons, Néhant les trouvaient imparfaits, en somme une expérience ratée. Ne pouvant se résoudre à les détruire il enferma ses choses dans le monolithe. Azaram expliqua tout ce qu’il avait vu dans les Méandres et sa discussion avec les rejetons, laissant au Néhantiste le soin de prendre le relais.
- Je t’écoute Utkin, comment comptes-tu faire pour contribuer au retour du maître.
- Premièrement, sache que je ne suis pas sensible à tes petites manigances sous-fifre de Néhant, seul mon créateur peut me soumettre... et me renvoyer là d’où je viens. Deuxièmement je crois savoir qu’il reste encore une chaine retenant le cristal, il nous faut y retourner.
- Je ne comptais pas tenter quoi que ce soit contre toi, je sais ce que tu es, surtout toi Utkin. Tu es le seul à t’être porté volontaire pour devenir un démon, je ne ferais pas l’erreur de te sous-estimer. Nous sommes peu nombreux ne perdons pas de temps en chamailleries. La prison de Néhant est contrôlée par des Draconiens et des mages spécialisés dans l’anti-Néhantisme.
- Nous les écraserons !
Chapitre 24 - Le donjon
- Grouuiiiiiiiik*
Dans la silence de la nuit le bruit réveilla les deux voyageurs. Exténués par une journée de marche sous un soleil de plomb le sommeil n’avait pas tardé à les emporter. Lucyan, comme toujours alerte, sursauta de sa couche en attrapant son épée. Les nuits pouvaient cacher bien des dangers - créatures aux dents et griffes acérées et autres bandits de grand chemin. D’une branche d’un arbre proche un oiseau au plumage vert tourna la tête en regardant l’aventurier. La nuit était calme, il n’y avait personne d’autre que lui... et Shana ! La jeune femme qui dormait juste à côté de lui était prostrée dans sa couverture.
- Grouuiiiiiiiik*
- Mais... mais c’est toi qui fait ce bruit ! S’étonna Lucyan. Tu as mal au ventre.
- J’ai... j’ai faim ! Râla-t-elle en adressant un regard furieux au jeune homme. Tu as pas voulu à aller à l’auberge du Fut percé et du coup j’ai rien mangé depuis deux jours ! C’est ta faute alors va chasser quelque chose ou alors je te laisse pas dormir, ajouta-t-elle en s’emmitouflant dans sa couverture.
Sentant la culpabilité l’accabler, Lucyan attrapa son arc et son carquois et s’en alla chercher pitance.
- Mais qu’est-ce que je vais pouvoir attraper à cette heure-ci moi ? Dit-il en s’éloignant du campement.
A part quelques grillons signalant leur présence à grand coup de craquètements, nul animal ne rôdait dans les parages. Surtout que le jeune homme n’étant pas un excellent chasseur le moindre bruit provoqué s’entendait de loin. Une heure plus tard il fallait bien l’avouer, Lucyan était totalement perdu.
- Mais je suis déjà passé par là ! Dit-il en voyant un tronc largement fissuré sur sa hauteur. C’est pas possible ! C’est pas possible, qu’est-ce que je vais devenir ! SHANAAAAAA ! SHAAANAAAAA ! HEHOOOO !
Le pauvre aventurier, fatigué et perdu hurlait le nom de sa compagne afin de pouvoir retourner au camp. Des tas d’idées mauvaises lui passaient par la tête. “Et si je retrouve pas le camp qu’est-ce qu’il va m’arriver ? Vais-je me faire dévorer par je ne sais quel monstre des forêts ? Ou pire... mourir de faim !”. Puis un bruit de craquement de bois lui signala la présence de quelque chose, Lucyan, bien que parfois courageux avait tendance à trop laisser parler son imagination. Ne voyant pas grand chose il abandonna l’arc pour tirer une vieille épée de son fourreau. - Qui... qui va là !? Dit-il la voix tremblante.
Quelque chose brilla dans l’obscurité, la lumière s’approchait rapidement. Entre deux fourrés débarqua une femme assez imposante à la chevelure rousse coupée au carré. Elle tenait fermement le manche d’une grosse masse d’une main et une torche de l’autre.
- C’est toi qui fait autant de bruit !? Tu peux pas la boucler un peu, tu mériterais un bon coup sur le caboche pour t’apprendre le respect. C’est ainsi que Lucyan fit la connaissance d’une femme qui dévouait sa vie aux les autres depuis bien des années, une femme habituellement douce mais qui détestait qu’on la réveille.
- Euh... oui...
- Qu’est ce qui t’arrive ? dit-elle en s'adoucissant.
- Je chassais pour nourrir ma compagne et je me suis perdu, faut dire que de nuit un arbre ressemble à un arbre. Vous voulez bien m’indiquer la sortie de ce labyrinthe ?
Devant le désespoir de Lucyan, Dame Jeanne craqua, elle ne pu se raisonner à le laisser là au milieu de nulle part.
- Allez, suis moi... Mais pas de trop près j’aime pas ça. Je suis Jeanne, prêtresse de Méra et toi le perdu ?
- Lucyan... merci de ton aide, Jeanne.
- Jeanne c’est mon prénom, mais il faut m'appeler Dame Jeanne, je sais pas trop pourquoi, mais c’est comme ça, compris ?
- Du moment que vous me ramenez à bon port je vous appelle comme vous voulez, répondit-il avec un brin de moquerie.
Dame Jeanne traîna Lucyan jusqu’à son campement, une tente au voilage blanc cassé à côté de laquelle paissait un énorme mulet. L’admirable bête leva une oreille, remarqua que sa maîtresse était là et retourna dans ses rêves. Après avoir récupéré quelques affaires et donné une torche à Lucyan, la prêtresse emprunta un chemin broussailleux et toujours aussi obscur. Le temps du trajet Dame Jeanne décida d’en savoir plus sur son compagnon de fortune.
- Qu’est-ce que tu fais dans les environs Lucyan ? Tu cherches quelque chose ?
- En fait nous avons un compte à régler avec un certain Crocs noirs, nous le poursuivons depuis des jours et ça nous a conduit ici.
- Ah, d’accord, mais c’est tout, il n’y a rien d’autre ? Demanda-t-elle en tentant d’en savoir plus.
- Non non, rien de plus... Mais vous alors Dame Jeanne, que faites-vous au milieu de cette forêt ?
- Je... je voyage, de ci, de là, je vais où mes pas me mènent, dit-elle en tentant de mentir.
Lucyan avait perçu la réticence de la prêtresse à révéler les raisons de sa présence, il ne dit pas un mot jusqu’à ce qu’ils arrivent jusqu’à leur campement. Shana avait fini par s’endormir entre deux gargouillements de son estomac. Le feu s’éteignait doucement lorsque Lucyan et Dame Jeanne arrivèrent à une heure très tardive.
- Grouuiiiiiiiik*
Le ventre de Shana continuait de produire un cri de désespoir.
- Nous n’avons pas mangé depuis longtemps, dit Lucyan la mine triste, et j’ai rien attrapé, elle va m’engueuler. Dame Jeanne avait toujours de quoi manger sur elle, pour justement éviter les situations de cet acabit. Elle sortit de sa besace une miche de pain et un morceau de jambon.
- Tiens, pour ta copine et toi, je peux pas me résoudre à vous laisser dans cet état. Je vais remettre du bois dans le feu, on se caille ici. Lucyan réveilla Shana avec le plus de délicatesse possible.
- Shana... Shana, c’est moi, debout j’ai de quoi manger.
La jeune femme eut du mal à se réveiller, mais à l’évocation d’un probable festin elle émergea rapidement des brumes du sommeil. Sans le moindre remerciement ni parole elle se jeta goulûment sur ce qu’on lui présentait. Dame Jeanne lança plusieurs grosses branches dans le feu et les flammes se ravivèrent comme par magie. Ce n’est qu’à ce moment que Shana remarqua la présence de la prêtresse.
- Ch’est qui ? Che t’ai attendu une heure avant de m’endormir, dit-elle en mâchonnant énergiquement un bout de jambon.
- Je m’appelle Dame Jeanne, je suis prêtresse de Méra, j’ai trouvé ton ami...
- Nous nous sommes rencontré sur le chemin alors que je chassais ! Coupa-t-il avant qu’elle en révèle le déroulement de leur rencontre.
- Oui, voilà. J’ai proposé à ton ami de vous donner de quoi grailler. Et nous voilà.
- En tout cas, merchi, ch’est bien bonch.
- Oui merci, peut être pourrions-nous vous rendre un service en échange de cette nourriture ? Dit Lucyan en cherchant à découvrir les intentions de la prêtresse.
- N’hésitez pas, de toute façon je crois qu’on retrouvera jamais ce foutu Volk, alors autant se rendre un peu utile envers une personne qui nous aide, insista Shana.
Dame Jeanne s’assit près du feu, les souvenirs d’un moment désagréable de son passé resurgissaient. Sa présence ici n’avait rien des fruits du hasard...
- Sauriez-vous ouvrir une porte qui n’a pas de serrure ? Demanda Jeanne.
- Oui, c’est facile ça, déclara Shana enthousiaste.
- La porte en question est malgré tout close, entendez bien, elle n’a pas de serrure et est bel et bien fermée.
- Mais, c’est la porte de quoi ?
- Vous ne m’avez pas l’air de mauvais bougre et j’ai moi aussi besoin d’un coup de pouce, alors voici l’histoire. Non loin de mon campement se trouve un donjon, un château à l’abandon dont seule la grande tour est encore en état. C’est là que je veux aller, mais cette foutue porte reste close malgré mes tentatives. Ça fait déjà trois jours que je suis là.
- Qu’est-ce qu’il y a là dedans qu’une prêtresse de Méra voudrait ? Questionna Lucyan.
- Ce n’est pas la prêtresse qui veut quelque chose, mais la personne. Il y a deux ans, j’ai eu la plus grande peur de ma vie lorsque j’ai été attaquée par le Traquemage. Il s’en est fallu de peu que je passe de vie à trépas, c’est ma foi en Méra qui m’a sauvée. Depuis je me bats avec ce souvenir et je veux en finir.
- Il y a quelque chose pour effacer les souvenirs dans ce donjon ? Demanda Shana avec émerveillement.
- Non ! Mais il y a quelque chose qui me permettra de localiser le Traquemage pour que nous nous retrouvions face à face une bonne fois pour toute. Je ne peux pas vivre en sachant qu’il est là, quelque part et qu’il assassine des gens en toute impunité.
- Traquemage ? Vous avez survécu à l’attaque d’un Traquemage !?
Shana avait des étoiles plein les yeux.
- Vous êtes ma nouvelle idole, je vous adore ! On l’aide Lucyan ?
- Absolument ! Mais euh, avant ça, on peut dormir un peu non ?
Le lendemain le soleil s’était levé depuis longtemps avant que les deux voyageurs ne se réveille d’une nuit, ô combien, inhabituelle. Dame Jeanne quant à elle, préparait le repas de midi, elle avait passé la matinée à chercher la pitance pour ses jeunes compagnons. L’odeur de viande cuite attira Shana et Lucyan comme des papillons sur une fleur.
- J’ai pas osé vous réveiller, vous dormiez bien tous les deux l’un contre l’autre, il y a longtemps que vous vivez ensemble ? Interrogea Dame Jeanne avec un regard complice.
Les deux jeunes gens se regardèrent en rougissant.
- Nous ne sommes pas ensemble, on se connaît depuis petits mais entre nous y’a rien... Dit Shana en bégayant.
Dame Jeanne avait compris, il y avait bien quelque chose entre ces deux là, mais ça les gênaient, donc elle n’en parla pas plus. Le repas de midi se passa dans la sérénité mais les regards échangés en disaient longs.
- On a bien mangé, j’ai l’impression qu’on ne fait que de parler de ça depuis notre rencontre. Si nous y allions ? On verra si vous pouvez ouvrir cette fichue porte.
- C’est parti ! Cria Lucyan le ventre plein.
- Ouais ! Tu vas voir porte moisie ce qu’on va te m...
- Oui bon on a compris, coupa Dame Jeanne. Suivez-moi, et toi t’éloignes pas, ajouta-t-elle en se levant et à l’attention de Lucyan.
Le chemin pris dans la nuit avait l’air beaucoup moins menaçant et surtout moins sombre. Les oiseaux piaffaient dans les arbres et le vent soufflait dans les feuilles. La forêt accueillait ces visiteurs sans aucune agressivité. La balade durant une heure en suivant le sentier qui s'avéra être l’ancienne route qui menait au château. La mule de Dame Jeanne n’avait pas bougé d’un poil et hennit en voyant sa maîtresse. Quelques caresses et quelques pommes plus tard le groupe s’attela à défaire la tente de la prêtresse avant de partir vers le donjon.
La haute tour dépassait largement au dessus de la canopée, imposante de part sa taille massive de pierres taillées. Le lierre semblait trouver l’endroit à son goût car il avait grimpé sur deux de ses faces. De même nombre d’oiseaux profitaient d’orifices pour y nicher.
- Waaaaaah, c’est grand. Mais y a personne qui vit là dedans ?
- J’oubliais, vous êtes pas du coin, ceci est tout ce qui reste de l’incroyable château de Lemagrag. Il paraîtrait que ce puissant sorcier avait sous ses ordres un colosse prétendument ogre. Lemagrag aurait sombré dans la folie en cherchant d’étranges créatures bleues vivant dans ces bois. Obnubilé à l’extrême il aurait voulu construire une machine en haut du donjon dans le but de dénicher ces créatures, mais il tomba et s’écrasa comme une crêpe sur les pavés. Les portes du donjon se sont scellées afin de protéger ses secrets. Un seigneur rival ayant eu vent de la mort du sorcier est venu assiéger le château pour qu’on lui livre les secrets de Lemagrag. Il a rasé la plus grande partie du château, seul le donjon est resté car il est soit disant impossible de briser ces pierres-là. Mais à mon avis c’est un peu exagéré tout ça. Par contre ce qui est vrai, c’est cette fichue porte.
- Vous en savez des choses Dame Jeanne, dit Lucyan, nous sommes déjà passé dans la région et nous ne savions pas que c’était là.
- De toute façon tu sais pas grand chose, ricana Shana.
