De Eredan.

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Sommaire

Histoire

Le Chant du Cristal

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La marche dans le Désert n'était pour eux qu'une promenade de santé. Ils avaient une mission de la plus haute importance et à chaque levée du soleil, les prières étaient prononcées avec une ferveur incroyable. Galvanisés par leur foi, ils ne virent pas le temps passer. Enfin, au milieu d'une journée particulièrement radieuse, tous l'entendirent. C’était comme une sorte de chant, majestueux. Il les appelait, les guidait jusqu’à l’endroit de l’impact. Plus ils progressaient et plus le chant devenait clair. Alhem s’arrêta brusquement de marcher.

- Pourquoi t’arrêtes-tu ? dit Aziz en posant sa main sur l’épaule du prêtre de Sol’ra.

Les autres nomades les regardaient, attendant les paroles de leur chef spirituel.

- Ce chant est un appel au secours. La pierre vit, elle résonne et raisonne. Les infidèles sont nombreux et puissants. Elle est en danger. Nous devons faire vite avant qu’il n’arrive une catastrophe.

Aziz se tourna vers Kararine et prit l’air le plus autoritaire possible.

- Tu vas partir en éclaireur et nous faire un rapport sur ces chiens qui osent s'approprier ce qui n’est pas à eux.

Pour toute réponse, la jeune femme le salua de la tête avant de se mettre à courir dans la direction de l’impact.

Quelques heures plus tard, elle arriva enfin à destination et son coeur se serra lorsqu’elle posa les yeux sur la pierre. Elle était magnifique et baignait dans une lumière rappelant à la jeune femme le temple de Sol’ra lorsque le soleil, au zenith, léchait de ses rayons les murs de la salle de prière. Au pied, de part et d’autre, il y avait deux camps. Un aux tentes bleutées parées d’oriflammes aux symboles de Dragon, l’autre aux tentes rouges bien alignées. Un peu partout, il y avait divers campements plus au moins gros aux styles parfois très différents. Kararine estima qu’il y avait beaucoup de monde, mais que de toute façon Sol’ra protégerait ses fidèles et qu’ils viendraient facilement à bout de ces parasites. Intérieurement, elle jubilait déjà, imaginant les combats qui allaient avoir lieu. Bientôt ce dit-elle, ces tentes brûleront dans les flammes de la fureur du dieu soleil. Tout à coup, elle entendit des bruits de pas qui s’approchaient d’elle. Elle sentait que l’air se rafraîchissait. Les bruits cessèrent et une voix à l’accent étrange s’éleva.

- Vous entendez ce chant vous aussi ?

Kararine risqua un coup d’oeil en dehors de sa cachette. Il y avait là une femme à la peau bleue pâle et au regard intense. il y avait chez cette personne comme un pouvoir caché qui mis en confiance la jeune nomade. Elle se décida à aller examiner cette étrangère. Sans prononcer un mot, elle tourna autour d’elle et comprit que le froid émanait de sa personne.

- Qu’est-ce que vous êtes ? De quel chant parlez vous ?

- Je suis Yilith, j’ai fait un long voyage jusqu’ici et j'entends un chant dans ma tête. L’entendez-vous ? Tout cela est incroyable.

Pour Kararine, cette infidèle cherchait à la déstabiliser. Elle devait prévenir Alhem et Aziz le plus vite possible.

- Je ne sais pas de quoi vous parlez ? s’exclama-t-elle en reculant. Elle dégaina une dague et se mit en position défensive. Laissez-moi tranquille et il ne vous arrivera rien.

- D’accord, vous n’êtes pas très aimable. Je vais voir si d’autres personnes pourront m’aider. Puis elle continua son chemin comme si de rien n’était.

