De Eredan.
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Histoire
Bramamir
Rassemblement
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“Un jeu d’enfant” pensa Ti Mousse alors que la porte d’un coffre-fort dissimulé derrière un tableau s’ouvrait en silence. Il jeta un coup d’œil dans le bureau du gouverneur des Iles Blanches. Aucun bruit, aucun mouvement, rien qui puisse lui faire dire qu’il était repéré. Il attrapa son sac à dos déjà bien alourdi par quelques objets conçus spécialement pour sa mission. Sans examiner plus en avant le contenu du coffre il en vida l’intérieur, sans laisser la moindre petite chose. Une fois cela fait il referma la porte puis replaça le tableau sur lequel était peint le portrait d’une horrible femme boudinée dans une robe trop petite pour elle. “Bon à présent, sortir de là !”.
Bramamir était la capitale des Iles Blanches. La cité portait depuis la fin de la guerre contre Néhant le nom de l’ancien royaume sur lequel cette république avait été créée. Grâce à d’ingénieux systèmes une multitude d’îles volantes étaient rattachées à la gigantesque île principale, cette dernière étant le poumon économique et social de la ville. Le gouverneur, dirigeant de la république, résidait dans l’une des ailes de l’ancien château royal qui fut en partie détruit durant la guerre. A présent les tours détruites étaient devenues des jardins au milieu desquels se trouvait le mémorial en l’honneur du dernier roi de Bramamir. En cette journée pluvieuse, la garde était minimale. Les rares soldats en faction s’étaient vu largement graissés la patte par un des ministres acquis à la cause pirate afin que ceux-ci aillent faire un tour ailleurs durant une petite heure. Aussi fut-il facile pour Ti Mousse de s’introduire là où il fallait sans rencontrer le moindre obstacle.
Quelques jours avant cela, Al la Triste et son équipage fouillaient les décombres de l’Amiral et de la Dame Noire après un combat acharné. Armada et Klémence exultaient de pouvoir récupérer divers objets utiles à leurs expériences respectives.
- Récupérez tout ce que vous pouvez, l’reste vous l'laissez ! J’veux des informations ! Hurla Al la Triste.
Outre l’ordre très approximatif l’idée globale était simple : découvrir le fin mot de toute cette histoire. Jon, bien qu’incapable d’exprimer la moindre émotion, du moins physiquement, récupéra quelques affaires éparpillées dans les décombres de l’Amiral, le navire qu’il avait fidèlement servi durant très longtemps. Puis, en soulevant une large planche en partie calcinée il tomba sur un étui à parchemin fait de cuir et frappé des armoiries du gouvernement des Iles Blanches. De ses doigts sans vie il tira sur le fin fil de cuir tenant le couvercle, puis laissa échapper le parchemin avant d’en lire les premières lignes. A ce moment là, s’il avait eu des sourcils, il les aurait relevés en signe de surprise.
- Capitaine, vous devriez lire ceci, dit-il en apportant sa trouvaille.
Al la Triste parcourut la lettre assez rapidement, puis l’écrasa dans sa main de fer avec colère.
- Le fumier ! Raclure de fond de cale ! Marin de mer ! Ah c’est comme ça !? On va lui faire comprendre !
La jeune femme qui dépassait tout le monde d’une bonne tête repartit en direction de son navire posé non loin de là.
- Œil de Gemme, Jon, retrouvez-moi dans mes appartements dans une heure. Les autres finissez l’fouilles et prenez s’qu’il y a à prendre.
Une heure plus tard les trois personnes les plus importantes de l’équipage étaient réunies autour de la table ronde du capitaine. Al la Triste avait disséminé à sa surface divers éléments dont une majorité de choses trouvées dans la dernière heure passée. Œil de Gemme examina quelques-uns des parchemins sans plus y faire attention, attendant que son capitaine prenne la parole, quand à Jon, il n’exprimait rien, comme d’habitude.
- Bon, j’ai reconstitué l’truc et j’ai découvert que not' ami Akeyros avait autorisé une partie de la flotte de la république à accompagner s’troufion dégénéré de Palpegeuse. A mon avis y’aura d’autres visites, va falloir qu’ça cesse et faire l’ménage.
- Akeyros... le gouverneur ? Interrogea Œil de Gemme.
- Lui-même ! Répondit le capitaine sur un air dépité. Et ce malgré l’traité entre nous et eux, ajouta-t-elle en plantant une dague dans un symbole néhantiste dessiné sur une feuille.
- Je ne vous avais pas menti. Le gouverneur travaille secrètement à la prochaine élimination du problème le plus épineux pour lui, nous, les pirates. Je crains, hélas, que pour se faire il se soit acoquiné avec la vermine néhantiste, répliqua Jon.
- Et du coup qu’est-ce qu’on fait ? Demanda Œil de Gemme. Nous avons un pacte avec le gouvernement.
- Et bien nous allons “renégocier”, ironisa Al la Triste.
- Quel est votre plan Capitaine ?
- Nous allons commencer par faire comprendre au gouverneur qu’c’est donnant-donnant. Et qu’on est pas des pirates pour rien.
A ce moment là quelqu’un frappa énergiquement à la porte des appartements.
- Capitaine... euh... vous devriez v’nir sur le pont, dit Briscar.
- Qu’est ce qu’y a encore ? Dit-elle énervée en ouvrant la porte.
- Beh j’crois bien que notre victoire contre Palpegueuse se sait déjà. V’nez-voir.
Effectivement, le cimetière des pirates était plus animé qu’il ne le fut jadis. Les navires pirates rentraient les uns après les autres. Des petits, des gros, en bon état ou non. Les navires volants se positionnaient tant bien que mal pour éviter de se percuter les uns les autres. Les membres d’équipage de l’Arc-kadia furent ébahis du spectacle, ils pointaient les navires en donnant les noms de leur capitaine respectif. Al la Triste fut la seule à ne pas être ravie de cette réunion improvisée.
- Les fous, nous sommes vulnérables ici. Faut d’gager d’là !
Par un astucieux système de code le message fut passé qu’il fallait sortir de là et se réunir plus loin. Le gouvernement étant probablement désormais au courant de la position géographique de ce lieu sacré. Aussi accostèrent-ils tous l’Ile des Trois Vents réputée pour être un lieu aux vents changeants donc terriblement dangereux lors d’une éventuelle bataille. Jamais cet îlot n’avait connu un accostage aussi important. Aussi l’île trembla-t-elle lorsque les navires, ou tout du moins ceux qui le pouvaient, se posèrent non loin de la seule et unique bicoque qui y était, l’auberge-étape du Poisson-Vent. Son tenancier, un homme terriblement stressé et à la vie compliquée eut sa mâchoire décrochée lorsqu’il vit cette arrivée massive. Puis il crut enfin à son jour de chance. Aussi ouvrit-il en grand les portes de son boui-boui en sonnant l’état de guerre parmi son équipe composée de sa femme au service et de sa fille aux cuisines. Très vite toutes les tables furent occupées par les capitaines pirates et quelques uns de leurs hommes. L’atmosphère devint vite... chaotique, jusqu’au moment où Al la Triste se leva pour parler pour expliquer les récents évènements.
Souchi était la fille du tenancier, la tête résonnant encore des légendes sur les pirates, elle avait vu arriver ses plus grandes idoles. Al la Triste, la plus célèbre des capitaines pirates étaient là à quelques pas d’elle, reconnaissable à sa chevelure rousse, sa grande taille et son bras mécanique. La grande spécialité du coin était donc la préparation de divers plats à partir de poissons du lac salé, résidu d’une ancienne mer qui occupait la grande majorité de l’île. Aussi la cuisine n’était pas séparée de la salle où se trouvaient tables et chaises. Souchi attrapa son couteau et commença à préparer les commandes qui affluèrent vite. Pendant qu’Al la Triste exposait son plan, la jeune cuistot remarqua deux pirates non loin d’elle. En cela rien d’étonnant les lieux en étaient pleins. Mais ceux-là ils avaient l’air encore plus misérables et louches que les autres, d’autant plus qu’ils se chuchotaient quelque chose à l’oreille. Pourquoi est-ce qu’elle ne pouvait pas s'empêcher de douter d’eux ? Parce qu’en fait, en regardant bien, ils avaient beau être habillés de haillons et être crades, ils étaient rasés de prêt, chose très rares chez les pirates et surtout leurs épées, ainsi que leurs fourreaux étaient semblables à ceux du gouvernement ! Que cela ne tienne, ces deux-là elle les aurait à l’œil, et le bon !
Hors donc, retrouvons notre Ti Mousse, qui quelques jours plus tard continuait de suivre le plan de son capitaine bien aimé. Il se demandait vraiment pourquoi s’était Souchi et lui qui étaient les heureux gagnants de cette mission qu’il qualifiait aisément de suicidaire. Écoutant de l’intérieur des appartements du gouverneur il n’entendit rien dans le couloir aussi risqua-t-il l’ouverture puis le passage. Malgré ses bottes de cuir grinçantes et tous objets cliquetant dans son sac, il réussit presque à sortir du château... Presque, car hélas un garde, probablement plus zélé que ceux qui regardaient ailleurs vit l’infortuné pirate dont l’apparence présageait filouterie.
Ce fut là le début d’une course poursuite effrénée à travers la demeure. “Le plan B ! Le plan B !” pensa le jeune pirate en se dirigeant vers l’exact opposé de l’entrée du bâtiment principal. Dehors Souchi qui surveillait les alentours aperçut l’animation et des formes passer rapidement devant les larges fenêtres au rez-de-chaussée.
- J’en étais sure ! Plan B !
Elle courut alors jusqu’au bout du bâtiment et s’arrêta au coin. A l’intérieur Ti Mousse extirpa de son sac un masque étrange et le plaça sur son visage, puis dans la foulée tira une petite bouteille contenant un liquide verdâtre. D’un geste rapide il explosa la bouteille sur le sol devant lui. Immédiatement le liquide vert se transforma en un gaz opaque et terriblement nauséabond. Les gardes n’échappèrent pas à la puanteur et se retrouvèrent à vomir, cessant ainsi de courser Ti Mousse. Ce dernier appliqua le plan, sauver sa prise. Il brisa la vitre au bout du couloir, non pas pour se sauver car des larges barreaux l’en empêchaient, mais pour donner son sac à Souchi qui attendait là.
- Tu vas t’en sortir ? S’inquiéta ce nouveau membre de l’équipage d’Al la Triste.
- Ouais ouais, file ! L’alerte est donnée, je te retrouve au point de rendez-vous comme prévu, dit Ti Mousse en lâchant son sac avant de repartir dans les méandres du château gouvernemental.
Souchi quitta les lieux immédiatement, suivant le parcours qu’on lui avait donné : premier arbre à gauche, suivre le chemin de cailloux au fond du jardin, puis sauter la petite clôture et enfin passer la porte de la muraille préalablement ouverte par les soins des pirates. Enfin et c’était le plus facile, sortir de Bramamir sans se faire repérer et gagner le point de rendez-vous. Là elle attendit une bonne heure avant que n’arrive son complice, éreinté et surtout blessé.
- Ça va ? S’inquiéta sa camarade de mission.
- Je me suis viandé, ils m’ont vu et du coup ma tête va être mise à prix, mais à part ça... ça va ! La nuit tombe, allons retrouver l’Arc-kadia.
Quelques jours plus tôt, Souchi venait de préparer une bonne dizaine de plats lorsque les deux compères aux armes gouvernementales décidèrent de passer à l’action. L’un d’eux attrapa par le canon un fusil posé à côté de lui, puis le fit glisser sur la table avant de se positionner afin de tirer sur Al la Triste. Voyant cela, Souchi attrapa son énorme couteau, sauta sur son plan de travail avant de bondir sur le tireur. La lame se planta entre les deux os de l’avant bras et s’enfonça dans le bois, crucifiant l’infortuné. L’autre faux pirate tenta de s’échapper, mais hélas pour lui il était dans une impasse face à plusieurs dizaines des plus dangereux pirates ! En un rien de temps ils se retrouvèrent encerclés, saucissonnés, bâillonnés, et un peu (beaucoup) tabassés.
- Mettez-moi ces rats dans la cale d’mon navire, ordonna Al la Triste furieuse que l’on ait intenté à sa vie.
Du fait de cet incident, la réunion fut ajournée, mais les premières décisions étaient prises et ça allait bientôt sentir la poudre à canon ! Du fait de son incroyable intervention le capitaine proposa à Souchi de se joindre à son équipage. Contre l’avis de ses parents la jeune femme prit son baluchon, ses ustensiles de cuisine et quitta le “cocon” familial.
Le soir-même Souchi et Ti Mousse furent convoqués dans les appartements du capitaine. Cette dernière visiblement un peu imbibée d’alcool leur proposa de se joindre à la petite fête, qui en fait n’en était pas vraiment une.
- Mes p’tits gars ! J’ai une mission pour vous ! Un truc dangereux mais assurément utile pour nous ! Dit Al en entrecoupant sa phrase de lampée d’alcool. Z’allez r’prendre le traité de paix entre nouzautres et l’gouvernement ! On va leur mettre la bouteille profondément dans le...
Mais elle ne termina pas sa phrase.
- Nous ?
- Beh ouais, toi parce qu’il s’rait temps qu’tu t’rendes utile, et toi Poulpi, parce que t’es nouvelle et qu’je peux renouveler l’expérience que j’ai eu avec l’moussaillon là.
- Souchi pas Poulpi, insista la cuistot.
- S’pareil ! Allez vous préparer, voyez l’Briscar pour faire un plan et les mécanos pour l’matos !
Faire front
La trappe de la cale grinça lorsque Al la Triste l’ouvrit. La lumière s’y engouffra, éclairant les deux prisonniers du gouvernement des îles blanches. Les deux hommes couverts de chaînes tournèrent la tête aveuglés par la lumière. Voilà déjà deux jours qu’ils étaient là dans le noir total, sans manger ni boire. Le capitaine de l’Arc-Kadia dévala les escaliers de bois en lâchant quelques jurons.
- Bon les p’tits gars, c’est l’heure de cracher c’que vous savez, dit-elle en se penchant vers l’un d’eux. Y’a que deux options pour vous. Un, vous dites tout c’qu’on veut savoir sur qui vous envoie et tout et tout, dans ce cas ça s’passera bien pour vous. Deux, vous fermez vos mouilles, dans ce cas j’vous brise les os un par un, puis quand vous aurez bien souffert hop à la planche, direct dans le Vortex !
La seconde perspective n’enchantait pas vraiment les deux pseudo-assassins mais ils avaient reçu un entraînement militaire aussi ne parlèrent-ils pas... du moins dans un premier temps. Al la Triste eut tôt fait d’être agacée, aussi commença-t-elle par briser un doigt de l’un d’eux. Ce qui, pour quelqu’un possédant une main mécanique était une opération des plus faciles.
- Alors j’continue ou tu m’dis tout ?
- Nan nan c’est bon, arrêteeez ! Dit l’infortuné prisonnier. J’vais parler, nous...
- Tais toi !! Hurla l’autre prisonnier, on doit rien dire !
Al la Triste enfonça son poing mécanique dans la figure du résistant qui se retrouva évanoui la tête contre le sol crasseux.
- R’prenons, t’allais m’dire des trucs, j’t’écoute.
- D’accord je vais vous dire, mais en échange vous me débarquerez sur une île de mon choix en périphérie, d’accord ?? Demanda-t-il en se tenant la main totalement endolorie par l’index brisé.
- D’accord, on fait ça.
Al la Triste claqua la trappe de la cale avec un sourire satisfait sur le visage. Elle avait les informations qu’elle voulait. Le bras de fer entre le gouvernement et les pirates débuta à ce moment là. Jon, Bragan, Foudre-bec et une bonne partie de l’équipage attendaient les révélations du capitaine.
- Alors madame, est-ce que ces vils agents du gouvernement venus tenter l’assassinat sur votre belle personne ont parlé ?
- Ouaip, personne ne m’résiste ! Par contre va falloir faire une réunion des cap’taines. Prévenez ceux qui ont accepté d’joindre leurs forces aux n’tres, ils sont conviés ici-même.
Déçue de ne pas avoir une réponse immédiate la troupe se dispersa et chacun retourna aux activités habituelles, à savoir pour la plupart ne rien faire. Les autres capitaines furent prévenus de la petite réunion et à la faveur de la nuit deux d’entre eux seulement avaient répondu à l’appel, mais pas n’importe lesquels. Azalys Cinq Fois Veuve, capitaine de la Veuve Noire et Corc le Moche capitaine du Foudre de Guerre avaient posé pied sur l’Arc-Kadia. Ils furent invités dans les appartements d’Al la Triste. La réunion commença avec la présentation de Jon le flibustier comme ancien capitaine de l’Amiral. Mais un autre invité arriva au moment où tous ces chefs pirates finissaient les civilités d’usage, fort nombreuses chez les pirates. Un bruit sourd se fit entendre comme un moteur bourdonnant. Klémence qui se baladait vit arriver un vaisseau deux fois plus grand que l’Arc-Kadia, ce mastodonte cacha les rayons de lune. La jeune mécanicienne n’en crut pas ses yeux lorsqu’elle reconnut le navire et le pavillon.
- Waoouuuu ! C’est le Titan de Fer !!! Dit-elle les yeux brillants des feux de la passion.
Klémence sautilla en voyant le bateau s’arrêter au niveau du pont et installer la passerelle entre eux. Elle n’en pouvait plus tellement les machineries visibles étaient incroyables. Il n’y avait pas un seul être vivant, uniquement des automates réglés à la perfection par leur capitaine. D’ailleurs celui-ci sortit sur le pont du Titan de Fer. Klémence avait le cœur qui battait fort, son idole, celui qui avait provoqué sa vocation était là. Lorsqu’elle le vit mieux, confirmant son identité elle ne se retint pas plus au grand étonnement des autres pirates. Elle intercepta ce qui pour elle était une superstar, le bien nommé Mestre Galène, le plus ingénieux des mécaniciens, véritable génie dans son domaine. L’homme devait avoir la trentaine, emmitouflé dans une armure de rouages.
- Dis moi petite, peux-tu me dire où je peux trouver Tristounette ?
- Euh euh euh, dit-elle en sautillant autour de Galène, époustouflée par la machinerie.
- Ça veut dire oui ?
- OUI ! OUI ! Venez ! Répondit-elle se posant un millier de questions sur ce qu’elle voyait.
Al la Triste entendant l’arrivée d’un nouveau navire fit patienter ses invités jusqu’à ce que Klémence débarque avec un nouveau capitaine. Ce qui retarda encore plus les choses car tous allaient repartir dans les présentations d’usage. Klémence colla Galène jusqu’à temps que ce dernier lui demande ce qu’elle voulait.
- Je.. je peux jeter un œil au Titan ? Je suis l’un des mécaniciens de l’Arc-Kadia, je vous adore !!!
Cela fit rire Galène.
- Oui tu peux, mais ne touche à rien !
Elle s’en alla, braillant des “Yaoouu” à tour de bras.
- Bien ! Lança Al la Triste, il est temps d’causer plan d’attaque !
- Avant cela, permettez-moi de porter à votre connaissance les dernières informations dont je dispose, coupa Galène. Mes automates espions m’ont appris que le gouvernement préparait un nouvel assaut...
Dehors Crochet, à l’écart des autres, grommelait comme à son habitude. Une malédiction pesait sur ses épaules depuis bien des années. Lors de la rencontre avec Palpegueuse/Morte-gueuse il sentait que quelque chose changeait au fond de son cœur. Une petite voix lui parlait, perverse, maline et manipulatrice.
“Regarde ce que tu es devenu, un paria, même au sein des tiens tu es mis au ban ! Souviens-toi de qui tu étais autrefois ! Un valeureux pirate craint de tous. Personne n’aurait osé te traiter de la sorte. Cette Al la Triste aura ta peau.”
Les mots firent mouche car la voix ne faisait que répéter ce qu’il ressentait réellement. Il devrait être le capitaine de ce navire, il l’avait déjà été une fois il y a fort longtemps.
- Quoi faire ? Demanda-t-il à haute voix.
“Reprends ce qui est à toi ! Tu pourrais aisément devenir le nouveau maître de l’Arc-Kadia et plus encore, soumets les autres capitaines, puis prends le pouvoir des Iles Blanches !”
- Mais comment ?
“Laisse-moi faire !”.
Crochet tremblait de tout son être, il sentit son bras le brûler et une force magique s’emparer de lui. Il se laissa aller, s’offrant à cette puissance nouvelle. Son bras gonfla, puis le reste de son corps suivit le mouvement. Il se mit à grandir et changer pour prendre l’apparence d’un démon. C’était toujours Crochet mais sa peau était sombre et des cornes ornaient ses tempes. Les autres pirates réagirent vite en le voyant, sonnant l’alarme. Briscar s’interposa en premier et tenta de donner un coup avec sa pelle fétiche. Hélas celle-ci se brisa sur le mollet de ce Crochet démon.
- HAHAHA tu n’es qu’un moucheron Briscar, dit-il en lui assenant un coup du revers de sa large main. AAAAAAALLL vient m’affronter et crève comme la fille de charogne que tu es !!
La discussion avait commencé entre les différents capitaines. Galène expliquait un plan de combat plutôt novateur et audacieux, mais qui permettrait de défaire les forces de la république. Une bataille permettrait à un groupe de retourner à la capitale pour accomplir une nouvelle mission extrêmement dangereuse. C’est à ce moment là qu’il y eut du grabuge dehors. Plusieurs bruits de pas précipités se firent entendre dans le couloir menant aux appartements d’Al la Triste.
- Capitaine capitaine ! Hurla Ardranis, venez vite !
- Décidément on peut jamais être tranquille dans ce rafiot ! Râla Al la Triste en ouvrant la porte.
A ce moment là se fit entendre la grosse voix de Crochet, modifiée par sa nouvelle condition de démon, sommant Al la Triste de se montrer.
- Qu’est ce qu’ya ? Demanda-t-elle à l’Elfine.
- C’est Crochet il ressemble à un monstre et tape sur tout ce qui s’approche.
Al poussa Ardranis de son chemin et se mit à courir, suivie des autres capitaines curieux de voir ça. Personne ne fut déçu du spectacle, le démon mesurait bien presque trois mètres et avait balayé une bonne partie de l’équipage. Crochet vit Al la Triste et se fraya un chemin jusqu’à elle.
- Une fois que je t’aurais buté je reprendrai l’Arc-Kadia !!
Crochet tenta de mettre un coup de poing mais la jeune capitaine lui opposa son bras mécanique et encaissa la charge sans trop de problème. La machinerie grinça et la mini chaudière cracha sa vapeur sous l’effort. Personne n’osa intervenir, assistant ainsi à une sorte de défi, un règlement de compte. Al dégaina son arme et canarda le démon, faisant ainsi parler la poudre. Les balles sifflèrent. Tout le monde se cacha derrière ce qu’il pouvait afin d’éviter d’en recevoir une. Les balles ricochèrent sur l’épaisse peau du démon et visiblement même les torgnoles à grand coup de poing en fer ne lui faisaient pas grand chose. Crochet railla son adversaire à grand renfort d’insultes pirates. Galène et Azalys décidèrent d’intervenir, car outre le fait qu’Al la Triste n’avait pas le dessus, l’Arc-Kadia risquait d’être endommagé, risquant un plongeon dans le gargantuesque Vortex noir situé sous les Îles Blanches. Galène sortit d’une pochette de cuir un drôle d’appareil qui se déplia pour devenir une araignée mécanique. Il régla vite fait l’engin grâce à plusieurs molettes et la posa sur le sol. L’araignée se dirigea tout droit vers le démon. Quant à Azalys, depuis le début du combat elle assemblait un fusil au moyen de nombreuses pièces dissimulées un peu partout sur elle. Elle eut fini à peu près au moment où l’automate de Galène se mit à grimper sur le démon. Elle porta aussitôt le fusil à l’épaule, visa la tête et tira.
La balle fila à une vitesse hallucinante et s’écrasa contre le front de Crochet. Mais elle ne fit rien d’autre que provoquer un mouvement de recul. Galène activa à distance son araignée qui avait grimpé jusqu’à la nuque du démon. Celle-ci délivra alors une forte charge d’énergie qui provoqua une douleur importante. Corc qui examinait plusieurs plans décida d’agir à ce moment, profitant des éclairs émis par la création de Galène. D’un geste ample il amplifia les éclairs et les localisa à la tête. Crochet hurla, l'électricité lui provoquait des spasmes le paralysant.
- Son bras ! Coupe lui son bras ! Cria Bragan caché derrière un tonneau et à l’attention de son capitaine.
Al n’hésita pas une seconde, elle lâcha son pistolet, tira son sabre du fourreau et s’élança lame en arrière. Crochet vit arriver le Capitaine sans rien pouvoir faire. Avec la rapidité et la force du coup la lame sectionna net le bras au niveau de l’épaule. Le bras vola et s’écrasa quelques mètres plus loin sur le plancher du pont. Crochet s’écroula instantanément en reprenant une apparence plus humaine. Les pirates présents acclamèrent les capitaines. Bragan lui ne se réjouit pas si vite, le bras de Crochet brillait intensément d’une lueur rouge, laissant présager une nouvelle fourberie Néhantique. Et il avait raison car une forme fantomatique se dessina.
- Capt’ain ! CAPT’AIN !! Cria Bragan montrant le bras.
Al, Galène, Azalys et Corc s'agglutinèrent autour du “truc”, qui en réalité était le démon qui venait de posséder le “pauvre” Crochet. Sans attendre Al donna plusieurs coups de sabre au travers de la forme, mais sans aucun effet.
- Haha... Je ne suis pas de ceux que l’ont peu avoir avec une lame Al la Triste ! Vous vivez vos dernières heures, lorsque vos navires seront avalés par le grand maelström, cette partie du monde nous appartiendra. Toute résistance est futile !
- Tu crains pas les lames hein, mais est-ce qu’tu sais voler ? Demanda Al en donnant un grand coup dans le bras pour l'éjecter du bord de l’Arc-kadia.
Le démon hurla un “NOOOOOOOON” prouvant ainsi qu’effectivement il ne savait pas voler.
- Bon, pr’nnez soin d’Crochet, on réglera son cas plus tard. Ordonna le capitaine. Merci à vous Cap’taines, l’était costaud l’bougre.
Quelques jours plus tard, la flottille pirate composée de la Veuve Noire, du Titan de Fer, du Foudre de Guerre sous la direction d’Al la Triste à bord de l’Arc-Kadia arriva en vue de la flotte gouvernementale. Au total une dizaine de gros navires leur faisait face, imposants et armés de plusieurs rangées de canons massifs et destructeurs. Cela n’inquiéta pas les capitaines, qui avaient un plan... infaillible mais très risqué. Al la Triste sonna l’assaut, mais il ne fut pas question d’abordage, car ils n’avaient aucune chance de survivre. Non le plan établi était inventif et se basait sur un sacré travail d’équipe. Depuis l’attaque du démon envers Al la Triste et la réunion des pirates, Galène et Klémence avaient travaillé sur la création d’une trentaine d’automates volants et indétectables. Et lorsque l’on réunit deux génies en matière de mécanique on se retrouve forcement avec des inventions géniales. Ils eurent tôt fait de se rendre compte que les automates étaient performants.
La première phase du plan consistait à rester à distance de la flotte adverse et de lancer les automates avec un certain temps d'intervalle afin que ceux-ci ne forment pas un nuage insectoïde. Le temps qu’ils parcourent la distance il faudrait subir les tirs de canons adverses, mais vue la distance seuls quelques boulets réussirent à faire mouche provoquant des dégâts modérés. Les automates ne se firent pas voir et se collèrent aux coques des navires adverses - à l‘exception d’un - au niveau des moteurs.
La seconde phase du plan était plus risquée car il fallait se rapprocher de l’ennemi et ce pour que ceux qui le pouvaient fassent parler la Foudre. Corc, Bragan, Mylad et Œil de Gemme étaient chacun sur un des navires et au signal d’Al la Triste et alors que pleuvaient les boulets de canon sur leur tête ils lancèrent leurs éclairs. Les opposants se demandaient bien à quoi pouvaient jouer les pirates car leurs navires étaient protégés contre la foudre pour éviter tout problème lors des orages. Mais les éclairs n’étaient pas là pour impressionner mais pour charger, activer et faire exploser les automates de Galène et Klémence. Le résultat fut sans appel, un à un les engins explosèrent, provoquant d’irrémédiables dégâts aux moteurs. Si bien qu’il ne resta plus qu’un seul des navires en état, les autres, sans propulsion, fonçait à vive allure vers le vortex qui aurait tôt fait de les avaler.
Et enfin la phase trois du plan se déclencha. La Veuve Noire et l’Arc-Kadia quittèrent la formation pour prendre d’assaut le dernier navire dont l’équipage n’eut pas le temps de réagir. Azalys et Al la Triste menèrent l’assaut avec efficacité et violence. Leur but était de capturer le bateau afin de pouvoir, plus tard mettre en place un nouveau plan.
Assaut sur Bramamir
Quelques jours plus tard, la nuit était bien tombée sur les Iles Blanches. A bord de l’Arc-Kadia, Al la Triste vida le contenu du sac de butin sur la table où mangeaient les membres d’équipage. Il y avait bien sûr les objets bricolés pour la mission de Ti Mousse et Souchi, mais aussi une très forte somme d’argent et enfin, le plus important, le traité pirate signé de la main du Géant au regard triste, père d’Al la Triste.
- A présent, faisons trembler les fondations d’cette république moisie et pervertie par Néhant !
- Qu’est-ce que c’est ? demanda Ti Mousse interloqué par l’objet.
- C’est une sorte d’cessez-le-feu signé par mon père et ses amis à l’époque d’la scission, répliqua Al la triste. T’vois gamin, Bramamir était un royaume fort il y a très longtemps. Puis après ce que Néhant a fait tout a sombré peu à peu. Bien des années plus tard d’anciens seigneurs et des hommes épris de liberté ont choisi de n’plus faire confiance au gouvernement et il y a eu des rébellions. Cela a donné des années d’opposition des pirates contre le gouvernement. Puis mon père et quelques autres ont alors proposé d’arrêter là. Dans ce traité il est indiqué que le gouvernement laisse tranquille les pirates et inversement. Mais aussi qu’il ne devrait y avoir de bataille entre eux et nous sans une rencontre “à l’amiable” avant cela. Hors v’là qu’on nous attaque directement.
- Je vois, dit Ti Mousse content d’en apprendre plus. Et donc ce que fait le gouvernement est illégal ?
- Ouais, mais le problème c’est que le gouvernement, c’est le gouvernement ! Donc personne au-dessus pour leur dire que c’est mal. On va devoir s’en charger !
Souchi fit la moue en apprenant ça.
- Mais capitaine, pourquoi avoir récupéré ce traité ?
- Légitimité ! Souffla Ti Mousse.
- T’à fait ! Si nous prenons le pouvoir nous pourrons très vite légitimer notre acte. A présent mes p’tits loups des airs, allons nous préparer, ça va être la fête !
Quelques heures plus tard sur le Foudre de Guerre, Al la Triste expliquait le détail de son plan concernant ce navire et son prestigieux capitaine.
- Corc, j’ai une mission très importante à t’confier.
- Je t’écoute jeune fille, qu’est-ce que mon rafiot et moi-même allons bien pouvoir faire pour la grande nation pirate ? Dit-il sur le ton de la plaisanterie.
Al la Triste prit un plan retenu par sa ceinture et le déroula par terre avant de s’accroupir à côté.
- Voilà, j’aimerais que t’embarques quelques magos à ton bord et que tu me fasses une super diversion. On va être accueilli par toute la flotte de Bramamir, va falloir épurer tout ce petit monde.
Corc se gratta le côté de son visage en bon état réfléchissant à une diversion.
- Je te propose ceci. J’ai les plans d’un illusium, c’est une machine qui peut faire des illusions de grandes tailles, je m’en sers pour échapper à mes ennemis. Avec le piaf et Mylad je pense pouvoir charger suffisamment de Foudrepiles pour pouvoir dupliquer l’Arc-Kadia, le Titan et peut être même la Veuve. On passe suffisamment loin de Bramamir pour pas se faire attaquer et suffisamment proche pour les intéresser, puis je les attire de l’autre côté. Pendant ce temps vous passez de biais et hop, le tour est joué.
Tout cela fut accompagné de démonstrations sur le plan. Al la Triste examina la proposition du capitaine, puis étant satisfaite lui tendit sa main de fer qu’il serra alors fermement.
- Par contre une fois la duperie découverte, je reste pas dans les parages, machines à fond et au revoir.
- Prends pas d’risque, le tout c’est que l’illusion fonctionne. Tu peux lancer l’opération “Mirage”.
- Opération “Mirage” ?
- Ouais, c’est comme ça que j'appelle cette manœuvre de diversion.
Un peu plus tard sur le Titan de Fer, Al la Triste se présenta dans le grand atelier de Mestre Galène. Si ce jeune capitaine était une sommité dans son domaine il s’avérait être très désordonné. Entre les outils, les tubes, les vis et autres rouages, difficile de poser un pied sur le sol, d’ailleurs le sol n’était plus visible. Al y retrouva Klémence qui admirait Galène, lui-même en train de bricoler dans son coin.
- Ah ! Al vous tombez bien... vous tombez même très bien, dit-il visiblement gêné par la présence de la jeune mécano. Je peux faire quelque chose pour vous ?
Al jeta un regard ténébreux à Klémence.
- T’as pas des trucs à réparer à mon bord ?? Dit-elle d’une voix menaçante.
- Euh... euh.. oui capitaine !! Répondit Klémence en filant à toute allure.
A présent seuls Al la Triste fit le tour de l’atelier, sous l’œil vigilant de Mestre Galène dont le cœur battait la chamade à chaque fois qu’elle approchait la main d’une de ses créations.
- Capitaine Al la Triste, que puis-je faire pour vous ?? Dit-il inquiet.
- T’es un mystère pour moi, Galène...
- Oui, oui, je suis un mystère, mais par pitié touchez à rien !
- Des trucs à cacher ? Y a quoi la d’sous ? Demanda-t-elle en montrant un drap blanc qui recouvrait visiblement quelque chose.
- Ah ça, c’est ma toute dernière création, ça va nous faire gagner la bataille !
- Une arme ? Bien bien... ça va pas nous péter à la figure ??
Galène rigola très fort, pensant à une plaisanterie d’Al la Triste, mais apparemment la remarque était très sérieuse.
- Hum, non, ne craignez rien, ma créature n’explosera pas ! Elle est juste... PARFAITE !!!
- Je te laisse dans ton délire, mais que tes automates soient prêts, nous partons bientôt à la castagne.
- Nous serons prêts, pas d’inquiétude...
Le temps était enfin venu. L’Arc-Kadia filait à grande vitesse, figure de proue de cette coalition d’équipages pirates. Le plan de bataille était réglé au millimètre près. Le gouvernement de Bramamir fut vite au courant de l’attaque prochaine et sa flotte était prête à en découdre. L’île de la cité de Bramamir était en vue, une nuée de navires de guerre attendait patiemment. Personne ne l’avait jamais attaqué, il faudrait être fou pour tenter une chose pareille. Et c’est ce que pensait le gouverneur de Bramamir perché sur son balcon, observant l’arrivée de ces insectes volant de pirates. A bord du Megalodon, l’Amiral Gardison attendait les ordres du gouvernement. Ce vétéran, habitué des batailles aériennes se réjouissait de sa future victoire et les plaisanteries avec ses officiers allaient bon train. Chacun y alla de son pronostic quant à qui abattrait l’Arc-Kadia et dinerait à la table du gouverneur. De son côté Al la Triste était concentrée, puis une fois toute sa flotte en place elle ordonna à Corc de lancer l’opération “Mirage”. Ce dernier descendit rapidement dans la cale pour rejoindre Foudre-bec et Mylad. Les Foudrepiles chargées à bloc grésillaient doucement. Reliées les unes aux autres par un câble de cuivre, l’ensemble finissait par arriver sur une drôle de machine, c’était un gros tube de verre avec deux plateaux de métal, chacun fixé de part et d’autre du tube. A l’intérieur se trouvait un liquide apparemment visqueux dans lequel flottaient des petits cristaux.
- Posez vos mains sur le tube et quand je vous ferai signe vous lancez une petite décharge magique.
Mylad et Foudre-bec écoutèrent les consignes et laissèrent leur magie s’exprimer au signal de Corc. Les petits éclairs se répercutèrent contre les cristaux qui aussitôt s’illuminèrent. Les foudrepiles bourdonnèrent de plus belle, libérant la magie contenue à l’intérieur.
A l’extérieur rien ne parut avoir changé, mais l’illusium avait agi. Les copies illusoires des navires pirates virèrent de bord pour suivre le plan de bataille. La véritable flotte rendue invisible par la magie progressa rapidement. Comme prévu la très grande majorité des navires gouvernementaux suivirent la fausse flotte, seuls restèrent cinq bâtiments. Al la Triste, de sa longue-vue fut un peu désorientée de voir les noms de ces opposants.
- Le Fleuron de Bramamir... Le Firmament... Et le Megalodon... Pas d’chance ! Bon on va s’occuper du Fleuron et du Firmament. Dites à Galène de s’occuper du Megalodon et à la Veuve de faire son taf. Quant aux autres, qu’ils nous détruisent toutes les vieilles bicoques de moindre importance !
Une fois les informations transmises la flotte fonça à vive allure sur l'objectif. Dès le premier boulet de canon tiré par l'Arc-kadia, toute la flotte se désocculta, sonnant ainsi l'Assaut sur Bramamir. La surprise fut de taille pour le pauvre Amiral Garison qui mit un temps certain avant de comprendre la supercherie. Il lâcha alors sa tasse de thé et beugla ses ordres à ses officiers. Le Megalodon fut alors éperonné par le Titan de Fer et très vite le vaisseau amiral fut submergé d'étranges créations mécaniques. Galène s'affairait à donner vie à son ultime chef d'œuvre. Le drap ne recouvrait plus la machine ou plutôt l'automate. Celui-ci aux courbes féminines ne ressemblait en rien aux autres automates comme Ekrou ou Hic-kar. La technologie ultra perfectionnée utilisée était vraiment incroyable. Galène détachait les tuyaux qui reliaient sa créature à d'autres machines. Enfin il activa l'automate. La chose bougea lentement puis se redressa. Son apparence presque humaine avait quelque chose de déconcertant, presque dérangeante. Ses yeux fixèrent son créateur qui l'observait avec une curiosité dévorante.
- Identification... Ordre ? Demanda l'automate.
- Mmm je vais t’appeler Sarah. Ordre : m’obéir et combattre les soldats du gouvernement.
Sarah suivit Galène sur le pont, analysa la situation, identifia les soldats de Bramamir et fonça aussi sec dans le tas. A bord du Mégalodon les soldats avaient bien du mal à repousser l'assaut pirate.
De son côté l'Arc-Kadia s'opposait avec difficulté au Fleuron de Bramamir et au Firmament, deux redoutables navires. Le but n'était pas de les détruire mais de les retenir le plus longtemps, aussi Al la Triste, qui tenait la barre, utilisait au maximum les spécificités de son navire, manœuvrant avec beaucoup de dextérité. Les boulets des canons volaient de part et d'autre, parfois quelques uns faisaient mouche, éclatant le bois avec une incroyable facilité. L'équipage s'activait comme il le pouvait, priant pour qu'aucun boulet ne les décapitent ou leur emportent un morceau...
Peu à peu l'Arc-Kadia éloignait ses deux adversaires. Le Titan de Fer, toujours accroché au Megalodon assurait à la Veuve noire de pouvoir remplir son objectif. Le navire d'Azalys, plus petit que les autres mais beaucoup plus rapide s'était frayé un chemin jusqu'au palais du gouvernement. Une fois au-dessus de la plus haute tour l'équipe d'intervention composée d'une petite dizaine de personnes sauta sur le grand balcon où quelques minutes plus tôt le Gouverneur fanfaronnait avec ses ministres. Très rapidement des escarmouches éclatèrent. Bragan, Ardranis et Klémence foncèrent vers l'hémicycle où le gouvernement s'était réfugié. Bragan le savait, il fallait faire vite. La porte à double battants, prévue pour résister à des coups de bélier ne fit pas le poids devant la mécanique de Klémence qui à coup de poings la défonça. A l'intérieur, les ministres, terrifiés et outrés se voyaient déjà sautant dans le grand vortex. Au milieu d'eux le gouverneur, fier et arrogant s'avança.
- Vous n'avez pas le droit, chiens de pirates ! Rendez-vous et vous finirez vos vies en prison, sinon ce sera la mort.
Bragan s'avança, pour une fois quelque chose de véritablement impressionnant se dégageait de lui. Son visage sérieux ne collait pas vraiment avec ce personnage ô combien pervers et alcoolique. Une fois à la hauteur du gouverneur il sortit d'une poche le traité pirate.
- Gouverneur, nous vous demandons votre démission ! Dit-il en se retenant de rire, puis n'en pouvant plus Bragan lui décrocha une gifle mémorable. T'as joué et t'as perdu !! Ordonne à la flotte de Bramamir de cesser les hostilités et de se rendre sans délais.
Mais ce que Bragan n'avait pas prévu c'est que le gouverneur était depuis déjà fort longtemps manipulé par les sbires de Néhant. Le gouverneur ne fut plus maître de lui et sans que personne ne puisse faire quelque chose celui-ci courut jusqu'à la fenêtre la plus proche et passa au travers, plongeant ainsi dans le grand vortex noir qui aurait tôt fait de le dévorer...
Bragan se figea.
- Beh mince...
Les autres ministres poussèrent alors le premier ministre vers les pirates. Celui-ci totalement terrifié griffonna l'ordre de l'arrêt des hostilités.
- Nous nous rendons ! Nous nous rendons !
Néhant
Chapitre 1 - Briser la première chaîne
- Tu auras beau m'enfermer, on me retrouvera. Je te le promets Eredan, le temps passera et un jour mes fidèles viendrons me libérer. Ma haine ravagera à nouveau ce monde et tous seront mes esclaves.
Le cristal limpide comme l'eau flottait légèrement au-dessus du sol. De larges chaînes en partaient et s'ancraient dans le sol grâce à d'autres cristaux plus petits. Eredan, seul face à son adversaire avait remporté une grande victoire et la guerre contre Néhant s'achevait enfin. Le Gardien de Guem était affublé d'un large vêtement et d'une cape à capuche couvrant entièrement son visage.
- Crois-tu vraiment que je vais laisser ce lieu sans protection ? J'ai beaucoup appris en ces années de luttes contre toi, je connais l'étendue de tes pouvoirs aussi vais-je faire en sorte que personne n'arrive jusqu'à ta prison.
A cet instant, un légère brume se leva, d'abord fine et transparente, elle devint rapidement épaisse et opaque. Toute la région en fut couverte, entourant la prison de Néhant.
- Que ceux qui te cherchent et qui tenteront de passer aux travers de ma protection se retrouvent à l'autre bout du monde. A présent il est temps que je scelle ton sort.
Apparut alors dans sa main un immense bâton aussi grand que lui. Plusieurs petites gemmes tournoyaient autour du manche lui-même taillé dans un cristal à la couleur bleutée.
- La puissance des enfants de Guem est mienne. Alors que mon ennemi est défait je ferme cette prison pour qu'à jamais son pouvoir y soit contenu. Ceci est ma volonté, moi Eredan, gardien de Guem.
- Que... NOOOOOOOOOO...
Eredan frappa le sol du bout de son bâton et coupa Néhant de ce monde. Le Gardien s'assit alors sur une pierre non loin de là et réfléchit alors à ce qu'allait devenir cet endroit lorsque lui ne serait plus.
Mais il pensait avoir fait le maximum pour les habitants des terres de Guem et il devait désormais porter son attention ailleurs et arrêter un autre péril.
- Adieu Néhant, nous ne nous reverrons probablement jamais.
Eredan traversa la brume, ouvrant un passage sur une terre lointaine, les Confins.
Les brumes des Confins avaient faibli depuis ce temps-là et des passages jusqu'à la prison de Néhant pouvaient être suivis. C'est ainsi qu'Amidaraxar et sa clique étaient parvenus jusque-là. Tout avait changé ici depuis l'époque où Eredan avait enfermé Néhant. La corruption de ce dernier avait rendu le cristal de sa prison et les environs immédiats en un paysage de ruine et de désolation. De nombreux démons surveillaient la limite de la brume de manière à ce que le moindre intrus soit de suite neutralisé. Amidaraxar, fidèle lieutenant, s'affairait sans relâche pour que son maître foule à nouveau les terres de Guem, rêvant alors d'une éternité à son service. Dans l'immédiat, celui-ci gravait dans le sol rocheux et stérile, au-dessous du cristal Néhantique à l'aide d'un éclat noir. Chaque coup dans la roche s'accompagnait d'incantations anciennes et funestes.
- C'est bientôt prêt seigneur, dit-il en continuant les gravures. Ensuite il me faudra faire appel à votre puissance magique afin d'accomplir le rituel.