Cela fit grandement rigoler les deux femmes, et un peu moins le pauvre Lucyan, souvent sujet de railleries de la part de sa camarade. Leurs pas menaient inexorablement vers ce donjon qui de fait grandissait à vu d’œil. La route passa les vestiges de plusieurs remparts couverts d’une mousse verte et humide et se dirigea droit vers la fameuse porte. Dame Jeanne n’avait pas menti, les deux battants de bois étaient clos. En outre l’âge ne semblait pas avoir la moindre emprise sur les ferrures ou le bois alors que les toiles d’araignée et les plantes attestaient du bon déroulement du temps. Et bien sur pas la moindre serrure. Lucyan vérifia si elle était réellement fermée et oui, elle ne bougea pas le moins du monde, ni dans un sens, ni dans l’autre. Shana regarda à son tour mais n’arriva pas à faire mieux, c’est à dire pas grand chose. Puis ils s’y mirent à deux, puis à trois, forçant dans un sens, puis en essayant de la tirer, mais sans résultat.
- Bon, peut être que c’est fermé de l’intérieur par une poutre, dit Lucyan en sortant une dague de ses affaires. Voyons.
Il passa la lame dans l’interstice entre les deux battants au niveau du bas mais fut incapable de la remonter.
- C’est bloqué ! Dit-il en forçant autant qu’il le pouvait jusqu’à casser son arme. MA DAGUE !! Pesta-t-il en observant le résultat.
- Et en essayant de faire levier ?? S’empressa Shana, on pourrait la faire sauter de ses gonds.
Aussitôt l’idée donnée, aussitôt mise en place. Un rocher et un bâton plus tard, la fine équipe s'attela à faire sauter la porte.
- Crac*
Le bâton céda, coupé au niveau du rocher. Puis un deuxième lorsqu’une nouvelle tentative fut faite. C’est seulement à la cinquième tentative que la moutarde monta au nez de Dame Jeanne. De rage elle prit le rocher et le jeta au loin, puis râlant à n’en plus finir elle se dit que si la manière douce ne fonctionnait pas, il valait mieux passer à la manière forte. Ni une ni deux elle empoigna sa lourde masse, arma son bras et fonça sur la porte. Lucyan, ayant peur qu’un effet magique ne se déclenche, attrapa le bras pour freiner Dame Jeanne.
- Aide-moi Shana elle a fêlé la casserole la nonne !
Shana tira Lucyan en arrière, qui lui même tirait Dame Jeanne, qui rata la porte.
- Faut se rendre à l’évidence, c’est fermé de chez fermé ! Hurla Lucyan, vous êtes une personne de foi, mais là il nous faut de la magie, alors allons chercher une solution magique d’accord ?
Dame Jeanne respirait fort, encore énervée, puis la raison reprit le dessus.
- Oui il nous faut un mage pour résoudre cette affaire, laissons ça là et revenons avec une véritable solution.
Le groupe quitta les lieux avec Josette la mule. dame Jeanne se retourna une dernière fois et hurla.
- Je me vengerai satanée porte ! JE ME VENGERAI !
Bien plus tard la porte s’entrouvrit et deux petites créatures bleues à peine plus hautes que deux pommes en sortirent.
- On les a bien eu ceux-là, dit la première.
La deuxième rit de bon cœur avant de rentrer dans le donjon, la porte se referma jusqu’à la prochaine visite.
A suivre, un jour peut être...
Chapitre 25 - L’avant-garde
Le pas pressé d’Asajiro fit grincer les lattes du dojo de la grande demeure du clan du Corbeau. Plusieurs jours avaient passé depuis son départ d’une région hostile de l’empire et les nouvelles qu’il apportait nécessitaient l’intervention des maîtres de l’ombre. Malyss fut prévenu de l’arrivée du combattant de la Kotoba et l’attendait dans une petite pièce en partie plongée dans la pénombre. Une fois les armes déposées à l’entrée l’officier impérial s’agenouilla devant son hôte et tout deux se saluèrent.
- Avez-vous fait bon voyage ? Demanda poliment Malyss.
- Long et pénible, je ne suis pas mécontent d’être revenu à Meragi, dit-il en sortant un rouleau à parchemin. Voici deux rapports de nos alliés Combattants de Zil et Envoyés de Noz’dingard. Le premier est rédigé par votre confrère de clan, Karasu, le deuxième provient de Kyoshiro.
- A la vue de votre mine soucieuse, je suppose que vous connaissez la teneur de ces messages et que cela vous perturbe.
- Je vous laisse juger par vous-même.
Malyss décacheta le porte-parchemin et déroula le premier avant d’en parcourir les colonnes d'idéogrammes. Karasu y expliquait en détail ses recherches en compagnie des “sauvages” Combattants de Zil.
“Déjà plusieurs semaines en compagnie de nos alliés Zil sous le commandement de Yu Ling. Il s’avère que leurs connaissances de la magie de l’ombre sont supérieures aux nôtres. Comme il a été convenu j’ai conduit une partie d’entre eux jusqu’à Maoling où nous n’avions pu remonter la piste “Yakoushou”. Après plusieurs jours de rituels magiques, Kuraying a été capable de comprendre cette étrange magie de l’ombre. De ce fait nous avons poursuivi les investigations qui nous ont conduits jusqu’à la lointaine Shirozuo. Les rares habitants des environs n’ont pas été en mesure de nous fournir de renseignements. Néanmoins nous avons trouvé plusieurs squelettes d’oiseaux géants, certainement des serviteurs de Yakoushou morts. Assurément sur la bonne piste nous avons découvert deux jours plus tard un campement abandonné depuis longtemps. Parmi les restes d’un feu se trouvaient plusieurs objets digne d'intérêt : une pièce plate de la taille de la paume de la main semblable a un croissant de lune et un bout de parchemin brûlé portant des écritures inconnues.
Devant l’importance de la découverte nous avons pris l’initiative de faire envoyer l’objet en métal à la draconienne appelée La Pythie. Quant au parchemin vous êtes le plus à même de pouvoir en comprendre la signification, il est joint à mon message.
Karasu Kage.”
Malyss roula le parchemin avant de saisir le fameux bout de papier. Il n’en restait pas grand chose, à peine un coin, mais effectivement quelques symboles, probablement des écritures étaient bien visibles. Il le reposa délicatement sur la table basse face à lui avant de passer à la lecture du second rapport.
“Seigneur Malyss,
Ma mission auprès des envoyés de Noz’Dingard avance aussi sûrement qu’Okooni avalant un bol de nouilles. Mes a priori sur ces gens s’effacent au fur et à mesure du temps qui passe. Comme demandé par le Seigneur Impérial Gakyusha, je suis depuis quelques jours en compagnie de la Pythie. Une femme somme toute remarquable de part son habileté à entrevoir des événements passés, présents ou futurs. Je fus le témoin d’une scène qui à coup sûr va vous interpeller autant que ce fut le cas pour moi. C’était un soir alors que la lune était haute et pleine, je marchais en compagnie de cette dame à la robe bleue et au regard troublant. Nous devisions dans des jardins aussi zen que ceux de Meragi lorsque je la trouvai blafarde. Elle regardait la surface de l’eau d’un bassin qui se trouvait juste à côté de nous et où la lune se reflétait. Sans crier gare elle avança dans l’eau et s’agenouilla en contemplant le reflet. Je lui demandai se qui lui arrivait et elle me raconta ce qu’elle voyait, là dans la lune. Une magnifique et terrifiante cité de tours effilées perçant un ciel rougeâtre qui d’après la Pythie ne serait pas sur les terres de Guem. Elle me dit aussi entrevoir un animal au pelage de lune et des personnes de grandes tailles, plus encore qu’un Hom’chaï et que ces personnes cherchaient quelqu’un ou quelque chose. Il me semble important que vous preniez en compte cette vision, fusse-t-elle émise par une Draconienne. En effet sauf si mes souvenirs me jouent quelques tours facétieux le fameux étranger aperçu à plusieurs reprises dans les territoires impériaux correspondrait aux descriptifs de la Pythie.
Puisse la main impériale nous protéger.
Kyoshiro”
- Hum, les rapports de Kyoshiro sont toujours embellis de fioritures inutiles et lyriques. Que pensez-vous de ces nouvelles Asajiro ?
- Elles sont assurément liées.
- Je le pense aussi, mais encore ?
- Je ne sais pas tout de cette histoire, je suis un combattant, pas un enquêteur.
- Vous avez raison. Merci d’être venu m’apporter ces rapports, je vous libère de vos obligations.
Asajiro salua Malyss et quitta la pièce, puis la demeure du Corbeau pour retourner au palais Impérial. Quant à Malyss il passa les jours suivants à tenter de déchiffrer les mystérieuses écritures, sans succès. A bout de nerf il dut se résoudre à abandonner pour le moment ses recherches car une autre nouvelle arriva de la part de Karasu Kage. Il en commença la lecture puis après avoir parcouru les premières pages il fit un bond. Il roula le parchemin et le replaça dans le morceau de bambou laqué qui le contenait, puis il se pressa dans la grande salle de la demeure du Corbeau. Il y avait là plusieurs serviteurs s’affairant aux corvées comme à leurs habitudes, ainsi que jeune femme habillée dans la plus pure tradition du clan.
- Chidori ! J’ai une mission à te confier.
La jeune femme avança le pas léger jusqu’à Malyss et s’agenouilla devant lui.
- Va jusqu’à la demeure du Seigneur-Impérial Gakyusha et remets-lui ceci, dit-il en lui tendant le porte-parchemin. Défends-le au péril de ta vie si nécessaire. Une fois sur place mets-toi au service de la Kotoba.
Chidori leva les deux yeux sur le parchemin, s’en saisit avec rapidité et courut jusqu’à la porte avant de sortir sans dire un mot. Avec agilité elle grimpa sur les toits pour parcourir la distance jusqu’à son objectif. La maison de Gakyusha se situait de l’autre côté de la ville dans le quartier le plus riche de la cité impériale, non loin du palais. Il aurait fallu plus d’une heure de marche à n’importe quel quidam pour relier les deux points, mais Chidori comme beaucoup de membres du clan du Corbeau pouvait se mouvoir avec une facilité et une rapidité déconcertantes. A peine essoufflée elle se présenta devant la porte de la maison où elle fut accueilli par Henshin, le grand père d’Iro et d’Ayako, les deux enfants du Seigneur-Impérial. Elle posa le parchemin devant elle tout en étant genoux à terre en signe de respect.
- Ceci est pour le Seigneur-Impérial Gakyusha.
- Très bien, je vais le lui confier, dit Henshin en allant ramasser le porte-parchemin de bambou.
- N’y touchez pas, je dois le lui remettre en personne et à nul autre, même si je vous sais membre de sa famille.
- Je vois, dit Henshin en se relevant. Suis-moi enfant du Corbeau, je n’irai pas à l’encontre d’une mission.
Chidori suivi Henshin jusqu’à Gakyusha qui s'entraînait torse nu dans le grand jardin. Voyant la jeune femme du Corbeau arriver il rangea son sabre et passa un kimono rouge pour cacher la large cicatrice d’une blessure ancienne. L’homme avait désormais plusieurs mèches blanches signe du temps qui passait inexorablement. Chidori se prosterna en présentant le porte-parchemin.
- De la part de Malyss du clan du Corbeau.
- Je te remercie, dit Gakyusha en déroulant le parchemin.
“Honorable Malyss,
Ce rapport est prioritaire, vous devez, une fois lu impérativement le faire parvenir au Seigneur-Impérial pour qu’il décide des actions à mener. Nous avons poursuivi avec nos alliés Zil la piste de l’étranger dans la région de Shirozuo. Nous avons formé des groupes de deux afin de mieux quadriller le secteur et cette tactique a porté ses fruits. J’étais en compagnie de Kolère, un farouche Combattant de Zil lorsque nous avons assisté à un évènement.
C’était une scène de combat d’une rare violence entre deux personnes. D’un côté Yakoushou, le Karukaï que nous cherchons depuis des années, de l’autre un homme de grande taille. Ayant lu une copie du rapport de Kyoshiro à propos de la vision de la Pythie, et recoupé aux descriptions recueillies, je peux assurément dire qu’il s’agissait de “l'étranger”. Hors clairement l’affrontement n’était pas en faveur de Yakoushou, les techniques employées par l’étranger n’ont rien de commun avec ce que Kolère ou moi connaissons. Le Karukaï à bout de force se retrouva dépassé par la puissance de l’adversaire.
Nous avons suivi l’étranger qui tirait Yakoushou par le cou pendant une bonne heure avant d’arriver dans un endroit encore plus désolé que le reste. Là il pratiqua un étrange rituel et une porte gigantesque avec un style très Xziarite apparut. Là, il draina visiblement la magie de Yakoushou pour ouvrir la porte. Une femme, semblable à l'étranger en sortit, puis la porte s’est immédiatement refermée. Tous deux parlèrent dans un dialecte inconnu, je compris seulement que la femme n’avait pas l’air contente de l’étranger. Ne souhaitant pas nous faire repérer j’ai laissé Kolère là afin de vous prévenir. Nous allons bien sur suivre ces personnes et les observer.
Karasu Kage.”
Gakyusha sembla réfléchir quelques instants tout en relisant certains passages du rapport.
- Quel est ton nom ? Demanda-t-il à la jeune femme qui n’avait pas bougé d’une plume.
- Chidori.
- Bien, Chidori, réunis les membres du clan disponibles, deux ou trois personnes en plus de toi, rendez-vous ensuite au dojo des traqueurs où nous nous rejoindrons. Prévoyez de quoi voyager, nous partons dès que possible pour Shirozuo.
Elle baissa la tête en signe d'assentiment et s’en alla tout comme elle était venue.
- Que se passe-t-il ? Demanda Henshin à Gakyusha.
- Je ne suis pas encore certain, mais des personnes qui ne sont pas originaires des Terres de Guem, et capables de vaincre un des plus puissants Karukaï, se baladent dans l’Empire de Xzia avec je ne sais quel but en tête. Il nous faut assurer la sécurité de l’empire. Puis-je te demander quelque chose ?
- Oui ?
- Envoie une missive à Kyoshiro avec une copie de ce message, qu’il prévienne les Envoyés de Noz’Dingard. Je préfère être prudent et parer à tout problème d’ordre magique.
- C’est une sage décision, je ferais suivant ton désir.
