De Eredan.

Sous le chapiteau des Zil

« Ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de voir un spectacle des Zils, surtout dans notre chère ville de Quinta, les billets se vendent fort cher et ils voyagent en permanence d’un bout à l’autre des Terres de Guem. Enfin quand je dis tous les jours, je devrais plutôt dire toutes les nuits, les Zils ne se produisent en effet que sous l’œil bienveillant de la lune. C’est donc avec une anticipation certaine que votre journaliste préféré s’est débrouillé pour acquérir d’une manière tout à fait licite le ticket que je sers encore fébrilement dans mes doigts alors que je vous écris cet article. Contrairement à leurs habitudes, mes estimés collègues n’ont pas voulu m’accompagner à cette représentation, ils chuchotaient à propos de la guilde des ombres que les seules personnes intéressées par ce genre de spectacle sont soit des déviants soit des malades, merci bien pour l’image que vous avez de moi d’ailleurs !

Donc je me suis rendu au célèbre chapiteau noir et violet, seul, peu avant minuit. Une légère mélodie sinistre jouée par un orgue guidait le futur public vers la gueule de cette immense caverne bariolée. Un imposant personnage masqué vérifiait que tous les arrivants étaient bien en règle et possédaient le fameux ticket. Je n’ose imaginer quel sale quart d’heure les resquilleurs et les voyeurs clandestins peuvent passer. A l’intérieur, on retrouvait toute la crème de notre ville. Pour ne pas les citer, j’ai pu apercevoir notre cher maire Antacquig, accompagné comme à son habitude d’une petite midinette (non-)habillée de telle sorte qu’elle aurait même pu allumer le feu de feu notre bon Père Gatian qui nous a quittés l’an dernier, qu’il repose en paix. On pouvait aussi croiser la non moins délicieuse directrice Jacquie de l’Institut pour Jeunes Filles de Qualité de Quinta. Pas étonnant qu’elle soit encore célibataire à son âge si ces seules sorties nocturnes la conduisent au cirque. Etaient aussi présents par ordre d’importance le notaire, le médecin, la sage femme, le barbier, le bailli, le tavernier, la femme du boulanger, le fils de la crémière, la fille du rebouteux, le frère du beurrier, la sœur du confesseur et, pour une raison que j’ignore encore à l’heure où j’écris cet article, un lapin rose. Après les quelques mondanités d’usage, nous avons tous fait silence lorsque les ténèbres tombèrent sur nous.

Tout d’abord, le très célèbre Abyssien rentra en scène. Fidèle monsieur loyal, il commença à nous présenter le spectacle et les artistes que nous allions avoir la chance de croiser ce soir là. Le charisme de cet homme est incroyable, bien que déjà suffisamment âgé pour prendre sa retraite il arrive toujours à captiver son auditoire du seul son de sa voix. On le dit magicien des ombres, je n’y crois pas spécialement, à moins que cette fameuse branche de magie ne fasse référence à choisir ce qui est vu afin de cacher ce qui ne l’est pas … Abyssien donc nous tient tous en haleine du son de sa voix de basse.

Le premier numéro arrive, c’est un spectacle de jonglerie et de voltige. Celui-ci nous est offert par une petite femme aux cheveux bruns surnommée Sombre. Elle enchaîne quelques vulgaires acrobaties tout en jonglant, ce qui a déjà le mérite d’être intéressant, mais c’est seulement lorsque que l’on se rend compte de la nature des grosses balles que la jeune artiste utilise que l’on saisit toute l’essence de la performance. Car en effet, elle ne jongle pas avec n’importe quoi, aux habituelles quilles et balles sont substituées des bombes que la jeune jongleuse envoie explosée en l’air à la fin de son numéro avant de sortir de scène dans une dernière pirouette. Je trouve étrange que l’artiste ne soit pas restée pour saluer son public comme il se doit. Je ne pensais pas les artistes de cirque timide.