Le soir venant, Amidaraxar avait enfin achevé son impressionnante œuvre. Au-dessous du cristal était représenté le symbole de Néhant. Chaque trait était en réalité une multitude de petites écritures. L'un de ces traits, celui qui était en bas à la verticale, continuait sa route pour rejoindre plus loin un autre symbole de Néhant qui s’opposait comme dans un miroir au premier. C’était là la base d’un rituel que s'apprêtait à réaliser le mage-sorcier. De son côté Azaram, anciennement appelé Masque de fer se préparait pour l’occasion. Quelques jours plus tôt son père lui annonçait que leur maître voulait lui faire un cadeau, un don inestimable. Qu’après cela tout allait changer pour lui. N’ayant aucune raison de refuser, bien au contraire, il se prépara à passer l'épreuve, un rite, un passage vers un nouvel état.
Le voilà donc, nu comme un ver, sa peau cinglée par un vent mordant. Il passait outre ce froid pour se concentrer sur l’essentiel. Il se plaça donc au centre du symbole renversé.
- Mets-toi à genoux, prosterne-toi devant Néhant lui demanda Amidaraxar.
Il obéit sans la moindre hésitation, laissant ses mains tomber au sol, paumes vers la prison de Néhant.
- Azaram...
Le jeune homme, du moins en apparence, leva la tête et le vit, lui, celui qu’il servait depuis de nombreuses années. Il était là en face de lui au centre du signe jumeau, sous la pierre-prison. On ne voyait pas son visage car enfoui dans une large capuche. Et malgré cette frêle allure Azaram sentait sa puissance, toute cette magie, ce pouvoir incommensurable qui en émanait. Écrasé par cette vision il baissa la tête en signe de soumission et lâcha un “oui” en réponse.
- Tu me sers avec dévouement, tu es le premier à m’avoir retrouvé, le premier à avoir percé le secret du labyrinthe de ces brumes.
A ce moment-là, Amidaraxar débuta le rituel de son côté. De la magie apparut dans ses mains sous la forme d’une aura rouge foncée. Il se plaça ensuite là où se trouvait Azaram avant de plaquer ses mains au bout du trait vertical du haut du symbole. Lentement, les inscriptions se mirent à luire comme si la magie se répandait en elles.
- Azaram, au fond de toi dort celui qui dirigera les légions des méandres. De ton âme noire va naître le démon, de ta main tu brandiras la lame qui pourfendra les fous qui se dresseront devant nous. Azaram fais tu vœux de me servir pour l’éternité ?
Avait-il le choix ? En réalité pas vraiment. Néhant lui posait la question pour vérifier l’engagement de ce fidèle, mais la chose était déjà en route. Azaram ne pouvait faire autrement qu’accepter, mais au fond de lui une pointe de peur lui rappelait qu’il était un humain.
- C’est un honneur que je n’ai pas eu ! Commenta Amidaraxar.
Lui qui était en dehors des symboles ne voyait, ni n’entendait Néhant. Il connaissait ce rituel, il l’avait pratiqué une fois sur une autre personne jadis. Il connaissait la finalité et cette fois il éprouvait une certaine fierté pour son fils. Ce fils qui l’avait libéré de la prison de glace et par qui tout était finalement arrivé.
Le sol se déroba sous Azaram, un portail s’ouvrit et l’avala sans prévenir.
L’impression de chute dura une éternité, il était déjà passé par là, il savait bien où ça allait le mener, et cela ne tarda pas à être vérifié. Il s’écrasa sur le sol avec fracas sur le côté droit, lui brisant deux côtes. Il secoua la tête et se releva tant bien que mal. Le bruit était assourdissant, comme une sorte de chant aux sonorités gutturales. Et pour cause, autour de lui des centaines et des centaines de démons hurlaient ensemble tout en le regardant lui. Puis un démon à l’allure plus fine que les autres mais aussi plus majestueuse s’avança, une épée à la main. Il la planta alors devant Azaram avant de regagner les rangs. Le Néhantiste hésita, devant plusieurs choix. C’était là une épreuve, que devait-il faire ? Prendre l’épée et se battre ? Non, une autre idée lui traversa la tête. Il attrapa la poignée de la main gauche avant de s’entailler profondément l’avant-bras droit. La lame extrêmement coupante ouvrit une profonde estafilade dans la peau, laissant couler le sang. Les démons rugirent et hurlèrent de plus belle. Azaram resta à genoux, regardant la substance de vie s’échapper de lui. L’odeur attira une ribambelle de larbins, ces petits démons serviables à souhait. Ils reniflèrent le sang puis sans crier gare se jetèrent sur Azaram pour le mordre profondément. Chaque morsure était un supplice, sa chair était dévorée, sa vie partait...
Lorsque les larbins eurent finis leur office il ne restait plus grand chose de lui. Il respirait encore, mais il n’était plus qu’à un fil de la mort. Le démon qui avait planté l’épée la récupéra et se plaça devant Azaram.
- Tu as fait le bon choix, j’accepte ton sacrifice.
Le Néhantiste ne savait pas si c’était son état qui le faisait halluciner, mais il vit un bref instant que le démon lui ressemblait.
- Je serai toi et tu seras moi pour l’éternité, dit le démon en perçant la poitrine d’Azaram.
Le coup l'acheva.
Amidaraxar continuait les invocations en observant la scène. Azaram ne bougeait plus depuis un bon bout de temps, son âme était loin de là, dans les méandres où son destin se jouait. Cela dura jusqu’à ce qu’il s’écroule sur le sol.
- Relève-toi Seigneur-Démon Azaram ! Dit Néhant toujours dans le symbole sous la pierre-prison.
Le jeune homme refit surface, se relevant avec une immense difficulté. Il regarda ses mains humaines et toucha son visage puis commença à rire. Il se sentait différent, il n’était plus du tout le même, bien que conservant ses souvenirs il savait qu’il était autre chose, non plus le Azaram mage et Néhantiste, mais un Seigneur-Démon, commandant de redoutables guerriers. Amidaraxar cessa de lancer des incantations brisant ainsi le rituel. Les symboles de Néhant ne brillaient plus et Néhant tel que le voyait Azaram disparut.
Des esclaves humains apportèrent des vêtements au jeune homme dénudé. Amidaraxar ne put s'empêcher de remarquer le changement d’allure de son fils, ce dernier avait une expression de visage différente.
- Que regardes-tu père ? Demanda Azaram remarquant le petit manège. Je vois derrière ton masque que tes yeux se posent sur moi.
- Qu’est-ce que ça fait ? Interrogea le lieutenant de Néhant.
- D’être un démon ? J’ai l’impression de pouvoir soulever des montagnes, que rien ne peut me résister, je sens une telle puissance en moi. Dit-il en finissant de s’habiller.
- A présent nous pouvons passer à l’étape suivante, déclara Amidaraxar.
- Qui est ?
- Sortons Néhant de là.
- Ça me va... mais comment ?
- Nous allons briser les chaînes qui le retiennent. Et pour la première, j’aurai besoin de toi.
- Dans ce cas, dis-moi ce que j’aurai à faire.
- Participer à un autre rituel, celui-ci afin de donner à Fournaise la puissance suffisante pour briser une première chaîne.
Azaram serra les lèvres, laissant parler le Seigneur-Démon en lui. Donner de la puissance à un démon était délicat car ceux-ci étaient par essence très instable. Leur en octroyer signifiait de gros problèmes potentiels. La rage d’un démon pouvait se retourner contre ceux qui lui avaient donné un trop plein de magie. Grâce à ses nouvelles aptitudes, il connaissait chaque démon qu’ils soient dans les méandres ou bien par chance ici sur les terres de Guem.
- Fournaise encaissera ce rituel, il fait partie des plus puissants démons.
- Je sais c’est pour ça que j’ai pensé à lui, je compte sur toi pour veiller sur lui et faire venir tous les larbins que tu pourras.
Azaram eut un petit rire, signifiant que oui il n’y avait pas de problème.
- Tu as le recueil pour l’invoquer ? Demanda Azaram.
- Oui, je te laisse faire d’ailleurs. Je vais préparer la chaîne afin de la fragiliser au mieux.
Azaram tenait le livre écrit par Néhant en personne. Il ne l’aimait pas car il permettait à celui qui en lisait les lignes de pouvoir ouvrir un passage entre les méandres et ce monde pour obtenir les faveurs d’un démon. Et depuis l’emprisonnement de Néhant le livre était passé de mains en mains tel un jouet confié à des enfants. Heureusement à présent il était entre ses mains à lui. Il parcourut les pages et commença à lire l’invocation de Fournaise. Chaque mot était parfaitement bien prononcé, la langue des démons, naturelle pour lui claquait tel un fouet sur le dos d’un esclave. D’ailleurs un esclave il y en avait un a ses pieds, totalement soumis à la magie obscure de Néhant, attendant sans en avoir conscience une mort horrible. Et comme la première fois, lors du combat contre Nibelle l’elfe de glace, il clappa le livre lorsqu’il eut fini l’invocation.
L’esclave laissa alors place à Fournaise, toujours aussi imposant. Ce démon était véritablement gigantesque faisant deux ou trois fois la taille d’Azaram.
- Je suis Fournaise !!!! Qui ose appeler le Seigneur-Démon de la flamme ???
- Moi, encore, dit son invocateur.
Courroucé d’avoir à nouveau à faire à ce freluquet, Fournaise s'apprêta à aplatir sa main sur la tête de l’infortuné lorsqu’il comprit qui était en face de lui. Il se ravisa et posa un genou à terre. Autour de lui des dizaines de larbins gigotaient, sautaient, hurlaient, se chamaillaient.
- Seigneur-Démon, je suis à ton service.
- Bien bien, j’ai cru que j’allais devoir te renvoyer dans ton trou. Suis-moi j’ai un travail pour toi.
Azaram conduisit Fournaise devant une des chaînes retenant le cristal de Néhant. Autour d’eux Déchirure, Mortelame incarnée dans le corps d’un esclave et Calice étaient à genoux.
- J’ai déjà essayé de briser ces chaînes, déclara Fournaise sur un ton dépité.
- Oui mais cette fois, tu n’es pas seul ! Dit une voix de femme.
Ombreuse serpenta jusqu’à eux, dévisageant les démons un à un.
- Ne nous décevez pas, faites de votre mieux et vous en serez récompensés comme il se doit !
- Personne ne décevra personne Dame de Néhant car nous n’avons pas le droit à l’échec, insista Amidaraxar. A présent, officions !
Azaram, tira de son fourreau une lame noire et passa entre les larbins qui exultaient, tendant les bras vers le Seigneur-Démon.
- Toi, toi et toi ! Dit-il en désignant certains d’entre eux.
Les larbins, joyeux, sautillèrent aux pieds de Fournaise comme s’ils avaient remporté un fabuleux prix. Amidaraxar attrapa le premier qui couina fortement, l’énergie magique du mage le tua sur le coup, puis toute la puissance du larbin entra en Fournaise. Et ainsi de suite sur les autres larbins. Fournaise hurlait à chaque fois qu’il recevait de la puissance. Puis ce fut le tour de Déchirure, mais cette fois Amidaraxar ne la tua pas mais il lui prit une bonne partie de son essence. Cette fois lorsqu’il reçut l’énergie démoniaque Fournaise grogna fortement, la chaleur autour de lui devint très vite insupportable. Se sentant prêt il se saisit des maillons de la chaîne et déploya sa force sur-développée. Les maillons grincèrent, mais tenaient encore bons. La fureur monta. Ce fut ensuite le tour de Calice. La lame bourdonna au moment où Amidaraxar lui arracha une petite partie d’elle. L’énergie frappa Fournaise avec force, cette fois la fureur fut telle qu’Azaram dut intervenir pour le contrôler.
- Tu dois contenir la rage sur ton objectif, brise cette chaîne !!
Fournaise hésita à lâcher prise sous le coup de cette rage, mais la présence d’Azaram l’en dissuada. Si la chaîne n’était pas enchantée elle aurait déjà cédée sous les assauts du démon, mais là encore ce dernier n’arriva pas à ses fins.
- Raaaah, tu vas casser !! Cria-t-il de sa puissante voix.
Amidaraxar s’approcha de Mortelame qui l’accueillit les bras écartés en signe de soumission. Il l’attrapa par la gorge et en aspira l’énergie démoniaque. Chargé à bloc d’autant de pouvoir le mage posa ses mains sur la peau de Fournaise, au risque de se brûler.
- Reçois ceci ! Cria-t-il en déversant sa magie, mêlée de puissance démoniaque et de flux Néhantique.
La rage explosa, Fournaise hurla, tremblant sous l’effet d’une overdose. De part sa nature il ne pouvait pas se consumer par un trop plein de magie comme aurait pu le faire d’autres créatures, mais la rage elle était plus redoutable. Azaram déploya toutes ses facultés pour garder l'ascendant sur Fournaise.
Cette fois-ci, affaibli et devant cette incroyable poigne, le métal se craquela puis explosa en des dizaines de petits éclats.
Ainsi fut brisée la première chaîne de la prison de Néhant.
Chapitre 2 - Briser la deuxième chaîne
La sombre silhouette de Néhant prenait l’allure d’un fantôme, hantant les lieux à moitié présent dans ce monde. Amidaraxar hurlait ordres sur ordres aussi sûrement qu’un chien face à une armée de chats. Mais ces chats-là n’avaient rien de félins, juste bons à obéir, leurs griffes limées par la servitude. La première chaîne avait cédé sous l’incroyable force de Fournaise, ses maillons traînaient par terre ignorés de tous. Les fidèles du Sombre Seigneur s’affairaient à briser les autres chaînes, inlassablement les esclaves travaillaient dans ce but ultime contre leur volonté. Cette fois la puissance des démons ne servirait à rien, ils avaient essayé la même méthode sur chacune des chaînes sans obtenir le moindre résultat, Eredan prouvait quatre-vingts ans plus tard et une fois de plus sa suprématie en terme de magie. Amidaraxar avait piqué une colère incroyable devant ce manque de résultat. Il lui fallut alors examiner une à une les trois chaînes restantes pour déterminer laquelle d’entre elle subirait son courroux. Mais leurs secrets étaient bien cachés, impénétrables...
- Patience... Voilà des années que je tente de me libérer... indiqua Néhant d’une voix morne et monotone.
- Je sais, Seigneur, mais à présent que le monde regarde ailleurs il nous faut agir vite et percer les mystères de ces chaînes, répondit Amidaraxar en montrant son empressement.
- Je me souviens bien de ce jour maudit où Eredan m’enferma avec ses alliés... Aussi je peux t’aider à accomplir un rituel qui brisera une des chaînes, je serai celui qui te permettra de te dépasser. Prépare-toi...
Amidaraxar s’éloigna, réfléchissant à ce qui allait advenir. Quand à Néhant, il convoqua Azaram pour une mission bien particulière.
- Oui, Seigneur ? Je peux faire quelque chose pour vous satisfaire ?
- Nous arriverons à briser deux autres des chaînes, j’aurai la plupart de mes pouvoirs, mais je ne pourrai reprendre corps que lorsque la dernière chaîne ne me retiendra plus. Il va me falloir les trois fragments de l’Onyrim.
- L’Onyrim ?
- L’antique couronne du roi d’une petite civilisation que j’ai soumis il y a bien longtemps. Ces fragments sont entre les mains des draconiens et ils n'en connaissent pas le réel pouvoir. Avec lui cela sera plus facile.
Azaram inclina la tête.
- Cela risque d’être difficile de les récupérer, d’après nos éclaireurs Dragon a fermé magiquement les frontières de son territoire, indiqua Azaram un peu dépité.
- Crois-tu que cela m’arrêtera ? Questionna Néhant sous une forme de reproche. J’ai bien d’autres serviteurs un peu partout dans le monde. En tant que Seigneur Démon, je veux que tu réveilles les trois tourmenteurs, ils sont quelque part dans la Draconie.
Azaram n’avait plus entendu parler de ces démons depuis des lustres si bien qu’il les supposait détruits à jamais.
- Cela serait fait suivant votre volonté. Dit le démon en s’inclinant.
- Peut-il en être autrement...
Azaram traversa la brume des Confins avec détermination. Où qu’ils soient les tourmenteurs allaient entendre son appel et se mettraient en marche pour réaliser les sombres intentions de Néhant. Une fois de l’autre côté de la brume il vit au loin le bouclier magique de Dragon, les reflets bleus ne laissaient aucun doute sur la nature de cette magie. Le Seigneur Démon passa un moment à psalmodier, demandant à Néhant la force nécessaire à la réalisation de sa tâche. Puis après un très long moment la terre se fissura, faisant apparaître une forte lumière rouge. Une paire de mains sortit de cette crevasse pour s’agripper aux rebords. Une créature démoniaque à l’aspect déformé s’en extirpa avec difficulté. Reconnaissant son supérieur il baissa la tête, dominé par son invocateur.
- A vos orrrdrrres Seigneurrrr... Souffla le démon fraichement débarqué des Méandres.
- Savais-tu que les tourmenteurs existaient toujours, raclure ? Hurla Azaram.
Le démon eut l’air gêné, il se frotta les mains et n’osa pas regarder son maître. Son silence fut éloquent.
- Pourquoi ne m’as-tu pas informé ? N’es-tu pas sensé être mon bras droit, messager des Méandres.
Devant les réprimandes le serviteur craqua, soupirant et gémissant.
- Mais c’est pas ma fauuteeee, c’est le grand maître qui m’a dit de pas en parler et qu’on en parlera lorsqu’y faudra.
Azaram se ravisa, si c’était un ordre de Néhant, alors il n’avait pas à crier plus sur son serviteur. Il respira un grand coup avant de continuer.
- Tu vas transmettre un message aux tourmenteurs. Ouvre leurs yeux qu’ils redeviennent eux-mêmes pour accomplir la volonté de Néhant.
- Trèès bieeen, j’y vais de ce pas...
- Ne te fait ni voir, ni entendre.
Le serviteur plongea dans la faille qui se referma juste après. Azaram regarda en direction de la Draconie. Il trouvait hasardeux de faire confiance aux tourmenteurs sans qu’un véritable Néhantiste ou un Seigneur Démon ne les chapeaute. Il espérait vraiment que cela se passerait bien, ça lui éviterait de passer du temps à tenter de passer cette barrière magique. La libération de Néhant dépendait maintenant de trois démons...
Durant une heure Amidaraxar s’était coupé du monde. Assis sur un rocher en hauteur il médita, se préparant à recevoir une puissance magique considérable. Il remit de l’ordre dans ses pensées et dans ses connaissances. Il fut autrefois le premier à rejoindre Néhant lorsqu’il comprit le potentiel incroyable des pouvoirs de ce grand maître de la magie, de ce fils de Guem. Lui-même était un magicien reconnu avant son changement d’identité. Il était né avec le don de manipuler et de comprendre la magie sous toute ses formes, le Néhantisme était pour lui au delà du reste, la magie capable de manipuler d’autres magies, il la jugeait même proche de Guem. Les souvenirs remontaient, le projetant bien des années en arrière. Il secoua la tête, pour lui le passé était révolu, seul le futur l’intéressait à présent. Cette fois il n’y aurait pas d’Eredan pour sauver ce monde, ni de prison sous les glaces. Ce monde ne résisterait pas longtemps sous l’assaut des légions démoniaques et la magie de Néhant.
Il était prêt, il réduirait cette chaîne en un tas de cendres fumantes. Il s’avança de son objectif, une aura rouge l’entourait signe que le rituel avait commencé. Il entendait dans sa tête les paroles de Néhant. Il lui insufflait de sombres sortilèges qu’il répéta inlassablement. La magie s’agrippa sur la chaîne aussi sûrement qu’une tique sur la peau d’un chien. Le Néhantiste incantait au prix d’un effort physique incroyable, la magie relâchée était au delà de ce que pouvait produire le plus puissant des mages, à cet instant précis il le savait il n’était pas seul dans ce rituel, Néhant était là, il lui donnait la magie dont il disposait et c’était déjà incroyablement puissant. Et ce n’était là qu’une fraction de ce que pouvait faire Néhant lorsqu’il parcourrait librement les terres de Guem. Amidaraxar aimait ce pouvoir. Tout les autres Néhantistes, démons et esclaves présents s’étaient arrêtés de besogner pour admirer le lieutenant de Néhant à l’œuvre. Ces spectateurs ne furent pas déçus. Des symboles rouges magiques apparurent sur le sol formant peu à peu la marque de Néhant. Une fois ce signe achevé chaque symbole bougea pour se réunir sous Amidaraxar pour ensuite former un tentacule d’écriture qui serpenta sur les premiers maillons de la chaîne et sur l’ancre de cristal qui retenait la prison de Néhant. Le mage sentait ses forces disparaître mais il ne devait pas flancher aussi continua-t-il le rituel. Désormais connecté magiquement à cette ancre il comprit pourquoi Néhant lui avait demandé de s’attaquer à celle-ci. La magie qui la composait était complexe et il était à-même de comprendre comment celle-ci fonctionnait. C’était un véritable enchevêtrement de différentes magies - eau, terre, air, feu, mais aussi nature, lumière et même celle de Dragon - chacune avait une fonction particulière. La terre donnait la solidité tandis que l’air cachait les autres et que la lumière protégeait l’ensemble contre l’ombre et par conséquence celle de Néhant. Il lui fallait les corrompre une par une, démêler un nœud fort pour obtenir une ficelle qu’il lui suffirait de couper ensuite. Il ne bougeait plus. La sueur coulait sur son visage masqué, le duel magique avec la protection de la chaîne n’était pas gagné d’avance. Se battre ainsi contre une réalisation d’Eredan réjouissait Amidaraxar et Néhant. Une à une les magies cédèrent, si bien que la chaîne ne devint rien de plus que du métal inerte. D’un geste ample le mage ferma le poing, donnant le signal aux écritures de finir le travail. Les maillons se désintégrèrent. Néhant apparut aux côtés d’un Amidaraxar à bout de force. Tous se prosternèrent devant lui.
- Qu’il est bon de pouvoir respirer l’air des terres de Guem à nouveau... A présent cela va se compliquer. En brisant cette chaîne nous avons clairement signifié à Dragon que mon retour est désormais plus que probable.
- Laissez-moi appeler les légions, demanda Amidaraxar d’une voix faible.
- C’est la prochaine étape, mais il me faut en premier lieu l’Onyrim.
Ainsi fut brisée la deuxième chaîne de la prison de Néhant.
Le messager démoniaque réapparut à l’autre bout de la Draconie dans un village de quelques maisonnettes mal entretenues. Sans se faire repérer il traversa plusieurs ruelles pour enfin grimper un mur jusqu’à une fenêtre ouverte. Il se faufila ensuite jusqu’à une pièce où dormait un jeune homme. Le sommeil de ce dernier semblait très perturbé et pour cause.
- Réveille-toi tourmenteur, il est temps de servir le maître, chuchota-t-il à l’oreille du garçon. Tu es Cauchemar et tu feras vivre à tes ennemis des rêves atroces. Réveille-toi, démon de Néhant... Ajouta-t-il avant de quitter les lieux.
Au matin, lorsque le garçon se leva il entendit les ordres de Néhant et se lança à la recherche d’un fragment de l’Onyrim. Le messager visita ainsi les autres tourmenteurs - Peine et Souffrance - qui à leur tour entreprirent cette chasse au trésor...
Chapitre 3 - Briser la troisième chaîne
Les senteurs épicées flottant dans les rues enivraient le nez des habitants et des voyageurs forts nombreux. La cité forte de Karreg, carrefour important de la Draconie se trouvait être un passage obligé de biens des aventuriers. La ville en elle-même n’avait rien d’extraordinaire. A peine quelques centaines d’habitants sédentaires, un bourg regroupant des maisons à plusieurs étages construites autour d’une place centrale, elle-même donnant sur la grande porte du fort imposant. L’histoire avait jusque-là épargné Karreg mais la quiétude des lieux n’était que la surface, le devant de la scène. Ce n’était qu’une nuit parmi tant d’autres, les nombreuses auberges bondées recélaient mille trésors exotiques. Quel terrain de jeu fabuleux pour les trois tourments, des démons avides, dévorant le psychisme de leurs victimes. Dehors quelques traînards et soulards arpentaient la grande place sous la surveillance bienveillante des soldats du seigneur dragon de Karreg. Cauchemar, Peine et Souffrance attirés ici aussi sûrement que des mouches avec du miel avaient cependant un objectif bien précis, récupérer les trois fragments de l’Onyrim. Deux étaient déjà en leur possession et la piste du troisième fragment remontait jusqu’ici. Cauchemar, à pas de velours se faufilait de chambre en chambre, visitant les rêves des dormeurs.
La porte ne fit pas le moindre bruit, à peine un léger *clac* lorsqu’elle se referma. La chambre était coquette quoi que modeste. Le démon s’avança sans faire grincer le parquet. Puis une lumière s’alluma. Non pas une lumière d’une lampe mais celle de flammes légèrement violettes, créées magiquement par l’occupant de la chambre.
- Tout vient à point à qui sait attendre, dit-il en tenant les flammes sur la paume de sa main.
La lumière éclairait le visage masqué de cet homme à la tenue étrange. Le démon ne put rien faire, il n’arrivait plus à avancer comme si un mur invisible lui bloquait le passage.
- Qu’est ce que cela ! Grogna-t-il, qui es-tu ?
- Je suis Ciramor, héritier d’Eredan. Et toi tu es le démon connu sous le nom de Cauchemar. Je suis venu proposer un marché, que ton maître ne pourra pas refuser. Fais venir les autres tourmenteurs, qu’ils arrêtent leur basse besogne immédiatement... A oui, le fragment de l’Onyrim qui vous manque est bien à l’abri, inutile de le chercher vous ne le trouverez pas.
Cauchemar, continuellement en contact avec Peine et Souffrance les avertit de la situation. La fine équipe fut rapidement réunie dans la chambre devenue étroite pour eux quatre. Les deux autres démons à l’apparence de jeunes femmes restèrent en retrait afin de ne pas se faire prendre par le piège magique de Ciramor. Les Tourmenteurs discutaient mentalement de ce qu’il convenait de faire. Ciramor lui restait assis sur le lit, interceptant les échanges mentaux à l’insu des démons.
- Il nous faut réagir, dit Peine.
- A quoi penses-tu ? demanda Souffrance.
- Tourment ! Il ne pourra rien face à nous deux réunies, décida Peine.
- Ce gars-là n’a pas l’air d’un rigolo, s’il est vraiment l’héritier d’Eredan, on a du souci à se faire, dit Cauchemar.
- Effectivement ! Coupa alors Ciramor. Ne tentez rien et écoutez-moi ! Je ne suis pas venu chercher des problèmes, je suis venu... négocier.
Les démons se jetèrent des regards suspicieux.
- Que veux-tu négocier ? Demanda Peine.
Derrière son masque Ciramor respira un grand coup, ce qu’il allait révéler allait faire pencher l’histoire du conflit majeur des terres de Guem.
- Vous cherchez les fragments de l’Onyrim et j’ai le dernier. De plus j’ai quelque chose à demander à... Néhant. Vous allez me conduire jusqu’à lui et faire un pacte démoniaque afin d’assurer ma sécurité jusqu’à lui.
- Tu veux conclure un pacte ? S’étonna Souffrance. Voilà une bonne idée. Bien alors passons ce pacte ! Nous garantissons ta sécurité jusqu’à la prison du Maître.
Ciramor pouffa.
- Qu’est-ce qui te fait rire ? Demanda Cauchemar.
- Je ris parce que la blague est bien à la hauteur de la réputation des démons. Allons, n’essayez pas de me berner, j’ai les connaissances d’Eredan, je sais comment vous fonctionnez. Si j’accepte vous me conduirez jusque là-bas et me tuerez ensuite. Non, non mes petits démons, vous me conduirez jusqu’à lui et vous me garantissez la sécurité jusqu’à ce que je vous libère de votre pacte. En échange de quoi l’Onyrim sera à vous.
- Accepté ! Déclara Souffrance. Nous nous engageons à respecter ce marché.
A ce moment là une marque apparut sur la main gauche de Souffrance ainsi que sur celle de Ciramor, indiquant par là qu’un pacte venait d’être conclu. L’héritier d’Eredan descendit alors du lit, récupéra son bâton de marche et quitta sa chambre.
- Attendez-moi à l’extérieur de la ville.
- Comment comptes-tu passer la frontière de la Draconie ? Interrogea Cauchemar.
- Ne t’en fais pas pour ça démon...
Les Tourmenteurs accompagnèrent donc Ciramor à travers les campagnes Draconiennes. Ciramor fermant son esprit aux tentations ne se laissa pas berner par les démons qui ne cessèrent de tester ses limites. Mais le jeune homme savait très bien ce qu’il avait à faire, il s’y préparait depuis plusieurs semaines et rien ne pouvait le détourner du but.
Ils rejoignirent la frontière de l’est au bout de quelques jours de voyage. Derrière le mur d’énergie bleutée crépitant de magie dressé par Dragon s’étendaient les terres sauvages. Ciramor mena cette incroyable troupe à travers un dédale de grottes qui permit de traverser cette frontière sans encombre, à la jubilation des Tourmenteurs, heureux d’avoir berné le si puissant ennemi de Néhant. Le voyage continua jusqu’aux brumes des Confins où l’activité semblait redoubler. Amidaraxar fut prévenu de l’arrivée de la troupe et il s’empressa d’aller à leur rencontre. Le fidèle lieutenant fut ravi de revoir les Tourmenteurs mais fut stupéfait en apercevant la personne avec eux. Il reconnut les habits et la peur le prit.
- Eredan !
Puis la curiosité prit la place de la peur. Si les habits correspondaient, en revanche ni la taille ni le bâton dans sa main de correspondaient. Il comprit que ce n’était pas le Gardien en personne, fort heureusement. Mais bel et bien quelqu’un d’autre. Amidaraxar accueillit le groupe avec appréhension. Les Tourmenteurs s’agenouillèrent devant le Néhantiste. Ce dernier remarqua la marque sur la main de Souffrance et vit le lien du pacte entre eux et l’autre personne.
- Seigneur, voici Ciramor... héritier d’Eredan... Chuchota Souffrance.
Amidaraxar n’y avait pas prêté plus attention que cela mais lui et ce Ciramor se ressemblaient dans une certaine mesure, du moins au niveau de l’apparence. Tous deux portaient un masque dissimulant leurs émotions et les traits de leurs visages.
- Tu viens t’offrir à nous héritier d’Eredan ? Questionna Amidaraxar en s’entourant d’une aura rouge de magie Néhantique.
Le lieutenant allait pour frapper Ciramor lorsque les Tourmenteurs s’interposèrent.
- Nous avons un pacte avec lui, nous devons le mener jusqu’à Néhant et il nous donnera l’Onyrim.
Amidaraxar cessa sa magie, qui se disait que de toute façon, une fois à la prison Ciramor serait à leur merci.
- Bien ne vous faisons pas attendre, dit Amidaraxar avec ironie.
A présent habitué à faire les aller-retour Amidaraxar, impatient d’assister à la confrontation qu’il espérait terriblement cruelle pour Ciramor. Ce dernier fut estomaqué lorsque la prison de Néhant se dévoila face à lui. Elle ne ressemblait en rien à la mémoire d’Eredan dont il était le dépositaire. Tout était rongé, abimé, brisé, grouillant d’esclaves barbares et de démons de toutes sortes. Ce spectacle navrant le touchait, mais il se concentra sur sa tâche. Le cristal rouge foncé servant de prison à l’une des plus puissantes créatures de ces terres était ébréché de part en part et deux des quatre verrous n’assuraient plus leur travail. Devant et en dessous du cristal se trouvait un trône sculpté à partir des rochers environnant. La manifestation magique de Néhant était là assis confortablement, admirant ses créatures qui lui appartenaient jusqu’à la moindre parcelle d’âme. En voyant Ciramor, Néhant se redressa, le visage encore caché par une large capuche. Lui aussi crut au retour d’Eredan, venu le remettre où il l’avait enfermé depuis si longtemps. Mais il ne perçut pas l’impressionnante aura du Gardien des terres des Guem.
- Seigneur Néhant, l’héritier d’Eredan souhaite s’entretenir avec vous.
- L’héritier d’Eredan ? Avance-toi, héritier d’Eredan, que je puisse contempler celui qui par ma volonté deviendra ma chose jusqu’à sa mort.
Ciramor avait peur, mais il ne devait rien laisser paraître, les démons pourraient lire en lui si ses sentiments éclataient trop. Prenant son courage à deux mains il s’avança jusqu’au pied du trône et n’attendant pas plus déclara ses intentions.
- Vos démons sont efficaces, ils ont retrouvé deux fragments de l’Onyrim sur les trois qui existaient. Cette information ne vous est peut-être pas arrivée, mais l’un des fragments de l’Onyrim a été détruit par Dragon en personne il y a quelques temps déjà. Vous ne pourrez retrouver vos pouvoirs.
- Tu es venu jusqu’ici pour me dire ça, héritier d’Eredan ?? Dit Néhant d’une voix caverneuse et empreinte de colère.
- A vrai dire non... Mais cela me semble important de spécifier ça. Je vais vous permettre de briser une chaîne de plus.
Les marques du pacte s’effacèrent alors des mains de Souffrance et de Ciramor. Les Tourmenteurs se sentirent honteux d’avoir été ainsi manipulés par un freluquet. Ils allèrent pour fondre sur l’héritier lorsque Néhant fit un geste pour les arrêter.
- Mes petits démons, attendons d’avoir écouté ce que l’héritier a à me dire avant de dévorer sa chair. Je t’écoute héritier.
Ciramor avait hameçonné le poisson, il lui restait désormais à tirer doucement la ligne pour le ramener jusqu’à lui.
- Savez-vous ce qu’il se passe loin vers le nord-ouest, là où la pierre tombée du ciel s’est écrasée ?? L’incarnation d’un dieu destructeur, peut être que Sol’ra, ou devrais-je dire Solar vous dit quelque chose ? Un de vos serviteurs, un certain Dimizar, a fait il y a quelques mois une démonstration saisissante des pouvoirs dont vous êtes le maître contre les pouvoirs de ce dieu.
- Que veux-tu que ça me fasse ? Il ne me détruira pas.
- C’est là que vous faites erreur. Aussi fort soyez-vous vous êtes incapable de sortir de votre prison et donc vous ne pourrez pleinement vous défendre lorsqu’il arrivera ici et vous réduira en poussière.
- Je vois clair dans ton jeu, héritier. Tu veux que je tue ce dieu pour éviter à ce monde d’être détruit ?
Ciramor avait tapé là où Néhant serait sensible : L’orgueil.
Mais la partie n’était pas finie, la négociation commençait à peine.
- Exactement. Qu’aurez-vous à gouverner si ce monde n’existe plus ?
Néhant se leva de son trône et descendit les marches une à une d’une démarche déséquilibrée. Des larbins démoniaques le suivaient comme son ombre, grognant et jappant comme des animaux. Néhant s’arrêta devant Ciramor, tous les deux avaient la même taille.
- Je suppose que tu sais comment me délivrer de ma prison, n’est-ce pas ? Affirma Néhant.
- Oui, je peux faire en sorte que vous soyez libéré de vos chaînes. Voici comment cela va se passer, écoutez bien car ceci n’est nullement sujet à discussion ou à négociation.
- Parle.
- Je vais briser la troisième des chaînes. A partir de ce moment là vous pourrez prendre un corps et c’est le mien qui vous servira de réceptacle. Une fois que nous ne formerons plus qu’un nous serons en mesure de nous opposer à celui qui veut détruire ce monde. Lorsque cette menace sera écartée nous serons en mesure de briser la dernière chaîne.
Néhant écouta les paroles de l’héritier d’Eredan avec beaucoup d’attention, on lui proposait un corps et ainsi aller où bon lui semblait. Lui capable d'annihiler les plus fortes volontés, ce jeune gardien veut devenir Néhant ?
- Ce marché me convient ! Déclara Néhant certain de prendre le contrôle de Ciramor. Comment comptes-tu briser la troisième chaîne ?
- Vous avez accepté et nos destins sont désormais scellés ! Cria Ciramor en tapant le bout de son bâton au sol.
Calice apparue dans l’autre main de Ciramor. La lame exhalait de la fumée par une bouche gravée dans le métal. Elle crépitait d’une énergie magique incroyable. Néhant fut ravi de la voir ici, son ennemi et jeune héritier d’Eredan lui ramenait sa plus belle création, une erreur de plus pour Ciramor.
- Préparez-vous seigneur Néhant, une fois que j’aurais brisé la chaîne vous entrerez en moi, dit-il en saisissant la poignée de la lame.
- Comment as-tu trouvé Calice ? Demanda Amidaraxar.
- Prise de guerre... répondit Ciramor sans rentrer dans les détails.
L’héritier d’Eredan, ne souhaitant pas plus répondre aux questions qui mettraient son plan à mal passa à l’action. Il saisit Calice par la poignée et la souleva sans le moindre effort. La lame avait désormais un nouveau porteur, elle savait que bientôt Néhant serait de nouveau là et cette perspective l’enchantait. Ciramor approcha de la chaîne et les démons et les esclaves aux alentours s’écartèrent sur son passage. Néhant suivait le mouvement, attendant sa prochaine “presque libération”.
La concentration était extrême. Ciramor, face à la chaîne tenait Calice des deux mains et derrière son masque la sueur coulait. Un coup, un seul, lui permettrait de faire avancer le plan, il avait tant travaillé pour ça. Des semaines et des semaines de préparations avec les plus grands magiciens de ce monde et certains secrets d’Eredan dévoilés pour que les terres de Guem soient sauvées de Solar. De très nombreuses écritures s’illuminèrent sur la chaîne, Ciramor chuchotait dans un langage qu’aujourd’hui seuls les gardiens parlaient. La magie de Guem se déverrouillait peu à peu... Puis Calice plongea sur un maillon avec avidité. Le métal de la lame sectionna le métal de la chaîne dans un frottement strident.
Ainsi fut brisée la troisième chaîne de la prison de Néhant.
Le reste se déroula sur une très courte durée. Néhant toujours retenu par la quatrième et dernière chaîne sentit néanmoins qu’il faisait à nouveau partie de ce monde. La forme noire s'empara de Ciramor qui lâcha Calice. L’héritier se laissa faire malgré une douleur insoutenable. Dans la tête du jeune homme Néhant tissait sa toile, mais il ne s’attendait pas à tomber contre la volonté d’un vieil ennemi : Eredan.
“Tu ne songeais pas à prendre le contrôle de mon héritier ? Ciramor s’est préparé longuement et son plan est imparable. Je connais tes secrets, il connait tes secrets, nous savons qui tu es et comment te tenir ! Nulle tromperie possible, tu devras respecter ta parole et combattre Solar avec toute ta fureur. Ciramor est désormais ton réceptacle, ton corps, mais aussi le gardien de ce monde. Vos pensées vont se mêler, il veillera à ce que tout aille dans le bon sens. A présent mon vieil ennemi, il est temps de remplir la tâche pour laquelle nous te libérons partiellement. Tes alliés attendent dehors, ils sont prêts à ranger leur haine à ton égard. Et toi Néhant, tu devras mener les légions.”
La fusion entre Néhant et Ciramor s’opéra comme prévue. Le masque du gardien tomba au sol et se brisa, son aspect physique changea pour ressembler autant à un homme qu’à un démon. Amidaraxar, Azaram et tous les autres s’inclinèrent devant le retour de leur maître.
- Seigneur Néhant, quels sont vos ordres ?
Néhant s’empara de Calice qui ronronna alors comme un chat.
- Appelez mes légions... Nous avons un dieu à abattre, je ne tolérerais pas qu’on détruise ce qui m’appartient.
Amidaraxar qui connaissait bien Néhant trouva son attitude étrange.
- Mais vous ne voulez pas briser la dernière chaîne ? Osa demander le lieutenant.
- Ne pose pas de question et obéis. Je dispose déjà d’une puissance incroyable et le temps nous manque désormais. Nous partons.
La réponse ne satisfaisait pas Amidaraxar, mais il ne tenta plus le diable, il se contenterait de servir son maître comme il l’avait fait durant des années. La perspective de la domination du monde lui convenait parfaitement. Néhant qui n’était pas tout à fait lui-même en vérité, percevait chaque lien qu’il avait avec les esclaves, démons, Guémélites et autres Néhantistes, il lui serait facile de les maîtriser. Il ne lui restait plus qu’à aller voir qui étaient ces fameux alliés.
Bien plus tard, une cohorte de démons avait envahi les lieux et Néhant était prêt à mener son armée à travers la Draconie. Ciramor/Néhant disposant des savoirs d’Eredan brisa le puissant enchantement magique cachant la prison. Les brumes des Confins se dissipèrent peu à peu, laissant désormais un libre accès à l’interdit. De l’autre côté, parfaitement alignée, une armée humaine aux étendards de la Draconie leur faisait face. Les démons rugirent face à cet ennemi, mais le Réceptacle de Néhant les fit taire. Deux personnes se détachèrent de cette armée, chevauchant de magnifiques chevaux caparaçonnés. Néhant avança à son tour, suivi par Amidaraxar. Les deux draconiens n’étaient autres que Kounok le Prophète et Zahal le Chevalier Dragon. Leurs visages étaient fermés, dénués d’émotions.
- Es-tu prêt.. Ciramor ? Demanda Kounok.
- Je préfère Néhant si tu permets, Draconien.
- Qu’est ce que ça veut dire ? Grogna Amidaraxar.
- Cela veut dire que la fin est proche, assura Néhant en affirmant son emprise sur son lieutenant.
- A présent en route, Solar s’attaque à la Draconie et Dragon ne tiendra pas longtemps, dit Kounok en faisant un demi-tour avec sa monture.
Dragon
Chapitre 1 - Après l’orage, avant la tempête.
La servante eut la frayeur de sa vie lorsqu’elle retrouva la Pythie allongée sur le sol de sa chambre. Elle lâcha immédiatement le plateau de victuailles en hurlant le nom de sa maîtresse, réclamant de l’aide. S’agenouillant les mains tremblantes elle vit les coulées de sang du nez, des yeux et des oreilles de la Pythie. Était-elle morte ? Elle pria Dragon que cela ne soit pas le cas. Elle fut rassurée lorsqu’elle vit qu’elle respirait encore. Les cristaux qui d’habitude flottaient autour de la jeune femme s’étaient écrasés sur le sol de pierre, se brisant en partie. Plusieurs autres servantes, alertées par l’agitation et les hurlements arrivèrent sur le pas de la porte de la chambre, paniquées. Elles la portèrent doucement pour l’allonger sur le lit juste à côté. La plus âgée des servantes toucha le front de la Pythie et écouta son cœur.
- Apportez de l’eau chaude... vite ! Ordonna-t-elle.
- Qu’est-ce qu’elle a, dit la plus jeune, inquiète.
- Je ne sais pas, mais elle est en train de se réveiller, retournez vaquer à vos occupations, je m’occupe d’elle.
Une alla chercher de l’eau et les autres s’en allèrent, non sans être averties par celle au chevet de leur maîtresse.
- Ne dites à personne ce que vous avez vu, c’est bien compris ??
Toutes répondirent oui. La Pythie bougea, levant le bras elle attrapa sa servante et émergea tant bien que mal.
- Ne bougez pas ma dame, vous n’êtes pas en état.
- Que... ma tête... elle me fait souffrir...
- On vous a retrouvé par terre, du sang coulant par tous les orifices de votre tête. Vous êtes glacée, dit-elle en la couvrant.
La Pythie fit un effort de mémoire et replaça les pièces d’un puzzle de souvenirs.
- J’étais assise là, lisant une lettre lorsque mon attention fut attirée par le miroir qui me faisait face. J’ai eu de multiples visions, toutes d’un coup, elles m’ont assaillie. J’ai ressenti le malheur, la désolation, la mort. Il me faut dénouer toutes ces visions pour mieux les comprendre, mais je sais déjà que plusieurs évènements importants viennent d’avoir lieu. Le genre d’évènement qui marque à jamais notre histoire.
- De quoi parlez-vous ?
A ce moment là, la servante partie chercher de l’eau revint avec le nécessaire, elle fut rassurée de voir la Pythie consciente. Elle posa le nécessaire sur le bord du lit et s’en alla donner la bonne nouvelle aux autres servantes.
- Une puissance divine vient d’arriver sur les terres de Guem, elle cherche à tout détruire. Un être s’est éteint, ils ne sont plus nombreux maintenant...
La servante qui essuyait les traces de sang avait l’habitude d’écouter les prophéties de la Pythie, celle-ci était aussi mystérieuse que d’autres.
- Plus proche de nous, dans cette cité, une femme va avoir le cœur brisé...