- Merci. A présent je dois me préparer, je suis assez excité par la perspective d’enfin voir la résolution du mystère Yakoushou.
Fin de l'Acte 6, à suivre durant l'Acte 7 : Les Portes de l'Infini.
Acte 7 : Les Portes de l'Infini
Chapitre 1 - Les portes
Aucun son ne sortait de la gorge de Yakoushou. Le Karukaï agonisait, sa magie s’échappait de lui, le vidant de sa substance. Lui qui régnait sur les plus puissants esprits avait perdu un long combat contre cet être sorti de nulle part. Combien de temps s’était écoulé depuis leur première rencontre ? Il ne savait pas, le temps n’avait pas d’emprise sur lui. Des centaines d’esprit-oiseaux avaient péris pour le protéger.
- Qui... qui es-tu, pourquoi... me fais-tu ça ? Demanda Yakoushou fermement retenu par l’Etranger.
- Je ne suis qu’un éclaireur, Esprit, avec une mission que je suis en train d’achever. C’est tout ce que tu as à savoir.
La gigantesque porte face à eux s’illumina de centaines de glyphes, puis elle s’entrouvrit lentement. Une sorte de gros renard au pelage d’argent apparut alors sur le seuil. La bête alla se frotter contre les jambes de l’Etranger. Ce dernier jetait à terre la dépouille du Karukaï qui avait choisi ce monde au prix d’une vie mortelle dans le but de se venger du Corbeau. C’est alors qu’une personne passa par la porte.
C’était une femme qui, à n’en pas douter, avait les mêmes origines que l’Etranger.
- Théya je livre ce monde à vos pieds, dit-il en s’inclinant avec respect.
- Prétentieux, ce n’est pas parce que tu es arrivé à entrouvrir cette satanée porte que cela va améliorer ta condition. Tu devais nous envoyer des rapports plus fréquemment.
- Pardonnez-moi, la cible était plus coriace qu’elle ne le laisser présager.
- Tu es faible, ta lenteur retarde les plans.
A ce moment là la porte derrière se referma, se scellant à nouveau. Théya, au visage lisse et blanc fit une moue de mécontentement.
- Malgré la puissance de la cible la porte ne s’est pas ouverte en totalité et pour un temps trop court. Cela ne me convient pas.
- Il nous faut suivre le plan.
- Bien sûr ! Où est le pion ? Demanda Théya en regardant aux alentours.
La petite créature, arrivée en même temps que Théya, reniflait dans une direction. Plus exactement il venait de sentir l’odeur de Kolère, caché un derrière un rocher.
- Barre-toi souffla Kolère en prenant un air menaçant.
Effectivement l’espèce de renard retourna auprès de Théya, non pas par peur mais pour prévenir celle-ci.
- Le pion est là, dit-elle après avoir communiqué avec son familier.
D’un geste souple elle saisit une flûte attachée à son côté et joua quelques notes. Le son produit n’avait rien de musical, c’était comme une sorte de code. Lorsque Kolère entendit ces notes quelque chose changea, comme si un verrou venait de sauter dans sa tête. Il se leva, sauta le rocher devant lui et marcha à pas lent jusqu’à Théya et l’Etranger.
- Tu joues ton rôle à la perfection, Kolodan, je savais que les Combattants de Zil seraient de parfaits compagnons pour toi, ironisa Théya.
- Ils ne se doutent de rien, dit Kolère. Quels sont vos ordres ?
- Il faut continuer la stratégie que nous avons mis en place. En premier lieu il nous faut ouvrir la porte de la forêt des Eltarites, c’est la porte la plus centrale des Terres de Guem.
- Où va-t-on trouver la puissance nécessaire à son ouverture ? Interrogea l’Etranger.
- Arrête de poser des questions stupides, nous allons capturer l’héritier d’Eredan et absorber la magie qu’il a reçu en héritage.
- Ce n’est qu’un humain, comment peut-il avoir plus de puissance que l’esprit-oiseau ? dit l’Etranger en montrant le cadavre de Yakoushou.
- Je viens de le dire, il a toujours en lui une parcelle de la magie d’Eredan et de Néhant. En plus durant toutes ces années où tu as traîné la jambe pour vaincre le Karukaï, nous avons fait en sorte que l’héritier trouve un peu plus de légitimité...
Kyoshiro parcourait les rapports qui lui parvenaient de l’Empire de Xzia avec beaucoup d’attention. Il n’en croyait pas ses yeux, toute cette histoire avait finalement un sens, la vision de la Pythie n’était pas le passé et encore moins le futur, mais le présent. Le chasseur de démon courut au travers du dédale de couloirs du palais de Noz’Dingard à la recherche d’une autorité compétente. Il finit par trouver la Pythie en discussion avec le Maître-Mage Pilkim. A son approche les deux Draconiens cessèrent de discuter pour l’accueillir.
- Vous tomber bien Kyoshiro, dit Pilkim. Je discutais de l’affaire que vous appelez Mystère Yakoushou avec la Pythie suite à la réception d’une missive provenant de chez vous, ajouta-t-il en montrant un parchemin.
- J’ai reçu semblable lettre, allez-vous intervenir ? Demanda Kyoshiro impatient.
- Certainement. Néanmoins j’ai pour le moment d’autres affaires très urgentes à gérer avec Prophète. Aussi c’est Ciramor qui, étant le plus apte à comprendre cette énigme, va partir sur place. Je l’ai fait prévenir, si vous désirez partir avec lui ou le voir avant qu’il ne quitte Noz’Dingard.
- Oui j’aimerais connaître son avis sur le sujet. Où puis-je le trouver ?
- Il est à l’académie de magie, vous y êtes déjà allé me semble-t-il, non ?
- Oui j’ai l’autorisation nécessaire. Je vous remercie pour votre aide en tout cas. J’ose caresser l’espoir que la situation en Draconie ira en votre faveur.
- L’avenir nous le dira, dit Pilkim en jetant un œil contrarié vers la Pythie.
Kyoshiro s’inclina en signe d’au revoir et laissa les deux Draconiens à leurs soucis.
Depuis le départ de Dragon, la fréquentation de l’académie de magie était en chute libre. Aussi les étudiants n’étaient guère nombreux en cette période de tension internes à la Draconie. Les professeurs discutaient dans les couloirs, attendant de pouvoir délivrer leur savoir à qui voudrait bien. Devant le manque à gagner pour la structure, les étudiants des autres nations furent admis exceptionnellement en plus grand nombre. Sans cet assouplissement dans le règlement de l’académie, jamais Kyoshiro n’aurait pu en parcourir les couloirs et les livres magiques. Une tour entière était même réservée pour ces étrangers. C’est là que depuis quelques années vivait Ciramor. Lorsque l’héritier d’Eredan se sépara de Néhant il fut recueilli par les Draconiens dans un état lamentable. Il mit plusieurs mois à remonter la pente, les pensées souvent envahies par les noirs secrets Néhantistes.
Lorsque Kyoshiro entra dans la salle commune, il retrouva l’héritier d’Eredan sur le départ.
- Ciramor ? J’ai de la chance de vous trouver avant que vous ne partiez, dit Kyoshiro en s’inclinant pour le saluer.
- Oui ? Je vous ai déjà vu il me semble... Kyoshiro ?
- C’est cela, puis-je vous poser quelques questions ?
- A quel propos ?
- Le Maître-Mage Pilkim vous a demandé de partir pour l’Empire afin d’appuyer les investigations de mes compatriotes et des Combattants de Zil, n’est-ce pas ?
- C’est exact, cette histoire-là, outre le fait d’être intrigante, traite d’un sujet qui m’est cher.
- Lequel ?
- Il y a dix ans Dragon et Néhant ont passé une sorte d’immense porte et ont disparu de notre monde. Depuis je n’ai cessé de chercher des informations sur cette porte et ce que j’ai trouvé me parait capital pour réussir à faire revenir Dragon. J’ai interrogé les guildes, fouillé les archives du Conseil, de l’Académie, de l’Empire, de Tantad. L’histoire des Terres de Guem recèle d’apparitions de portes semblables à celle qu’a fait apparaître Dragon. La dernière description d’une telle porte vient de votre compagnon de la Kotoba. Mais ce n’est pas tout. Depuis que Karasu a écrit le rapport que nous avons reçu j’ai eu d’autres informations. Les étrangers arrivés par la porte située à Shirozuo ont quitté l’Empire par le sud-ouest. Je devrais pouvoir les intercepter juste avant qu’ils n’arrivent à une autre porte.
- Mais comment savez-vous tout ça ? S’étonna le Xziarite.
Ciramor tendit sa main et fit apparaître alors un bâton, un objet splendide fait de cristal et d’argent. Une petite créature d’air tournoyait lentement autour. Kyoshiro avait rarement vu un aussi bel objet.
- Ceci est la Sagesse d’Eredan, créée par Dragon en personne elle fut offerte à Eredan pour l’aider dans la lutte contre Néhant. Je n’ai certes pas la même valeur qu’Eredan qui était d’un niveau tout autre que le mien, mais je peux aujourd’hui réellement me sentir comme son héritier.
- Comment l’avez-vous obtenu ?
- C’est une longue histoire et une aventure qui m’a accaparé quelques années. Je vous la narrerai le moment voulu. Si vous n’avez pas d’autres questions, je vous laisse.
- J’en ai sûrement encore beaucoup, mais je ne vous retiens pas plus. Je vous souhaite un bon voyage.
- A bientôt Kyoshiro, et n’oubliez pas, la magie permet de tout faire.
A ce moment là Ciramor saisit la Sagesse d’Eredan à deux mains et la créature d’air voleta autour de lui. C’est alors que dans une gerbe d’étincelles l’héritier d’Eredan disparut, laissant Kyoshiro bouche bée.
Ciramor traversa des lieues et des lieues instantanément, il sut parfaitement où il voulait aller. Sangrépée et Sansvisage, deux membres des Combattants de Zil furent précis quant à l’endroit où ils avaient trouvé Kolodan. C’est là qu’il réapparut. Depuis le passage des deux Zil, la forêt avait repris ses droits et désormais de larges arbres entouraient une clairière d’herbe bien verte. Il ne fallut pas longtemps avant que le phénomène qu’il voulait observer ne se produise. Entre deux arbres une porte à double battant d’au moins trois fois sa hauteur se dessina lentement. L’encadrement était fait de racines et la porte en elle-même de bois sculpté. Ciramor admira l’œuvre, enfin face à l’une de ces portes il commença à percevoir le potentiel. La magie qui s’en dégageait n’avait rien de commun.
- De la magie pure, extraite de Guem, dit une voix en provenance de l’autre côté de la clairière.
C’était Théya accompagnée de l’Etranger et de Kolère.
- Nous avons presque failli t’attendre Ciramor.
- Nous connaissons-nous ?
- Je te connais oui, mais toi tu ignores qui nous sommes n’est-ce pas ?
- Non, mais je sais que vous êtes capables d’ouvrir cette porte, mais qu’est-ce qu’il y a derrière ??
- Tu essayes de me soutirer des informations mais tu n’obtiendras rien de moi. Considère-toi comme étant notre prisonnier. Ne résiste pas et tu garderas la vie sauve, tente quoi que ce soit et nous n’aurons aucun scrupule à t’éliminer, cria Théya.
Ciramor analysa rapidement la situation. Il connaissait Kolère, mais pas les deux autres. L’Etranger commençait à avancer vers lui alors que Théya restait en retrait. Leurs intentions étaient hostiles il ne devait pas laisser faire ça. Il prit alors les devants et deux boules de feu partirent rapidement de sa main droite alors qu’il tenait fermement la Sagesse d’Eredan de sa main gauche. Les deux sorts firent mouche et l’Etranger fut projeté dans les arbres loin derrière lui. Théya avait prévu cette réaction et ordonna à Kolère d’agir. L’homme grogna et alors qu’il avançait se transforma en volk-garou. Ciramor, comprenant que Kolère n’était pas maître de ses gestes le bombarda littéralement de sortilèges dans le but, non pas de le tuer, mais de le neutraliser. Lorsque la fumée produit par les sorts s’en alla il remarqua que Kolère n’avait aucune entrave et avançait toujours. En observant mieux il vit ce qui empêchait ses sorts de faire de leurs effets : une pierre-cœur néhantique.
- Où ? Où as-tu eu ça ??? Hurla Ciramor dans une expression de colère et de peur.
Théya se fendit d’un rire sinistre.
- Tu n’es pas à la hauteur Ciramor, tu ne peux pas empêcher l’inévitable.
- Mais que voulez-vous à la fin.
- Dans l’immédiat, toi et ton bâton.
Chapitre 2 - Fermeture !
- Me sous-estimer est une grave erreur, dit Ciramor en restant à bonne distance de Kolère. Si je suis étonné de voir une pierre-cœur Néhantique c’est simplement parce que cela se fait rare, mais cela ne me pose pas le moindre problème, la magie s’adapt...
D’un bond Kolère lui sauta dessus et ses griffes arrachèrent un pan de tissu et des lambeaux de peau. L’héritier d’Eredan lâcha un petit cri de douleur, mais se concentra sur sa cible. Étant au contact de son adversaire il attrapa fermement la pierre-cœur Néhantique et tira pour briser la chaînette du cou de Kolère. La magie afflua jusqu’à sa main et le cristal rouge et noir éclata dans un bruit sec. Le Combattant de Zil profita que l’attention de Ciramor se portait sur la pierre-cœur pour asséner un nouveau coup de griffes. Cette fois la blessure fut profonde et le sang coula abondamment. Théya jubilait, l’héritier allait se faire mettre en pièces par son esclave et le bâton allait être entre ses mains pour enfin ouvrir cette porte. Cela ne se passa pas exactement comme elle le voulait.
A présent que la pierre-cœur Néhantique n’existait plus, le mage déchaîna une pluie de sortilèges puissants. Le pauvre Zil ne put faire grand chose que subir, obligeant Théya a prendre part au combat. La femme au teint blafard plaça sur son visage le masque qu’elle portait à la ceinture et dégaina une dague à lame courbe. Elle s’approcha lentement des deux adversaires aux prises l’un avec l’autre, espérant qu’elle ne se ferait pas remarquer. C’était prendre une nouvelle fois Ciramor pour un incompétent, alors que depuis son départ des Confins pour les terres de Guem il avait acquis un savoir immense et s’était endurci. L’héritier éjecta Kolère grâce à un sort d’air puis dressa un mur de glace autour de lui.