Kararine continua ses investigations dans la forêt qui se trouvait non loin de là car il lui semblait y avoir de l’agitation. Le plus furtivement possible, elle se déplaça en espérant cette fois ne pas faire de mauvaise rencontre. Là aussi, manquant de chance ou peut-être à cause de sa méconnaissance des lieux forestiers, elle faillit de peu se faire empaler par une dague de lancer. Alors, une personne vêtue de gris avec une cagoule assez déroutante lui bondi dessus sans crier gare. Cette fois, il n’en fallait pas plus à la jeune femme pour la mettre en colère. Elle esquiva avec agilité tout en prenant une dague dans chaque main. Elle répliqua avec vitesse prenant son adversaire de court, mais celui-ci para une dague et tenta une acrobatie pour éviter l’autre qui coupa net un morceau de sa cape. Le combat dura ainsi plusieurs heures, tous deux étaient de forces équivalentes mais Kararine avait établi un plan, peu à peu elle se rapprochait des siens. Si bien qu’au bout d’un moment l’ashashine (car tel était le nom de son rôle chez elle) sut que son ennemi allait perdre car désormais, ils étaient cinq contre elle. C’est Aziz qui se lança dans la bagarre, déroutant le Traquemage qui esquiva de justesse une lance qui aurait dû le traverser de part en part. La situation lui échappait, sa proie aussi. Il fallait de nouveau disparaître pour repenser sa stratégie. Il s’enveloppa dans sa cape et se jeta par terre. Le tissu s'aplatit alors contre le sol avant de se faire couper en petit morceau par Kararine et Aziz. Hélas, le Traquemage avait disparu.

L’éclaireuse expliqua alors ce qu’elle avait vu et qui elle avait rencontré. Elle insista sur l’étrangeté des infidèles et proposa de ne pas attaquer de front sans quoi la défaite, malgré l’appui de Sol’ra, serait cuisante. Aziz, qui avait longuement servi dans l’armée de Kahani III proposa, en attendant l’arrivée des renforts, de tenter de s’approcher de la pierre en menant de petites attaques ciblées contre des groupes de peu de guerriers. Alhem accepta avec une certaine réticence, mais il fallait impérativement suivre les ordres de Ïolmarek et il était certain que les infidèles croiseraient leur route. De plus la pierre les appelait, il fallait faire vite désormais.

Ces infidèles allaient goûter la puissance des fidèles de Sol’ra. Ainsi, les Nomades du désert entrèrent dans le conflit de la Pierre Tombée du Ciel.

La Malédiction

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La porte était ouverte, et la lumière qui s’en échappait faiblissait doucement. Sangrépée et Sanvisage se regardèrent un long moment avant que l’un deux ne prononce le moindre mot.

- Et maintenant ? Il se passe quoi ? dit l’Hom’chaï à sa compagne ?

- Et bien, on y va !

Mais a peine eut-elle fini sa phrase qu’une forme se dessina. Un homme passa le seuil de la porte, fit quelques pas et s’écroula. Puis, sans le moindre bruit, la Porte de l’Infini se referma, puis disparu. Les deux Zil firent les gros yeux, ils ne s’attendaient vraiment pas à ça. On leur avait promis un retour chez leurs semblables, et ils se retrouvaient finalement avec quelqu’un débarqué de nulle part.

Sangrépée examina l’inconnu. Celui-ci portait une magnifique armure de plaques couverte de cuir durci, qui lorsqu’elle était neuve devait probablement être rouge. Une capuche couvrait sa tête, laissant apparaître quelques mèches de cheveux que le temps avait grisé. L’Elfine se pencha sur le corps inanimé et souleva la capuche.

- Il est en vivant. Ramenons le à Kriss, il pourra probablement voir ce qu’il a.

Sansvisage attrapa l’inconnu et le jeta sur son épaule tel un vulgaire sac.

Tout au long du chemin vers le campement du reste de la guilde, Sangrépée semblait perdue dans ses pensées. Quelque chose la dérangeait sans trop savoir quoi. Elle avait cette vague impression que cet inconnu n’était pas si inconnu que ça. Arrivés au chapiteau, ils furent accueilli par Abyssien.