Kastel Levarak, une des plus belles cités de la Draconie. Construite sur une colline au milieu d’un lac artificiel, l’endroit était baigné par le mysticisme. Il est dit que le château à l’architecture extraordinaire existait bien avant la fondation de la Draconie et bien des légendes sur cette région confirmaient cela. C’était aussi là qu’étaient nés Marlok et la Pythie, cette dernière vivant toujours là. Mais ce ne sont pas ces deux personnages qui nous intéressent, mais une femme du peuple pour qui ce matin le destin la frappa avec le tranchant de la lame.
Le réveil fut difficile et la nuit très courte. La veille, Yllianna et Zerimar avaient fêté dignement leurs fiançailles avec leurs familles et leurs amis. Le vin avait coulé à flot et les délices des cuisiniers avaient enchanté les papilles. La tête pleine de rêves et d’amour, les deux tourtereaux s’étaient éclipsés le temps d’une promenade à la fraîcheur d’une aube enchanteresse. Bras dessus, bras dessous, tous deux planifiaient leur vie future, évoquant les enfants, la nouvelle demeure qui serait bientôt la leur. Leurs pas les menèrent dans un coin un peu isolé de la ville, repère de gens peu fréquentables et très souvent mal intentionnés. Au détour d’une ruelle, ils se rendirent compte de l’endroit où ils se trouvaient, hélas pour eux un brigand qui n’avait pas fini de cuver l’alcool ingurgité durant la nuit chancela jusqu’à eux dans l’espoir de faire à Ylliana ce que la morale empêche de décrire. Zerimar peu enclin à laisser sa belle aux mains crasses et moites de cet agresseur, s’interposa. Ce dernier ne vit pas la dague, dégainée avec rapidité par quelqu’un visiblement habitué à faire parler la violence. La lame s’enfonça entière dans la chair du jeune homme. Un cri déchira le silence, celui d’Ylliana alors que son fiancé s’écroulait sur le sol boueux. Le brigand se jeta sur la jeune femme en lui plaquant la main sur la bouche avant de la pousser dans une ruelle sombre. A terre, Zerimar agonisait, de sa plaie coulait le sang en abondance. Il tenta de se relever mais cela empira son cas, il sombra vite les mains pleines de sang.
Ylliana tentait d’appeler à l’aide et de se dépêtrer des sales pattes du brigand. Elle n’était pas prête à se laisser faire, oh bien sur elle avait peur, mais ce sentiment était enfouit derrière sa volonté de lui échapper. Elle croqua la main plaquée sur sa bouche, enfonça son coude dans le plexus de son agresseur. Le souffle coupé, la main endolorie, ce dernier lâcha sa proie par réflexe, celle-ci se mit à courir dans la ruelle sombre, poursuivie de près. La mort venait de se saisir de Zerimar lorsqu’elle tomba à genoux à ses côtés. L’homme sans vie gisait dans un bain de sang. Ylliana pleurait à chaude larmes, répétant inlassablement le nom de son aimé. La peur laissa place à la douleur et au chagrin puis à la colère...
L’agresseur rigola de son méfait, imaginant déjà la suite, le plaisir qu’il allait ressentir. Mais il n’avait pas prévu l’arrivée de l’autorité, incarné par une sorcelame. Telle une furie cette inconnue sauta du toit pour atterrir sur le dos du brigand. Il s’affala sur le sol comme un sac de pommes de terre. Ce dernier, la tête dans la boue ne put voir le visage de la sorcelame qui venait d’arriver car il fut assommé par le pommeau d’une lame sorcière. Ylliana, les yeux voilés de larmes aperçut à peine l’action, trop occupée à tenir Zerimar dans ses bras.
- Damoiselle... damoiselle.
La sorcelame posa la main sur l’épaule d’Ylliana, qui sursauta alors.
- Ca ira ?
La question était saugrenue, ça n’allait pas ! L’amour de sa vie était mort ! MORT ! Ylliana se releva, la rage au ventre et fit face à la sorcelame et l’examina de pied en cap. Voyant l’ouverture, elle attrapa la poignée d’une dague attachée à la ceinture de sa sauveuse, tira la dague et sauta sur le meurtrier de son fiancé. Elle arma son bras, saisit la tête du brigand vers l’arrière afin de lui planter la lame dans la gorge. Son geste fut arrêté par la sorcelame qui lui attrapa le poignet avec force.
- Non damoiselle, vous ne devez pas faire ça, dit-elle calmement.
- Il l’a bien fait lui !! Il l’a tué ! Il était tout pour moi ! Hurla-t-elle avant de s’écrouler dans les bras de son interlocutrice.
- Laissez-le aux mains de la justice de Dragon, il aura le châtiment qu’il mérite. Venez avec moi, je vous ramène à votre famille, puis lorsque la colère et la haine seront trop insupportables vous viendrez me voir.
Plusieurs soldats de la milice de Kastel Levarak arrivèrent à ce moment là, alertés par le voisinage.
- Emportez le corps de ce malheureux jusqu’à chez lui et prévenez le Veilleur de mort, qu’il vienne dès que possible.
Chapitre 2 - Sacrifice.
Voilà à peine quelques heures que les troupes draconiennes étaient parties pour la pierre Tombée du ciel. Anryéna s'apprêtait à quitter le palais pour rejoindre ses appartements dans le quartier des Liés lorsqu’une secousse se produisit. Elle ne dura pas bien longtemps mais la nature même de cette dernière suffit à éveiller sa curiosité. Les environs n’étaient pas connus pour leur activité sismique. L’énergie divine s’était répercutée jusqu’ici et elle l’avait très bien ressentie. Elle se tourna dans la direction d’où venait cette énergie.
- C’est si fort...
Dragon apparut alors à son côté, le visage terriblement inquiet.
- Ma fille... Nous avons perdu.
Anryéna écarquilla les yeux, n’en croyant pas ses esgourdes.
- La pierre tombée du ciel vient d’exploser, libérant une créature. C’est d’elle qu’émanent ces rayonnements étranges.
- Explosions ? Nos troupes !! S’exclama-t-elle inquiète.
- Je ne sais pas mais je ne ressens plus aucune des personnes avec qui je suis lié.
- Mais c’est une catastrophe ! Il faut vite aller voir ! Lever la totalité de l’armée de la Draconie !
- Je vais m’en remettre à toi ma fille, je vais devoir dresser une barrière autour de la Draconie afin d'empêcher cette chose de venir jusqu’ici. Récoltons le plus d’informations possibles. En l’absence de Naya, son élève qui est à Kastel Levarak prend le commandement. Je vais aussi prévenir Kounok on va avoir besoin de lui, dit-il sur un ton un peu agacé.
- Bien. Gaaaardes ! Gaaaardes !
Les deux gardes dragons qui étaient à l’entrée de la salle du trône vinrent en trottinant jusqu’aux illustres personnalités.
- Allez immédiatement me chercher les ministres et les hérauts de Dragon !
Ils saluèrent tous deux et partirent de la salle rapidement.
- Ce n’est pas tout ma fille, dit Dragon.
- Ah !
- Le Seigneur-Dragon de Marche de l’est m’a fait parvenir des informations encore plus inquiétantes. Il y a une activité inhabituelle dans les brumes des Confins.
- Néhant ? On ne peut pas couvrir tous les fronts père, c’est impossible, s’il se libère s’en sera fini de nous.
- Moi vivant jamais je ne permettrai cela, j’ai juré à Eredan que je donnerai ma vie pour ça. Mais comment faire face à deux menaces aussi grandes ? Ma fille il va falloir agir avec intelligence... et stratégie. Anryéna acquiesça. - Je vais de ce pas créer le bouclier magique, à partir de là je n'apparaîtrai plus, tu seras seule à la tête de la Draconie. Viens me voir si la situation l’exige mais toutes mes pensées seront tournées vers les défenses du territoire.
- Ne t’en fait pas, ce n’est pas la première crise que je traverserai, j’aurais pourtant bien aimé que la dernière en date soit justement... la dernière.
Dragon s’approcha d’Anryéna et lui déposa un baiser sur le front.
- Reçois là les pleins pouvoirs, convoque Kounok, dit-il en disparaissant.
Elle soupira un grand coup.
- Les pleins pouvoirs. Bien commençons donc, dit-elle à voix haute en saisissant son sceptre draconique à deux mains.
Elle se concentra, son lien fort avec Dragon et son fils lui permettait de pouvoir le localiser et lui parler. Elle le visualisa en haut d’une montagne au milieu d’une tempête de neige. Il portait sur son dos une personne inconsciente. Tous deux enroulés dans des fourrures.
“Mais qu’est-ce qu’il fait là ? Il m’a l’air dans une mauvaise passe. Tant pis il faut que j’intervienne.”
Le sceptre se mit fortement à luire d’une énergie bleue, Anryéna utilisa les pouvoirs accordés par son père.
- Au nom de Dragon je te convoque Prophète, en cet instant et en ce lieu !
Un moment se passa sans rien de plus, puis une forme apparue. Kounok dut faire un effort pour ne pas glisser avec ses bottes pleines de neige. Il s’étonna de se retrouver ainsi devant sa mère au palais de Noz’Dingard. Il déposa la personne inconsciente avec beaucoup de précaution, puis il se dévêtit de sa fourrure pour en couvrir sa compagne qui n’était autre qu’Ardrakar.
- Désolé de devoir te rappeler ainsi Kounok, tu semblais en fâcheuse posture et il nous faut un Prophète pour guider la Draconie.
Kounok qui ne s’était visiblement pas rasé ressemblait à un véritable épouvantail. Ses habits n’étaient plus que des guenilles sales et trouées. Anryéna tourna autour de lui avec une moue de désespoir, expression qui passa vite à la stupeur lorsqu’elle vit qui était avec lui, le chevalier déchu.
- Je raconterai cette aventure extraordinaire une autre fois mère. Merci de nous avoir ramené, que s’est-il passé en mon absence ?
La fille de Dragon secoua la tête.
- Je me demande si j’ai bien fait de te laisser partir.
- Il le fallait, et puis... comment aurais-tu arrêté Prophète ?? Dit-il sur un air de défi.
“Il a changé” se dit Anryéna. Elle lui expliqua ensuite les évènements qui l’avaient conduit à le rappeler sur le champ. Kounok réfléchit aux différentes options qui se présentaient à lui.
- Nous avons déjà échoué contre les Nomades, traitons d’abord le problème Néhantiste en priorité. Ardrakar nous aidera.
- Tu as confiance en cette traîtresse ?
- J’ai confiance en mon épouse.
Anryéna tomba des nues et ne sut quoi répondre, elle regarda son fils avec appréhension alors que celui-ci se pencha sur Ardrakar. Les ministres et hérauts de Dragon arrivèrent à ce moment-là, intrigués par la situation les discussions allèrent bon train.
- Je reviens, je vous interdis de commencer à établir des plans sans moi, c’est compris ?, dit Prophète avec autorité.
La lumière avait été aveuglante. Sol’ra dans sa soif de destruction avait laissé parler sa volonté divine en voulait raser cette région de la carte du monde. Personne n’avait eu le temps de réagir et lorsque la lumière cessa, Sol’ra avait percé un trou béant dans le sol de Guem. Autour tout n’était que ruines et même le tombeau des ancêtres non loin de là était désormais qu’un tas de cailloux. L’armée des ancêtres avait été balayée comme un fétu de paille.
Marzhin émergea, la tête dans le sable. Il se releva avec difficulté son corps le faisant souffrir. Il n’était pas seul, tout autour de lui il y avait bien un bon millier de personnes inconscientes qui comme lui se retrouvaient à moitié ensevelies sous le sable. Le patchwork des couleurs lui fit comprendre qu’il y avait là l’armée de la Kotoba, celle des Envoyés de Noz’Dingard et la Cœur de Sève. Immédiatement à côté de lui Pilkim se réveillait à son tour, ne comprenant pas ce qu’il venait de se passer. Le Maître-Mage se souvint de l’action : la créature divine allait détruire se monde, le Mangepierre s’était interposé. Et ensuite ? Plus rien, le blanc ou plutôt le jaune, une forte lumière, la puissance divine et le réveil, ici.
- Tu vas bien ? Dit Marzhin en regardant son fils qui lui fit oui de la tête en recadrant ses lunettes sur son nez. Le Mangepierre ? Où est-il ? ajouta-t-il en regardant autour de lui.
- Là ! Cria Pilkim.
Le jeune prodige montrait un bras qui dépassait du sol. La peau était grise et les tatouages caractéristiques au Mangepierre. Le père et le fils coururent puis tirèrent du sable le corps inanimé du Mangepierre. Ce dernier bougeait encore mais le Maître-Mage ne percevait plus la moindre magie en lui. La Guémélite de Guem ouvrit péniblement les yeux et sourit en voyant les gens présents.
- Vous êtes saufs... J’ai fait de mon mieux... Je suis désolé de ne pouvoir faire... plus...prenez ma pierre... lorsque...
Sa phrase ne fut pas terminée, le Mangepierre mourut dans les bras de Marzhin.
- Un sacrifice qui nous a sauvés.
Chapitre 3 - Pénitence
Kounok s’était rapproché des frontières de la Draconie craignant une éventuelle poursuite des Néhantistes. Son armure présentait quelques estafilades en raison de son affrontement contre Déchirure. Ses doigts frôlaient les profondes entailles “Heureusement que je te portais” pensait-il “Ces démons sont redoutables, c’est très inquiétant”. Ses yeux quant à eux ne se décrochaient pas de la silhouette d’Ardrakar qui dormait d’un sommeil très agité près du feu.
Ardrakar errait dans les terres désolées par la sombre magie de Néhant. Elle ne savait plus ni où elle était ni qui elle était vraiment. Elle tenait Chimère par son pommeau, laissant traîner la lame dans la boue à l’odeur infâme. L’épée vivante l’avait conduit à des exactions indignes de son rang et la corruption de Néhant grignotait son âme peu à peu. A demi consciente, n’ayant plus aucune notion du temps, elle arriva à la frontière de la Draconie. Était-ce Dragon qui l’avait guidé jusque-là ou bien son devoir de chevalier ? Elle qui était la plus puissante parmi son ordre, elle était aspirée par une spirale infernale. Elle agit alors pour la dernière fois comme Chevalier Dragon. Chimère, douée de vie, part de Dragon, hurlait de ne pas faire ça, mais elle ne voyait que cela. Grimpant les montagnes elle finit par atteindre son objectif - le temple d’Ehxien. Elle entendait cette voix sombre, sinistre et incroyablement séduisante qui l’encourageait à quitter les siens pour une nouvelle vie, éternelle et pleine d’aventures. A l’intérieur du temple les gemmes bleues éclairaient d’une pâle lueur les parois d’une caverne naturelle, elle était déjà venu ici avec son maître Arkalon mais quand ? Elle ne savait plus et peu lui importait à ce moment-là. Aux tréfonds de cette grotte elle arriva au cœur du temple, le sanctuaire des lames. Depuis la naissance de l’ordre lorsqu’un chevalier venait à mourir, son épée était alors déposée ici pour y reposer jusqu’à la fin des temps. Ardrakar réservait un sort pire que l’oubli à Chimère, cette lame devait reposer ici, mais elle devait aussi être brisée !
- Si tu fais ça, tu ne seras plus chevalier de Dragon ! Je suis ton seul rempart contre Néhant ! Hurla Chimère.
- Non... C’est toi... c’est TOI ! Ce sera mon dernier geste... qu’aucun Chevalier Dragon ne te tienne à nouveau !
Ardrakar tint fermement la poignée de l’épée avant de propulser la lame contre la paroi de pierre. Le choc fut terrifiant, le cristal de l’épée explosa. La jeune femme lâcha ce qui en restait parmi les autres armes des Chevaliers Dragon. Lorsqu’elle quitta le temple, Dragon détourna ses yeux d’elle, elle devint alors Ardrakar, Chevalier de Néhant...
Elle se réveilla en sursaut. La sueur perlait sur son visage, son cœur battait la chamade. Elle examina son environnement, où était-elle ?? Ses yeux s’arrêtèrent sur l’homme présent à côté d’elle et qui la regardait. Elle ne sut comment réagir, ses pensées se bousculaient, Amidaraxar, les larbins, le rituel !
- Tu n’as rien à craindre Ardrakar.
Qui était-il ? Elle se sentait en confiance avec une vague impression de déjà vu. Mais si elle ne le reconnut pas de suite, par contre elle reconnut la lame posée à plat sur ses genoux, Chimère. Prise par la peur elle eut un mouvement de recul. La dernière fois qu’elle avait vu l’épée c’était lors de son affrontement récent avec Arkalon, et la voilà dans les mains d’une autre personne.
- C’est l’épée qui te fait peur Ardrakar ?
Elle répondit oui de la tête, alors Kounok fit disparaitre l’épée, au soulagement de la jeune femme.
- Je te l’ai dit tu n’as rien à craindre. Je... je suis Kounok.
Ardrakar ouvrit grands les yeux devant cette révélation.
- Kounok ?? Mais... Comment ça se fait ?? Dit-elle en s’approchant de lui.
- Dragon m’a nommé Prophète et m’a donné forme humaine. Ah, j’ai quelque chose qui t’appartient, dit-il en se rendant jusqu’à son cheval.
Il détacha Azur des lanières de cuir qui la retenant à la selle. La lame reflétait les lueurs du feu dans des teintes violettes.
- Lorsque je suis parti à ta recherche j’ai trouvé ton épée. Prend-là elle est à toi.
Ardrakar se souvint. Azur était restée là où elle s’était faite attaquée par les larbins d’Amidaraxar.
- Je n’ai pas le droit de la porter. Re.. regarde-moi ! Je ne suis qu’une traîtresse, j’ai abandonné tout ce en quoi je croyais, j’ai brisé la confiance de Dragon !
Kounok, qui tendait Azur à Ardrakar soupira longuement. Il n’aimait pas vraiment jouer les soigneurs de l’âme, mais pour elle il fit un effort.
- Je vois le remord et le désir de te racheter. Il ne tient qu’à toi de réparer tes erreurs pour une vie meilleure. Je préfère garder de toi la part du Chevalier Dragon, celle avec qui j’ai passé de bons moments, celle avec qui...
Il hésita, mais ne termina pas sa phrase.
- Néhant t’a jeté aux ordures comme n’importe lequel de ses esclaves, tu dois te lier à nouveau avec Dragon.
Kounok avait raison, le démon en elle n’était plus là et elle se sentait très différente, plus proche de ce qu’elle fut autrefois. Mais elle était encore liée au corrupteur par cet éclat qu’elle portait en elle. Elle détacha la bourse attachée à sa ceinture et en sortit sa pierre-cœur, celle qu’elle confia autrefois à Dragon. La pierre brillait faiblement malgré les marques noires à sa surface.
- Impossible, si on m’enlève ma pierre-cœur, je meurs !
- Je comprends ton pessimiste, avec ce qui t’arrive c’est normal. Mais je n’ai pas le même avis. Si ton désir est réel et motivé je t’aiderai, je connais un lieur de pierre capable de t’enlever ça. Là-haut dans les montagnes, dit-il en montrant des monts enneigés plus loin dans la Draconie.
Ardrakar, plongée dans les ténèbres voyait là une lueur d’espoir. Elle ne pouvait rester ainsi, mais elle ne comprenait pas pourquoi il voulait l’aider, elle qui tua des innocents et qui trahit la Draconie. La question coula de source.
- Pourquoi m’aides-tu Kounok ?
Prophète s’assit en face d’elle, avec les flammes dans le dos la lumière lui donnait un aspect irréel.
- Les raisons sont nombreuses, le lien entre nous... et le devoir. Nous avons déjà vécu beaucoup d’aventures ensemble. Tu ne t’en souviens peut-être plus, mais pour moi ces moments sont gravés à jamais, dit-il en posant sa main sur son cœur. Et je suis Prophète même si je n’ai pas la sagesse de mon défunt frère je sais percevoir ce qui est pour moi une opportunité incroyable. Dragon a dit vrai, en ces temps de guerre plusieurs Chevaliers Dragon fouleront les terres de Guem ensembles. Je crois que tu as ta place parmi nous. Arkalon est revenu, Valentin tiré de sa retraite, Zahal prêt à prendre le commandement, quant à moi mon rôle est de faire en sorte que nous soyons prêts pour les évènements futurs. Ardrakar tu as la force en toi de relever ce défi, de briser les chaînes qui te retiennent à lui et qui te font souffrir.
Les larmes noires coulaient sur les joues de la jeune femme. Les paroles de Kounok étaient réconfortantes, les souvenirs de sa vie précédente refaisaient surface et elle se rappela la présence de Kounok lors de ses entraînements d’apprentie chevalier. Il avait toujours été là pour elle.
- Je.. je ferais pénitence...
- Ça ne sera pas facile, tant que tu es liée à lui, il te traquera. Il ne peut pas se permettre de te laisser en vie. Alors prends Azur et sois prête à te défendre autant que je te défendrais.
Ardrakar accepta l’épée dont la poignée convenait parfaitement à sa main. Un autre sujet lui vint en tête.
- Comment cela se fait-il que tu aies Chimère ? Je l’ai brisé dans le temple d’Ehxien.
- Et je l’ai récupéré telle que tu l’as laissé. Mais chaque Chevalier Dragon se doit d’avoir son épée alors plutôt que d’en avoir une nouvelle j’ai décidé de réparer celle-ci et de la... corriger.
Le mot “corriger” fit sourire Ardrakar, comprenant par-là qu’elle n’était pas exempte de défauts.
- Cette Chimère est bien plus stable que celle que tu as brandie autrefois ne t’inquiète pas. Demain matin nous nous mettrons en route, nous ferons étape dans un village pour s’équiper avant notre ascension dans les montagnes.
Kounok et Ardrakar furent l’attraction du village de Pied-de-brume, peu habitué à une telle présence la rumeur de la venue d’une personnalité haut placée se propagea rapidement. Le Seigneur-Dragon local ne mettait jamais les pieds ici et cela eut tôt fait de parvenir aux oreilles de Kounok. Bien qu’il ne soit pas là pour ça il écouta les gens, assumant son rôle de Prophète. Ardrakar qui voyageait avec lui depuis deux jours sentait le lien entre eux se renforcer, mais dans l'autre sens, son côté dévoué à Néhant la harcelait en permanence. Mais le changement s’opérait, doucement elle redevenait un peu plus elle-même. Ses attributs de démon avaient disparus, elle ne portait plus les cornes de cristal noir, même ses yeux commençaient à changer.
Kounok la retrouva à la seule et unique auberge des environs. L’intérieur était chaleureux, agréable, les délicieuses odeurs de cuisine flottaient dans la grande salle de cette maison de bois.
- J’ai rencontré le chef du village et les nouvelles ne sont pas très bonnes. Il y a eu des éboulements et plusieurs routes ont été coupées. Il y a un guide qui doit venir ici dans quelques jours, lui seul peut nous conduire jusqu’à bonne destination.
Ardrakar l’écoutait d’une oreille distraite, perdue dans les yeux du jeune Prophète.
- Je suis désolée pour Kétanir...
Cette soudaine marque d’affection perturba Kounok.
- Merci... Il n’y a pas un jour sans que je pense à lui, dit-il en appelant le serveur intimidé par la présence de Prophète dans son établissement.
L’homme à l’embonpoint certain accourut avec son plateau sur lequel reposaient une bouteille et deux verres. Il les posa en tremblotant.
- C’est offert par la maison, seigneur.. euh Prophète.
- C’est une belle attention de votre part, je saurai m’en souvenir.
L’homme resta figé puis sursauta avant de saisir la bouteille et de servir ses illustres personnes qui l’honoraient de leurs présences. Kounok sortit quelques piécettes de cristal rouge et les donna à l’aubergiste.
- Apportez-nous de quoi manger et préparez... deux chambres je vous prie.
Le montant des chambres et de la nourriture était bien inférieur à la somme donnée, mais cela n’avait pas d’importance, Kounok désirait simplement mettre à l’aise sa compagne. Et la soirée se passa dans le calme, les discussions tournant principalement autour du passé et de ce qui vaut la peine d’être vécu. Les sentiments aussi se délièrent, rapprochant ces deux êtres. Ils finirent plus rapprochés que jamais, dans les bras l’un de l’autre au coin du feu. Cela ne se faisait pas dans les convenances de la société Draconienne, mais cela leur importait peu.
Le rapprochement entre eux devint plus fort chaque jour et une semaine passa sans même qu'ils s'en rendent compte. Et ce qui devait arriver, arriva. Les voici à présent irrémédiablement attirés l’un par l’autre, comme d’eux âmes sœurs s’étant enfin retrouvées.
Kounok était réveillé depuis un bon moment lorsqu’Ardrakar pelotonnée contre lui émergea. Pour cette dernière ce fut la première nuit depuis des lustres sans le moindre cauchemar, la sensation de fatigue et de tension était partie.
- Je... hum, dis moi, j’aimerais te demander quelque chose.
Ardrakar se releva, attendant la question.
- Mon cœur bat pour toi depuis la première fois où je t’ai rencontré, lorsque nous étions enfants. A présent que je t’ai retrouvé j’aimerais rester avec toi pour toujours.
Les joues de Kounok s’empourprèrent. Ardrakar cligna des yeux et lui offrit son plus beau sourire.
- Tu veux que l'on se marrie ?? Dit-elle en réalisant la demande du Prophète.
- Oui.
Elle réfléchit quelques instants avant de lui donner sa réponse.
- Je veux bien... Oui ! dit-elle ravie.
Fou de joie, Kounok serra Ardrakar dans ses bras à la limite de l’étouffement.
Leur guide était enfin arrivé. Après avoir obtenu des vivres et des fourrures pour se protéger du froid le groupe se mit en route vers les montagnes et la promesse d’un avenir meilleur. Le paysage enchanteur mêlant forêt de sapins et immenses gemmes bleues cachait en réalité un environnement dangereux. Le guide du nom de Vaerzar, leur expliqua de ne jamais quitter le sentier et de ne jamais s’éloigner les uns des autres tant qu’ils étaient dans la forêt, celle-ci étant le territoire des Cristocats.
- Il ne faut pas prendre leur présence à la légère. J’ai été pris en chasse une fois par un de ces foutus bestiaux, j’ai failli y rester, sa corne m’a embroché de part en part. Je serais mort si je n’avais pas sauté dans l’eau, ils détestent l’eau ! Depuis j’ai toujours Mia-ousse, mon fidèle Darkat, c'est un prédateur naturel des Cristocats.
Au grand étonnement la traversée de la forêt se fit sans encombre, pas le moindre Cristocat à l’horizon. Vaerzar trouva suspect cette absence. En temps normal son Darkat repérait toujours quelques Cristocats attirés par leur présence, mais là rien de rien. Comme promis le guide les conduisit aux limites des chemins. Depuis plusieurs kilomètres la neige les accompagnait, tombant lentement sur le sol gelé.
- Vous ne pourrez pas aller plus loin à cheval. Je vais redescendre votre monture jusqu’à Pied-de-brume où je vous attendrai. L’endroit où vit celui que vous cherchez est à quelques heures de marche vers le nord, si vous suivez l’étoile d’Almad vous devriez trouver sans souci. Je vous souhaite bonne chance ! Kounok remercia Vaerzar, le guide ne s’attarda pas, ayant hâte de retourner au village dans les meilleurs délais. Ensuite le couple entreprit l'ascension par un chemin escarpé.
Kounok et Ardrakar avaient affronté mille périls, combattu des créatures puissantes et terriblement dangereuses, mais cela n’était rien comparé au froid et aux dangers de la montagne. La moindre chute leur serait fatale, autour d’eux malgré le manteau neigeux de plus en plus épais les éclats de cristaux bleus les menaçaient d’un sort funeste. En grimpant le vent s’était joint à la partie et le froid vif et glacial mordait ces aventuriers du bout du monde. Kounok tirait Ardrakar, puis Ardrakar poussait Kounok, la progression s’était ralentie, ce fut une réelle épreuve de volonté pour le couple. Puis passant derrière un rocher, l’étoile d’Almad apparut. Bien visible au-dessus de leurs têtes une lumière bleue brillante perçait les nuages. En réalité ce n’était pas une véritable étoile, mais un immense cristal au sommet du pic d’Almad. Grâce à elle il était plus aisé de se déplacer dans la région. Pour les voyageurs de l’extrême cette vision leur donna une indication de temps - la moitié du parcours était accomplie.
Tout à coup Ardrakar s’arrêta. Elle tira Azur de sa ceinture et plissa les yeux pour éviter la neige.
- Quoi ? Interrogea Kounok. Pourquoi t’arrêtes-tu.
- Ils sont là ? Des démons, je sens leur présence, ils sont très nombreux... LA !!
Ardrakar frappa l’air comme si quelqu’un était là, le coup toucha quelque chose qui apparut aussitôt, un démon ! Les démons alors invisibles donnèrent l’assaut. Ils étaient une bonne dizaine, de toute taille et de toute forme. Au milieu d’eux Ardrakar remarqua un démon plus grand et plus impressionnant.
- Mâche l’âme !
Les caquètements des démons étaient assourdissants, dans un désordre incroyable ils attaquèrent leurs proies, les harcelant, tentant de les griffer et de les mordre. Mais Kounok était un fin tacticien, il se plaça dos à dos avec sa compagne, déployant la magie de Dragon. Ardrakar de son côté avait un avantage, encore liée à Néhant elle parvenait à limiter les pouvoirs de ses adversaires. La combinaison s’avérait redoutable mais clairement insuffisante. Plusieurs démons étaient à terre, pourfendus par Chimère ou Azur. Jusque-là Mâche l’âme se contentait de vomir des ordres à l’attention de ses semblables, en retrait il commença un étrange manège. Il se pencha sur un petit démon filiforme aux multiples cornes, agonisant sur la neige. Celui-ci le supplia de lui venir en aide, mais au lieu de ça Mâche l’âme le retourna sur le dos et plongea sa main dans le ventre du démon, d’un geste sec il retira l’éclat de Néhant, vital pour sa survie. Le petit démon disparut d’un coup et Mâche l’âme avala la pierre. Il sentit ses forces augmenter considérablement. Il procéda ainsi avec trois autres démons. Kounok frappait de taille et d’estoc appuyé par Ardrakar. Cette dernière entrevit les gestes de son ancien camarade et réalisa ce qu’il faisait.
- Kounok, il faut le tuer ! Vite ! Sinon nous ne pourrons pas le vaincre...
Que cela ne tienne, Kounok bouscula les deux démons face à lui et se fraya un chemin jusqu’à Mâche l’âme. Chimère fendit l’air en direction du cou adverse. Elle fut esquivée sans effort, Mâche l’âme répliqua alors, une épée apparut dans sa main, une lame de cristal noire assez translucide. Kounok para et les deux épées s’entrechoquèrent mêlant leurs magies. Ardrakar vit la lame et n’en crut pas ses yeux.
- Chimère noire !! Mais c’est Arkalon qui l’avait !
Mâche l’âme fit un bond de côté et extirpa une nouvelle pierre démoniaque en regardant ses ennemis.
- Elle est revenue toute seule à son unique maître, traîtresse ! Dit-il avant de gober la pierre.
A présent il ne restait qu’eux trois, mais malgré l’infériorité numérique, Ardrakar savait qu’il n’avait plus l’avantage sur le démon dont la puissance gonflée le rapprochait du niveau de Fournaise. Elle tira Kounok en arrière pour éviter d’être à portée de Chimère noire. Le démon bondit à une vitesse incroyable sur l’ancien chevalier de Néhant et d’un coup de poing magistral il l’envoya valdinguer plus loin. Azur se planta dans la neige à côté de Kounok. Débordant de colère ce dernier déclencha l’étendue de ses pouvoirs.
“Montre-lui qui nous sommes Kounok, détruis-le ! DÉTRUIS-LE !” lui ordonna Chimère.
- Je suis Prophète, descendant de Dragon, tu ne portes qu’une pâle copie de Chimère ! Contemple son pouvoir !
La lame flamboya d’une lumière bleue et une aura se forma autour de Kounok, ses yeux devinrent entièrement bleus, une partie de son visage prit l’aspect d’une peau de dragon, telle qu’il l’avait autrefois. Ils se jetèrent l’un sur l’autre avec rage. Les Chimères s’entrechoquaient, elles aussi désireuses de battre leur alter-égo.
Ardrakar reprit connaissance au milieu du combat, elle se leva lentement et se traîna jusqu’à Azur. Une fois la lame en main, très en colère, elle se laissa aller à son côté Néhantique. Elle se concentra, focalisant sur la puissance de Mâche l’âme. Le sol sous ses pieds se fendit en une myriade de petites crevasses. La même chose eut lieu sous le démon, l’immobilisant immédiatement. Kounok profita de la situation et frappa les mains du démon pour que Chimère noire ne soit plus un problème. Puis il le faucha au niveau des jambes le renversant. Sentant la situation lui échapper, Mâche l’âme tenta de ramper pour fuir, mais il ne pouvait échapper au sort Néhantique lancé par Ardrakar, il était coincé. Sans plus attendre Kounok le perfora de part en part avec Chimère. Le démon hurla de douleur.
- Tu... tu ne me tueras pas ainsi !!
Mâche l’âme tenta alors d’ouvrir un portail vers les méandres pour échapper à son agresseur. Ardrakar, trop faible pour maintenir le sort, ne souhaitant plus entendre les paroles de Néhant qui lui chuchotait de revenir auprès de lui, elle cessa là sa magie. Elle se traina jusqu’à Mâche l’âme qui agonisait, le portail allait bientôt s’ouvrir.
- Non ! Tu n’iras nulle part !
A son tour elle planta sa lame dans le dos du démon, au niveau du ventre puis après avoir retiré la lame elle plongea sa main dans le corps brûlant pour en extirper la pierre au symbole de Néhant. Le portail vers les Méandres ne s’ouvrit pas, car toute la magie du démon disparut d’un coup. Mâche l’âme disparut aussi sec...
- Qu’est ce que tu as fait ? Demanda Kounok haletant.
- Je l’ai tué, définitivement ! Tout ce qui fait qu’il est lui est là, dans cette pierre, dit-elle les traits tirés.
La bataille finissait sur une impression étrange. Il n’y avait pas le moindre corps de leurs agresseurs. Seules les nombreuses traces de pas témoignaient de l’évènement.
- Ne restons pas là, il peut y en avoir d’autres, le lieur n’est plus très loin.
Ils n’en pouvaient plus. Ardrakar rongée par le remord d’avoir utilisé la magie de Néhant et Kounok épuisé par un combat extrêmement physique avançaient péniblement. Mais ils touchaient au but. Il était déjà venu ici une fois, à l’époque il volait rendant la chose plus simple. Le lieur de pierre habitait une grande demeure accrochée à la montagne. Kounok s’était demandé par quel miracle, ou par quelle magie l’ensemble arrivait à tenir. Se soutenant, à moitié gelés, fatigués, ils touchaient enfin au but. Là sur le pas de la porte un homme emmitouflé dans une grande cape de fourrure leur fit signe de rentrer, ce qui ne fut pas de refus.
L’intérieur était une seule immense grande pièce voutée dont le toit était soutenu par de multiples pylônes. Une gigantesque cheminée diffusait une chaleur salvatrice. Kounok traîna Ardrakar jusqu’au feu et ils quittèrent tout ce qui était mouillé. L’homme enleva sa cape et s’approcha d’eux.
- Vous êtes ici chez vous, dit-il en se laissant tomber dans un large et confortable fauteuil. Alors que viennent faire un Envoyé de Noz’Dingard et un Guémélite de Néhant ici ?
- Maître Maen, je suis Kounok le Prophète et voici Ardrakar.
- Kounok ? Je me souviens de toi oui, je croyais que tu m’avais oublié.
- La preuve que non, répondit-il en frottant ses mains. Nous avons fait un long voyage jusqu’ici pour vous demander de l’aide.
- Ah ! Et quelle aide puis-je vous apporter ?
Ardrakar prit la parole pour expliquer son cas.
- Je ne veux plus être une Guémélite liée à Néhant. J’aimerais que l’on m’enlève cet éclat que j’ai en moi.
Maître Maen respira bruyamment, puis réfléchit quelques secondes avant de répondre.
- Je peux faire cela, mais il vous faudra me payer. Les lieurs de pierre n’agissent jamais gratuitement. Je pense que nous pouvons nous entendre.
Maître Maen leva la main vers le ciel et la pierre-cœur bleue d’Ardrakar ainsi que la pierre de Mâche l’âme sortirent de leur cachette et s’élevèrent en l’air, tournoyant sûr elles-mêmes.
- Je garderai l’éclat qui est en vous et vous me donnerez la pierre démoniaque. Est-ce que cela vous semble un bon prix ??
Ardrakar n’hésita pas une seconde.
- J’accepte.
- Bien, dit Maen en tapant dans ses mains. Par contre je dois vous prévenir, ça va être extrêmement douloureux !
- J’ai déjà vécu le pire.
Maître Maen procéda le lendemain, le temps pour Ardrakar de reprendre quelques forces avant l’intervention. Kounok ne put assister à la scène, le lieur de pierre gardant jalousement ses secrets. Mais les cris de la femme de sa vie ne le rassuraient pas le moins du monde. L’opération dura plus d’une heure, lorsque les hurlements stoppèrent. Maître Maen réapparut, l’homme avait les yeux fatigués, une multitude de petites pierres de différentes couleurs tournoyaient autour de lui. Lorsqu’il arriva au niveau de Kounok il tendit les pierres qui vinrent se poser dessus. Tout en rangeant celles-ci il donna la conclusion de son opération.
- C’est fait. C’était vraiment une saleté cette pierre, faite pour tuer à coup sûr son porteur. Mais bon l’art des lieurs de pierre est plus efficace que ne le pense Néhant. Bref, j’ai enlevé la pierre-cœur d’Ardrakar. Elle se remettra très vite elle est d’une constitution incroyable. Ceci-dit vous devez partir avec elle dès demain pour Noz’Dingard. Isolé ici je n’ai pas de quoi la stabiliser magiquement, le Compendium vous aidera. Je doute néanmoins qu’elle reprenne conscience d’ici là.
- Pas grave, je la porterai sur mon dos s’il le faut.
- Il va falloir, je le crains.
- Merci Maître.
- De rien, que pourrais-je refuser à Prophète et à la perspective de m’amuser un peu avec des pierres liées à Néhant ?
- Soyez prudent, vous savez qu’il est interdit de pratiquer la magie de Néhant ni d’en étudier les pouvoirs.
Cela sonna comme une remontrance aux oreilles du lieur de pierre.
- Si je n’en connaissais pas un minimum sur la magie de Néhant, jamais je n’aurais réussi à retirer cette pierre ! Alors disons que j’étudie là la façon de combattre Néhant. D’accord ?
Kounok n’avait pas vraiment de quoi s’opposer à cet argument, il venait de sauver celle qu’il aimait le plus sur cette terre.
- Allez, oublions ce petit accroc et buvons un coup à la santé des lieurs de pierre... et de Dragon !
Comme demandé par Maître Maen, Kounok reprit la route avec Ardrakar sur son dos, la tempête avait redoublé d’intensité. Mais cela n'entachait rien la volonté de Kounok, il ramènerait Ardrakar chez lui. Et effectivement grâce à l’intervention d’Anryéna, sa mère, le couple revint à bon port bien plus rapidement qu’il ne le pensait.
Chapitre 4 - L’envers du décor
Les rayons du pâle soleil d’hiver traversaient le bouclier magique dressé par Dragon autour de la Draconie et venaient caresser doucement les hautes tours du palais de Noz’Dingard. La lumière légèrement bleue donnait un aspect encore plus incroyable à un ensemble déjà empli de magie. Kounok le Prophète, enfin de retour chez lui et après un petit moment de repos, suite à son aventure, avait convoqué une grande assemblée. L’ordre du jour était simple et révélateur des problèmes actuels : les Néhantistes et la créature de la pierre tombée du ciel. Le Maître-Mage Marzhin et Pilkim, tous deux revenus du front racontèrent les derniers évènements sans omettre le moindre détail - comment les armées se rejoignirent, comment la pierre explosa, libérant une créature d’une puissance inouïe et enfin le sacrifice du Mangepierre des Confins. Puis des personnes encore méconnues de l’assistance se présentèrent. Le conseiller Abyssien avait fait le voyage accompagné de Marlok. Ciramor héritier d’Eredan avait fait le voyage avec la délégation Noz depuis le Tombeau des ancêtres.
Anryéna, assise à la droite de Kounok, avait la lourde tâche de conseiller son fils dans une période stratégiquement importante. Cette cuisante défaite n’arrangeait pas les affaires de la Draconie car c’était désormais sur deux fronts qu’il fallait lutter, comme un étau se resserrant peu à peu. Marlok demanda la parole au nom du Conseil des guildes puis se levant il attrapa quelques parchemins posés sur la table devant lui.
- Les rapports des éclaireurs confirment que les Néhantistes sont en pleine activité. Ils essayent de délivrer Néhant. Des démons sont actuellement en train de parcourir les routes de la Draconie en cherche d’un objet.
La Pythie eut alors la vision d’un objet : une couronne de puissance.
- L’Onyrim... dit-elle dans un souffle.
La nouvelles fit l’effet d’un coup de poignard dans le cœur de chacun.
- Le Conseiller-Doyen Vérace nous a missionné, le conseiller Abyssien et moi-même, afin de coordonner les efforts concernant les Néhantistes et la lutte qui devra absolument être rapidement menée.
Kounok montait ses plans, il était clair que combattre sur deux fronts ne seraient qu’une perte de temps, d’énergie et d’hommes. Marlok convia Abyssien à parler.
- Messires, Dames, je suis honoré d’être présent à cette assemblée. Je suis venu jusqu’ici pour faire un présent. Vous le savez surement les Combattants de Zil ont détruit le Manoir de Zejabel, tué Dimizar ainsi qu’une autre créature de Néhant. Ils ont aussi fait une prise incroyable.
Abyssien fit signe à deux gardes à la livrée pourpre d’avancer. Ils portèrent devant tous une étrange boite de métal qui faisait presque la hauteur d’un homme. La surface était gravée de symboles verts très étranges. Puis d’un geste Abyssien la déverrouilla grâce à sa magie. Ce caisson enfermait une lame rougeoyante, maintenue fermement aux parois. L’épée large comme deux mains dégoulinait de magie Néhantique. Anryéna, comme quelques autres n’eut aucun mal à la reconnaître.
- Calice ! Cria Anryéna en se levant de son siège pour mieux aller admirer cette prise de guerre.
Kounok à côté duquel Chimère venait d'apparaître alla voir à son tour la lame de Néhant.
- Abyssien, au nom des Envoyés de Noz’Dingard nous remercions les Combattants de Zil pour ce cadeau très... étonnant. Sachez que désormais cette guilde est considérée comme notre alliée et que nous l’aiderons si le besoin s’en faisait sentir.
Le conseiller Zil fut très satisfait de cette déclaration, il n’en attendait pas moins.
- Refermons ça je vous prie, demanda le Maître-Mage Marzhin, elle perturbe la magie de Dragon.
Marlok ordonna la fermeture du caisson, puis tout le monde revint à sa place pour continuer les discussions.
- C’est bien beau tout ça, mais en quoi Calice va nous aider ? A moins que cela soit une nouvelle fourberie Zil pour nous faire tomber dans un traquenard, cracha Aerouant qui ne supportait pas la présence d’Abyssien et de Marlok.
Cette intervention jeta un froid sur l’assistance, Abyssien parut choqué alors qu’Anryéna sentait de la colère monter en elle. Naya la mère d’Aerouant allait même lui infliger une correction devant tout le monde. Mais c’est Ciramor qui mit fin à la gène.
- Me permettez-vous ? Demanda-t-il avec timidité. Je pense avoir un plan, mais, et sans vouloir offenser personne, j’aimerais que cela reste une discussion avec Prophète et les Mages de la Draconie ici présents.
- De toute façon il faut impérativement que je lève l’armée indiqua Zahal. Il faut aussi que je discute avec Ardrakar et les autres Chevaliers Dragon. Aussi si vous m’autorisez...
Kounok fit oui de la tête. Zahal fut suivi des Sorcelames et des conseillers Abyssiens et Marlok.
Dans le couloir, Marlok attendit qu’Aerouant soit sorti. Il l’attrapa par le col et le plaça contre le mur devant le regard approbateur de Naya.
- Ecoute-moi Aerouant. Depuis la mort de ton père tu te morfonds dans une haine sans fin pour les Combattants de Zil, tu es incapable de reprendre le dessus.
Puis d’un geste rapide Marlok le gifla de sa main gauche.
- Réveille-toi descendant de Dragon, tu te déshonores et tu déshonores ta famille en agissant comme tu vient de le faire.
Les muscles des joues d’Aerouant se crispèrent, la gifle l’avait surpris et il prit conscience qu’effectivement cela allait trop loin. Marlok le lâcha et s’en alla, le laissant face à sa mère.
- J’aimais ton père, je l’ai pleuré pendant longtemps. Fais ton deuil mon fils.
A l’intérieur de la grande salle de réunion, la discussion avec Ciramor continuait.
- Nous vous écoutons Ciramor, dit Kounok plus à l’aise avec moins de monde autour de lui.