“ils sont trop nombreux, je dois trouver autre chose” pensa-t-il. De l’autre côté du mur Théya testa un peu l’épaisseur de la glace, puis voyant que c’était solide elle se focalisa sur la porte.
- Tu es immobile, c’est parfait, dit-elle. Tu sais c’est surtout ça le principal, plaisanta-t-elle. “Si je me téléporte ailleurs je n’aurais potentiellement plus assez de force pour revenir.” Se dit Ciramor cherchant une idée. La porte de l’Infini s’illumina et il ressentit alors une force qui arrachait de la magie, à lui et à la Sagesse d’Eredan. Poussé dans son dernier retranchement Ciramor eut un déclic. Il lui fallait agir rapidement sans quoi il ne serait plus en mesure de faire quoi que ce soit. Le mur de glace s’écroula sur lui-même laissant le mage sans protection. Théya profita de ce moment pour passer sa lame sous sa gorge. - Ne t’en fait pas je ne vais pas te tuer... pas de suite. Regarde qui revient, Kolère et mon cher souffre douleur. Tu vois, tu es totalement à ma merci. Les deux autres arrivèrent lentement, brûlés et blessés par Ciramor. La porte de l’Infini s’illumina et s’entrouvrit, se gavant de la magie de l’héritier d’Eredan. Ce dernier chuchota alors quelques mots. - Qu’est ce que tu dis ? Tu demandes pitié ? Tu me supplies ?
- A PLUS TARD ! Cria-t-il au moment où des bandes de magie verte partirent d’une zone créée sous lui.
Théya fut la première à se retrouver enserrée par des bandes, qui en fait étaient plutôt des aiguilles d’horloge. Les deux autres se retrouvèrent rapidement empêtrés et tous les trois finirent entièrement recouvert de bandelettes et incapables de faire le moindre mouvement.
Ciramor à bout de force eut juste le temps de parachever son sort avant de s’écrouler par terre, inconscient. Les bandelettes se volatilisèrent, en même temps que Théya, l’Étranger et Kolère.
- Il se réveille... Ciramor, vous allez bien ?
Ses paupières s’entrouvrirent légèrement, il se sentait faible, sans force. Le temps de s’habituer à la lumière ambiante il remarqua qu’il se trouvait dans une grande cahute, allongé sur un lit de feuilles et de mousse. La personne qui s’adressait à lui c’était Fe’y, le jeune Daïs au visage dépourvu de bouche lui faisait face, et ses yeux exprimait l'intérêt qu’il lui portait.
- J’ai l’impression qu’un rocher m’a roulé dessus, mais à part ça je vais bien. Qu’est-ce que je fais ici... et les envahisseurs ?? Dit-il en se remémorant sa bataille contre Théya, Kolère et l’Étranger. Ciramor se redressa péniblement sur le lit, les larges griffures faites par Kolère étaient à présent bandées. Dehors la nuit recouvrait la forêt de son manteau de ténèbres.
- Combien de temps ais-je dormi ?
- Je vais vous expliquer.
Ourénos suivi d’un autre Daïs que Ciramor ne connaissait pas entra dans la pièce. L’Eltarite avait côtoyé l’héritier d’Eredan lorsque celui-ci était venu passer quelques temps avec la Cœur de sève. Ils se saluèrent l’un l’autre, puis Ourénos s’assit au milieu de la pièce.
- Pas de trace des fuyards, dit-il.
- Vous m’expliquez ? Insista Ciramor auprès de Fe’y.
- Oui, donc, vous le savez depuis plusieurs années nous avons renforcé la sécurité de la forêt. Pour ce faire, un système magique a été mis en place. Si par un moyen ou un autre des personnes qui ne sont pas autorisées entrent sur notre territoire, nous sommes immédiatement avertis. Hors ce matin nous avons détecté une intrusion. N’ayant pas de sentinelle Elfine dans les parages, nous avons décidé d’y aller nous-même, une poignée de Daïs et Ourénos en force de frappe. Nous sommes arrivés sur place une bonne heure plus tard et nous vous avons trouvé là, devant une gigantesque porte en partie ouverte. Plusieurs personnes en sont sorties à peu près au même moment et nous ont agressés sans prévenir. Il n’en fallut pas plus à Ourénos pour se lancer dans la mêlée. Quant à nous, nous vous avons mis à l’abri pour ensuite entreprendre de circonscrire les envahisseurs autour de la porte. Il faut bien l’avouer le combat fut rude. Mais ils furent surpris de nous voir aussi vaillants... et puissants. Nous attaquer chez nous, c’est une folie que même les Nomades n’entreprendraient pas à présent. Nous avons repoussé l’assaut et renvoyé tout le monde par la porte, puis notre Eltarite à fini le travail en refermant les deux battants. Le plus étrange fut la fin de cette histoire. Lorsque la porte fut refermée, elle disparut.
Tout cela est très résumé Ciramor, mais c’est dans les grandes lignes ce qu’il s’est passé. Maintenant j’aimerais savoir ce que vous vous faisiez là ?
Ciramor écarquilla les yeux en comprenant qu’il avait échappé à une deuxième belle bataille.
- Il n’y avait personne d’autre quand vous êtes arrivés à la porte ? Demanda-t-il.
- Non, seulement vous par terre, puis les envahisseurs de la porte.
- Je ne suis pas l’intrus que votre magie a détecté car je suis autorisé à venir dans votre forêt. En venant jusqu’ici je comptais intercepter des étrangers arrivés par une porte de l’Infini située dans l’empire de Xzia. Je les ai trouvé et affronté, leur groupe était composé d’un homme en armure, de Kolère le Combattant de Zil et d’une femme qui semblait les diriger. Tout cela n’était qu’un piège, ils ont servi d’appâts pour m’attirer jusque-là afin d’ouvrir la porte de l’Infini que vous avez vu grâce à ma magie et à celle de la Sagesse d’Eredan...
Puis le jeune homme se souvint de son bâton, il ne le vit nulle part.
- Il devait y avoir un bâton en cristal avec moi ! Rassurez-moi et dites-moi qu’il était là lorsque vous êtes arrivés.
- N’ayez pas d’inquiétude, la Sagesse était là, mais elle a souffert. Eikytan est en train de s’en occuper... terminez donc votre histoire Ciramor.
- La femme... c’est une redoutable tacticienne, dit-il en se souvenant du combat. Elle a fait en sorte que mon attention se porte sur ses deux amis, puis acculé j’ai dressé un rempart de glace, j’ai été bête car je me suis bloqué. Elle en a profité pour me drainer ma magie et ouvrir la porte. Mais j’ai résisté et en dernier recours j’ai utilisé un sort de temps.
Fe’y plissa les yeux.
- Un sort de temps ? Vous avez envoyé vos adversaires au travers de la Trame du Temps ?
- Apparemment, c’est ce qui me paraissait le plus logique sur le moment. Le problème c’est que je n’ai aucune idée de quand ils vont réapparaître, dans une minute, demain, dans mille ans ? En tout cas ils ne sont pas dans le passé, sans quoi j’aurais modifié l’histoire.
Plusieurs petits esprits en forme de boule fantomatique traversèrent les murs de l'habitation pour venir chuchoter quelque chose à Fe’y.
- Ils viennent de revenir, dit le Daïs. Deux choix se présentent à nous Ciramor. Soit nous les neutralisons, soit nous prenons le risque de les suivre.
- Je préfère les mettre sous surveillance. Ils ont échoué à ouvrir la porte de l’Infini qui se trouvait là, je veux savoir comment ils vont s’adapter à cet échec.
- Qu’il en soit ainsi.
Lorsque Théya, l’Étranger et Kolère réapparurent la porte de l’Infini, tout comme Ciramor n’étaient plus là. L’equinoxienne tourna sur elle même, fortement décontenancée par ce qu’il venait de se passer elle laissa échapper sa rage et hurla de toutes ses forces. Puis d’un geste elle frappa l’Étranger en plein visage.
- Kolodan s’est mieux battu que toi, si tu avais fait preuve d’un peu de savoir faire nous aurions pu capturer convenablement Ciramor !
L’Étranger ne broncha pas, mais le coup était un de trop. Partagé entre sa fureur et sa loyauté il se contenta de réajuster son armure et de remettre son casque.
- Qu’elle est la suite du plan ? Demanda-t-il d’une voix monotone.
- Ne restons pas là, mon gardien de lune doit avoir trouvé la piste de notre prochaine cible.
Chapitre 3 - Guerre civile
Kounok supportait sa tête, le coude posé négligemment sur la large table de cristal. Voilà des heures et des heures qu’il était là, écoutant avec lassitude les rapports de ses généraux sur les avancées et les reculs des divers fronts de bataille. Heureusement tout cela avait enfin cessé, pause salvatrice pour Prophète. Les généraux avaient regagné leurs quartiers jusqu’au lendemain et il se retrouvait seul, ou presque.
- Mère, la situation nous échappe, si nous continuons ainsi nous risquons la dislocation de la Draconie, dit-il en regardant la gemme-cœur de Dragon à travers les hautes fenêtres de la salle.
Mais seul le silence fit écho à sa question et cela n’avait rien d’inhabituel. Voilà déjà plusieurs années qu’Anryéna, sa mère, s'efforçait de résoudre les problèmes magiques et de défense. Elle cherchait avec certains mages une solution pour faire revenir Dragon, mais sans succès jusque-là. Puis alors qu’il se levait de sa chaise, les feuilles de papier et les plans sur la table s’envolèrent légèrement comme si un courant d’air passait. Dans une lumière bleutée Pilkim apparut. Kounok qui avait alors Chimère dans sa main abaissa la lame vers le bas.
- Bonjour Kounok, dit le mage.
- Pilkim... décidément tu soignes de plus en plus tes entrées. Que me vaut l’honneur de ta visite Maître-Mage ? Revenu du front d’Arcania visiblement.
- Ouais, je fais un passage éclair pour une réunion du Compendium, déclara Pilkim en s’affalant dans un des larges fauteuils autour de la table. Et toi, ça avance ? Quel bazar ici !
Kounok fit disparaître Chimère et s'installa dans son siège.
- Pour tout te dire, non, ça n’avance pas, je dirais que c’est de pire en pire. Je désespère...
- Et bien sache que je suis porteur d’une bonne et d'une mauvaise nouvelle en provenance d’Arcania.
- Commence par la bonne.
Pilkim posa sur la table un porte-parchemin de cuir fermé par un sceau de cire. Kounok s’attarda sur le-dit sceau : les armoiries d’Arcania.
- Je viens de la part du Seigneur-Dragon d’Arcania, le document qui se trouve à l’intérieur est un serment de fidélité et signe par là-même l’arrêt des hostilités avec ce territoire.
Le regard de Kounok s’éclaira d'intérêt et pour la première fois depuis longtemps un sourire se dessina sur ses lèvres.
- Splendide ! Voilà un événement qui, je l’espère, fera boule de neige. Comment en es-tu arrivé à ce résultat ?
- C’est ce qui me fait aborder la mauvaise nouvelle et ma présence ici. Il y a quelques jours a eu lieu une bataille rangée entre les forces d’Arcania et deux de nos régiments. Nous avons fini par vaincre, mais un de nos hommes a eu un comportement détestable et fâcheux, entraînant la mort de deux soldats.
- La guerre implique des morts, dit Kounok.
- Deux soldats de notre camp.
- Ha... continue ton histoire.
- Cette personne a fait preuve de cruauté et a mis hors d’état de nuire des soldats d’Arcania qui s’étaient rendus, ce qui le place hors nos lois. Et si je suis ici c’est parce qu’il s’agit de ton neveu, Aerouant. Je viens de le ramener, il est actuellement en détention dans une geôle de l’académie.
Kounok souffla, la victoire était donc entachée d’un acte déshonorant de la part d’un membre de sa famille. Depuis la mort de son père Aerouant avait changé, il était devenu aigri. C’était d’autant plus vrai ces deux dernières années depuis que la Draconie était en guerre civile. Mais là clairement il venait de dépasser la limite et avait sombré.
- Je vais aller le voir. Dois-je assister au conseil du Compendium ?
- Hélas seuls les mages du Compendium pourrons participer à ce conseil, moi-même n'y participerait pas. Même si c’est Prophète qui le demande et à plus forte raison avec le lien que vous avez. Néanmoins je suis certain que mon père saura t’écouter.
- Je vois... je vois... merci de m’avoir prévenu Pilkim, tu fais comme d’habitude un excellent travail et la Draconie se félicite de t’avoir de son côté.
Assis sur son lit, Aerouant était plongé dans ses pensées. Il leva à peine les yeux lorsque Kounok se présenta devant les barreaux de cristal imprégnés de magie. Ce dernier regarda son neveu et remarqua à quel point il avait changé. Il avait vieilli évidemment, devenant un adulte, un homme et un mage accompli. Ses cheveux longs en bataille et ses vêtements sales juraient avec ses origines nobles.
- Que s’est-il passé Aerouant ?
Le mage leva la tête et passa sa main dans ses cheveux.
- Prophète en personne, je trouve que l’on fait un tapage exagéré d’une affaire mineure, répondit Aerouant sur le ton du défi.
- Affaire mineure dis-tu ? Les enjeux de cette guerre sont importants. Comment rester crédible si un de nos mages bafoue nos règles, foule du pied notre honneur et se laisse aller à la surenchère magique. Aerouant tu as beau être mon neveu je reste le Prophète de la Draconie et je me dois d’avoir une position ferme vis à vis de tes actes. Que va penser ta mère de ce que tu as fait, elle qui est la dirigeante des Sorcelames.
- A vrai dire... je m’en contrefiche de ce qu’elle pense, nous ne nous parlons plus depuis des lustres. Si tu as fini ton sermon je souhaiterais me reposer en vue de mon passage devant le conseil du Compendium demain.
Kounok garda son calme, sachant pertinemment qu’Aerouant jouait la provocation.
- Très bien, je te laisse au jugement de tes pairs. Tu me déçois Aerouant, tu me déçois beaucoup, tu gâches ton potentiel et je crois pas que ton père apprécierait.