La foule des spectateurs est en délire et applaudit à tue-tête. Je les accompagne, bon enfant. Abyssien revient et annonce le prochain numéro, une dompteuse de fauve. J’ai personnellement une très sainte horreur de tout ce qui est poilu, donc j’appréhende un peu cette partie du spectacle. Pour notre propre sécurité, une cage est rapidement montée au milieu de la scène par un étrange individu tout habillé de violet et du monsieur qui gardait l’entrée tout à l’heure. Finalement, au nom de Farouche, une femme rentre seule sur scène, elle est rousse, et sa tenue un peu débraillée m’horripile, en particulier l’immonde cape en peau de volk. Elle rentre dans la cage armée de son fouet à grelots et commence à claquer son fouet ici et là contre les parois avec un sourire bestial. C’est alors que son manteau commence à s’animer et que celui-ci prends vie ! Elle est maintenant accompagnée d’une demi-douzaine de volks qui obéissent à des ordres que nous n’entendons pas. Alors qu’elle se met à hurler, à la lune sans doute, pour conclure son numéro, je me lève au grand dam de mes voisins pour satisfaire un besoin tout ce qu’il y a de plus naturel. Je passerais les détails, sinon que j’ai bien cru que l’armoire à glace masquée de l’entrée allait m’écraser d’un de ces poings titanesques lorsqu’il m’a vu jeter un coup d’œil pas assez furtif vers les roulottes des artistes. J’ai cru apercevoir quelques ombres qui se déplaçaient vers un épouvantail au couleur des Zils, mais rien de vraiment transcendant.

Finalement, suite à ma petite péripétie, je loupe quelques numéros et je reviens à ma place juste à temps pour voir le dernier artiste arrivé sur scène. Je me retourne vers ma voisine afin de lui demander de qui il s’agit. L’étrange énergumène me réponds qu’on la présenté sous le nom d’Arckam. Le fameux et mystérieux prestidigitateur commence à faire apparaitre différents objets qui n’auraient jamais pu se trouver dans ces poches ou son chapeau, ce qui est déjà très intéressant. Mais c’est lorsqu’il commence à faire apparaitre des biens appartenant au public et qui devraient se trouver chez eux à l’heure actuelle que l’on se rend compte du talent de cet homme, homme au sens masculin du terme, malgré tout mon talent d’investigateur, j’ai été incapable de définir la race de cet artiste. Je passerais sur les différents objets rapportés des manches de cet homme, mais je dois bien avouer que voir mon doudou coincoin apparaitre sans que j’y sois préparé m’a bouleversé, et fait perdre un rien de crédibilité devant mes pairs. Une fois cette ultime performance exécutée, le prestidigitateur est sorti de scène sans un mot, tandis qu’Abyssien rentrait dans le cercle de lumière pour nous dire que le spectacle était malheureusement terminé et qu’il nous fallait maintenant rejoindre le monde extérieur. Alors que tout le public se levait et sortait sans un bruit, au son de l’orgue mélancolique du début, je jurerais avoir vu une fois de plus l’épouvantail de tout à l’heure s’approcher du Monsieur Loyal. Je paraitrais bien paranoïaque si j’affirmais l’avoir vu me regarder alors que je me faufilais hors du chapiteau.

Je suis maintenant rentré chez moi, dans mes pénates comme ils disent, et alors qu’un de ces foutus chats est entrain de s’amuser à batifoler sur mon toit et que le vent fait claquer mes volets, je peux conclure mon article en disant que … »

Voici l’ébauche d’un article que nous avons retrouvé parmi les affaires de Quentin Jacmeaga. Comme vous pouvez le constater, il en manque la meilleure partie, à savoir le mot de la fin. A l’heure actuelle, nous ne savons toujours pas ce qu’il est advenu de notre reporter fétiche. Il a disparu de chez lui il y a une semaine de son appartement de Quinta sans laisser de traces. Selon les enquêteurs, toutes les pistes portent à croire qu’il a été enlevé. Où qu’il se trouve en ce bas monde, tous nos espoirs l’accompagnent afin qu’il soit toujours vivant. Nous en profitons aussi pour souhaiter bien du courage aux personnes qui le séquestrent en ce moment, il faut vraiment des nerfs d’acier pour supporter la diarrhée verbale que ce moulin à parole de Quentin déverse à chaque fois qu’il ouvre la bouche.

DaemonChrno, Directeur de La Commère de Quinta



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