- Autrefois Eredan a enfermé Néhant dans un cristal très particulier, retenu par quatre chaînes, elles-mêmes enchantées de différentes façons. Eredan a fait en sorte que Néhant s’il parvenait à s’entourer de nouveau de sbires ne serait pas capable de se libérer. D’après les rapports du Conseil que j’ai là sous les yeux, deux des chaînes seraient déjà détruites. Si Néhant souhaite à présent l’Onyrim ce n’est pas par hasard. C’est qu’il ne peut se défaire des dernières chaînes sans la couronne antique. Mais Eredan avait prévu cette éventualité, la couronne fut démantelée en plusieurs morceaux.
- Et nous avons détruit un morceau il y a presque vingt ans lors du grand tournoi d’Yses, ajouta Anryéna. Cela veut dire que Néhant ne pourra pas détruire une des chaînes ?
- C’est plus délicat que ça. Disons que cela prendra plus de temps, beaucoup plus. Mais avant de continuer je crois qu’il est important de prendre en compte d’autres rapports, dit Ciramor étalant plusieurs parchemins fournis par le Conseil. Je vois ici que ce Dimizar a fait une démonstration assez surprenante des pouvoirs de Néhant. Il aura ainsi réussi à corrompre un morceau de cristal de la pierre tombée du ciel. Je cite Dimizar devant le Conseil des guildes : “La magie de Néhant permet de couper les Solarians de ce qui leur donne leur pouvoir et ainsi réussir là où tout le reste échoue”...
- Je vois où vous voulez en venir Ciramor ! Et c’est hors de question coupa sèchement Anryéna.
- Vous voulez pousser Néhant à combattre ce Solarian ? Demanda Marzhin. Mais comment puisqu’il ne peut lui pas sortir de sa prison dans l’immédiat ?
- Nous allons briser une des chaînes et à partir de là il sera capable de s’accaparer un corps. Dit Ciramor en posant sa main sur son cœur.
- Vous êtes vraiment fou ! Combattre le mal par le mal c’est bien beau, admettons que Néhant arrive à bout du Solarian, comment ferons nous ensuite ? Pourrez-vous créer de nouvelles chaînes et remettre cette ignominie dans sa prison ? Critiqua Kounok.
- Nous allons faire plier sa volonté. Dit Ciramor avec applomb.
- Vous rêvez ! D’autres ont eu l’audace de penser pouvoir lui résister, tous sont dans le meilleur des cas morts et au pire devenus des esclaves dénués de volonté.
- Je... je pense que nous pouvons... osa interrompre Pilkim au grand étonnement de son père. Je crois que je comprends ce que veut faire Ciramor et que c’est réalisable.
- Ah oui ?? Et comment je te prie ? Railla Anryéna.
- Vous voulez que Néhant vous choisisse comme hôte n’est-ce pas Ciramor ?
- Oui, le plan est en définitive simple, mais demande énormément de préparation. Dans l’ordre : trouver les démons qui cherchent l’Onyrim et les convaincre de me mener jusqu’à Néhant. Puis une fois sur place passer un pacte magique avec Néhant, on le libère s'il me prend comme hôte. Une fois cela fait et que nous ne faisons plus qu’un, régler le problème “Solarian”.
Anryéna se passa les mains sur le visage, réfléchissant à cette perspective fort peu agréable de collaboration avec des Néhantistes.
- Et comment comptez-vous briser la troisième chaîne ?
- Calice !
- Calice.
Répondirent Ciramor et Pilkim de concert.
- Mais elle ne vous obéira jamais.
- Elle est faite de magie et la magie est notre domaine, jugea Pilkim. J’ai une idée en tête, commençons par Calice, si cela fonctionne je serais capable de donner à Ciramor suffisamment de protections et d’enchantements pour soumettre Néhant.
- Je te trouve bien prétentieux petit mage, mais soit si tu arrives à soumettre Calice, ce dont je doute, je suis prêt à te nommer Maître-Mage ! Ironisa Kounok.
Il n’en fallait pas plus pour motiver Pilkim.
- Vous êtes certain de votre coup Ciramor ? Si vous échouez cela signifierait que vos connaissances en rapport avec Eredan et Calice lui appartiendront, sans parler du fait qu’à partir de ce moment là il sera en mesure de se libérer.
- Comme Pilkim l’a dit, voyons les résultats avec Calice, si c’est concluant cela validera notre plan.
- Très bien, allez-y. En attendant nous allons ordonner aux Seigneurs-Dragon de lever leurs troupes.
Le lendemain dans la demeure familiale de Marzhin et de Pilkim. Ce dernier avait passé la nuit à se préparer avec son père. Le Maître-Mage fut sidéré devant tant d’ingéniosité, son fils avait un don incroyable, la magie était à la fois instinctive et à l’écoute du jeune homme. D’ailleurs depuis le début du conflit Marzhin trouvait que son fils avait grandi. Pilkim finit par s’endormir au milieu de ses livres ouverts et annotés, mais il avait fini par créer de nouveaux sorts très puissants.
Le moment était venu de tester ces nouvelles trouvailles. Ciramor, Marzhin et Pilkim se rendirent dans une pièce circulaire de leur grande maison. Là, ils ne risqueraient pas de casser un quelconque meuble car l’endroit était prévu pour les tests des magiciens. Marzhin resta à l’écart en simple observateur, prêt à agir en cas de problème.
- Comment procédons nous ? Demanda Ciramor.
- Je vous explique le cheminement. J’ai étudié les liens de la magie de l’ombre. Attention cela ressemble beaucoup au Néhantisme mais cela n’en est pas. Si le Néhantisme plie à sa volonté, la solution que je vais employer, elle, modifie profondément la nature même de la magie. Pour cela il m’a fallu aller aux origines de la magie, à savoir Guem.
A ce moment là Pilkim sortit d’une bourse de velours la pierre-cœur du Mangepierre des Confins puis la posa par terre devant lui.
- La magie la plus pure, celle qui domine les autres est la source même de presque toutes les formes de vie sur terre.
La pierre-cœur se mit à léviter lentement non loin de la tête de Pilkim. Puis d’une poche il lança d’autres cristaux qui restèrent en l’air.
- Le tout est d’arriver à puiser dans cette magie la plus pure sans perdre la maîtrise. Ces cristaux bleus sont des morceaux de la gemme de Dragon. Lui-même étant un guémélite de Guem, tout comme le fut Eredan ou le Mangepierre. Si ma partie du rituel est dangereuse, la votre n’en sera pas moins risquée. Il va vous falloir tenir Calice le temps que je coupe le lien vers Néhant et que je le modifie légèrement pour la lier à vous. Si cela fonctionne dans un deuxième temps je vous apprendrai à faire des pactes magiques puis à modifier la magie de Néhant. Sur ce, commençons !
La boite de métal enfermant Calice était posée dans un coin à côté de Marzhin. Ciramor la détacha et l’empoigna fermement.
“Enfin un nouveau porteur digne de ce nom !” Se félicita la lame, parlant mentalement au jeune gardien. Il sentit la volonté de la lame l’agresser avec violence, mais il devait résister à cette magie à tout prix. Alors qu’un bras-de-fer entre Calice et Ciramor avait commencé, Pilkim lui déploya le sortilège conçu durant la nuit. Son père avait le regard à la fois empli de fierté et d'appréhension.
Les cristaux de la pierre de Dragon s’illuminèrent et s’harmonisèrent les unes envers les autres. De fins filaments de magie Draconique les reliaient entre elles. Puis de la pierre-cœur du Mangepierre, partirent d’autres filaments, frappant chacune des pierres de Dragon. Pilkim se concentrait sur son objectif, il sentait la magie de Guem affluer dans les cristaux.
Ciramor tenait la lame comme si elle était une extension de lui, il ne pouvait la lâcher, mais en même temps la lame lui brûlait les mains aussi sûrement qu’un morceau de braise. “Je ne te laisserai pas le contrôle !” Hurlait intérieurement le jeune homme. Mais inexorablement Calice prenait le pas sur Ciramor, comment pouvait-il en être autrement son existence était basée sur cet aspect corrupteur.
- Vite ! Vite ! Hurla Ciramor, elle me dévore !
Pilkim absorba toute la magie des cristaux, le temps sembla ralentir autour de lui. Sa main s’enflamma de volutes bleutées et il se saisit alors de la lame de Néhant. Il perçut alors la moindre parcelle de magie, la moindre parcelle de métal la composant. Comme si l’épée avait éclaté et qu’il pouvait regarder à l’intérieur de façon très précise. Il la sentit enrager à son contact, mais la volonté maléfique ne le toucha pas, sa propre volonté était insaisissable. Enfin il parvint au cœur de l’objet, là il trouva le lien entre Calice et Ciramor, le jeune gardien était en difficulté. Pilkim inversa alors le processus afin que cela soit la personne tenant la lame qui prendrait le dessus.
D’un coup Pilkim lâcha Calice et en un rien de temps Ciramor fut capable de la maîtriser.
- Incroyable ! Sourcilla Marzhin.
Puis le rituel cessa. Les pierres de Dragon tombèrent au sol et Pilkim eut à peine le temps de récupérer la pierre-cœur du Mangepierre qui suivait le même trajet.
- Parfois je me demande si tu n’es pas du même niveau qu’Eredan, fiston.
- Je ne suis pas Eredan, je ne suis que le Maître-Mage Pilkim.
Bientôt : La Fin d’une époque.
Arbre-Monde
Chapitre 1 - Péril en notre demeure.
Eikytan et le Sachem n’avaient pas participé à la bataille qui vit l’arrivée de Sol’ra. Alors que le sorcier Elfine rassemblait les troupes en retard, le Daïs lui s’aventurait là où peu d’Eltarites osaient s’aventurer. Là, la végétation était plus sombre et plus torturée. Les Elfines et les Hom’chaïs n’aimaient pas cet endroit trop morne et inhospitalier pour eux. Pourtant derrière cette apparente laideur se cachait le merveilleux et l'étonnant. Eikytan vécut ici autrefois. Lui connaissait la valeur des êtres qui habitaient là au fil des saisons. Ceux-ci refusaient pour le moment de se montrer, longtemps ignorés par le reste des habitants de la forêt. Le Daïs stoppa sa marche au milieu d’une clairière peu accueillante.
- Je suis Eikytan, gardien de l’hiver, fruit de l’Arbre-Monde. Je viens ici demander votre aide.
Un chuchotement se fit entendre.
- Pourquoi ? Pourquoi ?
- Pourquoi nous aider ? Je me suis éveillé alors que je ne le devais pas, la terre se meure et déjà la forêt recule. Si nous ne faisons rien nos villages disparaîtront.
- Ils ne viennent pas ! Jamais ils ne nous honorent !
- Doit-on leur donner tort ? Vous avez disparu et êtes devenus légendes. Si vous ne faites rien la forêt disparaîtra et cela implique que vous aussi vous disparaîtrez.
De petits craquements se firent entendre suivis de bruissements de feuilles et de bruits de pas. Un à un les esprits de l’hiver se révélèrent. Leur forme était celle d’humains, mais leur peau et leur aspect les faisaient ressembler à de vieux arbres rabougris. Leurs pas étaient saccadés, leurs visages impressionnants de laideur rappelaient les vieilles légendes des cruelles créatures de l’hiver.
- Merci d’accepter de nous aider.
- Nous n’avons pas le choix, tu es le gardien de l’hiver. Qu’est-ce que tu veux que l’on fasse pour toi ?
- Plusieurs choses. Vous joindre aux forces Eltarites et me dire ce qu’il est advenu de Quercus.
L’un d’eux s’avança vers Eikytan.
- Je peux te mener à lui, je sais où est sa dépouille.
- Quand à nous autres, nous rejoindrons le village le plus proche...
Alors que les esprits de l’hiver quittaient pour la première fois depuis bien longtemps le territoire qui était le leur, Eikytan suivit son guide à travers la forêt. Quelques heures passèrent et le chemin qu’ils suivirent les mena loin vers le nord. En temps normal les Eltarites ne montaient pas aussi loin, il n’y avait plus de village dans cette région et seuls les Eltarites perdus ou les plus solitaires s’aventuraient ici. Désormais la forêt bordait la chaîne de montagnes nommée monts Perce-ciel, la végétation se composait de gigantesques chênes ainsi que de châtaigniers. Eikytan sentait que ces arbres étaient bien plus vieux que le reste de la forêt.
- Je ne peux aller plus loin. Tu trouveras Quercus en continuant ta route.
- Reçois toute ma gratitude, esprit de l’hiver, rejoins vite les tiens nous nous retrouverons plus tard.
Le gardien de l’hiver, émerveillé par la splendeur des lieux se sentait bien. Ici la pierre tombée du ciel n’avait aucune influence, ici les couleurs étaient nombreuses, chatoyantes. Les chênes recouverts de lichen contrastaient avec le roux des feuilles de châtaignier qui chutaient avec douceur sur le sol humide. Un doux parfum de bois flottait, c’était très agréable. Il progressa lentement, cherchant un édifice construit en l’honneur de Quercus. Tout ce qu’il réussit à trouver c’est une flèche qui vint se planter entre ses pieds.
- Halte là ! Cria une voix féminine. N’approche pas plus !
Le Daïs repéra la forme dans un grand chêne, une Elfine s’y tenait bandant un arc aux reflets blanc.
- Qu’est-ce que tu veux Daïs ?? Demanda une autre voix, masculine cette fois-ci.
Un Hom’chaï de petite taille mais à la forte carrure fit son apparition au détour d’un arbre et bloqua le passage à une distance respectable de cet inconnu.
- Mon nom est Eikytan, je suis le gardien de l’hiver. On m’a dit que Quercus se trouvait ici, je viens honorer sa mémoire.
L’Elfine sauta de son perchoir et se réceptionna avec grâce le tout en gardant son arc prêt à tirer.
- Je ne suis pas un ennemi, je suis un Daïs.
L’Hom’chaï et l’Elfine se regardèrent l’un l’autre, puis poussée par la curiosité l’archère fit le tour d’Eikytan en le touchant du bout des doigts.
- Aucun Daïs n’est venu ici depuis plusieurs générations, dit l’Hom’chaï sur un ton accusateur.
- C’est un tort, le Kei’zan ne devrait pas ignorer cette partie de la forêt, elle est aussi sur le territoire Eltarite. Pouvez-vous répondre à ma question : où est Quercus ?
Les deux gardes se consultèrent à part.
- On le laisse passer ou on le renvoie d’où il vient ? Demanda l’Elfine un poil sur l’offensive.
- Non, pour une fois que nous avons un Daïs qui nous rend visite, il faut le laisser aller où il veut.
- Mouai... mais on le garde à l’œil, puis s’il fait le moindre geste je lui fiche une flèche entre les deux yeux.
Puis revenant vers le Daïs, qui de toute façon avait tout entendu,
- Quels sont vos noms ? Demanda Eikytan.
- Moarg, et elle c’est Châtaigne.
- Châtaigne... Je crois comprendre pourquoi on vous appelle comme ça dit-il avec ironie.
L’Elfine laissa passer la pique sur la relation entre son caractère et son nom, se contentant de prendre de l’avance sur le chemin. Moarg, Châtaigne et Eikytan longèrent plusieurs sentiers qui serpentaient entre les arbres jusqu’à un village construit au centre d’un immense cercle de rocher. Au milieu de ce cercle se trouvait un chêne encore plus grand et imposant que tous les autres. Eikytan fut frappé par la ressemblance entre celui-ci et l’Arbre-Monde. Il comprit de suite que son origine ne provenait pas d’un gland.
Les villageois présents regardèrent Eikytan avec une curiosité mêlée de crainte, si bien qu’il devint une attraction. Châtaigne et Moarg se félicitèrent et se vantèrent auprès des autres de leur “trouvaille”. Mais ce dernier les laissa dire ce que bon voulait car il était là dans un but précis. Aussi s’avança-t-il jusqu’à l’arbre sans faire attention aux Hom’chaïs et Elfines qui le regardaient en chuchotant. Après en avoir fait le tour, il s’assit au pied du tronc de l’arbre, ferma les yeux et laissa vagabonder son esprit. La magie était omniprésente ici, que cela soit autour ou dans cet étrange arbre, une magie familière qui ressemblait à la sienne. “Quercus, tu es là” pensa-t-il. Pour réponse à son hypothèse les racines de l’arbre qui sortaient de terre se mirent à bouger lentement. “Je suis là frère Daïs” lui dit une voix caverneuse. Les racines entourèrent Eikytan avec délicatesse, puis le tirèrent dans la terre. Le Daïs se laissa faire, ne ressentant aucune agression. La terre s’éventra et le laissa passer comme si un passage avait été fait et menait sous l’arbre. Les racines le laissèrent dans une cavité où brillaient plusieurs éclats d’Ambre. Eikytan sentait plus que jamais la présence de Quercus, mais il n’y avait là que des racines tombantes et traversantes.
- Quercus !
Les racines qui tombaient telles des lianes s'entrelacèrent pour devenir un corps ressemblant à celui d’un Daïs. La chose se posa au sol face à Eikytan.
- Gardien de l’hiver...
La diction n’était pas parfaite, la voix caverneuse était hésitante.
- Quercus... n’est plus... je... ne suis plus.
- Comment est-ce possible, pourtant tu es là face à moi, tu me parles. Le Kei’zan m’a dit que tu étais mort.
- Je suis... au-delà... de la mort... Kei’zan... me croit...mort...Non ! Pas mort ! Changé !
- Comment as-tu fait pour devenir Arbre ? Aucun Daïs n’a jamais attend cet état là ! Ça voudrait dire que nous pouvons nous aussi devenir arbre ?
- Non... j’ai reçu ce don...car je suis né... du premier fruit...
Eikytan fut déçu de cette révélation, mais soulagé de savoir qu’au final Quercus n’était pas réellement mort.
- Es-tu devenu un Arbre-Monde ?
- Non... je n’ai pas... le pouvoir de mère... je ne peux... donner la vie...
- Je révélerai cette bonne nouvelle aux autres Eltarites !
- Non... cet endroit... ne doit pas être connu.
A ce moment-là la terre trembla, manquant de faire écrouler la petite caverne sur le Daïs. Eikytan sut que c’était là l’énergie qui l’avait éveillé, celle qui ronge la terre.
- C’est le...début...Eikytan... prends ceci...mène la grande chasse...
D’autres racines poussèrent d’une des parois comme de longs doigts, enserrant un objet de bois. Le gardien de l’hiver saisit l’objet qui était le masque de que portait Quercus à l’époque où il foulait les terres de Guem.
Le Kei'zan se réveilla à son tour, après le sacrifice du Mangepierre, il sut que désormais tout allait être différent. Au loin la colonne de fumée, immense et blanche, ajoutée à l'appel de détresse des siens laissait présager du pire. Et il était loin de la vérité...
Tout son être vibrait, emporté par un chagrin qu’il ne comprenait pas. Assez rapidement les autres membres de la Cœur de sève se regroupèrent autour de leur chef, ce dernier ordonnant une mise en marche rapide vers chez eux. L’inquiétude gagna les esprits à chaque pas fait vers la forêt, la fumée s’en échappait avec abondance. Les flammes gigantesques dansaient dans un rythme chaotique, ravageant les arbres les uns après les autres.
Le Sachem avait ressenti l’énergie de Sol’ra se répandre comme une maladie, il s’affola lorsque l’odeur caractéristique du bois en train de brûler arriva jusqu’à son village. Les Elfines et Hom’chaïs de sa tribu abandonnèrent immédiatement leurs activités, inquiets de cette forte odeur, ils attendirent les ordres de leur chef. Ce dernier hésita jusqu’à ce qu’une horde d’animaux fuyant passa tel un raz de marée.
- Il faut aller voir ! Que les guerriers viennent avec moi, les autres rassemblez tout ce que vous pouvez au cas où !
Au fur et à mesure de leur progression dans la forêt l’odeur devenait de plus en plus forte, puis la fumée au départ légère fit son apparition entre les arbres. La troupe courrait vers la lisière de la forêt où les flammes dévoraient herbes et arbres. La chaleur était insoutenable. La propagation de l’incendie était impressionnante, les flammes avaient réellement l’air vivantes, sautant d’une branche à l’autre. L’énergie dégagée par l’incendie n’avait rien de normal. Non loin de là un autre village était menacé, aussi, envoya-t-il ses guerriers aider au maximum pendant que lui tentait d’arrêter les flammes grâce à sa magie. Il se mit alors à danser en criant des invocations à la faveur du ciel. Son cirque durant une bonne dizaine de minute avant que les premières gouttes ne tombent sur la région. Le Kei’zan et les rescapées de la Coeur de sève arrivèrent au moment où la pluie était forte. Hélas l’eau ne sembla pas avoir le moindre effet sur les flammes.
Chapitre 2 - Aide impromptue
La tempête soufflait avec violence. Elle aurait tué n’importe quelle créature assez folle pour s’aventurer si loin dans un environnement aussi hostile. Mais les Elfes de Glace avaient l’habitude de ces phénomènes, ils n’y faisaient plus attention, et surtout ils ne craignaient pas le froid. Yilith la prophétesse avait parcouru le monde à la recherche d’une solution à apporter à son peuple à l’agonie. Sans succès hélas. Pire la situation s’était dégradée et ce qu’elle allait découvrir finirait d’achever un périple sur une note de fin du monde, son monde. Elle n’avait jamais vu une tempête aussi forte, elle y vit là la colère des dieux, mais ceux-ci s’étaient tus, plus aucune voix ne venait lui chuchoter de divines vérités. Était-ce le Crépuscule tant redouté ? En un an seulement la Faille était devenue lac d’eau glacée d’un bleu très clair, presque turquoise. Yilith eut du mal à se frayer un chemin jusqu’à la caverne où elle espérait retrouver Nibelle. Les marques de griffes dans la glace ne laissaient rien présager de bon. L’eau avait envahi les couloirs là où autrefois passaient les plus grands prophètes. Son cœur se serra très fort lorsqu’elle découvrit le corps de celle qu’elle considérait comme une mère. Nibelle gisait là sans vie, en partie prise dans les glaces. Des larmes gelées coulèrent sur ses joues bleues au fur et à mesure qu’elle libéra la vieille elfe de ses entraves.
- Pourquoi ? Pourquoi ? Laissa-t-elle échapper alors que ses larmes se diluaient dans l’eau. Pourquoi dieux l’avez-vous laissée mourir ??
La douleur de la perte d’un être aussi cher fit vaciller la foi d'Yilith aussi sûrement que de l’eau sur le feu. Une fois passés les premiers instants de tristes douleurs elle examina les environs pour comprendre ce qu’il était advenu ici. La porte que gardait Nibelle était grande ouverte et les marques de brûlures sur le corps de l’elfe nommaient clairement l’assassin, un démon.
- Restez silencieux, dieux. Peut-être avons nous failli puisque le prisonnier s’est libéré de ses gardiens, dit-elle en portant Nibelle dans ses bras. Comment voulez-vous que votre peuple croie encore en vous ??
Sans s’attendre à une réponse elle quitta ces lieux qu’elle considérait désormais comme maudits. Le village le plus proche de la Faille se trouvait sur la côte à une demi-journée de marche de là. Elle décida de s’y rendre pour pratiquer les rites funéraires adéquats.
Un malheur en appelant un autre Yilith ne fut pas au bout de ses surprises. En lieu et place du fameux village côtier il y avait désormais une multitude d’icebergs dérivants lentement au gré des vagues. Les habitants avaient sauvé le maximum de choses et à présent ils vivaient dans des abris de fortune. La prophétesse se retrouva bien vite encerclée par des femmes en pleurs, la priant d’intervenir auprès des dieux pour que la fonte du glacier cesse immédiatement. Yilith posa Nibelle au centre du village et prit son courage à deux mains, pour leur annoncer de biens tristes nouvelles.
- J’ai parcouru le monde et j’y ai vu la peur, la violence et le rejet des autres. Je suis revenue ici et j’y ai trouvé la mort et la fin de notre peuple. Les dieux ne me parlent plus, ils ont détourné le regard de cette partie du monde. Nibelle n’est plus et celui que nous retenions parcourt à nouveau ce monde, libre.
Un elfe s’avança jusqu’à elle, à sa tenue il s’agissait certainement d’un chef de tribu.
- Ce que tu nous annonces là est terrible, prophétesse. Cela confirme ce que je pensais. Moi Ursyd, j’ai convoqué en ton absence les chefs de tribu et des décisions ont été prises.
Yilith n’écoutait qu’à moitié, occupée à récupérer par-ci par-là les objets nécessaires au rite qu’elle voulait pratiquer.
- Nous en discuterons après si tu veux bien Ursyd, nous devons dire au revoir à Nibelle. Dit-elle les larmes aux yeux.
Compréhensif le chef ordonna qu’on aide Yilith et qu’on respecte les traditions. Une heure plus tard tout était prêt. Nibelle fut installée sur un bûcher construit à partir de bois blanc des anciennes maisons du village. Tous les habitants, soit une quarantaine d’individus formaient plusieurs cercles autour de Nibelle et d’Yilith. Cette dernière entonna un chant sacré repris par tous, afin que les dieux puissent accueillir leur servante auprès d’eux pour l’éternité. Le chant emplit les cœurs déjà lourds de tristesse de la peine de la perte de l’un des leurs. Puis lorsqu’il fut fini le feu fut mis au bûcher afin de libérer l’âme de la défunte. Yilith resta plantée là jusqu’à ce que les cendres s’éteignent. Fixant le foyer à peine rougeoyant, elle s’adressa à Ursyd.
- Je t’écoute.
- La plupart des villages a disparu, dont le notre, emportée par la fonte des glaces. Les chefs des tribus ont décidé de mener les leurs vers le nord, par-delà la forêt blanche de Norr, là où les glaces ne fondent jamais.
- C’est une bonne décision, mais c’est dangereux. Tous ceux qui ont tenté de passer de l’autre côté ne sont jamais revenus.
- Oui c’est une bonne décision, mais mon avis est autre ! Ragea-t-il.
Yilith tourna la tête vers le chef qui était entouré de plusieurs autres elfes, un guerrier portant une hache de glace et une jeune femme au regard rempli de colère.
- Explique-toi.
- Ma tribu va rejoindre celle d’Asmardine, elle la conduira vers Norr sans nous.
- Et toi ?
- Je pars avec eux, dit-il en montrant ses comparses. Nous allons voyager vers le sud et trouver les responsables de ce désastre. Car nous suivons les préceptes d’Agmundar : si tu es frappé, frappe à ton tour avec toute ta force.
- Mais tu ne sais même pas contre qui te battre.
- Nous trouverons bien. Notre destin est de partir du glacier, de vivre ailleurs.
Elle qui avait perdu l'espoir se trouvait face à de valeureux elfes prêts à quitter les leurs pour affronter un ennemi dont ils ignoraient tout. Était-ce une mise à l’épreuve imposée par les dieux ?
- Et toi prophétesse que vas-tu faire ?
La question était bonne qu’allait-elle pouvoir faire maintenant ? La réponse était pourtant simple.
- Je vais vous accompagner... Je vais chercher le meurtrier de Nibelle et remettre celui dont nous sommes les gardiens à sa place.
Ainsi partirent ces exilés. Ayir, Kokrëm, Ursyd et Yilith quittèrent le glacier d’Améthyste pour ne jamais y revenir. Ce qui leur arriva par la suite restera gravé à jamais dans l’histoire des terres de Guem. Dame Yilith avait décidé de les mener à l’endroit où elle croisa plusieurs peuples différents, là où cette pierre était tombée du ciel. Après plusieurs jours de voyage à travers les landes, le groupe longea les monts Perce-ciel par leurs flancs est, le long de la frontière de l’Empire de Xzia sur des centaines de kilomètres. Au beau milieu de leur voyage Yilith arrêta le groupe juste un peu avant que la terre ne tremble légèrement, suivi d’une onde jaune qui faillit les renverser.
- Qu’est-ce que c’était !? Demanda Ursyd inquiet.
- Je n’avais pas ressenti ça depuis la visite des dieux frères Athorg et Berylnir. Et là cette présence est d’autant plus puissante, répondit Yilith.
- Un dieu ? Plusieurs dieux ? Ça veut dire qu’ils n’ont pas disparu finalement ? Demanda Ayir.
- Je pense que ce ne sont pas nos dieux. Lors de mon voyage j’ai vu d’autres religions, d’autres cultes. Allons voir !
Le groupe progressa plus rapidement si bien qu’il parvint au bout des montagnes. De leur hauteur ils dominaient toute la région. Face à eux et sur leur droite s’étendait la forêt Eltarite à perte de vue, majestueuse et imposante. Néanmoins en flammes ! Les Elfes de Glace ne pouvaient que constater cet incendie d’envergure qui ravageait cette forêt, libérant une fumée noire obscurcissant le ciel. Sur leur gauche le tombeau des ancêtres n’était plus qu’un vaste cratère en partie rempli d’une brume jaunâtre. Yilith était convaincue qu’une divinité s’y trouvait, elle en ressentait le pouvoir, mais aussi la volonté, une terrible envie de destruction.
- Que fait-on ?, demanda Ursyd.
- Allons voir la forêt qui brûle.
Le lendemain ils avaient rejoint les lieux et tombèrent au beau milieu d’une bataille opposant le peuple de la forêt et les gens venus du désert. Ils ne comprenaient pas vraiment la situation mais Yilith prit la décision d’aider un Hom’chaï blessé qui était adossé à un arbre. Elle s’avança doucement vers lui pendant que Kokrëm, Ursyd et Ayir la protégeaient en formant un demi-cercle autour de la prêtresse. L’Hom’chaï hésita, ces personnes ressemblaient à des Elfines, mais avec la peau bleue. De toute façon il était incapable d’aller plus loin. L’elfe entama alors la discussion.
- Je suis Yilith, mes amis et moi venons de très loin vers le nord. Je ne vous veux aucun mal, je suis là pour vous aider.
A bout de force, les genoux de l’Hom’chaï ne purent le supporter plus longtemps, aussi s’assit-il, laissant venir à lui cette étrangère.
- Pouvez-vous me dire votre nom ? Et ce qu’il se passe ici ?
- Je... je suis Marque-Rouge, guerrier de la Cœur de Sève... Ce qu’il se passe ici est une longue histoire, mais pour faire court nous sommes envahis par les hommes du désert. Ils ont fait venir leur dieu sur notre monde, ravageant tout autour de lui. Nous tentons de résister et d’arrêter ce feu, mais impossible d’y arriver... Pendant que Marque-Rouge racontait son histoire, Yilith fit appel à Berylnir, dieu bienfaiteur. Elle fut agréablement surprise de voir qu’on lui accordait le don de guérison. Les blessures de l’Hom’chaï se refermèrent.
- Incroyable ! Dit le guerrier en tâtant là où il était blessé. J’ai plus rien ! Merci étrangère, je ne sais pas qui vous êtes exactement, mais merci !
Sur ce il se releva, attrapa sa lance et marcha d’un pas décidé vers la proche mêlée. Ursyd serrait puis desserrait ses poings avec frénésie, Kokrëm, lui, s’échauffait en faisant des moulinets de son bras droit.
- Je suis d’accord, dit Yilith comprenant que ses compagnons voulaient combattre. Aidez ces gens à lutter contre l’envahisseur. Sauf toi Ayir, j’ai besoin de toi.
La jeune Elfe de Glace parut déçue lorsque les deux hommes se jetèrent dans la bataille avec rage.
- Ces flammes ne sont pas l’œuvre de la nature... C’est là l’œuvre d’un dieu, sûrement celui qu’on a vu au loin.
- Tu crois que nous pouvons faire quelque chose ? Demanda Ayir, perplexe.
- Nous sommes les enfants des dieux, je pense que oui, mais il va falloir que tu pries avec moi afin que nous soyons entendues !
- D’accord !
Alors qu’Ayir et Yilith s’éloignaient du combat. Ursyd et Kokrëm avaient rejoint les rangs de la Cœur de Sève à la grande joie des Eltarites qui virent de farouches guerriers tenir tête à des nomades inspirés par Sol’ra. Les Hom’chaï étaient particulièrement connus pour leur agressivité en combat, pourtant ceux-ci furent impressionnés par la rage de ces Elfes de Glace. Les nomades s’organisèrent afin de contrer les nouveaux arrivants. Le Sphinx bien décidé d’en finir vite avec le “souci” Cœur de Sève tenta la charge sur le groupe où se trouvaient Ursyd et Kokrëm. Le chef de tribu vit la chose arriver et laissa exploser sa Rage ! En un clin d’œil son apparence changea, sa tête devint celle d’un ours au pelage blanc et ses mains grossirent, se terminant par des griffes de glace. Hurlant, il chargea à son tour, n’ayant plus conscience du danger, ne pensant qu’à une chose : détruire son ennemi. Le choc fut terrible. Ursyd plongea pour éviter la lance du Sphinx et le frappa au niveau du torse. Le nomade ne put éviter l’énorme masse et encaissa comme il put. On aurait dit deux animaux sauvages se battant pour un territoire, Ursyd griffait et mordait alors que le Sphinx frappait de ses larges poings. Devant ce spectacle Kokrëm en appela aussi à Agmundar le dieu de la guerre afin que lui aussi puisse devenir un berserker, semeur de mort. A son tour il changea d’apparence devenant un guerrier à tête de bélier et se jeta dans la bataille. Les nomades entreprirent d’aider le Sphinx, Ursyd se retrouva alors submergé sous les combattants adverses. Que cela ne tienne ! Rargnor, Marque-Rouge et Kokrëm ne comptaient pas laisser faire. Peu à peu la coalition de la Cœur de Sève et des Elfes de Glace repoussa les Nomades jusqu’à la lisière du territoire Eltarite...
Plus loin, pendant ce temps-là, les mages de la Cœur de Sève tentaient désespérément d’arrêter les flammes qui grignotaient les arbres un par un. Une petite partie, mais néanmoins trop importante, de la forêt s’était déjà consumée sous les regards médusés de Kei’zan et de ses semblables. Leur magie s’avérait inefficace contre le pouvoir divin. Chaque arbre qui brûlait était un coup de couteau dans le cœur des Daïs, eux liés à la nature plus que toute autre créature. Kei’zan avait gaspillé toute sa magie, en vain... Les autres tentaient de trouver des solutions mais aucune ne fut efficace. Yilith et Ayir approchèrent d’eux avec prudence. Kei’zan se releva et alla à leur rencontre, intrigué.
- Désolée de venir vous perturber, dit Yilith à l’attention du chef de la Cœur de Sève.
- Vous ne nous dérangez pas, j’ai bien l’impression que c’est peine perdue, répondit-il avec défaitisme.
Les autres mages arrêtèrent aussitôt en entendant ces paroles.
- Pouvons-nous essayer... à notre manière ?
- Bien sûr, mais je dois vous prévenir la magie est inutile contre ce phénomène.
- Nous ne pratiquons pas la magie. Écartez-vous, placez-vous derrières ces arbres et ne regardez pas, je vous prie.
Parleroche et le Sachem émirent des protestations, mais Kei’zan usa de son autorité. Ils n’arrivaient pas à éteindre ces flammes, du coup toute aide était la bienvenue. Une fois qu’Yilith eut jugé la situation sûre pour les êtres de la forêt elle s’attela à la tâche. Elle se plaça au centre de la petite clairière et planta sa lance droit devant elle, pointe vers le haut.
- Prête ? Demanda-t-elle à Ayir.
- Pas vraiment, je ne sais pas quoi faire...
- Pose tes mains sur la lance, ferme les yeux et dirige tes pensées vers Edda la créatrice. Trouve les mots justes, supplie-la du mieux que tu peux.
- C’est tout ?
- C’est déjà beaucoup, je m’occupe du reste...
Ayir obéit à la prophétesse. Malgré la chaleur elle se concentra du mieux qu’elle put. Edda était la déesse principale du panthéon vénéré par les Elfes de Glace. Selon leurs croyances le souffle d’Edda créa le glacier d’Améthyste et ses larmes devinrent les Varelses, les Elfes de Glace.
Elles restèrent ainsi, les yeux clos pendant une demi-heure, priant Edda de stopper les flammes rongeant cette forêt. Non loin de là Kei’zan et les autres ressentirent la chaleur baisser progressivement, puis vint le froid de plus en plus glacial.
- Qu’est-ce qu’il se passe, demanda Parleroche voyant les arbres se couvrir de gel.
- Regardez ! Hurla le Sachem en montrant le haut des arbres. Les flammes... disparaissent.
Effectivement, alors que les arbres se couvraient de gel il n’y avait plus aucune flamme. Prenant le risque Kei’zan alla voir. Il retrouva les deux elfes de glace au milieu de la clairière. Le paysage était hivernal recouvert de glace.
- Comment avez-vous accompli un tel miracle ? Questionna le Daïs stupéfait par le prodige.
Ayir lâcha la lance d’Yilith en regardant à droite et à gauche.
- On dirait la forêt blanche, dit-elle avec une certaine joie.
- Un peu oui, répondit Yilith. Puis se tournant vers le Daïs. Ce qui est fait par un dieu peut être défait par un autre. Nous pouvons éteindre cet incendie, cela nous prendra du temps.
- Prenez tout le temps que vous voulez, vous êtes ici... chez vous.
Chapitre 3 - Esprits de l'hiver
A ce moment-là de l’aventure la forêt des Eltarite n’avait pas encore été enflammée par la présence divine de l’avatar de Sol’ra. Eikytan le Daïs en charge de garder l’hiver s’était réveillé plus tôt que prévu. La situation particulière du monde de Guem l’inquiétait, lui l’un des premiers fruits de l’Arbre-Monde, n’avait jamais été aussi préoccupé. Le danger omniprésent l’oppressait aussi surement que cette neige qui commençait à tomber lentement. Eikytan laissa Kei’zan et les gens de la Draconie avec l’oeuf du Mangepierre, jugeant temps de partir réveiller les esprits de l’hiver. Le Sachem vit partir le Daïs, intrigué il alla le rejoindre.
- Je peux vous accompagner, Ancien ? Demanda-t-il avec beaucoup de respect.
- Si tu ne crains pas le froid, oui. J’aimerais parler avec toi. Nous avons beaucoup de marche jusqu’aux territoires du nord.
Tous deux longèrent l’Ondoyante le fleuve qui coupait la forêt dans un axe nord-sud. Eikytan s’étonna de voir la neige fondre en touchant le sol.
- De quoi voulez-vous parler, Ancien ?
- Je vis depuis très longtemps et à chacun de mes réveils je ne peux qu'assister à la lente disparition de nos coutumes. Beaucoup d’esprits et de créatures ne semblent plus parcourir la forêt. Que s’est-il passé ??
- C’est une question à laquelle je vais avoir du mal à répondre. Ma tribu et moi avons passé plusieurs dizaines d’années à l’autre bout du monde ignorant nos frères et sœurs, enfermés dans des croyances en parties fausses. Si je n’ai pas de point de comparaison je peux néanmoins vous dire ce que moi je vois.
Les mâles Elfine se montraient souvent très sensibles à leur environnement, en cela ils faisaient de bons chamans et des chefs respectés.
- Livre-moi tes impressions, Akem.
- Akem, répéta l’Elfine. Ce nom est l’illustration de l’idée que je veux vous faire passer. Lorsque la forêt est en danger les forces convergent afin de faire face. Je ne pense pas que cela soit par hasard que ma tribu soit de retour, que le Mangepierre attire l’attention, qu’Akem et moi ayons passé un pacte. Vous vous êtes réveillé et à votre tour vous comptez agir en appelant les esprits de l’hiver. Je crois que vous êtes blessé par la disparition de l’Arbre-Monde et que depuis vous avez l’impression que plus rien ne va. Pour ma part je pense que cela a évolué autour de vous, mais pas avec vous.
Eikytan marcha une longue heure sans dire un mot méditant les paroles du Sachem. Ce dernier tenta à plusieurs reprises de renouer le dialogue pensant avoir froissé le Daïs, mais rien n’y fit jusqu’à leur arrivée dans une région froide de la forêt. La neige tombait plus intensément, les arbres avaient perdu leurs feuilles. Là, Eikytan tourna en rond, visiblement désorienté.
- Ça ne va pas, Ancien ? Nous sommes déjà passés par là à plusieurs reprises.
- La présence des esprits de l’hiver est très diffuse c’est étrange. Tu as raison Akem, je n’aime pas l’évolution du peuple Eltarite, je n’aime pas le changement. Ne pas ressentir les esprits de l’hiver n’est pas dans la normalité, ce qui me fait dire qu’il y a eu du... changement, dit Eikytan dont le ton était monté. Allons au totem de l’hiver, à partir de là je pourrais les faire venir.
- D’accord, je ne connais pas cette partie de la forêt, je vous suis.
Le Sachem observa bien le Daïs, il avait considéré ces créatures comme mauvaises toute sa vie. Les côtoyer en disait long sur leur façon de penser et sur leur nature. D’ailleurs le phénomène auquel il assista avec le gardien de l’hiver l’intéressa vivement. Lorsqu’ils quittèrent le village du Sachem, le Daïs était vouté et marchait lentement. Mais depuis que la neige était abondante et qu’il faisait plus froid il était plus alerte et redressé, littéralement changé. Il ne résista pas à lui demander les raisons de ce brusque changement.
- Je suis le gardien de l’hiver, lorsqu’il fait froid, que la terre est gelée et que les animaux dorment en attendant des jours meilleurs, je suis au plus haut de mes capacités. Lorsque le printemps s’approchera je déclinerai jusqu’au moment où le sommeil me gagnera à nouveau. Ça sera alors le tour d’un autre gardien de prendre le relais.
- Je comprends, merci pour votre réponse Ancien.
- Nous y sommes, regarde. S’exclama Eikytan en montrant un pilier au milieu d’une clairière.
Le totem était un immense bloc d’ambre sculpté. La neige s’était agglutinée dessus le couvrant en partie. Le Daïs alla jusqu’à lui et en fit le tour.
- Les pierres ne sont pas là !!
- De quoi parlez-vous ?
- Il y avait là quatre pierres magiques. C’est grâce à elle que le totem peut être activé. Là je ne peux pas réveiller les esprits de l’hiver !
Le Sachem frotta la neige sur le totem, confirmant les animaux qu’il représentait - un élan, un loup, un lapin et un hibou. Il y avait effectivement un emplacement pour quatre objets aussi gros qu’un œuf de poule.
- Me permettez-vous de voir l’histoire des lieux ? Comme ça je pourrais expliquer ce qu’il s’est passé.
Eikytan acquiesça. Le Sachem s’assit en tailleur à quelques mètres du totem et se concentra. Il avait déjà utilisé ce sortilège dans les Confins.
- Voyez-vous Eikytan lorsque l’on utilise la magie du temps il y a toujours un risque de se faire happer. Je compte sur vous pour me ramener ici si vous me voyez disparaître.
Le Sachem forma un “V” avec ses bras de façon parallèle au sol.
- Esprits du temps passé, entendez-moi, libérez-moi des chaînes du présent. Je parcours le chemin de la grande trame...
Des images défilèrent dans sa tête, plusieurs jours et plusieurs nuits se succédèrent, le temps fila vers le passé. La neige disparut, les feuilles au sol remontaient sur les arbres environnant, puis enfin une créature apparut. Le Sachem usa de sa magie pour ralentir ce passage jusqu’à l’arrivée de celle-ci. Son apparence était celle d’une pie, un oiseau au plumage noir taché de blanc. Ses ailes étaient aussi des bras et son allure générale ne laissait planer aucun doute sur son origine elle fait partie du peuple Eltarite. Elle descella avec agilité les quatre pierres et les mit dans une bourse de cuir.
Eikytan fixa le Sachem qui était parfaitement immobile. Il resta ainsi une bonne demi-heure car au bout de ce laps de temps le corps du Sachem commença à devenir légèrement translucide. Aussi décida-t-il d’interrompre ce petit rituel en secouant son compagnon Elfine. La magie cessa et le Sachem revint de son voyage dans l’histoire de ce lieu. Prenant une grande respiration il se releva tant bien que mal, il ne sentait plus ni ses jambes ni son fessier. Il serra la fourrure d’Akem sur son torse pour se réchauffer.
- Alors qu’as-tu vu ?
- Brrrr... J’ai vu une femme-oiseau, elle a volé les pierres et est repartie comme si de rien n’était.
- Une femme-oiseau dis-tu... est-ce qu’elle avait des tâches blanche sur ses ailes ?
- Oui, c’est ça, elle avait aussi quelque chose au niveau du bec.
- Une Laken. Ils ne sont plus qu’une poignée. Si je ne me trompe pas ils vivent non loin de là. Une petite visite s’impose.