Le prisonnier sauta de son lit et attrapa les barreaux de cristal avec rage. Ceux-ci brillèrent intensément en blessant les mains d’Aerouant. Mais celui-ci avait beaucoup de ressources en magie aussi il put résister le temps de placer quelques mots.
- Laisse mon père en dehors de ça ! Arrête de me parler comme si nous étions une famille car le sang de Dragon qui coule dans nos veines est porteur d’une malédiction qui nous interdit de vivre les uns avec les autres.
Impressionné, choqué et encore plus déçu, Kounok se retourna et s’en alla de la prison de l’académie, le cœur lourd et blessé.
Les mines graves des mages du Compendium indiquaient à quel point le problème les affectait. Marzhin était debout devant le petit amphithéâtre où toutes les places étaient prises. Alishk, la Pythie, Vaerzar, Blanche et d’autres avaient répondu à la convocation de l’archimage afin de régler “l’affaire Aerouant”.
- Chères consœurs, chers confrères. Nous sommes réunis afin de juger du comportement d’Aerouant. Je vous rappelle les faits puis nous ferons entrer l’accusé.
Marzhin ouvrit un petit coffre et en sortit un cristal en forme de demi-sphère. Il alla ensuite la poser sur une petite table devant les rangées de fauteuils. Le cristal brilla vivement et des hologrammes magiques s’en échappèrent. Des images, au départ immobiles, s’animèrent pour retranscrire une scène.
- Ce que vous voyez et la retranscription magique du souvenir du Maître-Mage Pilkim, présent au moment des faits. Les images montraient un combat fratricide entre deux armées, celle de Noz’Dingard et celle d’Arcania.
- Le but de Prophète est de remettre les choses en ordre dans la Draconie, mais pas au prix des vies de nos semblables. Il a donc été interdit d’utiliser des sorts visant à tuer, nous laissant la faveur d’utiliser de quoi neutraliser nos adversaires de manière non létale. Les stratégies mises en place pour cette bataille ont porté leur fruit et comme vous pouvez le constater le Seigneur-Dragon en personne s’est incliné devant Pilkim en signe de soumission. Hors à quelques mètres de là nous voyons parfaitement Aerouant utiliser un sort de Foudre sur une dizaine de soldats, et ce, des deux camps. Deux d’entre eux ne se relèverons pas.
Certains mages commentèrent les hologrammes par des “oh” et des “ah” de stupeur. La fin de la retranscription montra que Pilkim, voyant Aerouant agir, immobilisa l'arrière petit-fils de Dragon pour l'empêcher de nuire. Puis le cristal cessa de produire les images et redevint inerte.
- Je vous propose d’écouter Aerouant pour qu’il nous explique son geste, dit Marzhin en demandant aux gardes de le faire entrer.
L'arrière petit-fils de Dragon plissa les yeux derrière ses mèches de cheveux colorées en examinant l’assemblée. Des entraves de cristal, telles des menottes magiques lui interdisaient la pratique des arts mystiques. Il fut placé à côté de Marzhin, face au conseil du Compendium.
- Ne vous fatiguez pas à me questionner, dit-il à brûle-pourpoint. Oui j’ai grillé ces soldats d’Arcania, je l’ai fait pour les empêcher de tuer les nôtres. Seulement il semble que j’y suis sois allé un peu trop fort...
- Maîtrise ! Cria l’un des mages de l’assistance. C’est la première des règles du Compendium !
L’homme, assit à côté de Blanche se leva. Il s’agissait de Tanaer d’Arcania, jugé comme étant un guerrier avec des pouvoirs magiques.
- Si tu n’es pas capable de respecter les règles, tu n’as rien à faire parmi nous, descendant de Dragon ou pas, ajouta-t-il avec virulence.
- Tu crois ? Il existe une règle du Compendium : PUISSANCE !
A ce moment là le sol sous Aerouant se craquela et le symbole de Néhant apparut. Les Mages eurent à peine le temps de réagir que le prisonnier disparaissait aspiré par ce portail démoniaque. Tanaer s’élança et voulu sauter dans le portail, mais il fut stoppé par Marzhin.
- Certainement pas ! cria l’Archimage. Nous en avons vu assez pour statuer sur son cas... Aerouant ne fait plus partie du Compendium !
Chapitre 4 - Ziloween
- Bon, mes amis, nous y sommes. Nous avons mis des années et des années pour que notre rêve se réalise.
Farouche, debout sur un tabouret était radieuse, pour une fois elle avait délaissé sa veste striée de noir et de violet au profit d’une robe. D’ailleurs elle n’était pas la seule à être sur son trente et un, la plupart avait fait un effort vestimentaire.
Et pour cause c’était un jour important : l’inauguration du Zircus land, tout le savoir faire des Combattants de Zil au sein d’un même endroit !
- Pour un temps nous allons arrêter de sillonner le monde pour nos représentations, notre public viendra désormais parcourir les allées du parc. Je vous remercie tous pour les efforts que vous avez fourni, tant durant la construction de chacune des attractions, qu’au niveau politique et plus encore. Je lève mon verre pour vous tous !
Les Combattants de Zil crièrent leur joie et trinquèrent de bon cœur. Le territoire offert par l’empire de Xzia était l’endroit rêvé pour leur nouveau parc. En effet c’était probablement l’endroit le plus éloigné de Meragi, le fin fond de l’empire, un lieu presque marécageux accolé aux montagnes où se trouvait la demeure d’Artrezil.
Les Zils en avaient fait un endroit qui leur ressemblait, effrayant, amusant et surtout paisible.
Les jours qui suivirent furent exaltant. Au début il y eut peu de visiteurs, mais très vite la renommée du parc, ainsi que le bouche à oreille ramenèrent des visiteurs en provenance des quatre coins du monde. De fait la guilde attira de nouveaux membres et la vie s’organisa au Zircus land.
Un beau matin, Sangrépée vit arriver un messager portant la bannière de la Kotoba.
- Bonjour Combattante de Zil, je suis porteur d’un message du seigneur Malyss.
- Seigneur Malyss ? Il a pris du galon. Donne.
Le messager tendit alors un parchemin plié en quatre. Sangrépée commença à lire avant de s'apercevoir que c’était écrit en Xziarite.
- Vous êtes des farceurs à la Kotoba, dit-elle en rigolant.
Mais visiblement la boutade n’était pas du goût du voyageur. Ce dernier récupéra le parchemin et lut à haute voix.
- A l’attention des Combattants de Zil. Je suis au regret de vous apprendre que Kolère est désormais passé à l’ennemi. Celui-ci a combattu aux côté des étrangers contre Ciramor, l’héritier d’Eredan.
Aussi il vous appartient d’arranger la situation et ce avant que le Conseil de Guilde ne s’en mêle. En vous souhaitant bonne chance. Malyss.
Une fois fini le messager replia le parchemin et le donna à Sangrépée.
- Dis-moi messager, tu viens d’où ?
- Je viens du village en bordure de votre territoire.
- Très bien, merci, j’ai cru que tu venais de Meragi, du coup l’information est récente. Reste au Zircus land si tu veux, nous te donnerons une réponse pour Malyss.
Poussé par la curiosité le Xziarite accepta, et cette petite aventure dans le parc le marquera à jamais...
- QUOI !? Kolère a fait QUOI !?? Hurla Farouche.
- Tu m’as bien compris, je suis on ne peut clair sur ce qui est écrit noir sur blanc, dit Kuraying en montrant le message de Malyss. Cependant il y a peu de détails. Le mieux serait d’entrer en contact avec Ciramor.
- C’est pas possible, on a fait quoi pour que les traîtres soient toujours dans nos rangs hein ? Grogna la chef de guilde. Tu en dis quoi toi ? Demanda-t-elle en s’adressant à Zil.
- Il doit y avoir une raison logique à cela, mais il faut vite régler ce problème pour prouver que nous sommes de bonne foi. Kolère étant un membre de la meute je suggère que celle-ci soit chargée de retrouver Kolère. Les autres Combattants vont tenir le parc le temps de votre absence.
- Et faut que ça tombe pendant les jours qui suivent le lancement du Zircus... Bordel ! Kuraying comment on fait pour entrer en contact avec Ciramor ?
- On demande aux ombres très chère, que veux-tu lui dire ?
- Je veux savoir où il est et ce qu’il s’est passé avec Kolère.
- Très bien, je m’occupe de cela, ensuite je retournerai auprès de Yu Ling, visiblement j’ai raté quelque chose.
- On dirait bien ouais ! Répondit Farouche sèchement. J’aurais peut être pas du te faire revenir pour l’inauguration du Zircus, tu aurais pu intervenir dans cette histoire. Bon... Au travail !
Ciramor fut prévenu alors qu’il était encore en convalescence, le message des Combattants de Zil le réconforta d’une certaine manière. Kolère n’agissait pas pour le compte de cette guilde et celle-ci proposait son aide.
Eikytan et Fe’y n’eurent rien contre cette collaboration, Ciramor une fois en pleine possession de ses moyens proposa aux Daïs de gagner du temps en téléportant les Combattants de Zil là où ils se trouvaient. Poussés par la curiosité de voir agir l’héritier d’Eredan ils acceptèrent.
La démonstration fut très impressionnante, Ciramor fit apparaître en cercle plusieurs cristaux transparents de la taille du poing. Puis ceux-ci se modifièrent, des filaments de cristaux s’échappèrent d’elles pour se rejoindre et former comme une porte de cristal.
Là le paysage visible au travers de cette porte changea, il ne s'agissait plus de la forêt Eltarite mais du Zircus avec une petite dizaine d’étranges personnages, presque toute la Meute en fait, Farouche en tête.
A des lieues de là les Zils virent apparaître une porte semblable avec de l’autre côté la forêt en paysage, Ciramor, Eikytan et Fe’y les regardaient.
- Venez, dit Ciramor leur faisant signe. C’est un sort me demandant beaucoup de magie, je ne vais pas pouvoir le maintenir bien longtemps. Farouche n’hésita pas et passa le portail, s’étonnant de la prouesse de l’héritier d’Eredan. C’était comme s’il avait coupé la distance entre les deux lieux grâce à ce portail.
- Soyez les bienvenus, Combattants de Zil, dit Eikytan une fois que tout le monde eut passé le portail.
- Merci bien. Alors on peut en savoir plus sur Kolère ? demanda Farouche avec impatience.
- Je vais y venir, rétorqua Ciramor qui fermait son portail magique. Je comprend le sentiment qui t’anime Farouche, je réagirais pareil à ta place.
Les Combattants de Zil s’installèrent sur la place principale du village et furent vite entourés de curieux. Ourénos se plaça derrière eux de manière... défensive. Là, Ciramor expliqua l’altercation avec les étrangers et Kolère, comment ce dernier semblait ne plus être maître de lui même.
Le doute était permis sur sa liberté d’action, agissait-il de son propre chef ou pas ? Les théories de ses compagnons affirmaient que non, mais malgré tout la question resta en suspend. Ceci dit le fait que la Cœur de sève surveille de près ces inconnus redonna du baume au cœur des Combattants de Zil.
- Alors qu’attendons-nous pour agir ? dit Farouche.
- Avant de tenter quoi que ce soit contre ces gens, nous voulons en savoir plus sur leurs buts et qui ils sont.
- Hors de question de laisser Kolère vadrouiller et provoquer des dégâts, répliqua Farouche en commençant à s'énerver.
- Ne prenons pas ce risque, je sais que le passif de votre guilde joue sur votre vision des choses, expliqua Ciramor en regardant la troupe. Les enjeux sont bien plus importants que
vous ne pouvez le supposer. Ces gens sont venus par des portails d’une puissance inouïe, jusqu’à présent il y en a un dans l’Empire de Xzia, un dans la forêt des Eltarites et je suppose qu’il y en a d’autres parsemés sur les Terres de Guem, je veux en savoir plus.
- Tu vas avoir tes réponses, héritier. Ils sont combien ?
- Trois, dont Kolère.
Les Combattants de Zil se regardèrent le uns et les autres avant de rire à gorges déployées.
- Que trois, allez, finie la plaisanterie, on va les capturer et on va les faire parler, parole de Zil ! Déclara Farouche en serrant le poings, mène nous à eux.
Devant leur détermination Ciramor n’eut rien à redire. Ourénos se leva et ajouta une couche aux arguments de la chef des Zils.
- La p’tite a raison, c’est bien de savoir ce qu’il font ici, mais par précaution il vaut mieux les stopper avant qu’ils ne déclenchent on ne sait quelle catastrophe.
- Et vous Eikytan, qu’en pensez-vous ? Demanda Ciramor en pensant trouver un appui auprès du dirigeant de la Cœur de sève.
- Notre réaction a été tardive lors des événements de la Pierre tombée du ciel, il faut apprendre de nos erreurs. Demandons un rapport sur la situation à Melissandre et envoyons les forces conjuguées des Combattants de Zil et de la Cœur de sève arrêter ces envahisseurs.
- Très bien, je m’incline, je ne voulais pas d’une confrontation directe. Si jamais les deux étrangers venaient à être tués durant le combat cela nous porterait préjudice.
- T’en fait pas, on sait se retenir... déclara Farouche en regardant d’un regard menaçant les éléments de la Meute les plus enclins à la violence, c’est à dire tous.
Pendant ce temps au Zircus les spectateurs affluaient alors que la nuit tombait. C’était le moment le plus intense en terme de fréquentation. Chacun était à son poste, prêt à terrifier ou à faire rire les badauds pour certains venus de loin. Le moins que l’on pouvait dire c’était que la guilde avait réellement mis tout son savoir faire dans cette superbe entreprise.
Zil était ravi de pouvoir enfin avoir un moment de répit. Il avait passé les dernières années à courir après les zombies et Dimizar sans jamais parvenir à attraper le maudit nécromancien.
Finalement lorsque l’idée du Zircus fut émise il profita pour se donner un temps de repos. Hélas ce court instant de calme cachait une tempête qui balayerait ce monde.
Le messager de la Kotoba avait rit de bon cœur aux tours effroyables de Terrifik. Il déambulait dans les petites ruelles, on lui avait dit que certaines attractions étaient cachées et qu’il fallait bien chercher. A un croisement, il tomba sur une petite fille. Après s’être confondu en excuse de l’avoir bousculé il se rendit compte que la fillette ne bougeait pas.
- Tu vas bien, demanda-t-il.