- Vous voilà enfin, nous avons des choses à nous dire.

- Nous aussi nous avons des choses à te dire. Nous devons voir aussi Télendar et Kriss pour qu’on leur explique.

- C’est une longue histoire, mais Télendar n’est plus des nôtres. Je reprends le rôle de chef des Combattants de Zil.

C’était décidément une journée pleine de surprises !

- Euh... Très bien, de toute façon je ne l’ai jamais aimé. Quand il a pris ta place à l’époque je lui aurais bien mis quelques tartes.

- Sansvisage, toujours en finesse et en poésie.

Ce dernier posa délicatement son paquet au pied de leur ex-nouveau ou nouveau-ex chef qui regarda l’inconnu d’un regard étonné.

- Ça alors ! Cette armure me dit quelque chose.

- Toi aussi ? coupa Sangrépée. Depuis qu’on l’a trouvé, j’ai l’impression de le connaître.

- C’est parce qu’on vous a sûrement raconté cette histoire. Enfin, son histoire lorsque vous étiez chez les humains à Yses.

Sur cet entre-fait, Kriss attiré par l’attroupement rejoignit ses compatriotes.

- Qu’est-ce qu’il se passe ici ? interrogea le musicien.

- Tu tombes bien toi, tu peux regarder ce qu’il a. Ordonna le chef des Zil en montrant l’inconnu.

- Oui bien sûr, mais pas ici. Sansvisage, amène-le dans ma roulotte, je te prie.

Abyssien et Sangrépée s’installèrent confortablement sous le chapiteau qui, en dehors des représentations, servait d’immense salon où les membres de la guilde pouvaient se prélasser à leur guise.

- Alors cette histoire ?

- Oui, j’y venais, dit-il en posant son chapeau.


Tout autour d’eux, le chapiteau disparut pour laisser place à une forêt lugubre. Là, un animal se faufila entre les arbres, puis en vint un autre, puis un autre pour finalement former une meute. Puis ils sortirent du bois. Sangrépée les reconnut : des Volks ! C’étaient de terribles créatures quasi disparues à l’heure actuelle. L’un d’eux était particulièrement imposant. Il était visiblement leur chef. La suite ne fut que carnage. Les volks attaquèrent plusieurs villages et dévorèrent tout les êtres vivants qu’ils purent, autant par plaisir que par faim. La scène changea, désormais ils étaient dans un château. Là, trois personnes noblement vêtues devisaient vivement.

- Sire, nous avons tout tenté contre les volks, sans succès. Ils sont doués de raisons et leur chef nous sent arriver.

L’homme couronné fixa le sol réfléchissant à la meilleure solution.

- Je ne vois plus que lui pour nous venir en aide. Je sais que vous ne l'appréciez guère, mais il faut vous faire une raison.

- Vous n’y pensez pas ! Gaumatta, malgré l’amitié qui nous lie, ne pouvez-vous pas intervenir plutôt que de faire appel à lui ?

- Mergis, tu es certes mon ami, mais ma décision est prise. Bardiya, allez prévenir Kolodan de la situation.

L’image se brouilla et le chapiteau réapparu. Kolodan !! Elle connaissait cette histoire. Ce protecteur fut le dernier rempart contre ces monstres. Il les décima tous et combattit leur chef durant des jours. Puis, après cela, il disparut mystérieusement.

- Tu veux dire que cet homme est Kolodan ?

- Ce n’est pas certain et la meilleur façon de vérifier ça est de lui demander.

La nuit tomba sur le Tombeau des ancêtres. Kriss avait officié et ses quelques blessures n’étaient plus qu’un souvenir. Abyssien, Sangrépée et Sansvisage attendaient autour du feu que Kriss leur donne des nouvelles. La porte de la roulotte s’ouvrit.

- Sansvisage, viens donc nous filer un coup de main.