Et les voilà repartis, bravant la neige et le froid. Le Sachem à bout de résistance n’eut pas le choix, il fit appel à la puissance d’Akem et se transforma en homme-félin. Le pelage le réchauffa vite et le temps ne l’importunait plus, rendant leur progression vers le territoire Laken plus facile. Le paysage ne changeait guère mais l'apparition de longues plumes noires et blanches attachées aux branches indiquait que la frontière était franchie. Akem repéra vite la forme noire volant vers eux et il reconnut la voleuse des pierres. Il fit signe à Eikytan qui imagina immédiatement un plan d’attaque. La Laken n’eut pas le temps de faire quoi que ce soit que des racines poussèrent de manière fulgurante jusqu’à elle, lui agrippant les pattes. Eikytan tira les racines vers le sol mais la Laken résistait farouchement à grands battement d’ailes. Lorsqu’elle fut suffisamment à portée, Akem après avoir pris un peu d’élan lui bondit dessus. Désormais incapable de maintenir le vol elle s’écrasa dans une chute amortie par l’épais manteau neigeux. Akem et Eikytan l’immobilisèrent rapidement à grand renfort de racines.
- Qu’as-tu fait des pierres ? Interrogea Akem en tenant lui tenant la gorge.
Apeurée et choquée par l’agression dont elle venait d’être la victime la femme-oiseau secouait la tête dans tous les sens, tentant de se dépêtrer de ses liens en émettant des gémissements aigus.
- Attend Akem, regarde son bec, dit Eikytan en montrant l’étrange bijou empêchant la Laken d’ouvrir le bec.
- Arrête de bouger on te fera rien !
Eikytan se pencha vers elle.
- Je vais enlever une partie des racines, ensuite tu as intérêt à trouver un moyen pour nous expliquer ton geste. Je suis très peu enclin à la patience, ton geste m’empêche de réveiller les esprits de l’hiver et de protéger cette forêt ! Hoche la tête si tu as compris.
La Laken indiqua quelle avait parfaitement compris et Eikytan renvoya les racines à par celles qui lui retenaient les pattes.
- Où sont les pierres insista Akem.
La Laken montra du doigt Eikytan et Akem puis montra le bijou sur son bec, elle répéta ce geste pour bien se faire comprendre. Devant la mine ignare d’Akem et celle impassible du Daïs, elle dégagea la neige et ramassa quelques cailloux. Puis lentement elle répéta le geste, montrant le bijou et donnant les cailloux à Akem qui comprit le message.
- Tu veux qu’on t’enlève le bijou en échange des pierres ??
Elle répondit oui de la tête.
- Si tu voulais qu’on te libère de ce bijou pourquoi n’as-tu pas demandé à un chaman ?? S’étonna Akem.
La Laken leva les yeux au ciel et haussa les épaules.
- C’est dans sa nature, expliqua Eikytan. Les Laken sont des créatures rusées. Je pense qu’elle a agi ainsi pour me contraindre de l’aider et ce malgré les fautes qui l’ont amené à être punie. Ce petit chantage ne m’étonne pas le moins du monde.
- On ne va pas jouer le jeu j’espère ? Critiqua Akem.
La Laken récupéra les cailloux et les cacha sous la neige, puis par de nouveaux gestes elle fit comprendre que si ils ne l’aidaient pas, jamais ils ne trouveraient les pierres.
- Nous acceptons dit Eikytan mettant un terme au conflit. Rends nous les pierres et je te promets de te rendre la parole.
Akem continua à râler, mais le Daïs ne l’écoutait plus, se focalisant sur sa tâche. La Laken les emmena à peine quelques centaines de mètres plus loin, au bord d’une étendue d’eau glacée où elle indiqua avoir caché les pierres.
- Je ne sens aucune magie ici. Je ne les aurais jamais trouvés dans un tel endroit, dit Eikytan en avançant prudemment sur la glace.
Puis la Laken s’arrêta indiquant par-là que les pierres étaient là sous l’épaisse glace. Le gardien de l’hiver brisa la glace du bout de son bâton à plusieurs reprises, laissant un espace suffisant pour que quelqu’un puisse plonger. Derrière lui la Laken et Akem priaient pour qu’on ne le leur demande pas de plonger dans l’eau glaciale. Ce ne fut pas le cas, ne craignant pas les froid Eikytan plongea sans hésiter. Il n’y avait pas beaucoup de profondeur mais la lumière était très faible, se diffusant avec difficulté au travers de l’épaisse glace. Eikytan n’avait pas le même métabolisme que les Elfine ou que les humains, les Daïs pouvait rester sous l’eau bien plus longtemps. Désormais au fond du lac et au prix de beaucoup d’efforts il trouva enfin la bourse de cuir dont il vérifia rapidement le contenu. En ouvrant la pochette la magie des pierres lui sauta presque à la figure. Akem loin d’être rassuré par les fissures sur la glace aida malgré tout Eikytan à sortir de l’eau, il traîna ensuite le Daïs loin de l’étendue afin de ne pas être mouillé, lorsqu’il devenait Akem le Sachem ressentait une certaine répulsion pour tout ce qui était lac, rivière et autre. Bref, Akem était un chat.
Eikytan examina mieux la bourse. Lorsque celle-ci était fermée il ne ressentait pas la magie des pierres.
- Du cuir de Zanil n’est-ce pas ? demanda le Daïs.
- Zanil ? Demanda Akem.
- Le Zanil est un animal insensible à la magie, aujourd'hui cette espèce est éteinte, éradiquée par les hommes pour la faculté de cette peau. Dit-il en rendant la bourse.
La Laken hocha la tête positivement, puis elle s’approcha de lui si bien qu’ils finirent face contre face. Elle lui montra le bijou sur son bec.
- Je vais respecter ma parole et te délivrer de ça. Mais attention à tes paroles, il me serrait facile de te le remettre.
Eikytan caressa le long bec de la Laken et s’attarda sur le bijou, une fine tige de métal ouvragé. D’un coup le métal bougea comme s’il était vivant puis lentement comme s’il s’agissait d’une corde Eikytan tira dessus. La Laken ouvrit grand le bec, heureuse d’être enfin débarrassé de cette chose. Elle se jeta dans les bras du Daïs qui resta insensible à cette étreinte.
- Merci merci merci merci, dit-elle d’une voix à la fois stridente et croassante.
- Ne me remercie pas j’étais obligé et pressé, mais j’en ai pas fini avec toi. Quel est ton nom femme Laken ?
- Les autres m'appellent Chapardeuse, j’ai jamais vraiment compris pourquoi.
- Parce que tu es une voleuse ! Ironisa Akem.
- Akem ! Je t’ai déjà dit que pour les Lakens le vol est quelque chose de normal. Ne tardons pas plus, retournons au totem.
Eikytan aidé de Chapardeuse remirent en place chaque pierre dans chaque emplacement prévu à cet effet. Le totem d’ambre vibra lorsque la dernière pierre fut remise, alors toute la neige collée dessus s’en alla.
- Contemplez la magie de l’Arbre-Monde. C’est Quercus lui-même qui le sculpta autrefois et qui me lia à lui. Je sens les esprits de l’hiver proches, ils sont bien là.
Eikytan planta son bâton devant lui, la neige tournoya lentement autour du Daïs et du totem.
- Alors que le froid mord la terre et que la glace griffe l’écorce, maintenant que tous dorment en attendant les beaux jours, parcourrez de nouveau notre territoire. Esprits de l’hiver éveillez-vous où que vous soyez !
Eikytan répéta une dizaine de fois cette invocation et à chaque fois les pierres du totem brillaient de plus en en plus. Finalement toute cette structure d’ambre s’illumina, emplie de magie. Le Daïs était en transe, il était en harmonie avec la forêt des Eltarites. Il ressentait l’éveil de chacun des esprits de l’hiver. Lorsque le rituel cessa, le totem redevint inerte, tout comme les pierres.
- C’est fait ? Interrogea Akem.
- Les esprits de l’hiver se réveillent, ils nous aideront sûrement. Chapardeuse, j’aimerais à présent que tu me rendes un service, tu veux bien ? Parmi les esprits de l’hiver il y a quelques Laken, comme toi, ils sont vers le nord. J’aimerais que tu les rencontres pour les convaincre de nous rejoindre. Je les sais peu enclins à se mêler aux autres. Sur ta route si tu croises d’autres personnes dis-leur qu’il est important de se regrouper, nous serons au sud-est de la forêt.
Chapardeuse posa sa main plumeuse sur la joue du Daïs.
- Je veux bien.
Puis d’un bond elle s’envola, la neige glissant sur son plumage.
- Akem, je dois m’entretenir avec des esprits de l’hiver non loin de ton village, je dois savoir ce qu’est devenu Quercus. A présent rentrons.
Chapitre 4 - Le choix de Kei’zan
Le vent froid soufflait entre les branches nues des arbres de la forêt Eltarite. L’arrivée providentielle des Elfes de Glace venus du lointain renversa le cours de la bataille opposant les fidèles de Solar et la Cœur de Sève. Cette dernière, dépassée par son incompréhension vis à vis des pouvoirs de leurs adversaires n’aurait pas fait long feu.
A présent le calme régnait. Les Nomades, repoussés loin de là, ne montraient plus de signe d’activité depuis une demi-journée, laissant aux valeureux guerriers de la forêt un moment de répit salvateur. Il y avait de nombreux blessés parmi eux - Ydiane, Parlesprit et même Ursyd dont la folie meurtrière l'avait exposé aux lames adverses et qui saignait d’une profonde entaille. Maïlandar le vénérable chasseur ramassa sa lance brisée en plusieurs morceaux.
- Raah, quel dommage... une si belle arme. Dit-il avec une pointe de tristesse.
- Je t’en ferais une autre, je ne peux pas te laisser ainsi, rigola Gaya en lui soutirant les morceaux de lance.
- Mouais, te moque pas, je l’avais depuis bien avant ta naissance. Répliqua-t-il en s’éloignant.
Kei’zan se désolait de voir un tel gâchis. La nature brisée mettrait bien des années à se régénérer et certains arbres porteraient les stigmates de cette bataille pour des siècles. Mais ce ne fut pas la seule chose que Kei’zan déplora car la venue d’une nouvelle personne annonça que le malheur s’était abattu sur eux. Alors que les Elfes de Glace et les Eltarites pansaient leurs blessures Parleroche leva subitement la tête son attention attirée par une drôle de sensation.
- Quelqu’un approche ! Dit-il en examinant les environs.
Les uns et les autres cherchèrent aussi, craignant que l’ennemi ne frappe à nouveau. Ce ne fut pas un Nomade qui au détour d’un arbre se montra, mais un Hom’Chaï. Pas n’importe lequel, celui-ci arborait des écritures peintes sur son visage rappelant deux autres séries d’écritures sur ses larges bras. Ses vêtements simples et ses cheveux en bataille lui donnaient un aspect assez sauvage. Parleroche le reconnut aussitôt.
- Garde-les-totems... sa voix s’essouffla alors...
Garde-les-totems ? Kei’zan l’avait déjà entendu lors de ses voyages dans les différents villages de la forêt.
- Que viens-tu faire ici ? Interrogea Maïlandar, se refusant à admettre la vérité, lui aussi connaissait les écritures sur le visage de cet inconnu.
Vite entouré des Hom’Chaï et Elfines présents, le nouvel arrivant toisa d’un air grave cette assemblée de braves. Une sorte de rite débuta alors, Rargnor se plaça au centre du cercle, face à Garde-les-totems.
- N’approche pas, nous sommes les gardiens de l’Arbre-Monde. Dit Rargnor de manière forte, presque agressive.
Garde-les-totems fit alors apparaître un totem d’ambre d’une moitié d’Hom’Chaï de hauteur.
- Les esprits m’ont parlé, ils m’ont annoncé la bataille, ils m’ont hurlé votre victoire, ils m’ont pleuré le nom de celui qui se meurt... répondit Garde-les-totems.
Apparemment la réponse du nouvel arrivant perturba les Hom’Chaï et les Elfines. Les Elfes de Glace ne comprenaient pas ce qui se déroulait sous leurs yeux. Ayir questionna Kei’zan. - C’est un gardien des morts. Il vient chercher quelqu’un sur le point de mourir.
Les Elfes de Glace portèrent leur attention sur la suite du rite.
- N’approche pas car nous ne savons pas qui tu viens chercher, répliqua Rargnor en écartant les bras.
- J’ai gravé ce totem dans l’ambre de l’Arbre-Monde... Ne tardez plus que le souffle ne soit pas perdu... N’attendez plus car Marque-Rouge le guerrier, braves parmi les braves se meurt.
A cet instant le nom de l’Hom’Chaï fut tel un poignard perçant le cœur de ses compagnons. Et le cœur d’Ydiane ne fut pas que transpercé, il lui fut littéralement arraché.
- Marque... Rouge... balbutia-t-elle, les larmes noyant ses yeux couleur d’or. Où ??
L’archère brisa le cercle du rite, s’élançant alors par-dessus les broussailles à la recherche de son ami et compagnon.
- TROUVEZ-LE !! Hurla-t-elle en tournant la tête dans tous les sens. Trouvez-le !
Tous se mirent à sa recherche, mais cela ne servait à rien car Garde-les-totems lui savait précisément où trouver le guerrier tombé. Marque-Rouge appuyé contre une paroi rocheuse se tenait la poitrine. Sa main droite était couverte de sang et le fluide vital se répandait lentement mais avec régularité. Son cœur battait encore, mais pour combien de temps encore ? Ydiane vit Garde-les-totems partir dans une autre direction et le suivit jusqu’à Marque-Rouge.
- NON ! Non, non, non, non ! Tu ne dois pas mourir ! Cria-t-elle avec rage à son ami agonisant.
Ydiane se jeta presque sur lui, la main tremblante. Marque-Rouge les yeux mi-clos avait l’impression de flotter hors de son corps. L’Elfine vit Dame Yilith et la supplia de faire quelque chose, elle l’avait vu guérir tant de blessures que celle-ci ne devrait pas poser le moindre problème. Avec délicatesse la prophétesse souleva l’imposante main de l’Hom’Chaï et examina la blessure. Mais il n’y avait plus rien à faire.
- La blessure est trop profonde... Son sort est déjà entre les mains des dieux... Je... Je suis désolée.
Ydiane laissa sa tristesse parler, les larmes coulaient abondamment sur ses joues devenues pâles. Marque-Rouge alors que la vie le quittait aperçut Ydiane derrière ce voile qui lui brouillait les yeux. Il eut juste assez de force pour poser sa main sur la joue de celle qui partagea sa vie.
- T’en fais pas... C’était... bien... nous deux.... chuchota-t-il.
- Marque-Rouge, mon nom est Garde-les-totems, je viens capturer ton dernier souffle pour qu’à jamais ce qui fut toi perdure.
L’Hom’Chaï inclina la tête, comprenant que son heure était venue.
- Je suis... prêt. Puis regardant Ydiane. Je serais... toujours... dans ton cœur...
Sentant la fin de Marque-Rouge proche, Garde-les-totems se mit à l’œuvre. Il planta le totem d’ambre devant le mourant. Celui-ci s’illumina doucement. L’Hom’Chaï fut alors comme hypnotisé, la douleur le quitta, il eut de moins en moins conscience de ce qui l’entourait. Puis son cœur cessa de battre...
Le totem s’illumina plus fortement et Garde-les-totems cria dans la vieille langue des esprits, ordonnant à Marque-Rouge de se lever et de rejoindre sa dernière demeure. Une sorte de fantôme, réplique spectrale du défunt sortit du corps de Marque-Rouge. Toute l’assemblée fut bouleversée, Ydiane, soutenue par Melissandre, dit au revoir à celui qu’elle aimait. Le fantôme adressa un sourire à ses anciens compagnons d’aventure et les salua d’un geste de la main. Puis Garde-les-totems le convia à rejoindre le totem d’ambre, ce qu’il fit immédiatement.
- C’est fini. Vous pouvez m’accompagner si vous le souhaitez, dit le chaman.
Kei’zan perdu dans ses pensées n’entendit pas l’invitation. Il se remémorait les mois passés et les différentes discussions qu’il avait eues avec les plus grands chamans de la forêt. A cet instant précis il pensait à Marque-Rouge bien sûr, mais aussi à la Griffe, cette orpheline qu’il avait recueillie et aimée comme sa propre fille. Sa peine était encore bien présente lorsqu’il incanta le sortilège de retour à la terre sur l’Hom’Chaï. Les racines agrippèrent le corps inerte avant de doucement s’enfoncer dans le sol de la forêt endormie par l’hiver. Le Grêlé qui connaissait bien son frère remarqua les troubles qui envahissaient l’esprit de Kei’zan.
- Qu’as-tu ?
Kei’zan fit signe à son frère pour discuter loin des autres.
- Je suis fatigué. Chaque jour qui passe apporte son lot de malheur sur notre peuple, dit-il d’une voix étonnement calme.
- Ce n’est pas la première fois que nous traversons une tempête.
- Mais celle-ci peut être la dernière.
- Pourquoi le serait-elle ?
- Mon frère, m’accompagnerais-tu jusqu’au mont Ulmus ?
- Qu’est-ce que tu veux faire là-bas ?
- Tu verras.
- D’accord allons-y.
Les deux Daïs prévinrent le reste de la Cœur de Sève, mais Parlesprit, qui avait intercepté la discussion, se proposa pour ce petit voyage. Les Daïs s’en allèrent donc, confiant la sécurité de l’orée de la forêt aux Elfes de Glace, laissant aussi les Elfines et les Hom’Chaï faire leurs adieux à Marque-Rouge.
Le mont Ulmus était le point central de la forêt Eltarite. En réalité c’était plus une grosse colline qu’une montagne. Ce monticule était entouré d’Ormes magnifiques. Et au sommet rien ne poussait. Autrefois Kei’zan tenta de faire pousser une graine de l’Arbre-Monde. Mais cela s’avéra un échec car la jeune pousse ne trouva pas assez de force pour lui assurer la survie. Beaucoup de Daïs avaient vécu ici et la plupart d’entre eux avaient disparu depuis bien longtemps. Le groupe retrouva sur place Eikytan qui ne put expliquer pourquoi il était là, une simple intuition l’avait attiré. Il ne fut d’ailleurs pas le seul à venir, d’autres Daïs, plus d’une vingtaine, arrivèrent les uns après les autres.
- Qu’est ce qu’il se passe ? Demanda le Grêlé.
- Ils viennent pour moi, répondit Kei’zan.
- Que vas-tu faire ? Je ne comprends pas.
- Quoi qu’il se passe, n’interviens pas !
Kei’zan monta à mi-colline pour faire face à cet incroyable rassemblement.
- Nous sommes tous là ! Voilà tout ce qu’il reste des fruits de l’Arbre-Monde. Nous étions si nombreux en ce temps-là, avant que l’Arbre-Monde n’explose, nous laissant orphelins et sans avenir. A ce moment là Kei’zan fit appel à sa magie et se transforma comme il l’avait fait lors de leur toute première confrontation avec les Nomades. Son aspect s’approcha alors de celle d’un arbre, son visage devint une sorte de flamme verte. Tous les Daïs aux alentours ressentirent le pouvoir immense du Kei’zan.
- Que fais-tu ? demanda Eikytan. Tu veux faire comme Quercus et nous laisser à notre sort, regretta-t-il.
- Quercus n’est plus, il est devenu un arbre mais aucun de se fruits ne donne la vie. J’ai bien réfléchi et je pense avoir la solution. Mes frères il est temps de faire renaître l’Arbre-Monde !
Kei’zan sortit d’un sac de toile la dernière des graines de l’Arbre-Monde en possession des Eltarites. Il se concentra et diffusa sa magie gardant en tête son objectif - fournir suffisamment d’énergie à la graine pour pousser puis fusionner avec elle. La magie se ressentit à des lieues à la ronde.
- Vous me protégerez, c’est désormais votre priorité, dit le Kei’zan alors que la graine qu’il tenait fermement avait éclos.
Le Grêlé resta surpris par le choix et l’audace de son frère, personne n’avait tenté cela avant lui et si cela échouait il le perdrait. Mais il n’eut pas le temps de réagir. Kei’zan marcha jusqu’au sommet du mont Ulmus et fit face aux autres Daïs. Là, il mêla par magie cette graine avec son corps. Cette fusion le transforma, ses pieds s’enfoncèrent dans la terre de la colline, ses jambes et son torse devinrent un tronc d’arbre et ses bras de multiples branches. Kei’zan était désormais un magnifique orme, jeune et à en juger par les feuilles et les bourgeons, vigoureux. Dans son tronc, bien visibles, des dizaines de petits cristaux verts pulsaient de magie.
Les Daïs n’en revinrent pas et Eikytan le plus ancien existant à l’heure actuelle ressentit en cet arbre la puissance d’un Arbre-Monde.
- Le printemps approche.
Artrezil
Chapitre 1 - Affranchi
Le Manoir de Zejabel brûlait. Farouche et les Combattants de Zil venaient de remporter une grande victoire face aux Néhantistes. Durant les combats, Télendar était réapparu, venant exécuter la sentence des Envoyés de Noz'Dingard...
L’ancien chef Zil fut vite entouré par ses camarades et assailli de questions sur ce qu’il s’était passé depuis plus d’un an, comment il avait entendu parler de l’attaque de la guilde, du manoir de Zejabel et à peu près un million d’autres questions. Le jeune homme ne sut plus où donner de la tête, ni ne sut à quoi répondre en premier.
- Laisser-le ! Mais laissez-le ! Cria Sangrépée. De toute façon il nous doit des explications ! Dit-elle d'un ton teinté de reproches.
Farouche écarta tout le monde pour se frayer un chemin jusqu’à Télendar. Elle le fixa en plissant les yeux.
- Dis donc toi ! Tu crois que tu peux revenir comme ça au milieu d’une bataille, buter notre cible et faire comme si de rien n’était ?, râla-t-elle. Encore heureux que notre plan était imparable.
Le plan n’était pas si imparable que ça, sans son intervention Dimizar s’en serait tiré. Puis une partie de la clique Néhantiste avait réussi à fuir, on lui devait une partie de cette demi-victoire. Mais Télendar ne pipa mot, comprenant qu’il avait quelques comptes à rendre et l’histoire de ses aventures à raconter à ses anciens camarades de jeu.
- Je ne crois rien Farouche, je vais vous raconter tout ça.
Puis voulant changer de conversation.
- La vache ! Tu as grandi depuis la dernière fois que je t’ai vue, t’es une femme maintenant !
Farouche se mit à rougir d’un coup, déclenchant l’hilarité de la troupe.
- Ouais ouais, allez tout le monde, on retourne au chapiteau, mission accomplie ! Cria-t-elle embarrassée.
Une bonne heure plus tard, à la nuit tombante, la guilde retrouva son chapiteau. Télendar se sentit mieux rien qu’à la vision de ce dernier, lui rappelant bien des souvenirs. Alors que la colonne de fumée du manoir de Zejabel incendié s’éparpillait sous la faible lueur du crépuscule, les Zils organisèrent rapidement une fête à l’occasion de leur victoire. Les éclats de rires emplirent le chapiteau, chacun y alla de sa petite anecdote, certains mimèrent même des combats contre les Néhantistes à grands renforts de gestes et d’exagérations. Ergue, Soriek et Granderage, redevenus eux-mêmes expliquèrent comment ils avaient détruit “l’être de cristal rouge et noir” d’un seul coup et à la force de leurs poings. Malgré l’apparente bonne humeur de tout le monde Farouche ne quitta pas des yeux Télendar qui, lui, était dans un coin et souriait à l’humour parfois particulier de ses congénères. Farouche se leva de son énorme coussin et se racla la gorge.
- Combattants de Zil, nous avons remporté la bataille, mais pas la guerre. Ce soir fêtons jusqu’au bout de la nuit. Mais lorsque le jour se lèvera demain nous nous remettrons en route, la chasse n’est pas finie. Notre première mission est accomplie, Abyssien sera averti de ce qu’il s’est passé au Manoir de Jezabel et nul doute que nous continuerons la traque des Néhantistes.
Farouche se gratta le nez et regarda Telendar.
- Bon à toi la parole, annonça-t-elle avec monotonie.
La phrase de Farouche fut accueillie par des “Ouais Télendar !” “Explique-toi !”. Le jeune homme se leva à son tour pour se placer au milieu de la piste. Il n’avait jamais aimé prendre la parole en public, même du temps, pas si lointain, où il était le dirigeant de cette guilde. Mais il fallait faire un effort pour montrer qu’il avait changé.
- J’ai toujours aimé me battre. J’ai toujours aimé la violence, je suis né avec le don de donner la mort. Dimizar l’avait bien compris et grâce à Masque de fer il réussit à mettre sous son influence toute la guilde. Il nous a gardés, Silène, Sélène et moi-même sous son contrôle pour se servir de nous. Je ne réalisais pas ce que je faisais, je me souviens encore du visage de chaque homme, chaque femme et de chaque enfant que j’ai tué durant cette période et cela me hante. Sans pouvoir m’y opposer. Dimizar m’a fait assassiner Prophète, attirant sur les Combattants de Zil les foudres des Envoyés de Noz’Dingard.
Télendar se remémorait son malheureux parcours avec douleur, car à présent il évoquait une période encore plus sombre.
- Dimizar ne s’arrêta pas à quelques assassinats, je suis devenu un cobaye, faisant des expérimentations que je ne souhaiterais à personne de vivre. A cette époque j’aurais aimé mourir, j’ai supporté l’insupportable. Quand enfin il en eut fini avec moi, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Comprenant que je ne lui étais plus utile il m’a alors livré à vous sous le déguisement de ce traître de Masque de fer. A partir de là vous connaissez la suite. Après avoir été soigné par Kriss, que je ne remercierai jamais assez, Abyssien a décidé, à raison, de me livrer au Conseil des Guildes. Puis on me confia aux Envoyés de Noz’Dingard pour être jugé. Je m’attendais à la mort, une mort rapide qui me délivrerait enfin de mes maux. Mais tel ne fut pas le cas. Les Draconiens ont jugé que le seul responsable était Dimizar et que celui-ci devait payer pour son crime. La sentence à mon encontre fut de tout mettre en œuvre pour retrouver le Néhantiste et le tuer. La magie de Dragon devait me contraindre à exécuter cette sentence. J’ai suivi les pistes pendant plusieurs semaines et j’ai profité de votre attaque pour m’infiltrer dans le manoir et trouver ma cible. Voilà, mon histoire Combattants de Zil.
Le silence tomba sur le chapiteau. Tout le monde avait écouté avec beaucoup d’attention. Sombre se leva, ses cheveux étaient ébouriffés de la bataille passée.
- Alors Dimizar est mort ?
- A priori, non. Je sens encore la magie de Dragon sur moi, ça veut dire qu’il a survécu, et que je vais continuer à le chercher. Dit Télendar un peu désappointé. Je profite aussi d’avoir la parole pour demander à Abyssien si je pouvais revenir parmi vous.
Farouche s’avança prêt du jeune homme et lui attrapa l’épaule.
- Tu ne dois pas le savoir, mais Abyssien ne dirige plus la guilde, il est désormais au Conseil des Guildes. C’est moi la chef maintenant ! Bon, moi je veux bien que tu reviennes, mais...
Elle tourna la tête vers les autres combattants de Zil.
- Est-ce que vous pensez que Télendar mérite de revenir parmi nous ?
Les regards s’échangèrent, d’ordinaire c’est le chef qui prenait ce genre de décision. Farouche jouait là un petit jeu, elle connaissait déjà la réponse, mais il fallait qu’elle se démarque par rapport à ses prédécesseurs. Ergue, Granderage et Soriek furent les premiers à crier “Oui ! Oui ! OUI !”, suivi par les autres, même ceux qui ne connaissaient pas Télendar finirent par répondre par la positive.
- Te revoilà Combattant de Zil ! Libère-toi du poids de la culpabilité envers nous. Puis lui chuchotant à l’oreille. C’est grâce à toi que j’ai voulu intégrer cette guilde, dit-elle en rougissant, ça me fait plaisir que tu reviennes.
La réintégration de Télendar fut une raison supplémentaire pour continuer la fête jusqu’au bout de la nuit. Mais tous ne furent pas de la fête. Salem de part sa nature préférait rester à l’écart. Mais ce n’était pas la seule raison. Depuis quelques jours il se sentait... mal, ce qui pour lui était inhabituel. Il claudiqua dans une démarche plus confuse qu’à la normale et d’un coup il s’effondra comme une poupée jetée à terre.
-QuE.. QuOI ??
La matière ombreuse jusqu’à présent bien cachée dans l'épouvantail commença à couler de son visage. Salem plaqua une main sur sa figure comme pour retenir l’ombre.
- NoooOOoOn., cria-t-il.
Kriss aussi rodait dehors, le musicien aimait ces soirées de liesse mais il préférait boire à la faveur de la lune qui en cette nuit d’automne était très haute dans le ciel. Les bruits émis par Salem l’alertèrent et il alla voir quels étaient ces étranges bruits. Il vit le pauvre Salem au sol dans une flaque noire.
- Salem ! Qu’est ce que tu as ??
Le musicien n’osa pas trop marcher dans la substance noire. Il n’avait jamais vu ça.
- Ne.. BOuGe pAS... KrISs...
La voix ne provenait pas du pantin de paille, mais de la flaque elle-même. Celle-ci se mit à bouger, prouvant qu’elle était vivante, puis d’un coup un millier de petits tentacules d’ombre en sortirent pour attraper l’épouvantail. La matière noire s’infiltra partout, si bien qu’elle disparut du sol en un clin d’œil. Salem tenta de se relever mais ses forces étaient très faibles. Kriss l’aida et l’installa un peu à l’écart du chapiteau. Il ne voulait pas que les autres Combattants de Zil soient au courant de cet incident.
- Tu m’expliques ? Qu’est ce que c’était ? Demanda Kriss terriblement inquiet.
- jE sAIs paS. Je N’aI plUS Eté CApaBlE de Me maiNTEnir dAns cE CorPS.
- Comme ça ? D’un coup ? Tu veux que je regarde ?
- D’Un cOUp... JE mE sENs FaiBle.
Kriss posa sa main sur la froide surface du bras de Salem et se concentra. Au bout de quelques minutes il dû se rendre à l’évidence qu’il ne trouvait rien qui puisse justifier cet état. Cela l’étonna beaucoup car Kriss se targuait de pouvoir déceler n’importe quelle maladie, qu’elle soit magique ou naturelle.
- Tu n’as rien, rassure-toi.
- NoN, J’Ai quELQue ChOSe jE leSEns. Je RISque dE dISParaItrE KrIss...
- Mais pourtant être dans l’épouvantail te permet de pouvoir perdurer. Bien sur tu n’es plus aussi puissant qu’à l’époque de ta création, mais tout de même. Tu crois qu’Artrezil n’avait pas la magie suffisante pour t’offrir l’immortalité ?
- Il L’AvaIT... C’eST AutrE chOSE.
- Mais quoi ? Si jamais on ne trouve pas, si tu venais à disparaître la guilde perdrait le but de son existence première et nous ne serions plus les Combattants de Zil.
Chapitre 2 - Alyce
La fête avait duré toute la nuit. Le chapiteau dormait paisiblement au rythme des ronflements de ses occupants, une douce odeur d’alcool embaumait l’intérieur. Télendar et Kriss étaient restés plus sages que les autres. L’assassin et le musicien profitaient de la fraîcheur matinale et devisaient sur leur guilde se remémorant leurs aventures souvent incroyables mais très risquées. Ils évoquaient la course poursuite au sein d’une bourgade de Baranthe qui s’était finie dans un tas de fumier lorsqu’un homme à cheval s’arrêta devant eux. L’homme habillé de la livrée du Conseil des guildes regarda les deux Zil avec une certaine appréhension.
- Je vous salue Combattants de Zil. J’ai fait un long chemin jusqu’à vous pour vous porter un message du Conseiller Abyssien, puis-je m’entretenir avec votre chef de guilde ?
- Conseiller Abyssien ? Je m’y ferai pas, dit Télendar en lâchant un petit rire moqueur. Je vais chercher la cheftaine.
Kriss aida l’homme à descendre de sa monture, il le remercia vivement expliquant qu’il avait parcouru la distance depuis le château de Kaes, berceau du Conseil des guildes jusqu’ici en un temps record.
- Ce que vous avez à dire semble urgent, entrez vous reposer et manger un bout, dit Kriss en lui montrant l’entrée du chapiteau.
Le messager ne refusa pas l’hospitalité tellement il était éreinté. Cela faisait peu de temps qu’il travaillait pour le Conseil des guildes et la passion ainsi que le désir de bien faire l’avaient poussé au bout de ses forces. Il s’affala sur un des énormes coussins et tenta de rester éveillé tant bien que mal pour finir sa mission. Télendar revint accompagné d’une Farouche à moitié endormie et le visage plein d'ecchymoses.
- Je suis le chef de cette bande de vauriens, dit-elle en adressant une tape sympathique sur l’épaule de Télendar. Qu’est-ce qu’on peut faire pour le Conseil.
L’homme se remit debout, rajusta sa tenue flambant neuve et se racla la gorge, enfin il se saisit d’un rouleau du sac de toile qui pendait sur son côté. Il en lu le contenu devant tout le monde.
“Chère Farouche,
J’espère que tu t’en sors à la tête des Combattants de Zil et que tu arrives à te faire respecter autant que tu les respectes. Mon intégration au sein du Conseil est finalement moins ennuyeuse que je ne le prévoyais, bien au contraire il s’avère que mes quelques talents trouvent ici une utilité.
Les nouvelles que je te fais porter ne sont pas bonnes et il est très important que tu écoutes attentivement les ordres que je vais te donner. De très nombreux rapports et observations font état d’une activité importante dans les brumes des Confins. Des allées et venues de personnes suspectes ont amené le Conseiller Marlok à enquêter et ses découvertes sont catastrophiques.
Néhant regroupe ses troupes de fidèles et les Néhantistes à sa solde capturent de nombreux esclaves pour accomplir leurs basses besognes. Nous pensons qu’ils ont pour but de libérer Néhant de sa prison.
Cela ne doit pas arriver !
Aussi le Conseil ordonne aux Combattants de Zil de joindre leurs forces aux Envoyés de Noz’Dingard afin de mener un assaut sur les Néhantistes et éradiquer la menace. Le Conseiller Marlok vous attend à la cité frontalière d’Arbenn. Mettez-vous en route dès la réception de ce message. La situation est extrêmement complexe et tendue. Le Conseil va essayer de gérer ce problème ainsi que celui des Nomades. Je te tiens informé.
Abyssien.”
L’homme enroula le parchemin pour le donner à Farouche.
- T’étais obligé de le lire à haute voix ? Protesta-t-elle.
Outré l’homme ouvrit de grand yeux.
- Mais damoiselle c’est ainsi que cela doit être.
- Mouais, bon merci pour tout, restaure-toi et prends du repos. Quant à vous autres Combattants de Zil vous avez entendu les ordres du Conseil des Guildes, on démonte et on se met en route. Arbenn est à une semaine de marche d’ici, ne traînons pas.
Le chapiteau était à terre, les combattants rangeaient tout dans différentes roulottes et certains s’occupaient des quelques animaux. Dans une des carrioles Kriss avait réuni différents membres de la guilde dont Salem, Farouche et le Psychurgiste, ce dernier étant désormais au courant du petit problème rencontré par Salem. Le mentaliste avait examiné l'épouvantail sous toutes les coutures cherchant un quelconque indice sur ce qui provoquait ses crises. Sa conclusion n’était pas réjouissante et confirmait les craintes déjà émises : Salem allait disparaitre. La magie de ce monde était bouleversée et celle qui avait permis la création de Zil, donc de Salem, disparaissait avec le temps. Kriss se devait d’informer son chef.
- Farouche nous avons quelque chose à te dire.
Vu les visages tristes Farouche s’attendait à une terrible nouvelle.
- Je t’écoute, qu’est-ce qu’il y a ?
- Il y a eu un incident hier soir durant la fête. Quelque chose que nous avons du mal à expliquer même si nous avons des théories. J’ai retrouvé Salem par terre dans une mare d’ombre. C’était lui-même qui se liquéfiait. Après un petit moment il a retrouvé sa structure normale mais il pense que ça va aller en empirant. Farouche était surprise de l’histoire, les choses magiques n’étaient pas son truc, pas comme Abyssien en tout cas. Aussi se contenta-t-elle d’écouter la suite. Le Psychurgiste intervint à son tour.
- Je sens beaucoup de désarroi chez notre ami Salem, troublé par ce qui lui arrive. Comme je le disais à Kriss la magie semble perturbée chez lui. Je ne connais pas beaucoup les détails sur la création de Salem, enfin de Zil aussi ne puis-je faire que de simples suppositions basées sur mes observations...
- Oui oui, abrège, s’impatienta Farouche.
- D’accord, pour faire la version courte l’épouvantail ne pourra pas contenir plus longtemps Zil.
- Dans ce cas qu’il retourne dans le chat, non ?
- C’est l’une des solutions que nous avons établies. Mais d’après Salem cela ne servira à rien, il se passerait la même chose dans le corps du félin. Zil est en train de se...décomposer magiquement.
- Cela veut dire que nous perdrions Zil, ajouta Kriss pour donner encore plus de gravité à la situation. Je sais que l’ordre a été donné de joindre nos forces aux Noz, mais nous, et quand je dis nous je parle de Salem et moi, pensons que nous devons vite trouver une solution à son état.
- Et donc vous ne resterez pas avec nous ? Regretta Farouche qui réfléchissait à tout ça.
- Salem a une idée, une piste qu’il nous faut suivre. Pour ne pas pénaliser la guilde, seuls lui et moi partirons.
- Et c’est quoi cette idée ?
- Bien que l’ancienne demeure d’Artrezil soit notre quartier général nous n’avons pas encore tout découvert de lui. Il se peut qu’il y ait d’autres journaux de travaux ou du matériel lui appartenant dans d’autres lieux. Salem a le vague souvenir d’un manoir perdu loin de tout. J’aimerais aller le fouiller avec lui et qui sait peut-être qu’on trouvera de quoi le guérir.
- C’est maigre comme piste mais c’est la seule que nous ayons, ajouta le Psychurgiste.
- Je comprends le problème, ça marche, vous partez tous les deux. Prévenez Abyssien, la magie de l’ombre c’est sa grande passion.
- Nous comptions le faire oui, mais Salem a formé Abyssien à la magie de l’ombre il ne pense pas qu’il soit en mesure de remédier à son problème, répliqua Kriss.
- Et les Draconiens ? Ils ont une super école de magie, peut-être qu’ils peuvent faire quelque chose.
- Oui... mais non. Si tu te rappelles bien l’histoire de Zil, les draconiens le recherchent, ce n’est donc pas une bonne idée.
- Bon, je fais confiance à vos avis, j’espère que vous trouverez de quoi remettre Salem sur pied.
- Et moi donc, chuchota Kriss.
Kriss et Salem voyageaient depuis plusieurs jours et désormais leurs amis Combattants étaient très loin, partis vers la Draconie. Salem eut une autre “crise” cette fois plus impressionnante. Kriss en avait le cœur meurtri, il aimait Zil par dessus tout, ils étaient amis depuis qu’il avait quitté sa famille pour parcourir le monde. Il se souvient du jour où on le mit dans la confidence, qu’on lui révéla qui était Zil et qu’on allait l’enfermer dans le petit chat noir que Kriss affectionnait tant. Mais Salem s’était remis de cette épreuve au prix d’un effort magique considérablement affaiblissant pour lui. Désormais le pantin de paille ne parlait que rarement préférant garder son énergie pour continuer à marcher à bon rythme. Salem se souvenait d’une vieille bâtisse dans un endroit reculé. Grâce aux pouvoirs de Kriss et une bonne dose de chance les deux amis finirent par se retrouver face à ce qu’ils pensaient être l’endroit recherché. C’était un manoir de taille respectable sur trois étages. Construite de pierres taillées, son architecture ressemblait étrangement à la demeure d’Artrezil bien que cette dernière soit bien plus grande que celle-là.
- OuI ! C’esT biEN Ca.
- En tout cas elle ressemble à notre QG. Quelqu’un doit habiter là, il y a de la lumière !
Les deux Combattants de Zil avancèrent sans avoir conscience de ce qui allait les attendre de l’autre côté de l’épaisse porte de chêne. Kriss toqua une fois, puis au bout d’un moment ne voyant rien venir toqua une deuxième fois.
- Y a quelqu’un ? Excusez-nous de vous déranger. Nous sommes des voyageurs à la recherche d’un toit pour passer la nuit.
Salem tenta de regarder au travers les volets clos, mais à part la lumière il n’y vit rien d’autre.
- Je VAis jeTEr un OeIL.
- Ca ne va pas t’affaiblir ?
- Non, je PEUx.
Salem fit le tour de la bâtisse et trouva une brèche dans une pierre. A partir de là il utilisa la magie de l’ombre pour se fondre dans les ombre et tenter de faire un tour à l’intérieur. Mais hélas il se heurta vite à la lumière et la disparition des ombres. Il revint auprès de Kriss, ce dernier avait l’oreille collée à la porte.
- AloRS ?
- Chut ! Je crois avoir entendu du bruit, comme des pas.
Kriss saisit alors l’anneau de fer de la porte et poussa lentement. Les gonds émirent un long grincement au grand dam du musicien. Personne dans l’entrée. Ils furent frappés par sa ressemblance des lieux avec l’antique demeure d’Artrezil.
- Au moins nous ne sommes pas dépaysés. Puis en criant : Y A QUELQU’UN ???
Toujours aucune réponse.
- Vraiment étrange, tu penses qu’on nous a vu arriver et que les habitants se sont cachés par peur ?
- NoN, Je SEns beAUcOuP de mAgIe ICI.
- Et bien dans ce cas ne nous gênons pas pour fouiller les lieux, on a un objectif tenons nous en là.
Le rez-de-chaussée était composé d’un grand salon sur la partie droite, d’une cuisine et d’un grand garde-manger sur la gauche. Bien que tout soit vieux et en partie décrépi il n’y avait pas de poussière, signe d’une présence. Entre la cuisine et le garde-manger un escalier montait et un autre descendait.
- Alors, cave ou étages ?
La réponse fut un craquement, long et terriblement angoissant de toute la maison. De la poussière s’échappa des murs et du plafond en leur tombant dessus.
- Kof kof, qu’est-ce qu’il se passe ?
Puis aussi brusquement qu’il était apparu le phénomène s’arrêta, net.
- DONG DONG DONG DONG DONG*
Quelque chose se mit à sonner, comme une petite cloche, le son emplissait toute la maison si bien qu’il était impossible de localiser la source de ces “dongs”.
- CAvE ! Dit Salem en poussant Kriss dans l’escalier.
Des lampes à huile brûlaient lentement leur offrant la visibilité nécessaire. En bas une porte de fer leur barra le passage au grand étonnement des deux compères.
- La même porte qu’à notre quartier général, Artrezil était soit un plaisantin soit aimait tellement sa baraque qu’il la reproduit le plus fidèlement possible.
- OptIOn dEUX !
- Bien d’accord, si mes souvenirs sont bons il y avait dans notre QG le laboratoire d’Artrezil, donc on peut supposer trouver quelque chose d’intéressant ici, dit Kriss en ouvrant la porte.
Là une vision d’horreur assaillit nos héros. Par terre au milieu d’un fatras de bouquins, d’alambic, de pots et d’appareils étranges se trouvait le corps d’un homme baignant dans une mare de sang, face contre terre. Son dos présentait de profondes entailles. Kriss prit le pouls de cet homme.
- Mort.
Mais Salem n’en avait rien à faire, il était déjà en train de faire le tour du laboratoire, poussant les objets inutiles et examinant ce qui lui semblait magique. Kriss retourna le cadavre pour mieux voir le visage de cet inconnu.
- Artrezil ??
Salem tourna la tête vers eux.
- QuOI ? Dit-il en revenant vers Kriss.
- Dis-moi si je rêve ou non, mais la ressemblance entre son portrait dans notre quartier général et lui est plus que frappante.
- Tu AS raIsoN !
- Mais comment est-ce possible ?!
C’est alors que des bruits de pas se firent entendre. Comme si quelqu’un courrait au-dessus d’eux. Kriss abasourdi par leur découverte leva la tête et regarda le plafond.
- C’est quoi cette histoire.
- Va VOiR, je ResTe lA.
Il n’en fallut pas plus pour que Kriss s’élance dans l’escalier et monte rapidement au rez-de-chaussée. Rien dans le salon, rien dans le garde-manger et rien non plus dans la cuisine.
- C’est pas vrai, j’ai pas rêvé pourtant !
Les bruits de pas se répétèrent, cette fois c’était à l’étage. Kriss, un peu énervé fonça à nouveau vers l’escalier, montant les marches deux à deux. Une fois en haut il se retrouva nez-à-nez avec une petite créature qui flottait dans les airs. Cette chose ressemblait vaguement à une poupée avec une robe rose et une perruque, mais elle était faite d’ombre.
- PARTEZ !! Cria-t-elle, vous n’avez rien à faire ici !!
Kriss ne sut trop quoi dire, cette chose était vivante, mais étrangement il n’y avait pas la moindre étincelle de vie là-dedans.