Sur ces entrefaites un homme s’approcha, grand, mince, les cheveux noirs tombants sur ses épaules d’écharnées.
- Ce monsieur t’embête ma chérie, dit Zejabel d’une voix monotone.
- Non non, pardon, je ne l’ai pas v...
Le Xziarite s’arrêta de parler lorsque la fillette bougea en se plaçant sous la lumière d’une torche. Sa peau était sèche, collée aux os de son crane.
Ses grands yeux vitreux ne trompaient pas : c’était un cadavre... mais vivant. L’homme abasourdi par la découverte posa son regard sur Zejabel avant d’apercevoir l’éclat d’une faux. La tête roula au sol alors que par dizaines des zombies entraient dans le Zircus.
Chapitre 5 - La Légion perdue
- Le sable, je hais le sable ! Il y en a à perte de vue, j’ai parfois l’impression que la terre est vivante, tout peut changer si rapidement. Un coup de vent et on perd tous ses repères, je n’ai jamais réussi à m’y habituer malgré les conseils des voyageurs du désert. J’ai marché des jours sous ce soleil de plomb et des nuits poussée par un vent glacial. J’ai fouillé les moindres recoins et la moindre masure. J'ai appris plus sur cette civilisation que je n’aurais pu le faire au long de ma vie. Et finalement je suis restée dix ans sans la moindre nouvelle de la Légion. Combien de fois me suis-je demandée s’il ne fallait pas arrêter les recherches ? J’ai perdu le compte, mais en aucun cas je ne devais abandonner là mes compagnons ! Comment aurais-je pu me présenter devant toi père sans avoir trouvé ? Je sais que je ne suis pas le modèle de vertu que tu voulais et j’espère à présent que tu comprends mieux cette absence et ce silence. Dix ans sans te faire parvenir de nouvelles, je sais, c’est long. Les Clairvoyants d’Abypolis et peut être les dieux eux-mêmes t’ont-ils conseillé de ne pas intervenir dans ma quête et ils ont eu raison car j’ai trouvé la Légion, père.
Le centorium Aurius regardait sa fille en retenant ses larmes, Myrina ne s’était pas adressée au Cénacle, mais à lui. Les autres membres de l’instance dirigeante de Tantad n’osèrent pas intervenir dans ces retrouvailles, mais ils brûlaient d’impatience d’en savoir plus. Aurius se leva et serra sa fille dans ses bras si fort qu’elle faillit s’étouffer. Puis, relâchant son étreinte il la regarda, elle avait changé. Elle n’était plus la jeune femme qu’il avait envoyé à l’autre bout du monde, mais une femme à la peau séchée, brûlée par le soleil. Par endroit sa peau était striée par de larges cicatrices, derniers vestiges de combats passés.
- Tu dois me trouver dur, mais j’ai gardé un œil sur toi durant ton périple et désormais des chants font les éloges des aventures de Myrina fille du Centorium Aurius.
- Je n’arriverais jamais à ta hauteur.
- Ne te dévalorise pas, nous n’avons pas les détails de comment tu es parvenu à retrouver la Légion. J’ai proposé au Cénacle de t’accorder un Cantique et tu en auras un d’ici quelques jours.
- Un Cantique ? C’est... c’est un grand honneur.
- L’honneur est pour Tantad, Myrina. Tu dois être fatiguée, revoyons-nous un peu plus tard, pour que le père retrouve la fille.
Du haut de ses quatre étages et de part sa circonférence, le cirque de la capitale de Tantad s’imposait, faisant passer les autres édifices pour des cabanes. Il pouvait à lui seul contenir tous les habitants de la ville et en ce soir de Cantique seuls les soldats d’astreinte ne participaient pas aux festivités. Le peuple acclamait ses héros de retour après dix ans d’absence, pour l’occasion le cirque s’était paré d’or, comme le voulait la tradition en cas de Cantique. Une scène à la mesure de la taille de la piste avait été construite, c’est là que les orateurs déclamaient leurs histoires concernant la Légion Runique. A la suite de quoi les membres de la guilde entrèrent en conquérant, parés de leurs plus beaux atours. Saluant le peuple venu pour eux, ils défilèrent ainsi tout autour de la piste. Pendant ce temps là Myrina expliquait au Cénacle et aux orateurs comment elle avait vécu tant de temps dans le désert et surtout, le plus intéressant comment elle parvint finalement à retrouver la Légion.
- J’avais entendu parlé d’un village récemment reconstruit où autrefois vivaient des mystiques qui avaient résisté aux dieux eux-mêmes. j’entrepris d’aller sur place n’étant plus à un voyage près. Celui-ci fut terriblement éprouvant pour moi car je dus gravir des montagnes où les émeraudes étaient coupantes comme les meilleures lames de Telb. Puis après les montagnes se furent les sables mouvants d’Arkesh, je faillis me retrouver engloutie par le désert et je ne dus mon salut qu’à ma fidèle lance, dit-elle en montrant son arme. J’espérais enfin arriver à destination après cela, mais non ! Une nouvelle épreuve m’attendait lorsqu’un petit groupe de pilleurs en voulut à ma vertu. Erreur fatidique pour eux, je réussis à me défaire d’eux et surtout j’appris que je n’étais désormais plus loin de mon objectif. La cité en question n’avait pas grand chose de particulier, mais j’y croisais certains de nos anciens alliés Nomades. L’agitation régnait, je tombais visiblement à un moment critique, un évènement impactant directement sur ma recherche s’était produit. Je remercie les dieux de m’avoir accordée leurs faveurs. En effet, après avoir demandé aux Nomades se qu’il se passait on m’informa que le Vizir Mahamoud était de retour avec une créature nommée Nebsen ainsi qu’une centaine de personnes. La créature correspondait en tout point avec les dernières informations laissées par le Seigneur runique Eilos. Il me fallait donc le rencontrer. Avec patience j’attendis qu’il veuille bien me recevoir. Il reconnut ma tenue, il savait pertinemment ce que j’allais lui demander. Il me raconta son duel contre Eilos ainsi que la disparition de la Légion toute entière, envoyée dans un monde souterrain. Il m’indiqua comment faire pour créer un accès vers ce lieu. Mais dix ans étaient passés, aussi je fus à la fois inquiète de retrouver mes compagnons sans vie et excitée par la perspective de clore toute cette histoire. J’allais sur place le plus rapidement possible et je tombais nez à nez avec d’autres créatures, toutes aussi agressives les unes que les autres, j’avoue que sans les runes et l’art du combat que m’enseigna mon père, le Centorium Aurius, j’aurais péri là. C’est une nouvelle fois les runes qui me permirent de briser la roche scellant le passage. Attirés par le bruit je ne tardais pas à entrevoir une forme, puis deux. C’était la Légion !
Le Cénacle fut ravi d’entendre l’histoire de Myrina et les orateurs prirent sur eux d’envelopper le récit pour le rendre encore plus héroïque. Le Cantique se termina tard dans la nuit...
Quelques jours plus tard dans la salle su Cénacle où la quasi totalité de ses membres étaient présents. Myrina, le Seigneur Runique Eilos, le Seigneur Runique Harès ainsi qu’une partie de la Légion furent convoqués en vue de leur donner une nouvelle mission.
- Vous me voyez désolé de vous renvoyer si tôt dans de nouvelles affectations, déclara Aurius. Mais rassurez-vous j’espère que cela sera de courte durée et puis il n’y a rien de bien dangereux, enfin je l’espère. Je pars pour le Conseil des Guildes, je compte sur vous pour former ma garde. Le sujet qui sera abordé est l’infiltration de personnes étrangères à notre monde par le biais de portes magiques. Les guildes doivent mettre en place un plan anti-invasion. Je crois que tout cela sera très... passionnant, dit-il sur un ton moqueur.
Chapitre 6 - Le Pacte
- J’lui fais pas confiance, déclara Poukos de sa grosse voix déformée par l’eau contenue dans son scaphandre.
- Et sur quel fait te bases-tu je te prie ? Demanda Jon au visage habituellement squelettique.
- Bah un mec avec sa face à moitié calcinée par la corruption m’inspire pas confiance.
- Ah bon ? Et que penser d’un pirate mort et maudit comme moi ainsi que d’un homme poisson comme toi ?
- Mouai, ok, t’as raison, mais je le sens pas quand même ! regarde ce pauvre Galène comme il est anxieux, faut vraiment qu’on lui retrouve son jouet.
- Son désarroi est à la hauteur de sa perte mon ami. Mais il ne faut pas oublier les objectifs de notre venue ici.
- Donc trouver S.A.R.A.H.
- Entre autre, oui. Prévenons les autres que nous allons mener l’enquête... que tout ceci est exaltant ! Dit Jon en serrant ses doigts dépourvus de chair. Alors que le reste de l’équipe se lançait dans la recherche de l’automate, Al la Triste continuait sa discussion avec Balastar sur divers sujets.
- Que sais-tu du maelström ? Depuis le temps que tu es là tu dois sûrement avoir des renseignements à me donner à son sujet non ? Balastar plissa les yeux, réfléchissant aux mots qu’il allait utiliser dans sa réponse.
- Commence par me dire ce que tu connais à son sujet ? Je compléterai les manques, dit-il en ne faisant que répondre à une question par une autre question.
- Il est responsable de la destruction de Bramamir, qu’il a été créé par Néhant et qu’il est d’une certaine façon vivant. Mais qu’est-il exactement je ne le sais pas, à priori un Néhantiste maintiendrait le vortex et aurait passé un pacte avec l’ancien Gouvernement. Voilà. - C’est léger.
- Ne tient qu’à toi de m’en dire plus.
- Commençons par le début, le maelström tel que nous le connaissons n’existait pas lors de la dislocation du royaume de Bramamir. C’est un démon qui en est responsable, l’un des plus puissants qui doit exister. C’est lui qui par la suite a créé le vortex, lui permettant, comme tu l’as dit, de pactiser avec les survivants et aussi de les manipuler à sa guise.
- Donc ce démon n’est pas le vortex ?
- Non.
- Et donc ? Il a une forme physique ? On peut le retrouver ? Le tuer ?
- Attends, je crois comprendre ce que tu veux faire et je te le dis de but en blanc, c’est de la pure folie ! Tu n’arriveras qu’à ta perte si tu tentes de détruire ce démon.
- Je dirige les Iles Blanches désormais et il m’appartient de juger ce qui est bon ou non pour ses habitants. Aussi je juge inconcevable de jeter en pâture des âmes à ce démon ! Sais-tu, oui ou non où le dénicher ?
- Si je te le dis, qu’est-ce que j’y gagne ? Dit Balastar qui se trouvait en position de force.
- Du marchandage ? Avec moi ? Tu plaisantes ?
- J’ai une tête à plaisanter ? Al la Triste hésita entre tirer son sabre et pourfendre son interlocuteur, ou bien de jouer le jeu et de voir où cela pouvait la mener. Elle choisit la seconde option.
- Très bien, que veux-tu ?
- Ton navire est en bon état, je pense qu’il peut décoller, si je t’amène jusqu’au démon je veux que tu nous emmènes tous...
- Je ne comptais pas vous laisser là...
- Laisse moi finir. Si jamais nous arrivons à revenir dans les Îles Blanches, je veux l’île de Mortetourbe.
- Morte... Mortetourbe !? C’est une île marécageuse, s’il n’y a que ça pour ton bonheur... accordé.
- Parfait ! Par contre tu viens seule, je veux pas de tes amis.
- Des trucs à cacher ?
- Des milliers, comme toi.
Alors qu’Al la Triste quittait les lieux avec Balastar, le reste de l’équipe continuait ses investigations. Jusque-là le manque de piste ne permettait pas de résoudre l’énigme de la disparition de S.A.R.A.H et Galène se désespérait de retrouver son ultime créature. Les habitants de ce drôle d’endroit n’étaient pas vraiment coopératifs, les indiscrétions ne faisaient qu’ajouter de l’eau au moulin de cette forme de crainte ou de xénophobie.
Voici plusieurs heures que l’enquête piétinait jusqu’à ce que Galène eut un coup de génie.
- Je sais comment la retrouver ! Dit-il enthousiaste à ses compagnons.
- Exblique, dit Poukos en enlevant la buée sur son scaphandre.
- Je suis vraiment un âne, ajouta l’ingénieur en s’asseyant par terre.
Galène vida alors le contenu de sa large besace de toile. Plusieurs petits automates tombèrent avec fracas sur le sol glacé, semant rouages et autres ressorts. Il dégaina alors un ensemble de petits outils de précision reliés entre eux par un fin cercle de métal, attrapa un des automates et se mis au travail avec toute sa passion habituelle.
- Vous voulez bien nous éclairer sur ce que vous faites mestre Galène ? Demanda Jon qui ne comprenait pas les agissements du jeune capitaine du Titan de fer.
- Avant de concevoir S.A.R.A.H j’ai expérimenté une source d’énergie à base de cristaux en prenant exemple sur les magies des Lieurs de Pierres et sur la magie de la foudre. Il se trouve que vous avez devant vous le Frelon, une petite bête mécanique bien utile qui vole grâce à cette énergie. Je vais effectuer un petit changement dans son comportement. Comme il n’a plus beaucoup d’énergie, je vais faire en sorte qu’il se dirige vers une source semblable.
- Ça va marcher ? Demanda Poukos.
- Cela devrait, dit Galène en finissant de remonter son Frelon.
La créature mécanique bourdonna puis cliqueta. Ses ailes remuèrent lentement au début puis si vite qu’elle s’envola. Après avoir stagné une bonne minute le Frelon fonça dans une direction à la surprise de tout le monde. Flammara fut prompte à la réaction et s’élança, suivie des autres. L’automate tourna dans le dédale de couloirs creusés dans la roche puis se fixa devant une porte faite de bric et de broc. Un homme qui tenait un fusil perfectionné s’interposa à l’arrivée de la petite troupe.
- Hop là les gens ! Doucement, doucement, où allez-vous ainsi ?
- Laisse-nous entrer ou je t’écrase ! Menaça Poukos.
- Tu veux que je te brise le bocal la Rascasse ? Railla le jeune homme en visant Poukos de son arme. On m’a dit personne ne passe, alors personne ne passe.
Poukos lâcha une série de jurons avant de regarder les autres pour voir ce qu’ils allaient faire. Flammara s’avança, sûre d’elle.