- Nos intentions ne sont pas mauvaises, nous venons chercher de l’aide pour guérir quelqu’un.
La créature fixa Kriss qui tentait de se rapprocher. Aussitôt l’homme fut submergé par des émotions. Un flot immense de sentiments parfois contradictoires, tristesse, colère, désir et bien d’autres. Kriss dû se retenir à la rambarde pour ne pas tomber dans les escaliers son esprit ne pouvait supporter autant, il tomba à genoux et se tint la tête, hurlant.
- STOP, CA SUFFIT, criait-il en se tordant, sa tête allait exploser.
Puis le flot s’interrompit. Kriss qui haletait se redressa, soulagé. Salem était là, des tentacules d’ombre sortaient de sa main, retenant prisonnier la petite poupée d’ombre.
- C’est quoi ?
- UNe CReaTIoN d’UN esPrIt dEraNgé ! ToUT esT fAux IcI...
- Hummmm, nous avons manqué de prudence mon ami, faisons la lumière sur toute cette histoire !
Kriss fit apparaitre son orgue portatif et tourna la manivelle dans le sens inverse à son habitude. Une musique déstructurée s’en échappa. Le morceau dura cinq bonnes minutes au bout desquelles tout autour d’eux changea. Les murs semblaient fondre comme si c’était du chocolat, la créature disparut à son tour. Finalement ils étaient au milieu d’une ruine, là par terre à deux mètres d’eux une jeune femme recroquevillée sur elle-même balançait sa tête d’avant en arrière en sanglotant.
- PoUVoir de l’OmbRE, jE seNS la PResenCe d’ArtreZIL Ici.
- Cette maison a dû lui appartenir, dit Kriss en s’accroupissant devant la jeune fille aux cheveux blonds.
Elle portait des vêtements étrangement proches du style des Combattants de Zil et elle serrait un miroir contre son cœur. Kriss remarqua qu’une partie de son visage était brûlée.
- N’ai crainte, mon nom est Kriss.
- Je.. je sais... je te connais... et... et toi tu es... Zil, dit-elle à l’attention de Salem.
La petite poupée d’ombre fit son apparition sur l’épaule de la fille, elle lui chuchota quelque chose à l’oreille.
- Tu nous connais ? Mais nous ne te connaissons pas, qui es-tu ? Que fais-tu là ?
- Je m’appelle Alicia. J’ai... non, je... peux vous aider ? Ne me laissez pas ici, j’ai peur.
- La nuit est déjà avancée, on va rester là et tu nous dois des explications. C’est toi qui as provoqué tout ça ?
- Oui c’est moi, je n’y peux rien je... je ne contrôle pas ce que je suis.
- Qu’es Tu ? Demanda Salem qui avait déjà sa petite idée.
- Une création, une chose, on m’a transformé ! Dit-elle en montrant l’escalier qui descend vers la cave.
Salem et Kriss allèrent voir, ils trouvèrent un homme mort, d’après Kriss son cœur l’avait lâché. Dans cet endroit il y avait un lit, une cage et tout un tas de matériel magique. Parmi cela ils retrouvèrent différents journaux de recherches ainsi que des travaux d’Artrezil sur la transformation par l’ombre. Salem expliqua que cela faisait partie des recherches qui ont permis à l’archimage de le créer.
Le chercheur expliquait avoir kidnappé Alicia lorsqu’elle était petite fille car disposant d’un pouvoir incroyable. Il aurait fait d’elle sa créature.
- Un mystère de plus à résoudre, mais je pense qu’elle peut nous aider pour l’affaire qui te concerne Salem.
- OuI, je PEnsE aussI.
Chapitre 3 - L'héritage d'Artrezil
Cette histoire là ne pouvait être racontée que par moi. Je suis un Combattant de Zil depuis presque dix ans maintenant. Des aventures, j’en ai vécues d’innombrables et d’incroyables. Mais celle-là est au-delà de ce que j’ai déjà vu et elle mérite d’être racontée à ceux qui vont rejoindre notre guilde dans le futur.
Tout cela démarra il y a quelques semaines. Lors de la fête donnée en l’honneur du retour de Télendar parmi nous, j’ai retrouvé Salem en piteux état, presque liquéfié. Devant ce constat et l’éventualité de la disparition de Zil, j’ai entrepris le voyage en sa compagnie afin de trouver une solution. Je m’aperçois aujourd’hui que nous aurions peut-être dû mettre au courant la guilde dans son ensemble. Après tout ne sommes nous pas les Combattants de Zil ? Peut-être devais-je entreprendre cette quête seul ? Mais ce qui est fait est fait.
Nous sommes partis tous les deux aux travers de contrées où personne ne va, des lieux désolés et sombres. Nous avons cherché des informations sur l’Archimage Artrezil qui créa autrefois Zil dans l’espoir de trouver une quelconque indication pour contrer le mal qui rongeait mon compagnon. Sur notre route, nous avons trouvé Alyce, un personnage étrange pour qui j’avais de sérieux doutes quand à sa motivation. Et pour cause, j’avais de très bonnes raisons. Notre première rencontre a failli très mal terminer. Enfermés dans une illusion presque parfaite. Mais notre expérience de ce genre de manifestation a fait la différence et nous nous en sommes sortis, héritant au passage d’une nouvelle désaxée, comme si nous n’en avions pas suffisamment dans la guilde. Je suis sur que tu me comprendras Alyce lorsque tu liras ces lignes, je ne dis pas que cela est forcement négatif, mais il faut bien reconnaître ce qui est : les Combattants de Zil sont une guilde d’excentriques et de sociopathes. Cela n’est pas un mal c’est ce qui fait sa force. Mais ce n’est pas le sujet. Hors, nous avons quitté l’une des anciennes demeures d’Artrezil, aujourd’hui en ruine, avec notre nouvelle compagne. Nous nous sommes alors posés la question : quoi faire ? Nos indices étaient plus que maigres. Les crises de Salem continuaient et à chaque fois les rémissions lui demandaient des efforts plus importants.
J’ai assisté à une scène des plus... bizarre. C’était au beau milieu de la nuit. Nous étions en marche vers notre repère principal, le seul pied-à-terre officiel que les Combattants de Zil ont : le manoir d’Artrezil. Je dormais du sommeil du juste, bien à l'abri sous la toile de ma tente, lorsqu'un bruit m’extirpa de mes songes. Le raffut était terrible, cela provenait de l’extérieur. Les sons gutturaux me rappelaient quelque chose, j’avais déjà entendu ça à plusieurs reprises. Là sur le bord de la route à peine éclairée par la lune je retrouvais Alyce et Salem. L’épouvantail totalement désarticulé ne bougeait pas, comme un vulgaire objet. La jeune femme penchée au-dessus chuchotait dans un langage connu de nous seuls Combattants de Zil. J’ai alors reconnu ses paroles, l’ombrelangue, que faisait-elle ? J’ai songé à une hallucination ou, comme lors de la rencontre avec Alyce, à une illusion. Mais non, elle que nous ne connaissions pas parlait comme l’une des nôtres. Je n’eus même pas le temps de demander des comptes sur cette histoire que la voilà partie. “Où vas-tu ?” lui dis-je. La réponse que j'obtins me rassura et m’inquiéta à la fois. “Je vais sauver Zil”. Sauver Zil !? Prétentieuse !
Mais je n’avais pas le choix, l’épouvantail était vide, plus de Zil et donc plus de Salem. Je récupérais donc en vitesse quelques affaires, bien déterminé à comprendre et courus après Alyce. C’est en la voyant de près que je compris. Sa peau noire, son regard, ses attitudes. Tout en elle me rappelait Salem. Alyce m’expliqua alors avoir agi d’instinct et que désormais elle abritait Zil à l’intérieur d’elle. Pourquoi elle ? Pourquoi pas moi ? Après tout je le connaissais depuis longtemps et elle non. Comment avait-elle réussi ce prodige ? J’étais dans l'incompréhension la plus complète. Nous avons suivi la route pendant des lieues sans que le moindre mot ne soit prononcé. Notre course s’est arrêtée chez nous au manoir d’Artrezil. C’est d’ailleurs là où je me trouve en ce moment pour écrire cette histoire. Enfin bref, le hasard nous avait amené ici, enfin hasard, pas vraiment. Que venait-on faire ici ? Zil et moi connaissons bien ce manoir, nous y vivons durant les mois hivernaux. Les possessions d’Artrezil étaient toujours là, comme d’habitude, et il n’y avait rien dans tout ça capable de résoudre le problème. Alors quoi ? Était-ce de la nostalgie de la part de notre compagnon d’ombre ? La fin étant proche voulait-il disparaître dans un endroit familier. Alyce ne m’écoutait pas de toute façon, nous perdions du temps à faire je ne sais quoi.
Puis elle s’est retrouvée dans le bureau d’Artrezil où là aussi je connais bien les lieux : j’y ai composé mes plus belles chansons. Je la vois tourner en rond cherchant quelque chose, puis elle regarde les livres et se saisit d’un, l’ouvre à une page et le pose par terre. Bon, d’accord, mais après ? Elle fait de même avec d’autres, les posant par terre avec délicatesse. Devant moi un schéma apparut, sur chaque page un dessin, un symbole, en les plaçant au sol Alyce faisait un rituel ! Vous comprenez !? Nous pensions tout savoir sur Artrezil et ses créations incroyables et voilà que bien longtemps après sa mort il nous étonne encore. Une fois le dernier livre ouvert et posé une petite créature d’Ombre semblable à celle qui se baladait tout le temps avec Alyce apparut. Elle s’inclina devant nous et partit de là. Nous la suivîmes jusqu’au sous-sol où elle traversa un mur. Alyce lui emboîta le pas traversant à son tour le mur. J’avoue avoir eu un pincement au cœur lorsque à mon tour je plongeais dans le mur. Une pièce inconnue ? Je suis certain que si on détruisait le manoir nous serions incapables de la retrouver, car cette pièce n’est pas vraiment là, mais ailleurs, il nous faudra découvrir son vrai emplacement un jour ou l’autre. L’endroit n’était pas bien grand mais il émanait des murs une lueur violette. Tout ici n’était que magie de l’ombre et même moi, qui ne suis pas versé dans les arts magiques, j’en ressentais la présence tellement c’était fort. Là, Alyce se mit carrément à vomir de l’Ombre, en fait à vomir Zil. Une autre personne apparut à son tour, ou en tout cas s’avança, peut être était-elle là depuis notre arrivée. Je restais bouche bée devant elle : c’était Artrezil. Ce qui se passa ensuite tient vraiment de l’incroyable. Je me souviendrais toujours de ses paroles réconfortantes à l’attention de sa créature. Cette pièce lui était consacrée, l’archimage n’avait pas eu le temps avant sa mort d’en révéler l’existence. Comment Alyce a-t-elle sut alors ? C’est l’une des questions à laquelle je suis prêt à me dévouer corps et âme afin d’en trouver la réponse. Artrezil s’escrimait à enchanter le pauvre Zil à la limite de la disparition. Peu à peu Artrezil renforçait celui qui était à la fois lui et son héritier. Des tentacules d’ombre bougeaient dans tous les sens, rendant le spectacle fascinant, et aussi dangereux. Alyce dans son coin ne bougeait plus. Ce petit manège dura une bonne heure avant que Zil ne soit totalement “fini”. Artrezil disparut comme il était apparu.
Quant à Zil le voilà tout neuf et pimpant comme lors de notre première rencontre...
J’ai vraiment l’impression d’avoir vécu un rêve éveillé. Dois-je chercher à comprendre ? Je crois que non et qu’au final je pense que seul le résultat compte. Zil est de retour parmi nous, il est l’héritage d’Artrezil et nous avons beaucoup de chance de l’avoir. Les mystères qui nous entourent sont nombreux et nous avons encore de longs jours devant nous avant de les découvrir.
Empire de Xzia
Chapitre 1 - Mécontentement
Le hurlement des esprits était insoutenable. Daijin en méditation recevait de plein fouet leurs lamentations alors qu'ils disparaissaient les uns après les autres sous les flammes divines. Le lien tissé avec chaque membre de son clan lui permit d’être informé à tout moment de l’avancée de la situation au demeurant extrêmement critique. L’armée impériale, menée par la Kotoba était éparpillée, en déroute. Sans l’intervention du Mangepierre il ne resterait rien des hommes courageux envoyés lutter contre l’ennemi. Mais Daijin se souciait plus des esprits que des vivants et à ce moment même il savait que l’avenir allait être sombre... Cela se vérifia quelques jours plus tard, lorsque la Kotoba revint à Meragi, la capitale impériale. Les rumeurs de la destruction du Tombeau des Ancêtres et de la défaite impériale furent confirmées, minant le moral de la population. Gakyusha, blessé dans son orgueil fut rapidement convoqué avec son fils devant l’Empereur et ses ministres. L’Augure du Ciel lui-même était là attendant avec impatience le récit de son bras droit et le retour de son champion. Gakyusha et Iro ne se parlaient pas beaucoup et ce depuis de nombreuses années. Mais depuis quelques temps les deux hommes s’ouvraient l’un à l’autre et en cette journée ils étaient solidaires l’un de l’autre. Attendant tous deux devant la porte de la salle du conseil impérial, ils discutaient évidemment des derniers évènements.
- Ne t’en fais pas, fils, nous n’avons pas de raisons d’avoir honte de nous, dit le Seigneur Impérial les yeux plongés dans ceux d’Iro.
- Ah ? Moi je vois que nous avons perdu, dans la honte absolue, surtout pour moi porteur de Kusanagi. Je ne mérite pas cette lame et encore moins le titre de champion.
- Tu me dis ça depuis que nous avons quitté le champ de bataille. Je retiens pour ma part que tu as décapité une créature aux pouvoirs immenses et que sans l'intervention de cette chose divine nous battions ces scarabées et les nomades.
Sur ce le garde invita les deux hommes à entrer. Gakyusha rajusta sa tenue et passa devant Iro. A la vue des mines déconfites des ministres et de l’Empereur la discussion s’annonçait houleuse. Après un protocole parfaitement exécuté, tous deux se retrouvèrent à genoux au milieu de la salle, face à l’Empereur. A droite de celui-ci le premier ministre Akizuki éventail à la main examinait quelques notes sur un papier de riz. A gauche Daijin dévisageait Iro et Gakyusha avec une singulière désinvolture. L’Empereur lui restait impassible il réfléchissait aux derniers évènements et sur ce qui allait arriver pour son empire. Plus en retrait car n’étant pas ministre, Toran, anciennement régent impérial assistait à l’échange.
Iro s’inclina, front contre le parquet.
- Nous t’écoutons, champion de l’empereur, dit Akizuki en repliant son éventail.
- Vénéré Empereur, mon honneur est entaché d’une honteuse défaite. Dit-il en se relevant. Bien que la bataille fût au départ à notre avantage nous avons failli à notre devoir et par notre faute le Tombeau des Ancêtres a été détruit.
Akizuki allait répondre, mais Daijin s’interposa.
- Effectivement, c’est un échec. Pourtant cette mission d’envergure était simple, protéger le Tombeau des Ancêtres, éviter sa destruction ! Dit-il en colère.
A ce moment une très légère brume se leva dans la pièce et plusieurs formes fantomatiques apparurent ci et là. Puis des chuchotements, comme des plaintes à l’encontre des vivants se firent entendre.
- Entends, Champion de l’Empereur ! Cria Daijin, ils pleurent les ancêtres disparus à jamais !
Iro baissa la tête, il était évident pour lui qu’il méritait cette réprimande. Il dégaina lentement Kusanagi pour la poser au sol.
- Vous avez raison Daijin. Je ne mérite pas de porter plus longtemps Kusanagi, ni le titre de Champion de l’Empereur.
A côté, Gakyusha bouillait intérieurement de rage, on s’attaquait à son fils et cela de façon injuste. Aussi décida-t-il de rentrer dans la conversation, de façon peu cordiale.
- Nous pensez-vous plus fort qu’un dieu, seigneur Daijin ? Dit-il en se levant, à la surprise de l’assistance. Pensez-vous que votre titre de Conseiller Mystique vous accorde le droit de parler ainsi au Champion de l’Empereur ? Nous avons lutté du mieux que nous pouvions, j’ai vu Iro couper la tête d’une créature qui aurait pu vous battre Corbeau ! Seuls l’Empereur et le premier ministre peuvent lever leur voix à l’encontre du Champion ou de moi-même. Suis-je assez clair, ministre des « mystères » ?
La tension monta vite. Bien que de nature surnaturelle le visage de Daijin s’empourpra, il éclata de colère.
- Écoutez ceci, Seigneur Impérial car je suis...
Mais il fut coupé dans son élan. Kusanagi posée devant Iro vibra puis s’éleva dans les airs devant un Empereur surpris. Une nouvelle forme se dessina, une présence qu’Iro avait déjà ressentie. Tous restèrent ébahis devant celui qui fut le premier empereur. Ils se prosternèrent devant cet illustre ancêtre.
- La colère ne mène à rien, esprit Corbeau. Il est trop tard pour revenir en arrière, le Tombeau des Ancêtres n’est plus et sa destruction a créé une ouverture entre ce monde et celui des morts. Écoute-moi Empereur de cet âge car je suis là pour t’avertir. Ton monde est une proie de choix pour des puissances supérieures. Nous, ancêtres, étions leurs gardiens, mais à présent nous ne pouvons les retenir plus longtemps. Elles vont se réveiller et marcher sur l’Empire. Celui-ci doit rester uni comme il l’a été depuis que je l’ai créé.
Le premier Empereur fit le tour de la pièce, cherchant quelqu’un.
- Nashi !
Un des fantômes restés en arrière plan s’avança jusqu’à Xzia. Un homme portant un habit rouge en partie déchiré.
- Tu resteras auprès de la Kotoba tant que tu pourras, conseille-les sur ce que tu sais à propos de cette affaire.
- A vos ordres Premier Empereur, dit-il en s’inclinant.
Se tournant vers Daijin.
- Vous avez créé des jalousies en restant dans ce monde Corbeau. Certains de vos semblables sont offusqués, j’espère pour vous que vous ferez tout pour qu’ils restent où ils sont.
Il s’arrêta ensuite au niveau d’Iro et de Gakyusha.
- Vous avez fait de votre mieux et vous avez suivi le code de l’honneur à la lettre. Ne vous reprochez rien, gardez le cœur vaillant et la lame prête à s’abattre sur l’ennemi. Iro, tu manies Kusanagi aussi bien que moi, mon descendant a bien fait de te la confier.
Enfin il fit face à l’empereur actuel.
- Ta voie est différente de celle que j’ai choisie, je vois que tu diriges avec sagesse et non avec l'épée. Tu sais t’entourer des meilleurs éléments, garde confiance en eux.
- J’ai toute confiance en mon champion et en le Seigneur Impérial, illustre Aïeul. J’allais intervenir au moment de votre providentielle apparition. J’ai entendu votre avertissement et l’Empire tout entier fera en sorte d’éviter que les malheurs ne s’abattent sur lui. Hélas il nous faut aussi surveiller le destructeur du Tombeau des ancêtres, nul doute qu’il ne restera pas sur place.
- C’est là l’affaire des vivants...
Xzia disparut, tout comme les autres fantômes à l’exception de Nashi. Le calme revint. Daijin alla se rassoir à sa place, songeant aux paroles du premier Empereur à son égard.
- Remettez cette lame sur votre côté Champion de l’Empereur, je n’accepte pas votre remise en question. Vos actes sont valeureux et vous êtes pour le peuple de Xzia un exemple. Quand à vous Seigneur Impérial, bien que je sois du même avis que mon ancêtre je ne peux que vous recommander de ne plus agir sous le coup de la colère surtout en ma présence. Ceci dit, il est vrai que mon premier ministre et moi-même sommes les seuls à pouvoir nous permettre de lever la voix sur mon Champion et sur le Seigneur Impérial. Que cela soit su de tous ! A présent rejoignez les rangs, voyons donc notre nouvel invité.
Iro et Gakyusha s’assirent derrière l’Empereur le cœur plus léger.
- Nashi... L’un des frères chasseur de démons d’Onabunda ? Demanda l’Empereur avec beaucoup de curiosité.
- Lui-même, répondit le fantôme en s’inclinant.
Toran se leva et se faufila jusqu’aux côtés de Nashi dans le but de prendre la parole.
- Oui maître Toran ?
- Excusez mon interruption dans cette discussion. La présence de Nashi m’impose de vous révéler certains faits.
L’Empereur fronça les sourcils, on lui cachait quelque chose et ça ne lui plaisait pas.
- Nous vous écoutons Maître Tsoutaï.
- Il y a bien des années, alors que Xzia affrontait les légions draconiques venues du sud, une autre guerre se déroulait. Une guerre du silence, une guerre mystique que peu de personnes peuvent décrire aujourd’hui. Si Xzia a dirigé sa guerre, de son côté c’est la coalition des chasseurs d’Onabunda et des Tsoutaï sous l’égide du maître Akiyoshi qui ont mené les affrontements. Nous avons œuvré activement pour que ce qu’il s’est passé durant deux années ne soit pas connu. Je vous raconterai en détail le déroulement de cette guerre mais pour résumer nous avons confiné plusieurs Karukaï, des esprits malfaisants, dans le monde des esprits et des morts. Je pense que ce sont eux dont il s’agit, n’est ce pas Nashi ?
- Oui Maître Tsoutaï, vous avez raison. Et s’ils reviennent je me serais sacrifié pour rien.
- Je ne comprend pas tout, intervint Akizuki, mais pourquoi nous a-t-on caché ceci ?
- Parce qu’il le fallait. L’Empereur devait faire face à la Draconie, il nous appartenait de régler les problèmes internes à l’Empire, répondit Nashi avec calme.
- Oui, mais après la guerre contre le Draconie ? Interrogea l’Empereur.
- Les ancêtres ont leurs raisons, ils nous ont fait jurer de ne jamais en parler aux vivants. Et nous avons tenu nos engagements.
Cette réponse ne satisfaisait pas l’Empereur, mais il s’en contenta, du moins pour le moment.
- Merci pour vos réponses. Seigneur Daijin, je vous confie cette affaire, travaillez de concert avec la Kotoba et Nashi. Pour le moment inutile de révéler ces informations à la population. Disposez.
Le soir-même, dans un lieu tenu secret se tint une réunion des chasseurs de démons. Zatochi Kage, Nashi, Kyoshiro, Okooni et Ryouken formaient un cercle autour de Yu Ling. Autour d’eux des dizaines de bâtonnets d’encens diffusaient leurs fortes odeurs. De même plusieurs lampions de couleur rouge contribuant aussi à cette atmosphère au combien particulière. La vieille femme debout au milieu des autres fermait les yeux, écoutant les paroles de Nashi.
- Notre confrérie a traversé les âges sous le couvert du secret. Nous protégeons l’Empire des menaces mystiques dont il pourrait être la victime. Yu Ling, mets-toi à genoux devant tes pairs.
La vieille dame exécuta l’ordre avec beaucoup de difficulté.
- Par tes actes tu as mené à la mort un des nôtres lorsque She Zuan a tenté de se libérer. Pour cela tu as été punie.
Yu Ling se souvenait parfaitement de cet épisode malheureux d’il y a quelques années. Depuis elle portait sur son visage la marque de sa malédiction.
- Tu as assez payé pour ta faute. Moi Nashi, chasseur de démons d’Onabunda, efface ta marque et te libère de ton fardeau. Il arrive parfois que nous affrontions des forces incroyables, cela fut le cas autrefois et cela va être de nouveau le cas. Retrouve âge et beauté en ces temps tourmentés et dresse-toi devant nos ennemis.
Nashi posa sa main sur le front de Yu Ling et de son pouce translucide effaça la marque comme si l’encre était encore fraîche. De la fumée bleu nuit s’en dégagea et enveloppa rapidement la vieille femme qui tomba par terre. Elle se tordit de douleur, son corps se modifia et lorsque la fumée disparut, elle n’avait plus la même apparence. La vieille dame avait laissé place à une jeune femme dans la fleur de l’âge et belle comme le jour. Elle se sentait mieux et en pleine possession de ses moyens.
- Chasseurs de démons, c’est à nous d’agir à présent.
- Que devons-nous faire, demanda Kyoshiro.
- Allez aux quatre coins de l’Empire et rassemblez notre armée.
- Ça on peut faire ! Lança Okooni de sa grosse voix.
- Quant à moi je vais chercher quelques ancêtres égarés, je pense qu’il y en a encore, dit Zatochi. Puis regardant Ryouken. Tu viens avec moi ?
En réponse le loup de guerre plaça son museau sous la main de l’ancien général.
- L’Empereur veut que nous nous associons à Daijin et à la Kotoba, dit Yu Ling en se relevant.
- Et il a raison, nous allons avoir besoin d’eux. Il faut vérifier que les portes soient toujours scellées, répondit Nashi. Et ça ne va pas être chose aisée...
Chapitre 2 - Capturer un Karukaï
Iro assis en tailleur sur un tatami regardait sévèrement un pauvre homme presque aplati sur le sol comme un misérable ver de terre. L’homme, visiblement paysan, s’excusait en boucle de la médiocrité de ses cultures qui avaient fourni peu de grains à l’Empire en cette année de disette. Mais Iro ne voulait rien entendre. Ses cheveux blancs noués et ses rides le vieillissaient énormément, pourtant il n’avait pas encore atteint l’âge vénérable mais les épreuves traversées l’avaient marqué au plus profond de lui. Il réajusta sa tenue de premier ministre, puis d’un geste agile posa la main sur Kusanagi. Il se leva lentement et laissa reposer le fil de la lame sur la nuque du pauvre homme.
- Si tu ne peux nourrir l’Empire, tu ne lui sers à rien !
Il arma son bras et abattit la lame, détachant la tête du reste du corps. D’autres personnes assistèrent au spectacle et furent horrifiées du geste. Mais Iro n’en avait rien à faire, il avait pour tache de mener l’Empire vers la gloire et la puissance, le reste n’avait pas la moindre importance.
Iro se réveilla en sueur. Voilà une semaine qu’il faisait le même rêve, toutes les nuits il se voyait âgé, décapitant un paysan qui demandait la rédemption. Ses nuits plus courtes commençaient à le fatiguer. Il passa un kimono rouge à l’insigne de la Kotoba et sortit un moment dans le jardin. Il faisait froid mais cela ne le gênait pas, il admira la lune pour moitié visible. “Je perds la tête” se dit-il. “C’est le milieu de la nuit et je sais que je ne vais pas pouvoir dormir plus longtemps”. Iro retourna dans son lit et attrapa Kusanagi.
- Xzia, ancêtre bienveillant, j’aurais bien besoin de tes conseils avisés. Je n’ai pas envie de parler aux autres de ce que je rêve, ça serait un aveu de faiblesse.
Il posa la lame du premier empereur à son côté puis fixa le plafond jusqu’à ce que le soleil se lève. Il s’habilla lentement, fatigué de cette nouvelle nuit sans sommeil. Il salua à peine son père et son grand-père qui discutaient des dernières nouvelles. Gakyusha n’aimait pas voir son fils dans cet état, il savait que quelque chose n’allait pas.
- Période difficile pour notre champion ? Questionna le grand-père à qui Iro ressemblait tant.
- Il est comme ça depuis quelques temps. Lorsqu’un homme commence à ne plus dormir convenablement c’est que son esprit est occupé par de mauvaises pensées. Je vais voir ce que je peux faire.
Plus tard dans le bureau de Gakyusha, Tsuro le maître des traqueurs écoutait attentivement son vieil ami inquiet pour son fils.
- Si tu veux je vais le surveiller quelques temps pour voir, si jamais quelque chose ne tourne pas rond je te préviens.
- Je te remercie de prendre du temps pour ça.
- Non c’est normal il est membre de la Kotoba, Champion de l’Empereur et aussi un ami. Tu sais ce qu’il doit faire aujourd’hui ?
- Il doit assister à un cours d’escrime à l’école impériale.
- Très bien, j’y vais.
Iro avait passé la matinée de service au palais impérial. Il avait assisté à d’ennuyeuses réunions politiques ainsi qu’à l’accueil d’un lointain chef de clan venu saluer l’Empereur. Tout cela fut d’une banalité affligeante pour notre héros épris d’aventures. Aussi fut-il content d’enfin arriver à l’école impériale, un lieu qu’il aimait pour y avoir passé quelques années. Mise en place par le père de l’actuel Empereur, cette école avait pour but de former les futurs magistrats impériaux, mais aussi les officiers et les futurs soldats. Petit génie des armes, fils du Seigneur Impérial, Iro avait très tôt incorporé le prestigieux établissement et en était ressorti trois ans plus tard avec le surnom du “Duelliste”. Maître Fu-Fa fut content de voir le champion, ce vieil homme à la barbe tombante sur ses pieds était le plus vieux maître d’arme de l’Empire et malgré son âge très avancé même lui aurait du mal à le vaincre.
- Iro, c’est toujours un honneur de te recevoir ici, mes jeunes apprentis sont véritablement impatients de recevoir les enseignements du champion de notre Empereur bien aimé.
- Allons, je vais leur enseigner ce que moi-même j’ai eu le privilège d’apprendre du meilleur bretteur vivant sur cette terre !
- Tu me flattes, à l’occasion il faudra vérifier si l’élève a dépassé le maître, surtout que cet élève porte désormais Kusanagi.
- Ce n'est pas impossible. J’accepte le défi, comme toujours. Il est temps de laisser la place à un plus jeune, dit-il sans vraiment faire attention à ses paroles.
Maître Fu-Fa resta choqué quelques instants face à cette dernière remarque fort peu respectueuse d’un aîné. Mais il ne lui en tint pas rigueur. Les élèves en tenue de combat légère étaient bien alignés, à genoux tout autour de la surface de sable réservée aux affrontements à l’épée. Iro s’installa du côté où il n’y avait personne suivi de près de maître Fu-Fa. Les élèves s’inclinèrent respectueusement.
- Comme vous le voyez jeunes gens, nous avons aujourd’hui l’immense honneur de recevoir le Champion Impérial qui a bien voulu accepter d’assister à notre séance d’enseignement.
Iro ne se sentait pas bien, il avait terriblement sommeil et comme une étrange impression de déjà vu. Maître Fu-Fa remémorait à ses élèves les règles que tout bon bretteur se devait de connaître. Puis afin que chacun puisse faire preuve de dépassement de soit, il motiva ses élèves en organisant un rapide tournoi, le gagnant serait alors confronté à Iro, bénéficiant ainsi de toute son expérience. Devant le challenge les élèves se surpassèrent. Iro ,ses pensées ailleurs, ne fut pas très respectueux des élèves, ses bâillements provoquèrent d’ailleurs quelques chuchotements d’indignation. “Qu’est ce qui lui prend ??” Se demanda Tsuro à quelques pas de là. “Cette histoire va remonter jusqu’aux oreilles de l’Empereur, ça peut lui nuire.”
Enfin après une bonne heure de joutes amicales le plus fort des élèves, un certain Yang Guo, arriva en tête. Il fut salué par maître Fu-Fa qui fut ravi de cette victoire, car il était à présent son meilleur élève. Le jeune homme s’avança vers Fu-Fa et Iro et comme le devait la tradition mit les genoux au sol et front contre terre. Dans la tête du champion il y eut un déclic. Il revit la scène de son rêve sauf que cette fois il était éveillé. Il se leva, se saisit d’une de ses épées et alla jusqu’à Yang Guo. Fu-Fa eut un mouvement de recul, ne comprenant pas ce qui se passait, les autres élèves se demandaient bien à quoi pouvait jouer le Champion Impérial. Tsuro, non loin de là, n’hésita pas une seconde et s’élança. Mais Iro était rapide et abaissa la lame. Cependant Yang Guo n’allait pas se laisser faire, il roula sur le côté et para de son arme le second coup que lui portait Iro. Tsuro arriva de justesse sur Iro avant que la moindre goutte de sang ne soit versée. Le maître traqueur, aidé de Yang Guo désarmèrent puis immobilisèrent le champion impérial qui tomba évanoui. Maître Fu-Fa réagit assez vite, comprenant que la situation n’était pas normale, il renvoya immédiatement tous ses élèves et ordonna à Tsuro et Yang Guo d’amener le Champion jusqu’à chez lui, en face de l’école. Là le champion fut confortablement allongé.
- Il faut prévenir le Seigneur Impérial, vite ! Il est chez lui en ce moment, vous voulez vous en charger jeune homme, dit-il à l’attention de Yang Guo.
Le jeune homme partit en courant, il n’en revenait pas de ce qu’il venait de vivre. Bien plus tard, chez Fu-Fa, Iro s’était réveillé et remit de ses émotions. Gakyusha avait suivi le jeune élève, demandant à Yu Lin de venir également pour examiner son fils.
- Alors Exorciste, qu’est-ce qu’il a ?
Yu Lin analysa les flux magiques autour d’Iro et son diagnostic était clair.
- Il est sous une influence magique, je reconnais là la marque d’un Karukaï !
- Alors la menace est bien réelle ? S’inquiéta Gakyusha. Exorciste, je m’en remets à vous.
Yu Lin passa la main sur le front de Iro, révélant un symbole en forme de vague.
- Le seigneur des serpents ! Il est ici !
- Ici... où ?? Demanda Tsuro.
- Je vais vous expliquer, c’est en rapport avec la création de Meragi. Avant que cette cité ne soit fondée, vivait ici un homme cruel, le seigneur Onoba. Il possédait toutes les terres de cette contrée et considérait les habitants comme des esclaves et sa perfidie était sans égal, conspirant pour gagner un maximum de pouvoir. Lorsque Xzia arriva dans la région dans le but d’unifier les clans il se retrouva confronté à Onoba. Cet homme à la langue de serpent fut l’un des plus grands défis du futur Empereur.
- L’histoire de l’Empereur et du Serpent ? Coupa Tsuro.
- Oui, et lorsque Onoba se retrouva avec son âme pourrissante entre les mains de son alter-ego serpent, ils s’unirent en fin de compte pour devenir un Karukaï. Il est probable qu’Onoba soit resté au même endroit que Meragi mais dans le monde des esprits. Il est dit que ce Karukaï aime les villes, ça ne serait pas étonnant qu’il soit ici à Meragi. Ajouta Yu Lin qui observait Gakyusha. Quelque chose ne va pas Seigneur Impérial ?
- Oui ça ne va pas. Je n’ai jamais beaucoup prêté attention à ces histoires, je ne crois qu’en ma lame. Notre famille est l’une des plus anciennes, nous descendons d’Onoba, dit Gakyusha qui commençait à comprendre.
Yu Lin inclina la tête, cette nouvelle n’était pas bonne.
- Il tente d’influencer Iro, dit-elle avec de grands gestes.
- Alors ? On peut faire quoi ? S’inquiéta Tsuro.
- On va devoir régler le souci. Il va falloir aller dans le monde des esprits et régler son compte à ce Karukaï de malheur...
Demeure du Corbeau, une maison lugubre dans un quartier lugubre de la capitale impériale. Tsuro et Iro assis l’un face à l’autre étaient entourés par Daijin, Malyss, Yu Lin, Kyoshiro et d’autres mages du clan du Corbeau. Tous dans la même position incantaient afin d’ouvrir un passage vers le monde des esprits.
- Pourquoi sommes nous que deux ? Demanda Iro à son illustre ainé.
- Pourquoi pas ? Aurais-tu peur d’un échec ? Dit Tsuro piquant au vif le champion.
- Non, je n’ai peur de rien.
- Alors concentre-toi.
Des dizaines de corbeaux apparurent les uns après les autres, tournoyant au dessus d’eux avec frénésie. Ils se mirent ensuite à voler de plus en plus bas, frôlant puis cognant Iro et Tsuro. Mais ni l’un ni l’autre ne pouvaient désormais bouger. Au bout d’un moment ils ne voyaient plus rien cachés par les plumes tombantes et les très nombreux oiseaux. D’un coup, plus rien, plus aucun oiseau mais une lumière vive et rouge. Et alors que leurs yeux s'adaptaient un sifflement se fit entendre, long et transperçant. Iro se leva d’un bond, plaçant instinctivement la main sur Kusanagi. Tsuro se leva à son tour le masque des traqueurs sur son visage.
- Je me sens bizarre dit le vieil homme.
- Moi aussi, quelque chose ne va pas...
Iro entendait toujours ce sifflement aigu et ne comprenait pas d’où il venait.
- Tu entends ça ? On dirait le sifflement d’un serpent, on doit être dans l’antre du Karukaï.
Tsuro tendit l’oreille mais ne comprenait pas car il n’entendait rien du tout. Seul Iro pouvait l’entendre.
“Mersssssi d’être venu” lui dit une voix dans sa tête, “à préssseent tu es à MOI !”
Iro eut une immense douleur dans le ventre qui le plia en deux. Le mal remonta rapidement jusqu’à sa tête, il crut mourir. Tsuro sauta alors sur Iro et lui mit un coup de poing au niveau du torse. Des symboles Xziarites apparurent sur le jeune champion.
- Hors de question !! Cria Tsuro en frappant une deuxième fois.
Là une forme translucide sortit d’Iro, une forme qui se mit à grandir et à grandir pour devenir enfin une sorte d’homme serpent. Son apparence était repoussante, cette chose à la peau écailleuse et rouge ne possédait pas d’œil et sur sa tête bougeaient plusieurs tentacules. Iro se tint à Kusanagi pour ne pas sombrer, la douleur passant.
- Tssssss, voilà qui est fâcheux, tu me prives de mon nouveau corps...
- Onoba ! Tu ne sortiras pas d’ici ! Hurla Tsuro qui s’assit en tailleur. Iro reprends-toi et frappe !!
Le champion à présent libéré de la présence d’Onoba avait la ferme intention de régler ses comptes. Il quitta le haut de sa tenue pour être libre de ses mouvements et attrapa Kusanagi dans une main et une autre épée dans l’autre.
- Vous croyez pouvoir battre le sssssserpent ?? Vous êtes chez moi issssssssi ! Mes règles !
- Tu vas voir tes règles ! Lâcha Tsuro souhaitant faire un trait d’humour.
Un cercle de protection se forma sous le maître traqueur, puis un autre, assez différent sur le Karukaï. Iro fonça et assena de violent coup d’épée sur la créature. Celle-ci surprise de ne pouvoir utiliser plus ses pouvoirs tenta d’esquiver et de répliquer. Malgré le glyphe de Tsuro, Onoba était une créature redoutable, Iro eut bien du mal à contrer les assauts. Le Karukaï, emprisonné se débattait tant qu'il pouvait.
« Prend la lame à deux mains et frappe, Iro, tu n'es pas le descendant d'Onoba, mais le mien !! »
Cette voix était celle de Xzia qui semblait se manifester dans les moments les plus délicats. Iro lacha sa deuxième lame, il prit de l'élan et sauta. Il fut surpris de se voir décoller à la hauteur de la tête du Karukaï. Il agrippa fermement Kusanagi à deux mains et frappa de haut en bas, découpant sur toute la longueur la peau de la créature qui hurla. Une matière gélatineuse, presque ectoplasmique dégoulina par la blessure. Tsuro qui avait fini sa concentration relâcha toute l'énergie du glyphe, un filet magique captura Onoba qui gigotait de douleur.
- Il est à nous ! Ce ne fut pas très difficile, dit Iro avec orgueil.
Le combat avait été bref, mais intense. Iro était à présent libéré de l'influence de son ancêtre. Mais il ne savait pas que tout cela était prévu et que le plan des Karukaï fonctionnait parfaitement...
Chapitre 3 - Le secret du Corbeau
Il y a longtemps...
Daijin volait au-dessus des futures terres impériales, battant des ailes avec vigueur, porté par un vent vif. Lui qui avait vécu les premiers moments de son existence dans le monde des esprits. Il aimait tant cette liberté durement acquise auprès de Yachoukou, le Karukaï, maître des esprits oiseaux. Il avait imaginé ce moment avec fébrilité et lorsque, enfin, il trouva le chemin de la sortie du monde des esprits, il sut qu’il était désormais chez lui. Il visita les différentes régions des terres de Guem mais rien ne l’attirait plus que les grandes forêts de bambou des terres de l’est, là où les hommes semblaient révérer l’honneur comme un Kami. Il s'émerveilla devant tant d’ingéniosité, de courage et de bravoure, dont faisaient preuve ces hommes. Il fut encore plus impressionné par la facilité qu’ils avaient à s’entre-déchirer pour des questions territoriales ou parfois pour de simples banalités.
Puis vint l’ascension de Xzia. Cet humain qui par la force, la diplomatie et la perspective d’un monde meilleur rallia tous les clans sous sa bannière. Daijin était là lorsque cela arriva. Ce jour-là, il décida de prendre forme humaine et de vivre parmi eux. Peut-être pourrait-il en apprendre plus sur leurs coutumes et sur leur nature ? Et puis ainsi il échapperait aux recherches d’éventuels envoyés de Yachoukou. C’est ainsi que Daijin devint un vieil homme, du moins d’apparence, parmi les hommes.
Bien des années plus tard Daijin se retrouva dans une histoire dont il se serait bien passée. Était venu le temps de la guerre. L’Empereur Xzia allait bientôt mener ses armées contre la Draconie et le monde allait s’embraser. Daijin ne souhaitait pas y participer car il vivait en observateur et en ami des hommes. Depuis qu’il vivait dans l’Empire de nombreuses légendes à propos du Corbeau se racontaient au coin du feu et désormais le Corbeau tenait une place de choix dans la mythologie de cette région, on lui attribuait même des pouvoirs bien supérieurs à ceux qu’il détenait en réalité. Cela lui convint jusqu’au moment où l’Empereur pensant la victoire sur le point de lui échapper ordonna à ce qu’on lui trouve et lui amène ce “Corbeau”. Qu'à cela ne tienne, ce qu'Empereur désire, Empereur obtint. Daijin ne se cachait pas vraiment et il fut facile pour les conseillers de Xzia de le retrouver et de le conduire devant celui qui le réclamait. On l’amena à Meragi, la capitale qui chaque jour accueillait de nouveaux habitants, une ville bouillonnante d’activité. Daijin fut accueilli dans la salle du trône où l’Empereur et ses conseillers l’attendaient. Parmi ses gens le Corbeau reconnut une personne de l’ordre des Tsoutaï, il n’aimait pas ces gens car ils étaient à la fois dans ce monde et dans celui des esprits. Xzia parla.
- Corbeau, on m’a rapporté l’étendue de tes pouvoirs et ils nous seront utiles pour mettre en échec nos ennemis. Place-toi sous le commandement Tsoutaï et voit comment organiser notre défense magique.
Mais Daijin ne souhaitait pas intervenir dans cette guerre qui n’était pas la sienne. Aussi répondit-il le plus naturellement.
- S’il est honorable de vouloir le meilleur pour votre empire, sachez que je ne suis pas de ce monde et que je n’interviens pas dans le monde des hommes.
Ce refus public blessa profondément l’Empereur, provoquant un raz de marée politique. Xzia leva la main et fit taire l’assistance. Il n’était pas du genre à se laisser impressionner par qui que ce soit, humain ou non.
- Tu foules mes terres, tu es donc mon serviteur, car je suis l’Empereur, désigné par les Kamis pour dominer le monde des hommes mais aussi celui des esprits. Tu feras ce que bon me semble.
Daijin aurait bien agit à ce moment-là, mais il fut incapable de disposer de ses pouvoirs.
- Empereur, si les Kamis t’ont confié ce monde tu ne peux en revanche pas te targuer d’être le maître des esprits. Le monde dont tu parles est régi par d’autres lois. Je dispose de mon bon vouloir, je n’ai d’ordres à recevoir de personne.
La colère de Xzia éclata devant cet affront !
- Si tu n’es pas prêt à aider l’Empire tu disparaîtras !
Alors que les gardes aidés du Toustaï se saisissaient de Daijin incapable de résister. Alors qu’ils allaient sortir de la salle du trône Daijin lança une dernière phrase.
- J’ai tissé sur ton Empire un voile de malheur. Un jour l’Empereur ploiera devant moi comme un serviteur devant son maître. Je te condamne toi Xzia et tes successeurs à devoir pactiser avec ma descendance !!
Le Corbeau fut jeté au fond d’une mine désaffectée de grisfer, métal capable de contenir les pouvoirs de cet esprit et l’on entendit plus parler de lui.
Un passé très proche...
Bien des années ont passées. D’ici une quinzaine d’années la pierre allait tomber du ciel, provoquant un conflit majeur. Mais pour l’heure, l’Empereur avait fait rouvrir les portes de la mine de grisfer, envoyant une cohorte de petites mains extraire les derniers morceaux du précieux métal. Le jeune Oykun parcourait les boyaux de la mine, bravant le danger, fuyant les coups des contremaîtres. Au plus profond de la montagne il trouva un vieil homme à moitié conscient. Oykun s’empressa de lui venir en aide, lui donnant un peu de son eau alors qu’il n’en avait presque plus. Le vieillard au regard jaune s’essuya la barbe.