- Écoute, je vais pas discuter longtemps, ma spécialité à moi, c’est les flammes.
- Ouai et alors ?
- C’est quoi ton nom ? Demanda-t-elle.
- Je suis Mathurin, bras droit de Balastar.
- Très bien Mathurin, tu sais je connais les gens comme toi, ceux qui aiment les flingues, ils ont souvent des traces noires sur la peau, tu sais ce que sont ces traces ??
- Euh...
- De la poudre. Et tu sais quoi, la poudre je peux l’enflammer d’un seul claquement de doigts. Dit-elle en faisant claquer ses doigts.
A ce moment là l’une des traces noires prit feu, provoquant une vive douleur à Mathurin. Le jeune homme recula, se rendant compte de l’horrible destin qui l’attendait si elle continuait.
- Waow, regard de braise hein ? Bon bon, je vais pas insister, je vais pas risquer ma peau pour une porte. On va dire que je me suis absenté pour aller me soulager, déclara Mathurin en reculant d’autant plus.
- Je t’ai à l’œil. Poukos, ouvre la porte maintenant.
Ni une, ni deux la porte éclata en morceau sous le poids de Coule-grouillot l’arme-ancre de Poukos. A l’intérieur se trouvait l’automate tant désiré. S.A.R.A.H était en partie démontée et raccordée à divers câbles.
- Mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? demanda Galène les lèvres tremblantes.
Après examen il s’avéra que l’automate alimentait le complexe en énergie. Sans la moindre réflexion de sa part Poukos arracha les câble, pensant bien faire.
- MAIS NON !! QU’AS-TU FAIT !? Hurla Galène.
- Nous y voilà. Regarde bien car il ne faut plus venir par ici à l’avenir.
- J’y comptais pas.
Balastar et Al la Triste se trouvaient à l’exact centre de l’œil du Vortex. Au loin bien plus haut des îles flottaient les unes au-dessus des autres. Autour d’eux de très nombreuses épaves de navires volants étaient plantées sur des pics rocheux comme des papillons venus plantés sur des aiguilles. Tout à coup une forme noire se matérialisa devant eux. Al la Triste le reconnut immédiatement.
- C’est bien toi ?
- Ah, mais ne serait-ce pas la somptueuse et impétueuse Alexandra. Quel plaisir de te parler enfin.
- Le plaisir n’est pas partagé, tu as voulu ma peau et je ne te le pardonnerai jamais.
- Ne restons pas sur tant de rancœur, le passé est le passé, pensons au présent. Pourquoi voulais-tu me voir... Amiral ?
- Il est temps que tout s’arrête, tu n’as plus rien à faire sur cette terre. Je veux que Bramamir redevienne Bramamir.
- Ce que tu veux n’est pas forcement compatible avec la réalité. Car je te le dis, sans moi les Îles Blanches seraient englouties par le vortex, c’est moi qui grâce à ma magie le maintient à sa puissance minimale. Si je pars d’ici cela aura de très funestes conséquence pour ce monde. Et laisse-moi te dire que si les Îles s’écrasent ici je n’en mourrai pas.
- Dans cas, je n’ai plus rien à faire ici, dit Al la Triste qui ne voyait pas d’issue à cette discussion.
- Tu as encore quelque chose à faire, ma chère pirate. J’avais un pacte le gouverneur de Bramamir. En échanges de quelques humains je maintenais le vortex stable. Mais le gouverneur est mort, tu es désormais la représentante du peuple qui vit au dessus de ma tête, il me faut donc continuer le pacte avec toi. Quelques âmes lorsque je les réclame et ce monde est sauf. C’est simple n’est-ce pas ?
- C’est horrible surtout, lâcha Al al Triste avec dégoût.
- Question de point de vue, je parle là d’un marché réciproquement profitable. Continue à exécuter les gens en les jetant dans le vortex et ça sera parfait. A présent... signe ! Une main gantée déroula un parchemin alors que l’autre main lui tendait une plume. Al hésita longuement puis saisit la plume. Elle allait signer lorsqu’elle arrêta son mouvement.
- Je vais signer, mais avant cela tu dois laisser partir les exilés qui résident plus loin.
- Qu’ils partent, ils ne m’intéressent pas.
Al la Triste apposa sa signature et tourna le dos au démon.
- Voilà une bonne chose de faite Alexandra, j’ai beaucoup d’espoir dans notre relation.
- Il n’y aura pas de contact entre nous. A présent excuse-moi je dois retrouver mes gars et repartir dès que possible.
Alors que l’Amiral et Balastar arrivaient au complexe, ils virent tous deux des gens s’enfuirent. Poukos tenait dans ses bras S.A.R.A.H et Galène hurlait :
- EVACUEZ ! EVACUEZ !
Flammara stoppa sa course au niveau de l’Amiral.
- Il faut partir, le système de survie du complexe va exploser.
Balastar réalisa ce qu’il se passait lorsqu’il vit l’automate, mais n’osa pas dire quoi que ce soit. L’Arc-kadia, à peine réparé eut juste le temps de décoller avec difficulté avant que l’explosion n’ait lieu.
- C’est une chouette histoire mam’, c’est là bas que tu as connu pap’ ? Dit la fillette à Flammara.
- Et oui ma fille, le destin nous joue des drôle de tours.
A ce moment là entra dans la pièce où se trouvaient la mère et la fille un homme portant un fusil en bandoulière.
- Pap’ ! Dit la fillette avant de sauter dans les bras du nouveau venu.
- Flam’ prépare tes affaires, Al nous demande à bord de l’Arc-kadia.
- Il se passe quoi ?
- Je ne sais pas trop, une histoire de portes et de Conseil des guildes.
- Très bien, j’arrive.
Chapitre 7 - Prélude à l’apocalypse.
Aerouant tomba ventre contre terre. Son visage portait une multitude de petites griffures, résultat de son court voyage au travers des méandres. Jamais il ne s’était senti aussi mal, il imaginait ce que devaient ressentir les Néhantistes en utilisant là leur magie. Il se releva tant bien que mal, après un moment de récupération. Le lieu d’arrivée n’avait rien de très particulier, c’était une simple cave avec diverses étagères où se trouvaient des conserves et autres bouteilles couvertes de poussière. La lumière éclairant l’escalier qui remontait fut voilée, projetant une ombre inquiétante, celle d’Amidaraxar. Aerouant s’époussetait en même temps que le Néhantiste arrivait vers lui.
- Je crois que le message est passé, dit Aerouant. Après l’humiliation que je viens de leur infliger ils vont focaliser leur attention sur moi, dit Aerouant d’un ton sardonique.
- Il faudra m’expliquer comment tu as réussi à leur échapper, je pensais vraiment ne jamais te revoir. Tu nous es plus précieux qu’il n’y parait.
- Les menottes anti-magie sont faites à partir de cristaux et de magie de Dragon. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour en venir à bout, moi Aerouant descendant de Dragon, expert en magie.
- Expert en magie, mais pas de toutes les magies. Tu as presque gagné notre confiance, tu prouves à chacune de tes actions que tu peux être un parfait Néhantiste. Depuis que Dimizar est devenu ce fou de Zejabel il nous manque des mages de valeur.
- Presque gagné votre confiance ? Que puis-je faire de plus pour enlever les dernières miettes d’hésitation à mon égard.
- Plusieurs choses. Cela fait presque dix ans que dort dans les geôles du Conseil une des nôtres, il est temps de la libérer.
- De qui parles-tu ?
- De l’ancienne Conseillère Edrianne.
Aerouant dégagea les mèches cachant son visage et posa un regard interrogateur sur Amidaraxar. Son visage se reflétait sur son masque frappé du sigle de Néhant.
- Edrianne ? Mais ce n’était qu’un simple pion ? Demanda Aerouant intrigué.
Derrière son masque Amidaraxar souriait, mais ça Aerouant ne le savait pas.
- C’est exactement ce que nous voulions faire croire. Le Conseil pensait que Haine utilisait Edrianne, ce n’est pas tout à fait cela. Edrianne est une Néhantiste, à l’époque plus néophyte dans notre art, mais aujourd’hui je pense qu’elle doit être prête à agir.
- Et je suppose que je vais être seul à agir ?
- Non, même moi je ne suis pas certain d’y parvenir seul, alors toi... Tu vas y aller avec Azaram.
- Azaram ?
- Un problème avec ça ?
- Aucun, au contraire. Est-il là ?
- Oui, à l’étage, je te prierais de ne pas faire de bruit, nous sommes au milieu d’une cité d’Yses. Je ne veux pas attirer l’attention sur nous.
Azaram appuyé sur le côté de la fenêtre guettait de manière discrète la rue animée de la cité, dans l’ignorance du péril que représentaient les Néhantistes. Il ne fit pas attention à l’arrivée d’Amidaraxar et d’Aerouant. Un larbin lové entre ses jambes leur adressa un regard exempt de toute intelligence.
- Regardez-les vivre, ils me font vomir, il me tarde de débarrasser ce monde de ces larves, dit Azaram d’une voix empreinte de dégoût.
- Patience. Poursuivons le plan tel que prévu, répondit Amidaraxar.
- Et quel est ce plan ? Il est peut être temps de m’inclure dans le cercle, intervint Aerouant.
Amidaraxar s’installa dans le vieux fauteuil faisant face à une large cheminée éteinte. Azaram cessa de regarder dehors pour se tourner vers le fils de l’ancien Prophète.
- Nous te révélerons ce fameux plan lorsque Edrianne sera parmi nous, je déteste me répéter.
- Hâtons-nous de la libérer dans ce cas, répondit Aerouant tentant de rebondir après le refus d’Azaram.
- Montre moi ta pierre-cœur Aerouant, s’exclama Amidaraxar. Je sais que tu l’as récupéré je sens sa magie d'où je suis.
Le draconien fit la moue, mais ne pouvait se soustraire à la demande il détacha une bourse de sa ceinture et en tira une pierre d’un bleu profond. Celle-ci était brute, non taillée et luisait légèrement dans la main du mage. Après une brève hésitation il posa la pierre dans la main que lui tendait le Néhantiste. Immédiatement le pierre se teinta jusqu’à devenir d’un bleu nuit.
- Ainsi je m’assure de ta fidélité et te permet d’améliorer les sorts de Néhant que tu utiliseras, ce qui va être le cas bientôt.
- Nous n’avons pas choisi cette ville par hasard, expliqua Azaram. Edrianne est secrètement emprisonnée ici. La libérer ne nous aurait pas posé de problème si les gardiens n’étaient pas les Chevaliers-sorciers de Dhun.
- Combien sont-ils ? Questionna Aerouant.
- A notre connaissance il ne sont “que” deux, dit Azaram.
- Je comprend mieux pourquoi vous avez besoin de moi, que ça soit vous deux ou n’importe lequel des démons, aucun ne peut en venir à bout. Vous avez besoin de ma cristalomancie n’est-ce pas.
Azaram fut agréablement surpris par la perspicacité du draconien.
- Tu t’en sens capable ? Ne t’en fait pas je serai à tes côtés, je suis à l’aise avec une Lame-démon en main.
- Les Chevaliers-sorciers de Dhun sont redoutables, mais il ne faut pas oublier que leur connaissance de la magie vient en partie de Dragon. J’en viendrai à bout.
- La nuit tombe, nous allons pouvoir agir.
Évidemment le lieu où Edrianne était enfermée n’avait pas l’air d’une prison au sens commun du terme. Là où on aurait pu s’attendre à une citadelle fortifiée on retrouve une bâtisse de taille modeste perdue à l’écart de la cité. Il fut facile pour les deux missionnés de se glisser jusque-là sans se faire repérer de qui que ce soit. Cachés derrière une vieille carriole abandonnée ils observaient les environs, cherchant le moindre signe d’activité. Mais rien ne bougeait à part les flammes des torchères encerclant la cour qui elle-même entourait la large maison.
- Il n’y a même pas de garde, ça sera plus facile que prévu, ironisa Azaram.
- Méfia... commença à dire Aerouant avant d’être interrompu par la soudaine apparition d’une personne.
Une large lame tenue par un large guerrier en armure plongea vers Aerouant. Azaram eut tout juste le temps de pousser Aerouant que leur agresseur levait à nouveau son épée pour poursuivre le combat. A présent au bord de la cour, ils virent mieux à quoi ressemblait leur adversaire. Il les dépassait d’une bonne tête, son armure ressemblait à celle des avaloniens mais à la différence que celle-ci semblait beaucoup plus légère vue les déplacements de son porteur. De large pans de tissus brodés de symboles cabalistiques indiquait son appartenance à l’ordre des Chevaliers-sorciers de Dhun. Son casque intégral ne présentait aucun orifice pour les yeux, la respiration ou la bouche. Azaram tenta de lancer un sort de Néhant mais se ravisa comprenant à qui il avait à faire, aussi dégaina-t-il sa lame-démon avant de revêtir son apparence démoniaque. Le combat s’engagea avec fracas et violence. Les forces semblaient inégale entre les protagonistes, les chevaliers-sorciers étant certainement les gardiens les plus défensifs qui existaient. La tactique était simple : repousser l’adversaire, l’empêcher d’avancer. Inutile de tenter de le fatiguer, celui-ci pouvait tenir le combat un temps extrêmement long. Il fallait faire vite avant que le deuxième Chevaliers-sorciers ne viennent se joindre au combat, auquel cas la mort les attendait. Azaram entreprit d’occuper l’adversaire en lui assénant des coups, alors que de son côté Aerouant se mit au travail. Il utilisa l’un de ses sorts de cristalomancie préféré parfois utilisé par Marlok. Son bras se recouvrit de cristal et une lame poussa dans prolongement de sa main. Il se contenta d’esquiver la lame, qui pouvait le terrasser en un coup, cherchant une faille dans l’armure.
- Qu’est-ce que tu fiches !? S'énerva Azaram croyant qu’Aerouant ne faisait rien.
Le Draconien vit alors la faiblesse du Chevalier-sorcier, lorsque celui-ci levait son arme pour frapper : son aisselle. Aidé par la magie il agit avec rapidité et frappa. La lame fit son œuvre et s’enfonça profondément. Puis avant que l’adversaire n’ait le temps de réagir il utilisa ses dons de cristalomancien et fit pousser des cristaux à l’intérieur du corps du Chevalier-sorcier, perçant à plusieurs endroit l’armure. Il s’écroula en se crispant.