- Merci... merci jeune homme. Je ne sais combien de temps j’ai passé ici.
- Que faites-vous là vieil homme ? Demanda Oykun en éclairant les chaînes de grisfer retenant Daijin.
- J’ai été enfermé ici pour avoir soi-disant eu des paroles menaçante envers l’Empereur. Depuis je suis ici au fond de cette mine. Aide-moi, délivre-moi de ces chaînes et je sauverai ta famille de la servitude et de l’enfer de cette mine.
Oykun était très sceptique, mais il vouait envers les autorités une haine des plus féroces. Aussi alla-t-il chercher le moyen de délivrer le vieil homme, puis, une fois fait, il l’emmena à l’extérieur où depuis le temps la nuit était tombée. Daijin sentit à nouveau le vent frais sur son visage, humant les parfums de la forêt non loin de là.
- Mes pouvoirs vont mettre du temps à revenir jeune Oykun, amène-moi à ta famille, cache-moi. Dis-moi Oykun, quel est ton nom de famille ?
- Je suis Oykun Kage. Ne traînons pas, les contremaîtres surveillent les lieux.
La famille d’Oykun vivait dans les baraquements délabrés affectés aux ouvriers de la mine. Tout était sale et dans un piteux état. Daijin avait déjà observé par le passé l’asservissement de l’homme par l’homme, visiblement rien n’avait changé depuis son enfermement. L’arrivée du vieil homme et la façon dont Oykun le libéra sema la discorde parmi les membres de la famille Kage. Certains furent pour confier le vieillard aux autorités, d’autres voyaient là l’occasion de faire payer les souffrances qui leurs avaient été infligées. Finalement Daijin parvint à faire accepter sa présence parmi eux. Le lendemain soir Daijin allait mieux, il discuta alors avec Oykun de l’avenir qu’il allait offrir à sa famille.
- Je tiens toujours mes paroles Oykun. Dis-moi qui sont ces enfants qui dorment d’un sommeil agité ? Demanda Daijin en regardant deux jeunes garçons pelotonnés sous leur couverture.
- Lui c’est Oogoe et lui Karasu, quand à ce petit bout d’homme, dit-il en désignant un nourrisson, c’est Kotori.
Daijin voyait l’énorme potentiel des garçons et sut que cette rencontre allait lui permettre de prendre sa revanche.
- Je prendrai tes fils, tes cousins, tes oncles et tout ceux qui voudront se placer sous ma protection. Je déferai les chaînes qui t’entravent comme tu l’as fait pour moi. Ensuite nous irons à Meragi et nous prendrons le contrôle. Cela sera peut-être long, mais nous y parviendrons.
A présent...
Daijin était revenu à Meragi depuis longtemps. Le clan du Corbeau avait rapidement prospéré tout comme Daijin eut sa vengeance en empoisonnant les rêves de l’Empereur. Puis la situation avait évolué et à présent Daijin était un conseiller de l’Empereur, enfin reconnu et surtout respecté. Une nouvelle menace frappait l’empire, les Karukaï allaient bientôt fouler cette terre ce qui horrifiait Daijin. Il avait longtemps échappé à Yachoukou, mais la barrière entre le monde des esprits et ce monde était brisée.
Kotori Kage, le plus jeune de la famille se révéla vite comme un petit garçon doué dans les arts martiaux. Grâce à la puissance du clan et à ses incroyables facultés il parvint à intégrer l’ordre des traqueurs. Shui Khan, qui reçut les enseignements de Tsuro transmettait à présent son savoir au jeune Kotori. Leur entraînement les avaient mené dans la forêt des arbres millénaires de Kobimori non loin de Meragi. Kotori courrait, en zigzagant entre les arbres, il savait qu’à tout moment son maître pouvait surgir, le but étant de lui échapper le plus longtemps possible. Jusque-là tout allait bien. Puis une lame frôla son visage. Il plongea derrière un gros rocher pour se cacher.
- Je croyais qu’on utilisait pas les kunaïs maître ! Hurla Kotori.
Puis il s'aperçut que l’objet qui failli le blesser n’était pas un kunaï, mais une lame de métal noir en forme de plume. Ce n’était pas là une arme de traqueur ! On l’attaquait pour de vrai, malgré cela il garda son calme, analysant la situation, tentant de découvrir où se trouvait son ennemi. D’après l’angle de la lame et sa vitesse, son ennemi était dans un des arbres à quelques mètres à peine de sa position. Rapidement il s’équipa, armant son lance-aiguille, dégainant plusieurs kunaïs. Puis d’un bond il sauta sur le rocher qui l’abritait, lançant les kunaïs dans l’arbre. Puis une nouvelle lame noire fila à toute allure en direction de la tête de Kotori, mais un kunaï venu d’ailleurs le percuta avant qu’il n’eut touché le jeune traqueur. Shui Khan apparut aussitôt au pied de l’arbre, il tenait une petite dizaine de shurikens serrés entre ses doigts. D’un geste agile et puissant il les lança en l’air, coupant feuilles et branches. Profitant de la diversion Kotori fonça sur les premières branches de l’arbre. Mais il ne trouva rien de plus que quelques plumes noires voletant doucement vers le bas. Shui Khan surveilla les environs mais l’agresseur n’était plus là.
- Ca va Kotori ?
- A part que j’ai failli me recevoir une lame en plein visage, ça va. Qu’est-ce que c’était ?
- Aucune idée, mais j’ai senti une présence malsaine dans les environs, je ne me doutais pas un seul moment que tu risquais quelque chose.
- J’étais pris pour cible ? Demanda Kotori en ramassant les plumes tombées.
- Oui, à n’en pas douter. Tu m’as l’air le mieux placé pour comprendre cette histoire, dit Shui Khan en montrant les plumes. Rentrons à Meragi, je vais informer le Seigneur Impérial de cette histoire.
- Et moi je vais demander à celui qui pourra me répondre.
Daijin discutait avec Oykun dans la grande salle de la demeure du clan. L’ancien mineur avant quelques années de plus et ses tempes grisonnantes lui rappelaient que le temps avançait inexorablement. Le jeune mineur qui sauva autrefois le Corbeau était devenu une personne importante, gérant le clan avec Daijin. Leur discussion fut coupée par l’arrivée de Kotori qui avait couru jusqu’ici pour éviter toute rencontre fortuite. Il s’inclina devant le Corbeau et devant son père.
- Désolé de vous déranger tous deux...
- Qu’est-ce qu’il y a ? Demanda Oykun en fronçant les sourcils.
- On... on vient de tenter de m’assassiner, dit-il en tendant les plumes récupérées sur place.
Le visage d’Oykun devint blanc, quelqu’un avait tenté de tuer son fils ! Quant à Daijin, il prit les plumes, il en avait déjà vu de semblables.
- Qui a osé faire ça ?? Cria Oykun.
Kotori ne sut quoi répondre.
- Calmez-toi seigneur Oykun, je sais qui a fait ça, et je pense que ce n’était pas vraiment une tentative d’assassinat, mais un avertissement, voire une invitation. Mais cela me regarde, moi, esprit Corbeau.
- Je n’aime pas que l’on se serve des miens pour des histoires d’esprits !
- Je comprends ta colère, je vais.. régler ça, et je tiens toujours parole.
Oykun grinça des dents mais ne répondit pas, préférant examiner son fils pour voir s’il n’était pas blessé. Daijin lui alla jusqu’à ses appartements, tout en haut de sa demeure, puis ouvrant la fenêtre il se transforma en un énorme corbeau. Il vola en direction de la forêt de Kobimori. Lui qui percevait la présence des esprits en trouva d’innombrables ici.
- Si proche de Meragi, cela ne va pas du tout.
Puis il repéra celui qu’il venait voir et à ce moment précis il avait peur. Il retrouva forme humaine et s’approcha de quelqu’un ou de quelque chose.
- Je vois que tu as le courage de venir me voir mon petit Corbeau... Mais... que tu es laid ! Dit cette étrange personne à moitié humaine et à moitié oiseau. Change-moi ça !
Daijin changea d’apparence, rajeunissant alors.
- C’est mieux.
- Seigneur Yashoukou...
- Ma présence ici te fait peur n’est-ce pas mon petit Corbeau. Tu m’as échappé longtemps, mais maintenant que je t’ai retrouvé nous allons pouvoir régler nos.. différents. Beaucoup de Karukaï parlent de toi, ils ont peur que tu les trahisses comme tu m’as dupé, moi, mon petit Corbeau.
- Vous n’êtes pas encore totalement dans le monde des hommes, vous ne pouvez rien contre moi.
- C’est vrai, c’est vrai, je ne suis pas encore capable de t’égaler dans ce monde. Aussi j’ai prévu d’autres plans... Tu sembles attaché à cette famille humaine... les Kage. Nous allons commencer par eux mon petit Corbeau.
A ce moment là jaillirent des arbres des arbres des dizaines et des dizaines d’oiseaux, des corneilles, des corbeaux et autres volatiles de même acabit.
Tous s’envolèrent vers Meragi sous l’œil amusé de Yashoukou.
Sol’ra
Chapitre 1 - Mise à l'épreuve
Le soleil était levé depuis bien longtemps sur le désert d’émeraude. Comme à son habitude le premier conseiller du roi, le Vizir Mahamoud consultait les missives arrivées durant la nuit. Le thé à la menthe des rives de l’Ekta diffusait une délicieuse odeur, le vizir aimait la relative fraîcheur des lieux à cette heure-ci. La journée s’annonçait bien, les nouvelles jusque-là excellentes le mettaient de bonne humeur. Il se risqua même à se servir à nouveau du thé. Alors qu’il portait la tasse à ses lèvres il remarqua un parchemin plié portant un sceau de cire. Ce pli ne venait assurément pas du royaume du désert, mais d’ailleurs, ce qui était chose rare car peu de personnes parmi les autres nations s’intéressaient au désert. Il posa sa tasse fumante et examina le sceau.
- Le Conseil des Guildes...
Il décacheta le pli et commença à parcourir les écritures. La lettre était rédigée de main de femme.
“Très estimé Vizir Mahamoud,
Voilà un moment que je ne vous ai fait parvenir de nouvelles et celle que je m’apprête à vous donner est hélas très mauvaise. Une réunion exceptionnelle du Conseil a eu lieu en début de ce mois. Il a été voté à la majorité la dissolution temporaire des Nomades du Désert. Cette décision a été validée par le Conseiller-Doyen Vérace et a pris effet dans le même temps.
Vizir, je ne peux que vous alerter de l’opinion extrêmement défavorable à l’encontre des Nomades du Désert et par extension envers le royaume du désert. La décision a été motivée par les récentes attaques sur le Tombeau des ancêtres menées par Ïolmarek. Sachant qu’une petite partie de ces terres, à savoir l’endroit où s’est écrasée la pierre tombée du ciel et ses proches environs sont désormais la propriété des Combattants de Zil. Par conséquent les actes des Nomades ont été jugés comme une agression vis à vis des Combattants de Zil.
Vizir, jusque-là nous avons réussi à épargner le désert d’émeraude de la venue des étrangers et ceci grâce au fait de notre présence au Conseil. A présent que la guilde est dissoute, il est probable qu’il y ait de graves conséquences. Aussi je vous implore de ramener Ïolmarek à la raison.
Ayant de bonnes relations avec les Combattants de Zil je vais tenter de calmer les tensions en attendant des ordres de votre part. Le Conseil m’autorise à garder mes fonctions auprès d'eux, mais je ne sais pas pour combien de temps encore.
Votre dévouée,
Hasna”
Mahamoud relut la lettre à plusieurs reprises pour bien assimiler chaque information. Familier des complots et un peu paranoïaque il y vit de prime abord une machination à l’encontre des Nomades, mais n’étant pas homme à agir sous le coup de la colère il lui fallait plus d’informations. Il replia soigneusement la lettre et la glissa à l’intérieur de sa veste puis d’un trait avala le reste de thé.
- Atcha !
Une servante d’un certain âge entra dans la salle et regarda le vizir avec respect.
- Je m’absente pour la journée, va voir Arzeb, dis-lui qu’il prévienne les Nomades du Désert encore présents dans le royaume, ils sont convoqués sans délai.
- Bien vizir, ça sera fait.
- Merci.
Mahamoud avait décidé en tout premier lieu de prévenir le roi du désert de cette mauvaise nouvelle. A cette heure-ci il trouva le roi et la majorité de la cour en route vers le temple de Sol’ra à Mineptra. Devant le visage inquiet de son premier conseiller, le roi accepta une entrevue à l’écart, au risque d’être en retard pour la Vénération. Une fois la situation expliquée et un bref échange d’opinions Mahamoud reprit sa route avec la ferme intention de résoudre cette fâcheuse histoire.
A l’oasis d’Istaryam, le prince Metchaf, Urakia et Kébèk s’adaptaient à une nouvelle vie, une vie sans Sol’ra mais sous l’égide du panthéon originel ou du moins ce qu’il en restait. Depuis qu’Istaryam avait été en partie détruite et que les anciens dieux étaient libres, des groupes de personnes arrivaient pour se mettre sous la protection du prince. La nouvelle se répandait vite au grand damne de Metchaf car cela arriverait tôt ou tard aux oreilles de son père. Il le redoutait car cela lui imposerait une confrontation qu’il ne désirait pas vraiment. Le destin eut tôt fait de s’occuper de lui imposer cette confrontation...
La femme qui s'avérait être l’incarnation de Naptys alla trouver le fils du roi.
- Il y a une personne que j’aimerais vous présenter. Elle a quelque chose à vous révéler, prêtez-lui une oreille attentive. Elle vous attend de l’autre côté du lac.
- Vous êtes bien mystérieuse, Déesse.
Cette remarque la fit rire aux éclats.
- C’est là l’avantage d’être un dieu ! Et puis c’est juste que je tiens à ce que vous fassiez connaissance de cette personne, quelque chose me dit qu’elle restera à vos côtés de longues années.
- On verra bien.
Sakina était l’une des rares prêtresses de Naptys. Elle bravait depuis plusieurs années les interdictions de Sol’ra vis-à-vis des autres cultes. Son peuple vivait par et pour le voyage, préférant éviter les cités et les contacts avec les autres communautés. Naptys avait décidé de guider ce peuple vers Istaryam afin que dieux et mortels cohabitent dans une harmonie nouvelle. La jeune femme aux cheveux bruns trempait ses pieds dans l’eau tiède du lac se délectant du contact du liquide de vie. Sakina aimait la vie et c'est pourquoi elle avait une grande affinité avec la déesse qu'elle représentait : Naptys. Elle plongea les mains dans l’eau et s’aspergea le visage. Metchaf avait fait le tour de l’étendue d’eau et avait vu cette jeune femme belle comme un rayon de soleil. Il se demanda si Naptys lui avait dit qu’eux deux s’entendraient bien parce qu’il aimait séduire les femmes ? Hors cette jeune femme n’avait pas à rougir à côté d’Urakia et de la fille de l’Aïf d’Aksenoun. Metchaf se para de son plus beau sourire de séducteur en arrivant face à Sakina. La prêtresse le dévisagea quelques instants de ses grands yeux.
- Les légendes sur ta beauté sont loin de la vérité Prince, Naptys a bon goût.
Cela toucha le prince en plein cœur. Il ne montra pas sa gêne pour rester digne face à une personne de classe sociale bien inférieure à la sienne.
- Merci merci. Ravi de vous connaître...
- Sakina...
- Un joli prénom, dit-il pour reprendre l’avantage.
Mais son effet tomba à l’eau car elle détourna le regard vers l’étendue d’eau.
- J’ai quelque chose à te montrer Prince Metchaf, regarde le présent...
Interloqué il jeta un œil à la surface de l’eau. Il y vit des images mouvantes...
Les Nomades du désert partis vers la lointaine pierre tombée du ciel se battant contre des guerriers vêtus de rouge...
Puis Ïolmarek et les autres prêtres de Sol’ra priaient au pied de la pierre...
Le cristal jaune se fendit et une créature d’énergie prit possession du corps d’une personne que Metchaf ne connaissait pas...
Enfin une créature à la puissance divine apparut...
Enfin la vision cessa. Metchaf réfléchissait à la signification de ce qu’il venait de voir.
- Qu’est-ce ?
- Si tu fais référence à la créature au bec de faucon, il s’agit de Sol’ra venu sur Guem pour la détruire.
- La détruire ??
- Oui Prince, Sol’ra n’a que faire de ceux qui le prient et encore moins de ce monde, il n’a qu’un but l’anéantir.
- Que faire face à ça ?
- Tu as ouvert la voie en te détournant de lui. Maintenant les choses changent rapidement, un oiseau venu de la capitale va arriver, t’apportant un message.
- Vois-tu l’avenir ?
Sakina sourit alors et montra le ciel.
- Non, dit-elle alors qu’un faucon se posa sur son avant-bras.
Metchaf comprit alors qu’elle l’avait vu arriver, il était de notoriété que le faucon servait de messager royal. Cela se vérifia immédiatement lorsque Metchaf détacha le message du collier de l’animal et le parcourut très vite.
- Le Vizir Mahamoud convoque tous les Nomades du Désert. Ça aussi tu le savais ?
- Non, mais je pense que ça a un rapport avec la vision de tout à l’heure. Je suis persuadé qu’il n’y a une coïncidence entre le retour des dieux et la venue de Sol’ra sur cette terre, mais que ce n’est que le début.
- Dans ce cas, nous allons à Mineptra, nous accompagnes-tu ?
- Oui.
Quelques jours plus tard Metchaf, Sakina, Kébèk et Urakia étaient arrivés à Mineptra. Sans tarder la troupe demanda audience au Vizir Mahamoud, ce dernier les reçut dans ses appartements. Il fut heureux de revoir sa fille dont il n’avait plus de nouvelle depuis son départ avec le prince. Le vieil homme serra fort sa fille contre son cœur les yeux pétillants, puis il salua le prince en s’excusant de ne pas l’avoir fait avant.
- Qui sont ces personnes ? Demanda Mahamoud en direction de Kébèk et Sakina.
Le prince jeta un œil à l’entrée de la pièce pour vérifier qu’ils étaient seuls.
- Voici Kébèk guerrier de Kapokék et Sakina prêtresse de Naptys.
A l’évocation de ces noms le vizir se raidit, fronçant les sourcils.
- Installons-nous Vizir, je vais vous raconter notre histoire. Kébèk ! Peux-tu garder l’entrée, personne ne passe, pas même mon père !
Metchaf conta alors son aventure, comment il avait rencontré Shrikan et déjoué les complots rebelles à Aksenoun, puis l’histoire d’Istaryam et des dieux emprisonnés, sa rencontre avec Kébèk et la libération de Ptol’a, Naptys et Kapokék et surtout l’arrivée sur Guem de Sol’ra au travers de la vision de Sakina.
- Tout cela doit rester entre vous et nous, Vizir.
- Je... je comprends bien. De mon côté les nouvelles sont mauvaises. Le Conseil des guildes a dissout temporairement les Nomades du Désert, Ïolmarek et consorts ont perdu la raison. Lisez ceci, dit-il en tendant la lettre envoyée par Hasna.
Sakina et Urakia lisaient en même temps par dessus l’épaule du prince, ce dernier se pinça les lèvres.
- Que pense mon père de ça ?
- Votre père est un croyant fidèle, mais il a les yeux ouverts. Il vous faudra aller le voir avant votre départ.
- Départ ? Où allons-nous ?
- Les Nomades du désert ont été créés sur un principe politique et non religieux. Cela nous permet de récolter des informations, assurer le commerce avec l’extérieur et maîtriser nos frontières. Il nous faut une guilde officielle, nous ne sommes pas en mesure de nous passer des Nomades. Aussi je vous envoie plaider notre cause auprès du Conseil et s’il faut se dresser contre Ïolmarek nous le ferons. Nous sommes à l’aube de changements majeurs, votre père le sait et je pense qu’il compte sur vous pour assurer sa relève et éviter que le royaume du désert ne sombre dans le chaos. L’action de Ïolmarek nous porte préjudice et le monde nous met désormais à l’épreuve.
- Dans ce cas, dit le prince en regardant ses compagnons, préparons-nous au voyage !
Chapitre 2 - Guerre divine
Le prince Metchaf, le Vizir Mahamoud ainsi que leurs compagnons avaient fait un long voyage depuis Mineptra. Devant eux les hautes tours du château de Kaes se dressaient, éternelles, elles rappelaient à qui les apercevrait que le Conseil des guildes siégeait ici. Et c’est justement ce Conseil que les Nomades du désert venaient visiter. Les nouvelles n’avaient pas été bonnes pour eux et ils comptaient plaider leur cause. Prévenue de leur arrivée imminente Hasna se tenait devant la grande porte du domaine, entourée de soldats du Conseil à la livrée pourpre. Son cœur battait la chamade, elle allait revoir ses compatriotes et cela la rendait joyeuse. Lorsqu’elle vit la caravane avec ses chameaux et ses palanquins elle sentit le parfum du sable lui apportant un petit bout de chez elle. Urakia, Kébèk et Sakina furent les premiers à poser le pied sur le sol froid, vérifiant ainsi la sureté des lieux. Puis le prince Metchaf et le vizir Mahamoud sortirent des palanquins. Hasna s’inclina, écartant les bras comme le voulait les traditions du royaume du désert.
- Prince Metchaf, Vizir Mahamoud, c’est un véritable honneur pour le Conseil des guildes ainsi que pour moi de vous accueillir ici. Soyez les bienvenus au château de Kaes. Votre route a été longue aussi je vous invite à me suivre. Je vais vous mener jusqu’aux appartements préparés pour vous.
Mahamoud avança jusqu’à elle afin de compléter le protocole.
- Merci au Conseil des guildes de nous recevoir. Nous souhaitons nous entretenir avec le Conseil au plus vite.
- Le Conseiller-Doyen Verace vous recevra dès que vous serez installés.
- Merci ambassadrice, je ne manquerais pas d’informer sa majesté de vos efforts pour le satisfaire. Dit-il pour clore les civilités.
Hasna se redressa et fit signe aux gardes d’aider le convoi afin de mener leurs illustres invités aux appartements.
- J’en peux plus de ce voyage, j’ai cru que ça ne se terminerait jamais, lâcha Kébèk.
- M’en parle pas, les dieux ont créé les chameaux pour marcher sur le sable par sur la terre étrange de cette région du monde, ajouta Urakia en se jetant dans un confortable fauteuil.
- Il fait froid, c’est étrange comme sensation, répliqua Kébèk en regardant dehors.
- Un grand guerrier comme toi, avoir froid ? Ironisa Urakia. Où sont le prince et mon père ?
- Ils sont partis voir le Conseil. On fait quoi ? S’inquiéta Sakina.
- Je peux vous faire visiter, déclara Hasna impatiente de faire découvrir les environs aux nomades.
Alors que certains passaient du bon temps, pour le prince Metchaf et le Vizir Mahamoud la partie d’échec avec le Conseil avait démarrée. Ils furent reçus dans le salon des appartements de Vérace. Les serviteurs s’affairaient à proposer boissons et nourritures aux invités qui pour l’occasion avaient laissé armes et armures de côté, arborant de somptueuses tenues exotiques. Vérace, tenant le bâton de cérémonie du Conseil s’installa face à eux et sans détour ni ménagement il posa la question qu'il lui semblait nécessaire de poser.
- Prince, Vizir, notre temps, à vous comme à moi est très important. Aussi sans attendre je me dois, au nom du Conseil des guildes que je représente, de vous demander pourquoi nous devrions reconsidérer notre décision de dissoudre la guilde des Nomades du désert ?
Cette question était l’essence même de leur rencontre, le prince et le vizir avaient eu le temps du voyage pour monter un argumentaire qui pourrait selon eux aller en leur faveur. Le Vizir prit la parole.
- Conseiller-Doyen, merci d’avoir accepté de nous recevoir et de nous donner l’occasion de défendre au mieux notre vision des choses. Le désert est un lieu de secrets et de mystères, ce qu’il s’y passe n’est pas connu des personnes qui n’y résident pas. Voilà plusieurs mois que de grands changements secouent notre civilisation, nous sommes, si nous pouvons dire ainsi à nouveau dans une guerre divine.
Vérace ouvrit de grands yeux, indiquant par là qu’il n’avait pas connaissance des faits. Le Vizir continua.
- Une partie des Nomades du désert a agi contre les intérêts du roi du désert et par cela a trahi notre confiance. Ïolmarek, grand prêtre de Sol’ra, aveuglé par sa foi inconditionnelle dans celui que nous considérons aujourd’hui comme notre ennemi, a provoqué un désastre sans nom. J’ai été nommé par sa majesté Fils du Sable et des Dieux comme nouveau dirigeant des Nomades du désert et c’est en cette qualité que je vous demande de bien vouloir nous accorder votre confiance.
- Comment être sûr que vous ne trahirez pas à nouveau cette... confiance. La venue de cette créature a provoqué une guerre entre guildes et beaucoup de guerriers du désert sont en ce moment en passe d’attaquer la Cœur de Sève.
- Nous ne reconnaissons plus ces guerriers comme étant des Nomades du désert. Nous sommes venus ici pour montrer notre bonne foi, si j’ose dire ainsi. Nous combattrons cette menace qui pèse sur les terres de Guem car il est dans nos intérêts de rétablir la situation. La dernière fois qu’un tel évènement s’est produit cela a été la fin de florissantes civilisations du désert, nous ne souhaitons pas que cela advienne à nouveau. Nous connaissons bien notre ennemi et vous ne trouverez pas de meilleurs appuis dans cette guerre qui vous oppose à Sol’ra, nous sommes nous même des envoyés d'anciens dieux du désert désireux de rétablir l’ordre au sein de leur panthéon.
A son tour le prince Metchaf s’adressa au Conseiller-Doyen.
- J’ai combattu les Solarians dans le désert, je sais à présent qu’ils n’ont rien de bienveillants et que leur désir le plus profond est de détruire ce monde. Et nous ne pouvons... vous ne pouvez pas laisser passer cette occasion. Nous partirons dès demain pour affronter Sol’ra !
Vérace ne laissa rien exprimer de ses impressions sur tout cela.
- Je vais porter vos arguments durant la séance de cet après-midi. Hasna vous informera de ce qui sera décidé. Joignez-vous à nous durant le repas, j’ai cru comprendre que vous avez ramené du Laardish ? Dit Vérace pour détendre l’atmosphère.
Fin d’après-midi. Le soleil se cachait derrière les arbres nus lorsque Hasna entra dans la grande salle de réception où attendaient les Nomades du désert.
- Alors ? S’inquiéta Metchaf.
- Voici la décision du Conseil, dit-elle en déroulant un parchemin. Le Conseil, représenté par le Conseiller-Doyen Vérace en ce jour a statué sur la demande formulée par le Roi du désert par le biais du Prince Metchaf et du Vizir Mahamoud. La guilde des Nomades du désert est temporairement acceptée et reconnue comme telle par le Conseil des guildes. Le Vizir Mahamoud est reconnu comme actuel chef de guilde des Nomades et remplace le grand prêtre Ïolmarek déchu de la direction des Nomades du désert. Est convenu que cette décision est soumise à une période au terme de laquelle, si la guilde des Nomades du désert n’a pas suivi les règles du Conseil des guildes, celle-ci sera remise en cause. Pour le Conseil des Guildes, Conseiller-Doyen Vérace.
Kébèk fronça les sourcils.
- J’ai rien compris.
Tous éclatèrent de rire, le prince se leva de son siège pour récupérer le parchemin tendu par Hasna. Le Vizir se leva à son tour.
- Ça veut dire que les Nomades du désert ne sont plus des parias. Mais aussi que nous devons faire nos preuves. Aussi, Nomades du désert, préparez-vous, nous partons affronter la mort.
- La mort ?? Je suis déjà mort plusieurs fois, c’est pas une fois de plus qui va m’arrêter !! Répondit Kébèk en montrant ses biceps.
- Espérons-le... ajouta Sakina rêveuse.
Plusieurs semaines avant cela, au Tombeau des ancêtres, la guerre faisait rage.
- NOOOON FUYEZ TOUS ! OU VOUS ALLEZ PERIR !!! Hurla le Mangepierre comprenant qu’elle serait incapable de contrer l’avatar de Sol’ra.
Voyant la résistance dont faisait preuve la créature de Guem, l’avatar décida de commencer son œuvre et de détruire les environs et toutes les créatures vivantes qui s’y trouvaient. Un rayon de soleil le frappa, comme si l’astre qui brillait haut dans le ciel réagissait à la volonté de l’avatar, la chaleur augmenta encore plus, puis servant de relais il envoya à son tour le rayon solaire. Le Mangepierre vit le rayon partir, et elle le savait, si ce dernier touchait terre ça serait une catastrophe. Elle n’avait pas le choix, elle devait l’arrêter. Elle plongea à toute vitesse et s’interposa.
Le temps se mit à ralentir pour toutes les personnes présentes à l’exception de l’avatar et du Mangepierre. Tous deux se retrouvèrent face à face. Le rayon solaire s’arrêta avant le sol, figé par le sortilège du temps. Le dieu destructeur ne comprenait pas cette magie, mais il ne fit pas l’erreur de sous-estimer cette chose qu’il ne connaissait pas.
- Je sens chez toi la présence de mon vieil ennemi, créature. Je ne sais pas ce que tu as fait mais arrête cela de suite !
Le Mangepierre en lévitation devant l’immense tête de l’avatar sourit pour la dernière fois de sa vie.
- Il m’est impossible de te battre. Mais à présent j’y vois clair, je sais qui je suis, je sais qui tu es et je sais ce que je dois faire. Hors si je ne peux te vaincre, je peux te ralentir Solar et donner aux autres parties de Guem le temps nécessaire pour parvenir à te contrer ! Dit le Mangepierre alors qu’une aura de lumière verte se développait autour de son corps.
Une onde, comme une explosion, fut projetée de son enveloppe, libérant toute la magie qu’elle enfermait au plus profond d’elle. Incapable de l’éviter, Solar reçu la magie de plein fouet et se figea aussitôt. Pour lui le temps venait de s'arrêter. Très affaibli le Mangepierre reprit un court instant sa respiration.
- Tu as déjà essayé à maintes reprises de me détruire, ce n’est pas cette fois que tu réussiras, dit le Mangepierre.
Puis allant vers son destin elle s’interposa devant le rayon solaire et retourna dans le bon fil du temps. Le rayon solaire la frappa, mais le Mangepierre en offrant ses dernières forces évita le pire des scénarios. L’explosion projeta tout le monde au sol...
Aujourd’hui.
- Pourquoi il bouge pas ?? Interrogea Kébèk regardant l’avatar non loin de là.
- Oui c’est étrange, ça fait deux bonnes heures que nous l’observons, il est comme figé, répondit Metchaf.
- Profitons-en, s’il bouge pas ça n’en sera que plus facile, dit Urakia en dégainant son épée.
- Avançons-nous, mais attention il peut y avoir d’autres Nomades dissidents, ordonna Mahamoud qui tenait son casque à tête de lion sous le bras. Que les dieux nous guident sur le chemin de la victoire !
La troupe n’eut aucun mal à avancer car tout autour de l’avatar n’était que désolation et sable. Ci et là des morceaux d’armures, des bouts d’armes rappelaient la violence de la bataille qui eut lieu il y a quelques semaines.
- Attention !! Prévint une voix venue de nulle part.
Les nomades avertis à temps échappèrent de peu à l’assaut d’une chose mi-humaine mi-scarabée. Au même moment un homme spectral à tête de lion apparut aux côtés des Nomades. La créature qui n’était autre que l’incarnation de Kehper frappait de ses griffes chitineuses les guerriers immortels.
- Kehper ! Cria l’apparition, qui n'était autre que Naptys.
Ni une ni deux Kébèk s’interposa devant la créature.
- Il est pour moi celui là !!
- Misérable tu n’es rien qu’un insecte ! Invectiva Kehper.
- Tu t’es vu face de scarab ? Plaisanta Kébèk en encaissant un coup de poing de son adversaire.
Metchaf épaula son compagnon de combat en donnant quelques coups d’épée sur la carapace de l’incarnation. Puis à ce moment là Ptol’a et Kapokèk apparurent à leur tour.
- Vizir, la bataille commence ! Ouvrez-nous vos âmes et alors nous ne ferons plus qu’un ! Cria Ptol’a.
Les pièces du puzzle s'emboîtaient parfaitement et alors que Kébèk devint Kapokèk, qu’Urakia devint Ptol’a et que Naptys s’incarna en Mahamoud, le sort qui figeait l’avatar fut brisé par sa volonté divine. Écartant les bras l’avatar libéra sa colère. La terre trembla puis se fissura, engloutissant lentement le sable du Tombeau des ancêtres. Sol'ra analysa la situation à la vitesse de l’éclair. Il n’y avait plus l’armée des misérables créatures de Guem, à la place des personnes aux tenues d’habitants du désert lui faisaient face. Il comprit à qui il avait à faire lorsqu’il remarqua la présence des dieux emprisonnés il y a bien longtemps.
- VOUS ??? Comment est-ce possible ??
Mahamoud qui tenait fermement Jugement de l’âme ne prit pas la peine de répondre, se contentant de charger.
- FOLIE ! Cria l’avatar déployant son pouvoir. JE SUIS SOL’RA !
Le combat s’engagea, une bataille où les forces en présences n’avaient rien d’humaines. Alors que Kébèk et le prince Metchaf s’occupaient d’un Kehper déchainé, Mahamoud, Urakia et Sakina combattaient Sol'ra de toute leur rage divine.
En ce jour là l’histoire se répéta à nouveau...
La bataille fut titanesque, les dieux ne prirent pas la peine de faire attention à leur environnement, détruisant en grande partie les alentours. Les énergies divines s’entrechoquaient avec violence. Mahamoud et Urakia coupaient les tentacules de lumière de l’avatar les uns après les autres et lorsque les griffes de Solar perçaient leurs cœurs, Ptol’a leur redonnait vie. De leur côté Kébèk et le prince Metchaf avaient l’avantage sur l’incarnation de Kehper, appuyés par Sakina dont les dons permettaient de refermer les plus graves blessures. Kébèk réussit à ceinturer la créature à moitié scarabée pendant que le prince inspiré par Kapokèk lui transperçait la poitrine pour ensuite lui arracher le cœur de ses mains. Kehper succomba, trop faible pour affronter des dieux supérieurs.
Solar et les dieux morts faisaient désormais jeu égal. Les coups portés n’avaient plus rien d’ordinaire, et les enveloppes de chairs, les armures et les armes ne comptaient plus, désormais c’était une lutte de puissances divines, de volontés incroyables déterminées à en finir maintenant. Sol’ra connaissait bien l’étendue des pouvoirs de Ptol’a et de ses camarades, il avait aussi un atout plus qu’important qui fit basculer la victoire de son côté : Cheksateth. Ce dieu du savoir avait depuis longtemps disparu, ou du moins il n’avait plus la même forme. Le dieu solaire avait absorbé son énergie divine ainsi que ses connaissances. Sol’ra repoussa lentement mais sûrement ses adversaires, contrant les assauts avec une redoutable efficacité.
Enfin tout s’arrêta. Sol’ra mit un terme à tout cela. Se concentrant il explosa littéralement, balayant les Nomades du désert, rayant le Tombeau des ancêtres et toute la région de la carte des terres de Guem. Incapable de lutter Ptol’a, Naptys et Kapokèk ne purent rester dans les corps de leurs serviteurs plus longtemps... La bataille était perdue, Sol’ra, libre de la moindre opposition exultait. C’était le chaos autour de lui, les profondes crevasses libéraient doucement la lave jusque là cachée dans les entrailles de ce monde. Il était plus que temps à présent d’entreprendre la destruction de ce monde.
Les Nomades se retrouvèrent à des dizaines de lieux de là, non loin de la Draconie. Blessés, mais encore vivants grâce à l’aide des dieux ils se rassemblèrent pour mettre au point une nouvelle stratégie après cette défaite. Alors qu’ils reprenaient leurs esprits non loin d’une route, ils assistèrent à un étrange spectacle. Des créatures à l’aspect monstrueux couraient dans des mouvements erratiques. Puis un cavalier de bleu vêtu apparut. Son armure brillait doucement et son casque avait la forme d’une tête de Dragon. Il était suivi par d’autres créatures ainsi que des soldats humains. Le cavalier s’arrêta à leur hauteur et les Nomades furent rapidement entourés des humains.
- Qui êtes-vous, demanda le cavalier.
- Je suis le prince Metchaf et voici mes compagnons, nous sommes la nouvelle guilde des Nomades du désert. Nous venons d’affronter Sol’ra... et nous avons... perdu...
- Nouveaux Nomades du désert ? Marlok nous a prévenu de cela. Je suis le chevalier dragon Zahal. Je commande cette armée, alliance improbable de forces opposées. Et nous marchons en direction du Fléau de Guem pour une ultime bataille.
Le monde invisible
Voilà deux jours que Mynos parcourait les bois à la recherche de gibier. Jusque-là la chasse n’était pas trop mauvaise. Quelques lapins et une perdrix, voilà qui rassasieraient assurément les petits morfals qui auraient tôt fait de dévorer cette prise. Jugeant cela suffisant il se décida de rentrer chez lui pour rejoindre femme et enfants. Il était fatigué, mais il aimait par dessus tout ces moments de solitude où il n’y avait que lui et la nature. Il profita du chemin du retour pour récupérer quelques champignons qui à coup sur seraient succulents bien grillés. Il se régalait d’avance du futur festin qu’il allait partager en famille. Il hâta sa marche, il savait qu’il se rapprochait de chez lui car la forêt était de plus en plus clairsemée. Enfin il sortit du bois pour arriver devant de douces collines elles-mêmes au pied de hautes montagnes. Cachée dans une cuvette, entourée d’enclos à animaux Mynos retrouva sa maison dont il était fier. Il l’avait construit lui-même avec l’aide de son épouse, d’ailleurs son architecture très irrégulière prouvait l’amateurisme des bâtisseurs. Le chasseur fut étonné de ne pas avoir sa marmaille déjà autour de lui, il s’attendait à les voir débouler à toute allure.
Puis il vit la porte entrouverte et là il s’inquiéta. En temps normal la porte est soit fermée, soit ouverte avec sa femme devant en train de surveiller les environs. Il eut raison de s’inquiéter car lorsqu’il poussa la porte il vit son épouse, une jeune femme belle comme le jour, en train de sangloter recroquevillée sur le plancher. Mynos lâcha son arc et ses prises par terre.
- Où sont les enfants ??
La jeune femme entendant la voix de son époux leva la tête. Horrifié Mynos, vit les marques sur son visage : quelqu’un l’avait roué de coups. Il la prit dans ses bras en essayant de la calmer, mais cela s'avéra impossible. Sa voix tremblait, elle ne sentait plus son visage.
- Qu’est ce qu’il c’est passé ? Dis-moi !
- Des... des hommes sont venus... Ils ont emporté les enfants... ils ont emporté les enfants !!
- QUOI !? Qui ? Combien ? A quoi ils ressemblaient, dit l’homme avec rage.
- Ils étaient trois ou... quatre... très grands... Il y avait un homme qui n'avait qu’un bras... Ils, ils m’ont tabassé sans rien me demander, par pur plaisir...
- Un homme sans bras... Ont-ils dit quelque chose de plus ??
- Ou... oui, l’homme avec un bras a dit qu’il fallait que t’ailles... à la crique de la Chouette... Mynos, fait quelque chose !!
L’homme serra les dents en aidant sa femme à se relever. Puis il courut vers une armoire d’où il sortit son contenu sans ménagement. Il déplaça une planche du fond libérant une cache. De là il tira des habits noirs et deux dagues.
- Je vais prévenir les voisins qu’ils viennent te tenir compagnie.
- Tu avais... promis...
- JE SAIS !! Puis il se radoucit. Désolé, ne t’inquiète pas je vais les ramener, dit-il en s’habillant.
Le voici désormais vêtu de noir et d’une large cape à capuche. Il tira les dagues de leur fourreau, les lames brillèrent vivement. Après les avoir attachées à sa large ceinture il laissa sa femme.
- Ferme la porte...
Mynos était arrivé à la crique de la Chouette qui portait son nom en raison d’un rocher surplombant une petite étendue d’eau et qui rappelait la tête de cet animal. Caché dans un arbre il observait les environs. Sur la berge, tout proche du rocher de la Chouette, deux hommes aux bras gros comme des jambons gardaient les trois enfants de Mynos, ceux-ci étant attachés et bâillonnés. Un troisième discutait avec l’homme qui n’avait qu’un seul bras. Aucun des visages de ces personnes ne lui revenait en mémoire, les avait-il déjà croisés ? Il ne saurait le dire. Il songeait plutôt à un plan d’attaque et de libération. Mais il n’arrivait à aucun plan qui pourrait assurer la sécurité de sa progéniture. Puis le manchot regarda dans sa direction.
- Malandrin !! Montre-toi ! Je sais que tu es là ! Cria-t-il.
Bon, perdu pour perdu il ne lui restait plus qu’à aller voir ce qu’il lui voulait. Peut être aurait-il un plan le moment venu, mais la présence des enfants n’arrangeait vraiment pas les choses. Mynos sauta de son arbre pour atterrir dans le sable gris de la berge. Il s’arrêta à bonne distance pour éviter que les gros bras ne l’attrapent sans un maximum d’effort de leur part.
- Je sais pas qui vous êtes, relâchez les enfants !
Le manchot avait sa proie dans les filets, il ne restait plus qu’à les remonter.
- J’ai mis du temps à te trouver Malandrin, tu m’excuseras auprès de ta femme, mes amis parlent plus avec leurs poings qu’autre chose. Je suis Volius d’Andromicès.
- Pourquoi m’appelles-tu Malandrin ? Mon nom est Mynos.
- Allons, allons, nous sommes entre nous tu peux être toi-même. Je sais parfaitement qui tu es, pilleur de tombes. Je t’aurais cru plus futé que ça, Mynos. Non mais vraiment. Bon, on m’a dit que rien ne pourrait te faire redevenir celui que tu étais, aussi ai-je monté ce petit plan. Rassure-toi, nous ne ferons pas de mal à tes charmants bambins, je veux juste que tu retrouves quelque chose pour moi.
Les souvenirs de la vie passée de Malandrin refirent surface. A l’âge de quinze ans il vivait de petits larcins, puis le destin a fait qu’il retrouve plusieurs objets antiques, il se fit donc connaitre comme pilleur de tombes et il devint célèbre. Puis dix ans plus tard il rencontre une femme et décide de raccrocher pour fonder une famille, loin de tous les problèmes que son activité attirait comme les mouches. Aussi changea-t-il de nom, laissant Malandrin dormir dans son placard, donnant à Mynos la vie qu’il rêvait. C’était il y a huit ans. De longues années de bonheur, jusqu’à ce moment-là...
- Tu veux que je fasse quelque chose pour toi en échange de mes enfants ?
- Exactement. Je l’aurais bien fait moi-même vois-tu, j’ai fait le même métier que toi jusqu’à un tragique accident. Dit-il en montrant le côté de son torse sans bras. Je ne connais personne d’autre qui soit capable de réaliser ce que je vais te demander. Malandrin n’avait pas le choix.
- Qu’est ce que tu veux ?
- Je veux le trésor du monde invisible !
Il connaissait les légendes du monde invisible, comme beaucoup d’autres légendes d’ailleurs. Les pilleurs de tombes comme on les appelait vulgairement basaient une partie de leur “travail” en fonction des légendes car souvent elles avaient pour origine des faits réels. La plus fameuse des légendes, celle qui créait la vocation était celle du monde invisible. Certains des plus célèbres pilleurs avaient passé leur vie à la recherche de ce monde, on prétendait que ceux qui le trouvaient ne revenaient jamais.
- Folie ! Dit Malandrin, ce trésor n’existe que dans tes fantasmes.
- C’est là que tu te trompes.
Volius s’approcha de Malandrin en détachant une bourse de sa ceinture, qu’il lança au pilleur de tombes.
- C’est quoi ?
- Ouvre-là, fait attention.
Malandrin défit le nœud de cordelette, découvrant un drôle d’objet de cuivre. C’était une sphère autour de laquelle flottaient trois fins anneaux taillés dans des cristaux de différentes couleurs. Cela ressemblait beaucoup à un bijou et il y avait même de quoi passer une chaînette. Il reconnut cet objet, il l’avait cherché autrefois.
- La larme de Thyrs ?? Où as-tu trouvé ça ?
- Peu importe, c’est mon affaire. Ton affaire à toi et désormais de retrouver le monde invisible et de me ramener son trésor. Ne perd pas de temps sans quoi ta famille en pâtira.
- Très bien, je vais le faire, touche un seul cheveu de mes enfants et je t’égorgerai.
- Des menaces... Ridicule !
Malandrin referma la bourse et s’en retourna chez lui, il lui fallait faire le point sur toute cette histoire. De retour chez lui il retrouva Apolynia son épouse, entourée d’un couple de personnes relativement âgées, leurs voisins les plus proches. Il raconta une partie de l’histoire - celle où on le contraint à aller chercher quelque chose - et qu’il comptait bien faire quelque chose. Les voisins lui proposèrent bien d’aller voir les autorités du seigneur runique le plus proche, mais il refusa poliment, ne tenant pas particulièrement à voir son histoire étalée aux yeux de la justice de Tantad et de risquer de tout perdre. Il remercia les voisins pour leur gentillesse et les libéra de leur présence. Là il raconta les morceaux manquants à Apolynia.
- Je savais que ça arriverait un jour, je rêvais d’une vie calme et paisible loin des...
- Attends ! Rien n’est perdu, je vais trouver ce trésor et récupérer nos enfants !
- Puissent les dieux t’entendre, dit-elle en laissant échapper des larmes.
Malandrin posa la larme de Thyrs sur la table et commença à réfléchir à voix haute.
- Selon les écrits de Zabius, Thyrs folle de chagrin après la mort de sa fille scella l’accès à son temple en versant une larme, quittant son monde elle devint mortelle.
- Puis elle a emprunté le chemin jusqu’à Sarys où elle a affronté le géant Kaïross. Tout deux sont morts en tombant du haut de la falaise au bord de laquelle se trouve Sarys, continua Apolynia. Mais ça n’indique pas comment accéder au monde invisible, ni comment marche la larme.
- En réalité la larme de Thyrs est un objet créé par Keborius le célèbre bijoutier. Regarde, les anneaux peuvent se déplacer dans n’importe quel sens.
- Un casse-tête ?
- Des milliers de possibilités. Dans la recherche du monde invisible on a cherché à savoir où vivait Keborius pour chercher des indices, mais on a jamais trouvé.
Avec précaution et beaucoup de délicatesse, Malandrin nettoya l’objet pour faire partir la saleté et l’oxydation. Une fois propre la larme s’avérait être un bijou somptueux. Malandrin l’examina mieux.
- Du cuivre rouge ! Observa-t-il.
- Abypolis ?
- Oui, il y a là-bas des statues des divinités en cuivre rouge. Il n’y a aucun autre endroit où ce métal existe ! Je dois y aller, Abypolis est à deux jours de cheval d’ici.
Malandrin mit moins de temps que prévu pour atteindre l’antique cité. Abypolis était la troisième ville de Tantad, un joyau qui malgré les nombreuses attaques n’avait jamais été prise. Il connaissait bien la cité pour y avoir vécu de nombreuses années aussi la myriade de merveilles ne l’arrêta pas, se concentrant sur son objectif : le Cénacle. Cet endroit était une immense place pavée en plein milieu de la ville, cela grouillait de monde. Tout autour de cette place circulaire, dos tournés, les statues des dieux du panthéon de Tantad surplombaient les toits des maisons. Malandrin fit le tour et s’arrêta devant celle de Thyrs. Cette déité y était représentée en armure portant un casque couvert de runes et une lance où chaque extrémité se terminait par de longues lames. Il remarqua un symbole qui se répétait assez souvent, un triangle avec un disque en son centre qui touchait les côtés du triangle. L’un de ces symboles était creux.
- Est-ce que ça serait ?? Non, ça ne se peut pas...
Pourtant il essaya, à plusieurs reprise il y inséra la larme en plaçant les anneaux de chaque côté pour que vu de profil cela fasse un triangle. A la troisième fois cela fonctionna. Malandrin disparut... littéralement. Pour réapparaitre ailleurs dans un endroit à la fois fort différent et habituel. Autour de lui tout était trouble, comme s’il faisait très chaud, sauf que la température n’y était pas particulièrement élevée. Il se trouvait dans un temple mais à quelques mètres au dessus de lui il n’y avait rien, à part un immense ciel bleu presque opaque. Il fut étonné du silence, presque inquiétant. Il remarqua aussi qu’il avait dans la main la larme de Thyrs. Une fois passée la surprise il entreprit une fouille méticuleuse du temple. C’était un véritable labyrinthe, des couloirs, des pièces et des centaines de colonnes. Il trouva de larges escaliers dont il gravit de très très nombreuses marches. Mais il n’était pas fatigué ici, son cœur battait de façon très régulière. Tout en haut à nouveau de grandes colonnes et plusieurs places. Au centre de l’une d’elle allongée sur une stèle de pierre blanche couverte de runes se trouvait le corps d’une femme. Une fois à son niveau il regarda mieux et remarqua un masque sur son visage. Elle avait de longs cheveux qui tombaient de part et d’autre de la stèle. Il en était certain, il se trouvait devant le trésor du monde invisible.
- Prendre le masque et trouver un moyen de sortir d’ici...
Il alla pour prendre l’objet lorsqu’une voix l’arrêta.
- Ne faites pas ça !
Il se retourna et vit la même jeune femme, non masquée et totalement spectrale. Son regard vide de vie fixait le visiteur venu des terres de Guem. A plusieurs reprises Malandrin regarda la femme sur la stèle et la présence devant lui. Nul doute c’était bien la même personne, elles ont toutes deux la même chevelure.
- Tous ceux qui ont touché ce masque sont morts. Repartez et oubliez ce que vous avez vu.
- Vous êtes Antellechia la fille de Thyrs n’est ce pas ? Je n’ai pas le choix, je dois repartir avec ce masque.
- Je ne vous empêcherai pas de repartir avec, je ne peux que vous mettre en garde.
- Je prends le risque je n’ai pas le choix, une personne retient mes enfants captifs, il les tuera si je ne lui ramène pas.
Malandrin se retourna vers la stèle et retira le masque du visage de l’Antellechia morte. Si la surface visible était très conventionnelle l’intérieur lui représentait un aspect fantastique. De l’énergie bleutée crépitait de dizaine de petites runes.
- Lorsque vous porterez ce masque, soit vous mourrez soit vous serez liés pour toujours. Attention, parfois vous verrez votre monde différemment, il vous révélera bien des choses. Il y a une condition à son utilisation. vous ne devez jamais parler de ce que vous verrez à travers lui, sans quoi votre âme sera déchirée et vous subirez des tourments éternels. Si vous mourrez le masque me reviendra.
Peu importe que le monde s’écroule ou qu’il meure si cela rendait la liberté à ses enfants. Il mit le masque dans son sac.
- Savez-vous ce qu’il se passe dans notre monde ? demanda Malandrin par curiosité.
- Non, ma mère a scellé ce monde à jamais.
- Vous ne savez pas ce qu’elle a fait pour vous ? Vous ne pouvez pas sortir d’ici ?
- Non je ne sais pas, ni l’un ni l’autre.
- Si les légendes sont vraies, votre mère a tué celui qui vous a ôté la vie, mais est morte durant ce combat.
- Je me doutais, elle serait revenue me voir sinon.
- Comment je sors d’ici ?
- Avec la clé, concentrez-vous.
Malandrin ferma les yeux. Puis lentement, il entendit du bruit... des gens qui discutaient, des enfants qui jouaient. Il entrouvrit les yeux. Il était devant la statue de Thyrs à Abypolis. Il vérifia que le masque était bien dans son sac, ce qui fut confirmé. Ouf ! Il ne restait plus qu’à faire l’échange.
Malandrin ne repassa pas par chez lui, il continua la course jusqu’à la crique de la Chouette. Durant son voyage il ressentit comme une présence et à plusieurs reprises il dû s’arrêter pour voir que personne ne le suivait. Puis alors qu’il approchait du lieu dit, quelque chose changea, mais il ne savait pas réellement quoi. Il stoppa sa monture au niveau de la berge, avertissant ainsi Volius et ses sbires de sa présence. Les lieux étaient devenus un véritable campement, avec plusieurs tentes et un feu crépitant près duquel les trois enfants attachés attendaient le retour de leur père. Il comprit ce qui avait changé lorsqu’il eut une vision étrange. Il vit Volius sortir de la tente, discuter quelques instants avec lui, prendre le masque et puis s’écrouler par terre en se tenant le cœur. La vision cessa et Malandrin porta la main sur son visage, il portait le masque ! Pourtant il n’avait pas la sensation du contact d’un masque sur sa peau, son champ de vision n’était pas modifié. Volius sortit alors de la tente, dans la même tenue et de la même démarche que dans sa vision.
- Alors Malandrin qu’as-tu trouvé ?? Dit le manchot avec impatience.
Il ôta le masque et lui confia.
- Ceci est le trésor du monde invisible.
La main de Volius trembla en examinant l’objet. Puis son visage se figea, ne pouvant tenir plus il lâcha le masque qui s’écrasa sur le sable. Volius tomba à genoux puis sombra... mort. Les gros bras regardèrent la scène, béats. Leur patron était mort dans des circonstances très suspectes. Craignant pour leurs vies ils récupérèrent leurs affaires - et celles de Volius - puis prirent les voiles sans adresser un regard à Malandrin. Ce dernier récupéra le masque et ses enfants pour les ramener chez lui auprès de sa femme...
Temporalis
Autre temps... un futur lointain...
Le temple de Tempus, perché sur la plus haute montagne de cette terre, là où les nuages ne sont qu’une mer à perte de vue. La forteresse circulaire, cachée du reste du monde abritait une organisation avec pour but ultime la protection de la Trame du Temps. En ce matin-là, les rayons du soleil léchaient les grands murs d’albâtre, chauffant doucement cette petite cité engourdie par une nuit d’agitation. Car à la faveur de ce début de journée les Tempusiens avaient, pour la plupart, emprunté le passage interdit, le Tempus Fugit...
Au plus profond des entrailles de la grande demeure se réveilla la dernière personne encore présente ici. Ce réveil n’en fut pas moins extraordinaire que les évènements de la nuit. Doloreanne sursauta comme si elle était en danger. La respiration rapide elle examina sa chambre, une simple pièce rectangulaire aux murs blancs, dénués de décoration, au bout de son lit un coffre de bois sur lequel ses vêtements aux symboles des Tempusiens attendaient patiemment le moment où elles les enfileraient. Quelque chose n’allait pas... mais quoi ?? Cette impression ne la quitta pas lorsqu’elle enfila sa robe ou lorsqu’elle alla jusqu’à la salle principale. Et là, personne, pas le moindre Tempusien. Le feu s'essoufflait lentement par manque d'entretien, la braise rougeoyante perdait lentement sa vigueur.
- Mais où sont-ils donc passés ?
Elle visita alors les cuisines et tomba nez à nez avec l’un des serviteurs.
- Ah et bien...
Mais le pauvre cuisinier était comme figé, tenant un œuf dans une main et une cuillère de bois dans l’autre. Doloreanne passa la main devant les yeux du cuisinier qui ne réagit pas du tout au stimulus. Elle ne mit pas longtemps avant de comprendre que le pauvre homme était bloqué à un temps donné. Elle claqua des doigts pour arrêter le sort frappant l’homme, pensant avec une grande naïveté que cela serait facile. Elle se trompait, rien ne se passa.
- Quoi ? Dit-elle étonnée.
Elle serra fort son bâton au bout duquel de grandes aiguilles d’horloge étaient fixées puis utilisa plus de magie pour retenter de délivrer le cuisinier. Des horloges faites de magie tournèrent autour du cuisinier et lorsque le sort de Doloreanne cessa... rien ne se passa, ou presque. Bien que le cuisinier fût toujours dans sa bulle temporelle la jeune femme sentit que la magie du temps n’était pas comme à son habitude, mais perturbée. A un tel point qu’elle trouva plusieurs autres anomalies temporelles, des personnes non figées mais plutôt ralenties, d’autres allants plus rapidement. Tout cela l’inquiéta énormément. C’est dehors que la manifestation la plus importante pouvait être observée. Au-dessus du temple des éclairs verts, gorgés de magie temporelle déchiraient le ciel. A chaque flash d’un éclair, Doloreanne pouvait voir des images de ce monde à un temps passé, présent ou futur.
- Une déchirure... Et je suis seule pour lutter contre ça !! Cria-t-elle comme pour demander à l’effet magique de disparaître. Que faire... que faire... le Temporalis !
Elle s’élança aussitôt en direction de la salle du temps, une pièce attenante à la grande salle de vie et où une statue du très célèbre père fondateur de l’ordre, Tempus, vous regardait de son air sévère. Au centre et en guise de sol se trouvait une immense horloge dont les rouages, visibles, tournaient dans tous les sens. Doloreanne se plaça au milieu avec la ferme intention de pratiquer l’un des puissants sorts de l’ordre, le Temporalis. Celui-ci visait à rétablir les problèmes de temps afin de corriger certaines erreurs qui ne pouvaient être corrigées autrement. Elle avait déjà participé à ce rituel, mais jamais seule. Elle se concentra en tenant son bâton des deux mains...
Les tic-tac des rouages se répercutaient sur les murs, le sol et le plafond. La trotteuse qui avançait avec un rythme très précis se mit à ralentir puis le cadran émit une faible lueur verte d’où sortirent d’autres aiguilles, des horloges spectrales et autres cadrans affichant des heures différentes de l'heure actuelle. La magie emplit la pièce et les rouages s’arrêtèrent, immobilisant les aiguilles. C’est à ce moment précis que le Temporalis se réalisa. Les murs s’effacèrent pour laisser place à d’autres lieux et à d’autres temps. Doloreanne sentit la grande puissance de l’artefact créé par Tempus et si au départ elle en était maître la situation lui échappait rapidement. Les rouages cliquetèrent de nouveau, allant jusqu’à s’emballer, tout comme les aiguilles de l’horloge. La magie, devenue beaucoup trop puissante ne put être contrôlée plus longtemps. Doloreanne fut submergée, le Temporalis explosa !
Doloreanne se réveilla avec la vague impression d’avoir dormi une année entière. Elle ne reconnut pas les lieux mais un détail la frappa, pas le moindre cristal à l’horizon ! Elle fit un tour des environs et remarqua au loin un arbre gigantesque dont la cime touchait les nuages. A perte de vue une forêt aux arbres magnifiques. - Quand est-ce que je suis. Voyons ça, dit-elle écartant les bras pour faire apparaître le morceau de Trame du Temps sur laquelle elle se trouvait.
Mais la magie du temps sembla ne pas vouloir être coopérante. Doloreanne recommença plusieurs fois, sans succès. Elle était désormais prisonnière d’une autre époque, incapable de pouvoir revenir chez elle...
A cette époque-là, cette montagne n’était pas encore le refuge de la société secrète, mais Tempus en personne était présent, attiré par la position particulière du sommet. Assis sur un rocher, près d’un feu, il s’activait à dessiner les plans d’une machine incroyable. Il s’arrêta lorsque des éclairs verts apparurent brièvement au-dessus de lui. Il observa alors le phénomène avec beaucoup de curiosité et ce qu’il y vit déclencha des évènements qui le feront entrer dans l’histoire des terres de Guem. Les images montraient des personnes qu’il ne connaissait pas, mais leurs tenues ressemblaient à la sienne, avec des couleurs et des symboles approchants.
- Incroyable, une brèche temporelle... Des gens jouent avec le temps, il va falloir que je m’occupe de régler ça. Et ma machine qui n’est pas tout à fait prête.
A quelques lieues de là les Tempusiens partis à la recherche de l’Horloger et de l’Apôtre dans le futur venaient d'apparaître dans ce temps. Eux aussi remarquèrent la brèche temporelle visible au loin.
- Qu’est-ce ? Demanda l’Exécuteur.
- Une faille temporelle, répondit le Geôlier.
- Pas seulement mes frères, j’ai bien peur que ce soit de notre faute et de celle de ceux que nous sommes venus chercher, expliqua l’Observateur.
Le dernier observa le phénomène écoutant ses frères.
- Mes frères... Nous y sommes, déclara l’Observateur. Nous savions que ce moment viendrait, il nous attend.
- Mais il ne le sait pas encore, déclara l’Annonciateur.
Même époque, autre lieu. L’Horloger et l’Apôtre profitaient de la faveur des flammes d’un feu de camp. Le Tempus Fugit les avait conduit quelques années avant l’arrivée des autres Tempusiens et depuis ils avaient parcouru les terres de Guem. Eux aussi avaient ressenti cette déchirure de la Trame du Temps. L’Apôtre elle ne la vit pas de ses yeux car aveugle depuis qu’elle avait lu le Grand Livre des Destinées, mais sa nature de guémélite du temps lui fit ressentir les effluves de magie.
- Que vois-tu mon ami ? Demanda-t-elle à l’Horloger.
- Des problèmes, de graves problèmes. Je sens que le Tempus Fugit a été emprunté. Tu vois où je veux en venir.
- Nous savions qu’ils nous poursuivraient mon ami.
- Oui, mais le Tempus Fugit n’aurait jamais dû être emprunté plusieurs fois d’affilée. Et nous n’avons pas le Temporalis pour gérer ça, la Trame du Temps risque de s'effondrer sur elle-même.
- J’ai... je dois t’avouer quelque chose. Lorsque j’ai plongé mon regard dans le Grand Livre des Destinées, j’ai vu la destinée de beaucoup de personnes, j’ai vu celle de Tempus et la tienne.
L’Horloger souleva les sourcils.
- Si tu me dis ça, c’est que tu comptes me faire une révélation ?
- Je le dois. Car cela était écrit.
- Décidément, le destin est bien particulier. Et si je n'accepte pas que tu me dévoiles quoi que ce soit ?
L’Apôtre fit un large sourire.
- Tu le pourrais effectivement, et je vois la question que tu te poses - dans ce cas ai-je lu que tu refuserais de m’écouter ? Et je pense que tu t’amuses, à un moment où il ne faut pas. Aussi je ne vais pas répondre à ta question.
- De toute façon tu ne comprends jamais mes blagues...
- Non, jamais.
- Très bien, très bien ! Je t’écoute.
- Je ne vais pas te faire un cours sur l’histoire de notre ordre, mais je vais parler d’un point particulier : la création du Temporalis. On nous enseigné que c’est Tempus lui-même qui créa l’artefact et les sorts qui lui sont liés. Ceci n’est pas tout à fait vrai. C’est toi qui aida... enfin qui va aider Tempus à achever son œuvre et nous utiliserons le Temporalis.
- Quand ??
- Demain.
L’Horloger savait que Tempus existait au présent dans lequel il se trouvait, mais les lois de la Trame du Temps, déjà violée par leur venue ne devait pas être modifiée plus par la rencontre avec le légendaire Tempus.
- Tu es sûre de toi, Samia ? S’inquiéta l’Horloger, si tu essaies de me convaincre de rencontrer Tempus par pur altruisme nous risquons l’écroulement immédiat de la Trame.
- Me prendrais-tu pour une menteuse !? Regarde mes yeux ! Ne crois-tu pas que j’ai été suffisamment punie pour avoir transgressé une loi de notre ordre ??? Dit-elle avec colère. Puis adoucissant le ton, il y a autre chose, tu vas convaincre Tempus de fonder l’ordre, l’Eternel sera présent.
- L’Eternel ! Ça voudrait dire que la quasi-totalité de l’ordre est présent à notre époque !
- Pas tout à fait, mais cela ne va pas tarder, nous allons faire venir la dernière des nôtres, celle qui existait du temps d’où nous venons.
L’Horloger créa magiquement de l’eau au-dessus du feu afin de l’éteindre. Samia se leva en s’appuyant sur son parapluie, ramassant au passage un sac avec quelques affaires. Puis ils se mirent rapidement en route.
Tempus avait passé la nuit à tenter l’impossible. Bien que comprenant parfaitement le Trame du Temps, concept qu’il avait découvert quelques années auparavant, il ne pouvait rien face à une déchirure qu’il perçut comme plus importante qu’elle ne paraissait. Il n’avait dormi que quelques heures et la fatigue se faisait sentir. Il crut halluciner lorsqu’il vit arriver le Geôlier, l'Annonciateur, l’Observateur et l’Exécuteur, avec leurs étranges costumes cachant leurs visages.
- Je vous ai déjà vu... Êtes-vous réels ? Dit-il en les examinant.
Les quatre étranges personnages s’agenouillèrent et l’Annonciateur prit la parole.
- Nous vous connaissons... Seigneur Tempus. Nous venons de loin... du futur.
- Du futur ! S’exclama Tempus. Dites m’en plus !
- Nous ne pouvons tout vous révéler, déclara l’Annonciateur.
- Sans quoi je serais obligé d’intervenir et d’enfermer mes camarades, ajouta le Geôlier.
- Vous êtes bien étranges... dit Tempus.
- Nous nous excusons, seigneur, pour ce que nous avons fait. Nous sommes fautifs et accepterons la juste punition qui nous sera infligée. Je suis l’Observateur, voici l’Annonciateur, l’Exécuteur et le Geôlier.
- Vous devez maudire vos parents, à moins que cela ne soit que des surnoms.
- Oui, ce sont là nos fonctions au sein... de notre ordre, répondit l’Observateur.
- Quel ordre ??
Puis deux nouvelles personnes arrivèrent. Ayant entendu la question, l’Horloger se permit de donner une réponse.
- Ils ne vous le diront pas, mais si nous voulons résoudre une bonne fois pour toute les différends qui nous opposent, il va falloir tout lui dire.
Le Geôlier qui était toujours un genou à terre se releva d’un bond et sauta sur l’Horloger, car fortement conditionné par son ordre il se devait d’accomplir sa tâche et d’arrêter les deux fugitifs. L’Horloger stoppa net la course du Geôlier, le figeant immédiatement, éveillant immédiatement la curiosité de Tempus.
- Un sort du temps ! Quelqu’un veut bien m’expliquer !?? Dit-il sur un ton à la fois agacé et curieux.
- Je vais vous expliquer ! Dit l'Apôtre, imposant le silence à l’assistance. Quant à vous, dit-elle en montrant l’Observateur et ses camarades, nous avons tout intérêt à mettre de côté nos problèmes.
- Tempus. Nous sommes des exilés temporels. L’histoire commence lorsque cette jeune femme lira le Grand Livre des Destinées raconta l’Horloger avant d’être coupé.
- Le Grand Livre des Destinées ? Celui écrit de la main d’Eredan ? Je le croyais disparu à jamais ?
- Oui Seigneur il l’est pour le moment, mais ceci n’est pas un sujet que nous devons aborder. Bien, je reprends, dans ce livre elle tenta de lire sa destinée et ses yeux en furent brûlés. De là, l’ordre auquel nous appartenons tous...
- Pas vous ! Coupa l’Annonciateur.
- Tous ! Défia l’Horloger. L'ordre, disais-je, a décidé d’enfermer et de punir la fautive. Mais je n’étais pas d’accord, alors j’ai aidé la prisonnière à s’échapper et nous avons emprunté le Tempus Fugit, un couloir qui traverse la Trame du Temps.
- Vous avez fait ça ? Arrêter ou accélérer le temps est possible, mais voyager le long de la Trame, c’est incroyable !
- Pas tant que ça, dans quelques temps d’autres en seront capable et alors vous fonderez l’ordre dont je vous parle, afin de prévenir les problèmes temporels. Vous savez de quoi je parle ? Questionna l’Horloger.
- Temporalis ?
- Oui, dans le futur je serais celui qui maintient le Temporalis, je suis l’Horloger car telle est ma fonction.
- Je saisis, c’est très astucieux. Mais au final pourquoi vous êtes là ?
- Puis-je voir le plan de l’artefact ?
Doloreanne avait marché des jours pour revenir jusqu’à la montagne qui plus tard accueillerait le temple de Tempus. Son plan était simple - faire un appel au secours. Si elle ne pouvait pas ouvrir le Tempus Fugit elle espérait graver un message dans la pierre, en espérant que le destinataire le voit. Elle arriva au sommet de la montagne et même si le paysage était différent elle trouva un endroit qu’elle savait existant dans le futur. Elle espérait que Tempus trouverait ce qu’elle allait laisser, à savoir son bâton. Seul un maître du Temps serait en mesure de s’en saisir. Elle le planta dans la terre et plaça des petits rochers à son pied...
L’Horloger récupéra le plan et aperçut parmi les affaires de Tempus deux objets extrêmement familiers. C’étaient deux aiguilles d’une horloge émanant de la magie du temps.
- Où avez-vous trouvé ça ? S’étonna le vieux mage.
- Ici-même lorsque je suis arrivé, je vous avoue ne pas avoir eu le temps de me pencher sur la question.
- Vous auriez dû si je peux me permettre. J’ai offert ceci à notre plus jeune recrue.
- Je t’avais prévenu, dit l’Apôtre.
- Elle n’est pas capable d’utiliser le Tempus Fugit, dit l’Observateur. Elle a probablement utilisé le Temporalis.
- Ce n'est pas possible !! Ce n’est pas possible ! Ragea l’Horloger.
- Donnez ! Ordonna Tempus, je peux la localiser sur la Trame.
L’horloger laissa faire le Seigneur du Temps qui sans trop de difficulté remonta l’histoire de ces aiguilles.
- Mille ans...
- Tempus, je vais vous aider pour terminer la première version du Temporalis. Vous autres, nous allons avoir besoin de l’Eternel, vous pouvez faire ça ?
- Quel est le plan ? demanda l’Observateur.
- Une fois que le Temporalis sera prêt, au moment où nous allons l’activer il faudra que quelqu’un ramène votre amie ici. Il faut être quelqu’un de puissant pour faire ça.
- Qui est l’Eternel ? Demanda Tempus qui avait compris le raisonnement de l’Horloger.
- C’est l’enfant de la Trame du Temps, il est l’être suprême, à la fois Annonciateur, Observateur, Geôlier et Exécuteur, dit l’Apôtre en regardant les autres.
Quelques heures plus tard, les efforts conjugués de Tempus et de l’Horloger permirent la mise au point du Temporalis. Pendant ce temps les autres avaient fini de se préparer pour la venue de l’Eternel. Le Temps les engloba et les fit disparaître. Puis une autre personne apparut, strict mélange des Tempusiens disparus. Il parla comme si quatre personnes parlaient.
- Il est temps !
Tous se mirent en place autour d’un sablier à taille humaine, puis l’Horloger habitué à la manœuvre lança le Temporalis. La Trame du Temps se déforma alors, corrigeant sous l’impulsion de l’ordre réuni des maîtres du Temps les erreurs passées, présentes ou futures. L’Eternel sembla alors déphasé par rapport aux autres. Les aiguilles de Doloreanne en main il filait le long de la Trame. Enfin il la trouva. Il décida alors de l’emporter avec lui, juste après qu’elle eut planté le bâton dans le sol...
L’énergie magique s'atténua jusqu’à disparaître. Tous étaient réunis autour du sablier qui était brisé, laissant échapper le sable. L’Horloger fut étonné d’être encore là avec tous les autres.
- Pourquoi ne sommes-nous pas revenus dans notre temps ?
- Parce que ce Temporalis n’en est encore qu’aux prémices de ce qu’il sera, déclara l’Eternel. Je ne peux nous ramener tous, nous sommes prisonnier ici.
La fin d'une époque
- Les armées de l’alliance la plus incroyable qui soit progressent vers l'endroit où la pierre tomba du ciel il y a deux ans jour pour jour. C’est le début d’une fin annoncée, inévitable. Elle brisera ce monde comme jamais. La guerre de Solar finit bientôt, êtes-vous prête à jouer votre rôle Archimage Anryéna ?
- De quoi parlez-vous, Apôtre ? demanda la fille de Dragon.
- Vous le saurez dans peu de temps.
- Vous êtes simplement venue me dire cela ? Je connais les histoires vous concernant, vous avez lu le Grand livre et lu ma destinée. Pourquoi venir jusqu’ici dans ce cas ?
- Je viens vous raconter comment cela va se passer... ou plutôt comment cette bataille s’est déroulée. Vous vous demandez peut être pourquoi nous autres, adeptes de Tempus nous n’intervenons pas afin d’éviter les pertes, mais sachez que nous ne pourrons rien y faire.
- Encore une fois vous ne m’aidez pas beaucoup, mais je vous écoute, racontez-moi cette bataille...
- Rien ne prédisposaient l’armée de la Draconie à faire une alliance avec son pire ennemi - Néhant - et ses démons. Pourtant, et avec l’aide de la très puissante magie de Guem, Ciramor l’héritier d’Eredan a dupé l’intrompable et Néhant fut contraint à la cohabitation. Mais ça vous le savez déjà. Sur leur route Zahal commandant des armées de la Draconie rencontra le Vizir Mahamoud et le prince Metchaf qui venaient d’affronter Sol’ra sans avoir pu le mettre en échec.
- Une ultime bataille ? Alliance improbable ? S’étonna Mahamoud entouré des autres Nomades. Nous venons de loin et ne sommes pas au fait de cette alliance.
- C’est une longue histoire mais les démons que vous voyez courir dans tous les sens nous accompagnent, nous armée de la Draconie.
Metchaf vit là l’occasion de pouvoir affronter de nouveau Sol’ra et cette fois remporter la victoire.
- Pouvons-nous venir avec vous ? Demanda le jeune prince.
- Vous dites l’avoir déjà affronté, vous nous serez précieux dans cette bataille. Soyez les bienvenus parmi nous Nomades du désert.
C’est alors qu’une vive lumière, suivie d’un bruit fort coupa la discussion entre les Nomades et le Chevalier Dragon. Une gigantesque explosion venait de se produire au tombeau des ancêtres. La terre trembla créant un vent de panique dans les rangs draconiens.
- Tenez les chevaux ! Tenez les chevaux !! Hurla Zahal.
- Sol’ra commence à tout détruire ! Affirma Mahamoud.
- N’ayez pas peur, je vais mettre un terme à la présence de ce nuisible, répondit un homme entouré par deux gros démons.
Les Nomades eurent un haut le coeur en voyant cet être abject. Ils ne le connaissaient pas mais l’aura qu’il dégageait était empreinte d’une magie néfaste et noire comme la nuit.
- Vous pouvez venir à partir du moment où vous ne me gênez pas, dit Néhant d’un air hautain.
Les Nomades n’osèrent pas répondre à ce produit de la haine et de la mort, se contentant de se mettre en route avec l’espoir qu’enfin le “problème Sol’ra” soit réglé.
Le sol tremblait toujours, dans un tintamarre de rochers se brisant. Les armées conjuguées de Néhant, Dragon et des Nomades arrivèrent sur un surplomb d’où tous pouvaient voir le plateau où déjà de nombreuses batailles avaient eu lieu. Mais là devant humains, Guémélites et démons s’étendaient le chaos ! D’un Sol’ra nimbé au centre du tombeau des ancêtres un rayon d’énergie divine perforait les terres avec férocité. Néhant n’attendit pas l’assentiment de ses alliés du Dragon pour lancer l’offensive. Brandissant une Calice rugissante la horde démoniaque se mit en branle. Tel un raz de marée les démons dévalaient la lente pente menant au plateau. Eux qui ne ressentaient pas la fatigue pouvaient courir de très longues distances sans faiblir, à l’instar des humains. Néhant et ses lieutenants marchaient lentement prêt à finir le travail une fois que les démons auraient affaibli l’ennemi.
- Ca commence bien ! Dit sans retenue un Aerouant toujours irrité par la présence des Néhantistes.
- Nous ne commandons pas les démons Aerouant, garde bien ça en tête, rétorqua Zahal qui examinait du regard la ligne formée par ses troupes. Soyons prudents, voyons comment nos “alliés” vont s’en sortir face à Sol'ra. Naya, restez en arrière avec vos Sorcelames afin de pallier aux imprévus et réagir rapidement. Que les mages restent en retrait, boucliers magiques déployés. Nous savons que la magie sera sans effet sur notre ennemi et je veux qu’on soit capable de maintenir et au pire contrer les néhantistes si ceux-ci devaient s’opposer à nous.
Au fur et à mesure que les ordres étaient donnés les commandants de chaque ordre et de chaque groupe organisaient les troupes en fonctions.
- Chevaliers Dragon avec moi, chacun en tête de régiment. Adrakar seras-tu capable d’assumer le commandement d’hommes ?
- Bien sur, répondit-elle en dégainant Azur. Je ne faillirai pas.
Zahal eut un regard d’inquiétude à son encontre.
- Si jamais elle nous trahit nous devrons l’abattre, vous en êtes conscients, répliqua Valentin à l’attention de Kounok et de Zahal.
- J’ai plus confiance en elle qu’en certains membres de ma propre famille, expliqua Prophète en regardant vers Aerouant. N’oubliez pas qui elle est, enfin qui elle était devrais-je dire.
De leur côté les Nomades discutaient de la stratégie à employer. Comment s'accommoder de leurs alliés et en tirer le meilleur parti ? Sachant que Néhant avait foncé bille en tête il leur fallait mettre au point un plan.
- Ils vont se faire balayer comme de vulgaires insectes, objecta Kébèk.
- Ils ne savent pas à qui ils ont affaire, peut être devrions-nous les protéger de la volonté divine de Sol’ra ? Interrogea Urakia.
Mahamoud, qui tenait son casque à tête de lion sous le bras, réfléchissait. Il avait vécu plusieurs batailles dans le désert, mais il n'avait jamais vu une armée contre un seul individu.
- Les gens de la Draconie on l’air d’attendre, peut être ont-ils déjà un plan de bataille. Les dieux n’aideront pas les démons ni les incroyants, nous ne pouvons nous fier qu’à nous. Lorsqu’un ennemi est trop fort de face peut-être faut-il le contourner et frapper alors que nous ne sommes pas vus. Je sais que cela n’est pas très convenable, mais face à Sol’ra tous les moyens sont bons. Implorons les dieux pour qu’ils nous permettent d’atteindre notre cible. Dit Mahamoud en tenant l’épaule de Metchaf. Gardons la foi et punissons Sol’ra pour ce qu’il a fait et pour ce qu’il fait en ce moment même, ajouta-t-il en mettant son casque.
Sol’ra vit approcher les démons, innombrables, qui courraient en hurlant mais il restait immobile, les jugeant incapables de le perturber dans son oeuvre de destruction. Il se trompait car parmi eux certains avaient la forces de dizaines d’hommes. Tourment, galvanisé par la présence de Néhant fut le premier à assaillir Sol’ra. Avec élan le démon sauta sur l’avatar pour le frapper de toutes ses forces. Le coup porté fut terrible, Sol’ra ne s’attendait pas à cela et cessa immédiatement sa concentration, laissant un trou béant en dessous de lui. Tourment retomba sur ses jambes de l’autre côté. A ce moment là les autres démons firent de même, s’agrippant à Sol’ra pour le griffer ou le mordre. La réaction ne se fit pas attendre. L’avatar émit une vive lumière, brûlant les démons aussi sûrement que du papier jeté au feu. Les hurlements de douleur couvrirent bientôt les hurlements guerriers. Voyant cela Néhant ordonna un retrait stratégique puis instantanément il invoqua Fournaise.
- Va mon petit Fournaise, va aider Tourment.
Le démon se rua sur sa cible brûlant du désir de satisfaire son maître. Tourment appuya l’assaut de son semblable et les deux démons furent très rapidement aux prises avec l’avatar qui déployait des pouvoirs incroyables. Mais ils ne purent prendre le dessus car en plein jour et devant cette radieuse journée le soleil irradiait de sa chaleur le tombeau des ancêtres. Il faisait chaud et l’avatar tirait sa puissance de Sol’ra. Fournaise fut le premier à se faire détruire, consumé par un rayon de soleil, puis Tourment qui était plus malin échappa de justesse au courroux divin. Alors, l’Avatar s’envola, s’arrêtant hors de porté des démons. Les Néhantistes prirent le relais tissant un voile d’ombre, tentant de trouver le point faible de l’adversaire.
A présent, Sol’ra jugeait la menace bien plus élevée. Cette magie là était très différente de celle des Draconiens et il la redoutait. Il devait continuer la destruction de ce monde, il devait gagner du temps. Aussi tourna-t-il ses pensées vers celui dont il faisait partie, l’enjoignant à lui envoyer des renforts. La réponse ne tarda pas, des centaines de formes lumineuses se matérialisèrent face aux démons. Sol’ra jubilait car assurément rien ne pourrait vaincre ces Solarians dans la forme la plus pure. Les autres Nomades aussi étaient là, venus de la même façon que les autres. Djamena, le Sphinx, Ahlem, Kroub, Shrikan, Lodir et Kararine, tous étaient là pour défendre leur dieu. A présent fort d’une armée, Sol’ra retourna à son occupation pensant les Solarians à même de repousser les démons. Il croisa les bras sur sa poitrine et de nouveau émit un rayon mortel, continuant de détruire un peu plus les lieux.
Néhant lâcha les démons sur les créatures de lumière et la bataille s’engagea. Zahal décida d’intervenir lançant l’armée de la Draconie dans la mêlée. Le but des Solarians était simple occuper le terrain, empêcher quiconque d’approcher de Sol’ra et de se débarrasser d’un maximum de Néhantistes. Djamena prit les devant et organisa la défense, comprenant rapidement la situation. Cette fois la bataille n’était pas qu’une simple escarmouche. Les démons étaient aussi nombreux que les Solarians. Néhant ouvrait de nombreux portails démoniaques, vidant les Méandres de ses habitants. Malgré cela les Solarians surpassaient les créatures de Néhant avec une facilité déconcertante. Amidaraxar et les quelques autres adeptes du Néhantisme réussirent à mettre en échec quelques uns de leurs adversaires, mais cela ne se passait pas comme prévu...
Zahal vit la situation dégénérer et ordonna la charge. Les Chevaliers Dragon en tête fendirent les rangs, suivis par le gros des troupes humaines. Mais comment battre des ennemis constitués uniquement d’énergie divine ? Pilkim et Marzhin en arrière du combat discutaient justement à ce propos. Alishk et Aerouant écoutaient avec beaucoup d’attention. Ce dernier eut une idée.
- Le rituel de la pierre. Nous l’avons pratiqué avec Alishk pour couper les Nomades du lien avec Sol’ra. Nous pouvons le refaire et même si cela n’aura pas d'impact sur cet avatar, cela aura un effet sur les Solarians.
- C’est une excellente idée ! Jugea Pilkim. J’ai étudié ce rituel, je pense pouvoir le modifier légèrement pour lui donner un peu plus de puissance. Mais avant ça il nous faut être certain des liens existants, et les mieux placer pour découvrir les liens sont les néhantistes.
- Laisse-les où ils sont, regarde le spectacle ils ne font que brasser du vent, critiqua Aerouant.
- Je m’occupe de les prévenir, commencez le rituel, ordonna le Maître-Mage Marzhin.
Effectivement Néhant ne se contentait pas de faire apparaître des démons à tour de bras. Il observait les Solarians et Sol’ra. Dimizar avait créé une créature hybride Solarian/Démon grâce aux éclats de la gemme de Néhant. Il lui fallait corrompre les Solarians en modifiant leur nature et les lier à lui. C’est alors que Marzhin arriva prêt de lui.
- Cir... euh... Néhant, nous allons tenter de couper les liens des Solarians, mais il nous faut savoir de quelle façon ils sont liés et s’ils le sont envers l’avatar ou directement à leur dieu.
Néhant plissa les yeux de son visage impassible. Oui cela pouvait aider, doublement même. Il pourrait corrompre les Solarians plus facilement si les liens étaient rompus. Pour le Maître des Ombres et Corrupteur Ultime les liens n’avaient aucun secrets, il les voyait naturellement. Une bonne partie des Draconiens étaient liés à Dragon, les fins filaments bleus partaient en direction de Noz’Dingard. Les démons quant à eux étaient liés à Néhant et les fils noirs, tels de nombreuses laisses les retenaient à lui. Puis au milieu de cela les Solarians eux n’avaient pas le même liens, mais représentaient un tout avec Sol’ra et des fines traînées blanches montaient vers le ciel. Enfin l’Avatar lui aussi était en harmonie, mais bien plus important que les autres. Néhant décrivit rapidement les faits à Marzhin qui s’en retourna rapidement vers les siens.
La mêlée s’intensifiait et beaucoup de démons et d’humains furent terrassés par les pouvoirs divins des Solarians. La bataille était bien engagée et allait bientôt prendre un tournant encore plus incroyable, car l’Avatar laissa échapper sa colère vis-à-vis de ce monde. Du trou béant s’échappa de la lave, rougeoyante et dévastatrice. Puis le sol se disloqua à cet endroit, une fissure coupa le tombeau des ancêtres de l’est à l’ouest avalant humains, démons et même Solarians. La lave aspergeait les environs avec d’immenses geysers mortels.
- Maintenant ! Cria Pilkim voyant cela. Père ! La lave va dévaster nos rangs, fais quelque chose !
Marzhin maîtrisait la magie du feu à la perfection, la lave était considérée comme le sang de Guem. Il alla donc retenir au maximum les coulées pour éviter qu’elles n’atteignent les troupes Draconiennes. Un nouveau rituel de la pierre commença, mais cette fois la puissance fut bien supérieure à celui déjà pratiqué. Pilkim tenait la pierre-coeur du Mangepierre des deux mains au dessus de sa tête, de part et d’autre Alishk et Aerouant s'élevèrent dans les airs en incantant. Puis une fois prêts les deux hommes transférèrent leur magie à Pilkim qui se sentit investi d’une puissance au-delà du mesurable. La magie de Dragon mêlée à la magie de Guem fut alors projetée dans les airs, cisaillant les liens entre les Solarians et Sol’ra. Néhant agit alors, récupérant les cristaux noirs des démons il commença à poignarder les solarians un a un. A chaque fois la créature se tordit de douleur puis tomba au sol.
L’Avatar ne pouvait le laisser faire, le lien avec Sol’ra avait faibli mais ils pouvaient toujours détruire cet inconscient qui s’opposait à lui. Il devait mettre un terme à tout cela aussi il redescendit de là où il se trouvait pour foncer vers Néhant.
- Parfait ! Cria Néhant en voyant que l’Avatar se lançait vers lui.
Le plan se déroulait parfaitement et les deux mastodontes aux pouvoirs fabuleux s’affrontèrent enfin...
Autrefois Néhant avait combattu bien des mages et des guerriers. Même l’Archimage Artrezil s’était retrouvé le bec dans l’eau face à lui. Seul Eredan fut capable, au prix d’un avenir funeste, de l’enfermer. Non pas le détruire, mais juste l’emprisonner. Aujourd’hui Néhant tenait une revanche. C’était là l’éternelle opposition entre Solar/Sol’ra et Guem, comme un cycle éternel les deux dieux de part leur haine l’un envers l’autre s’affrontaient une fois de plus. C’était la Magie contre la Théurgie. Néhant ne pouvait pas poignarder Sol’ra avec un de ses éclats car il était entouré d’une barrière de protection qui lui barrait le passage. Aussi Néhant comptait bien sur Calice pour percer ce bouclier. La lame perça la protection surprenant Sol’ra qui lançait des Théurgies à tout va. Néhant encaissait non sans mal les assauts, mais il ne devait pas faiblir. Une fois de plus Calice découpa le bouclier et le fit voler en éclat...
Pour les deux superpuissances plus rien n'existait autour. Seul comptait leur combat. Sol’ra se concentra pour que la lumière du soleil détruise son adversaire. Mais à ce moment là Néhant découvrit la faille, car Sol’ra avait fait une erreur. Si c’était bien l’avatar de Sol’ra qui faisait face à Néhant, ce dieu n’avait eut d’autre choix que d’investir le corps d’un homme ! Et malgré la différence physique Néhant ressentit cette parcelle de Guem et de ce fait il pouvait être corrompu. Néhant enveloppa l’Avatar de tentacules d’ombres qui s’agrippèrent à Ozymandias le Prêtre-Roi. Immobilisé l’Avatar ne pouvait rien faire de plus qu’invoquer la puissance de Sol’ra qui frappa encore et encore un Néhant qui résistait malgré de profondes brûlures. Mais pour l’Avatar il était trop tard, l’incarnation ne pouvait être maintenue sans l’humain qui l’abritait car dès lors qu’il n’y avait plus d’ancre rien ne le maintenait dans ce monde. Néhant s’infiltra dans les pensées d’Ozymandias comme Ciramor l’avait fait avec lui et prit le contrôle. Il coupa le lien entre l’homme et le puissant Solarian. L’énergie divine s’échappa comme de la fumée blanche, s’évaporant au fur et à mesure. Peu à peu Ozymandias sous la volonté de Néhant expulsait l’incarnation. Devenu pantin dans les mains de Néhant il ne resta finalement que l’humain.
Les Solarians invoqués plus tôt dans la bataille disparurent de la même façon, incapables de rester maintenant que l’Avatar n’était plus.
Au milieu du champs de bataille, les Chevaliers Dragon avaient assisté à la défaite de Sol’ra.
- Alors c’est fini ? Demanda Zahal qui tenait le corps de Valentin dans ses bras.
- Non Zahal, si nous avons éliminé une menace, une autre reste toujours et comme prévu il va falloir faire notre maximum pour l’éliminer. Sonnons le ban, que les troupes reforment les rangs et détruisons Néhant.
- Mais cela semble impossible nous ne sommes plus qu’une poignée.
- Alors nous perdrons, mais pas sans nous battre, dit Kounok en serrant la poignée de Chimère couverte du sang de Djamena.