- Magnifique ! S’extasia Azaram.
- Ne perd pas de temps et avance, je vais m’occuper de lui, dit Aerouant.
Le seigneur-démon tiqua, mais vu l’urgence il laissa là Aerouant et courut vers la porte de la bâtisse qu’il ouvrit d’un geste brusque. De son côté le Draconien utilisa sa magie sur le Chevalier-sorcier et son corps se couvrit d’une fine couche de cristal bleu. A l’intérieur Azaram tomba presque nez à nez avec le deuxième garde. Le rez-de-chaussé n’était qu’une grande pièce protégée de nombreux sorts. Edrianne se trouvait au centre dans une cellule de verre. Son immobilisme prouvait qu’elle était sous l’effet d’un sort de stase, utilisé souvent sur les prisonniers les plus dangereux. Le Chevalier-sorcier procéda de la même façon que son homologue à qui il ressemblait en tout point. Le Chevalier-sorcier agit avec célérité, surprenant Azaram qui para les assauts de son adversaire. Pourquoi avait-il écouté Aerouant ? Car il se retrouva vite surclassé par son adversaire. La lame coupa la chair épaisse du démon, puis du plat de son épée il donna un coup au niveau de la tête, l’envoyant valdinguer plus loin. Il perdit conscience immédiatement...
- Azaram ! Azaram !
La voix était celle d’une femme, pas n’importe laquelle, il s’agissait d’Edrianne, libre de ses mouvements.
- Que s’est-il passé ? Bégaya-t-il.
- Je suis arrivé à temps, dit Aerouant en montrant le Chevalier-sorcier figé telle une statue de cristal. Seul je n’ai pas réussi à renouveler l’exploit du premier combat. Alors je l’ai entièrement cristallisé.
- Je ne savais pas que ce draconien était avec nous, questionna Edrianne sur un ton de reproche.
- C’est une longue histoire, dit Aerouant. Je serais ravi de vous en dire plus, mais pas maintenant, et pas ici. Ce Chevalier-sorcier n’est pas mort, profitons-en pour partir. Je ne vous conseille pas de tenter de briser ou percer le cristal.
- Oui, partons, je ne suis pas en état, j’ai la tête qui va exploser, se plaignit Azaram en se relevant tant bien que mal.
Le groupe de Néhantistes quitta les lieux, la mission étant achevée avec un franc succès. Ils traversèrent la cour et s’enfoncèrent dans le bois qu’ils traversèrent sans rencontrer de problème. Regagner leur repaire ne fut alors qu’une simple formalité.
Aerouant venait de démontrer l’étendue de ses pouvoirs, les Néhantistes gagnèrent ce jour-là deux mages de valeur dans leurs rangs...
Chapitre 8 - La Porte du désert
En dix ans, Mineptra n’était plus la même. Le père du prince Metchaf, accablé par la vieillesse, avait abdiqué, passant ainsi le relais à la nouvelle génération. Metchaf balaya l'hégémonie du dieu unique pour installer l’ancienne religion du royaume du désert. Les anciens dieux furent redécouverts et les lois interdisant leurs cultes furent abandonnées. De nouveaux temples furent construits et certaines peuplades qui vivaient dans la clandestinité de part leur préférence religieuse s’établirent dans la cité. Peu à peu Mineptra retrouvait l’ambiance et la splendeur d’un lointain passé.
- Pardon ! Pardon ! Hurlait la petite fille qui portait contre son cœur un papyrus enroulé.
A cette heure-ci la chaleur était insupportable pour les étrangers qui de plus en plus nombreux visitaient le désert d’émeraude. Mais pour les habitants de Mineptra la chaleur n’était plus qu’un détail, ils s’y étaient habitués. La petite fille courrait pieds nus sur le sol ardent sans ressentir la moindre gène. Son objectif se trouvait en dehors des grands remparts protégeant la cité des fréquentes tempêtes de sable. Elle se faufila sur le chemin courant de la route principale vers une ouverture entre deux gros rochers, sous le rempart. De l’autre côté, caché et isolé se trouvait le temple de Ptol’a récemment achevé. Une statue de la déesse gardienne de l’après-vie s’imposait au milieu d’un jardin jurant de part sa luxuriance. Le sommaire système d’irrigation, abreuvant les nombreuses plantes exotiques, permettait un tel prodige. Là, devant l’effigie des hommes et des femmes à genoux pleuraient leurs défunts, demandant à la déesse de prendre soin des êtres qui leur étaient chers dans la mort. La petite fille cessa de courir pour ne pas déranger et marcha jusqu’à l’entrée du temple, une bâtisse à moitié construite dans la roche et dont la partie visible se composait de quatre large murs lisses. Seul le mur de façade avait une ouverture, une porte suffisamment large pour laisser passer une civière lorsqu’une personne décédée était conduite vers sa dernière demeure. En effet, alors que les rites funéraires de Sol’ra préconisaient la crémation, Ptol’a souhaitait que les morts reviennent vers elle par un autre biais. Un peu intimidée la petite fille entra, il faisait frais à l’intérieur malgré la chaleur externe et les torches allumées. La première pièce, rectangulaire, servait de sas en cas de tempête de sable, il y avait d’ailleurs des petits tas de sable dans les coins. Une ouverture semblable à celle de l’entrée donnait sur la pièce principale, un lieu de culte où le prêtre de Ptol’a officiait. Il n’y avait pas ici le moindre son, même le prêtre, qui était là en train de prier devant une autre statue de Ptol’a, ne produisait pas le moindre bruit. Lorsque la gamine entra, le prêtre s’interrompit et leva la tête vers elle. Se relever sembla être pour lui un véritable châtiment, les heures avaient passé depuis le début de ses prières et il ne s’en était pas rendu compte. L’homme se saisit de son bâton surmonté de la tête de chacal, animal gardien de l’après vie et regarda de ses yeux dorés la petite fille qui était intimidée au point de rester figée.
- Approche, tu n’as rien à craindre de moi. Que viens-tu faire ici... Ptana, c’est ton nom n’est-ce pas ? Demanda-t-il en faisant tournicoter le bout de sa longue barbichette. Ravi de te rencontrer, je suis Netjhim, prêtre de Ptol’a.
Encore plus impressionnée elle adjoint à son immobilité un écarquillèrent les yeux. Elle acquiesça timidement tout en tendant son papyrus.
- Je vois, je ne m’offusque pas de ton silence, mais il va me falloir me dire qui t'envoie, dit-il d’une voix calme et incroyablement douce.
- Ha... Hakim.
- Et bien, soit remerciée pour m’avoir apporté cette lettre. Les pleureurs me laissent beaucoup trop de nourriture, regarde si quelque chose te plaît et ensuite retourne voir Hakim pour lui dire que j’ai bien reçu son message.
La petite fille se tourna vers l’endroit où des fruits et autres victuailles attendaient leur heure. Elle choisit un pain de viande et s’en alla très vite. Nethjim déplia le papyrus avec minutie et en lut le contenu. Les nomades avait la chance et le malheur de posséder une écriture incroyablement perfectionnée mais aussi souvent vague. C’est à dire qu’il fallait peu de pictogrammes pour vouloir dire beaucoup de choses, mais qu’en même temps il fallait une part d’imagination et d’interprétation. Cependant des codes existaient pour réduire cette interprétation.
- Pourquoi me demande-t-il cela ? Dit Netjhim comme s’il parlait à quelqu’un.
- Parce que cela le dépasse et nécessite une personne qui a une bonne connaissance des légendes du désert. Dit une voix féminine que seul le prêtre entendait.
- Comme moi... je vois. Qu’est-ce que le Conseil des guildes peut vouloir aux ruines qui parsèment le désert ?
- L’Equinoxe a commencé, elle sera bientôt à son paroxysme, les mortels s’agitent, les morts sont de plus en plus nombreux, dit Ptol’a à son prêtre.
- Les dieux se préparent-ils à s’affronter de nouveau ?
- Non, c’est autre chose dont même nous, dieux, en ignorons l’origine. Cela concerne les mortels.
- Inquiétant et passionnant. Je me prépare au voyage, les morts attendrons mon retour.
- A ton retour il nous faudra traiter d’une autre problème, tout aussi grave.
- A propos de ?
- Nous traiterons de cela plus tard, un problème à la fois, prêtre.
- Je vois, déesse.
Netjhim parti à dos d’alback une sorte de grosse gazelle capable de rester une semaine sans boire la moindre goutte d’eau. Dotée de sabots larges et plats l’alback se déplaçait sans beaucoup d’effort. Il suivit les indications données par le Conseil en se demandant comment cette organisation avait eu vent de l’existence de la ruine qu’on lui demandait de visiter. Était-ce un autre Nomade du désert qui avait fait un rapport ou des espions du Conseil parcourant le désert ? Netjhim avait de nombreuses théories qu’il vérifierait le moment venu. Et ce moment vint lorsqu’il vit un campement là où il devait se rendre. Plusieurs personnes sortirent des deux larges tentes au moment où il arriva. Leurs habits indiquait leurs origines : des serviteurs des Gardiens du temple, et donc par extension, d’Hakim. L’un des serviteurs se pressa d’aider le prêtre à descendre de sa monture avant de l’inviter à entrer dans une tente.
- Soyez le bienvenu...
- Netjhim, prêtre de Ptol’a.
La figure de l’homme fut d’un coup moins accueillante.
- Je vois que vous êtes des Serviteurs des gardiens du temple, de qui dépendez-vous ? Hakim ?
- Hakim oui.
- Je vois, c’est un homme... prévoyant. Parlez-moi de la ruine pour laquelle j’ai voyagé jusqu’ici. Je n’ai hélas guère de temps à accorder à cette histoire, vous comprendrez facilement que mes fonctions me demandent d’être présent au temple de Ptol’a.
- D’accord, dans ce cas ne tardons pas, c’est à peine deux dunes plus loin.
- Je vois... je vous suis.
Le serviteur et Netjhim sortirent de la tente pour partir en direction du soleil qui commençait à décroître à l’horizon. Peu de temps plus tard ils avaient parcouru la distance jusqu’à cette fameuse ruine. En apparence celle-ci n’avait rien de particulier, il s’agissait d’une porte de très grande taille dont il ne restait qu’un battant sur les deux.
- Et bien ? Une simple porte ? On m’a dérangé pour ça ?
- Je comprend votre étonnement mais si cette porte n’a rien d’exceptionnelle en apparence, sachez que c’est le lieu où nous nous trouvons qui est particulier.
- Qu’entendez-vous par là ?
- Je suis un historien royal, j’ai étudié chaque région du désert et leur histoire aussi loin que je pouvais. Sauf que nous sommes dans une des régions les plus dépeuplée et au passé sans faits notables. Donc cette porte est là, mais il n’y avait pas d’habitation autour, pas de palais, rien qui ne justifie qu’elle se trouve ici.
- Je vois... vous avez bien fait de me dire cela, j’ai jugé un peu précipitamment.
A ce moment là un autre serviteur qui fouillait les alentours appela. Il semblait avoir trouvé quelque chose d’intéressant.
- Regardez ! Regardez ! dit le serviteur en montrant un trou qu’il venait de creuser.
Au fond il y avait un objet brillant, l’historien sauta et dégagea la trouvaille.
- Qu’est-ce ? Demanda Netjhim piqué par la curiosité.
- Il y a plusieurs objets... et un squelette. C’est un homme en armure !
- S’il vous plaît, dégagez-le, demanda le prêtre aux deux serviteurs.
Une bonne demi-heure plus tard le squelette était remonté et conduit jusqu’au campement où les hommes du désert seraient plus à l’aise pour l’examiner. Ce guerrier mesurait deux mètres et la ligne de son armure indiquait qu’il devait être très svelte.
- Fais-le parler... souffla la voix de Ptol’a à Netjhim, il n’a pas rejoint l’après-vie.
Netjhim utilisa alors tout son savoir faire et demanda aux serviteurs de quitter la tente, il devait rester seul avec le mort. Après avoir défait son armure, il installa le squelette sur un des lits de camp, puis il entama une prière à Ptol’a. La déesse accorda à son prêtre le droit de contacter l’âme du défunt avant que celle-ci ne s’en saisisse. Il sentait que le guerrier était là, mais la déesse l’avertit, la magie était à l’origine de sa mort.
- Que veux-tu, humain ? résonna la voix du mort.
- Qui es-tu ?
- Je ne peux te le dire suis car je n’en ai pas le droit.
- Qui t’a ôté ce droit ?
- Ceci je peux le dire, se sont des créatures proches de Guem, ceux qui mangent les pierres.
- Qu’est-ce que cette porte ?
- Ceci je peux le dire, c’est une porte de l’Infini, elle a été brisée dans une grande bataille.
- Quand ?
- Bien avant que vous ne fouliez cette terre.
- Où menait cette porte ?
- Je ne peux te le dire suis car je n’en ai pas le droit.
- Je vois.
- Laisse moi partir à présent.
- Une dernière question, y a t-il d’autres personnes comme toi sur les terres de Guem ?
- Oui il y en a d’autres.
- A présent va, quitte ce monde physique et part dans l’après-vie.
La nuit tombait sur le campement, le groupe s’était réuni autour du prêtre pour connaître les suites de cette affaire qui intéressait tout le monde. Netjhim finissait d’écrire un rapport à l’attention d’Hakim et du conseil pour les informer des découvertes faites. Une fois fini, il s’adressa à l’historien royal.
- Dites-moi, que savez-vous sur les origines du désert d’émeraude ?
- Nul ne le sait, il n’existe aucun récit, ni aucun écrit sur les origines du désert, seulement une multitudes de théories parfois farfelues.
- Je crois que cette porte était là bien avant notre civilisation.
- Tout est possible, mais comment en avoir le cœur net ? demanda l’historien.
- Il existe des personnes qui pourraient nous le dire, j’ai fait une recommandation dans ce sens auprès de la guilde et du Conseil.
- Pourvu que l’on ait une réponse rapidement, nous allons continuer les fouilles demain, Netjhim, peut-être y a t il l’autre battant de la porte quelque part et d’autres squelettes gardés intacts sous le sable.
- Je vois. Moi qui pensais rentrer demain à Mineptra, je crois que je vais un peu prolonger mon séjour ici.