Le musicien tenait par le bras l’inconnu qui avait repris connaissance. Ils l’installèrent avec eux autour du feu. Tous attendaient la suite de l’histoire, était-ce Kolodan ?

- Qui êtes vous ? demanda Abyssien.

- Je... Je suis Kolère...

- Kolodan vous voulez dire ?

- Kolo... Non ! Cet être-là a disparu il y a longtemps. Il ne reste plus que celui qu’il est devenu.

- Et qu’est-ce que vous êtes devenu si je peux vous demander ça ?

- Je ne suis pas homme, mais pas tout à fait volk. Je ne suis que Kolère.

- Où étiez vous durant tout ce temps ?

- Tout ce temps ? Quand sommes-nous ?

- Si mes souvenirs sont bons, les sept royaumes utilisent le calendrier impérial. Nous sommes donc en l’an 105.

Ce fut comme un coup de poignard pour Kolère. Plus de vingt années s’étaient écoulées sans qu’il ne s’en rende vraiment compte.

- Où étiez-vous, ajouta une Sangrépée visiblement passionnée par le sujet.

- J’étais... j’étais...

Il ne termina pas sa phrase. Il fixait le ciel avec crainte. La lune se levait, immense et rouge. La malédiction opéra.

- Nooon ! Non non non non non non ! cria-t’il.

Une transformation s’opéra alors. Kolère se tordit de douleur, de longs poils noir apparurent sur ses bras, son armure céda par endroit. Puis son visage changea, s’allongea en un long museau, ses dents poussèrent. Il était devenu moitié homme, moitié volk. Bien qu’il fut visiblement enragé, il s’arrêta brusquement devant Sangrépée. Il fut littéralement hypnotisé par la jeune elfine. La colère partit peu à peu.

L'Ordalie

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Ïolmarek attendait patiemment le reste des troupes qui devaient le rejoindre pour prendre ensuite la direction de l’impact. Il flânait dans la cour principale du temps de Sol’ra, perdu dans ses pensées. Voilà maintenant de très longues années qu’il était au service du Temple et bien que sa foi n’ait jamais faibli, depuis le chant du cristal, le vieux prêtre était en doute. Pourquoi alors que durant ces dernières longues années la présence divine avait été faible, tout à coup une manifestation aussi importante de Solar se produisait ? Il se souvient que lorsqu’il fut jeune prêtre, il y eut une autre manifestation de ce genre, et cela c’était terminé en hécatombe. A quoi servirait ce présent ? Quel est la finalité de tout cela ? Autant de questions qui germaient dans l’esprit du vieil homme.

- Le doute ne t’est pas autorisé grand prêtre.

Ïolmarek sortit de sa rêverie et regarda autour de lui. La présence qu’il senti lui était étrangement familière, comme ressurgie du passé.

- Je connais cette voix, montrez-vous.

- Regardez-moi... père.

Il se tourna alors vers la statue qu’il avait fait sculpter il y a de cela presque trente ans. La jeune femme représentée était nimbée d’une douce lumière. Elle n’avait d’ailleurs plus l’apparence d’une statue figée, mais bel et bien d’une personne vivante. Ïolmarek tomba à genoux, le cœur serré les larmes lui vinrent.

- Dja.. Djamena, c’est bien toi ?

- Je viens à toi comme messagère. Écoute mes paroles car elles sont commandement !

Une Messagère ! Cela augurait quelque chose de très important car leur apparition était toujours synonyme de changement et d’intervention divine. Les écritures antiques inscrites sur les murs du temple faisaient état de plusieurs interventions de cette nature.

- Je t’écoute Messagère.

- Tu t’écartes peu à peu du chemin grand prêtre et celui qui m'envoie a besoin que ta foi soit infaillible. Je viens te soumettre à l’Ordalie !

- Que... Quoi !? Ïolmarek n’en crut pas ses oreilles. On le soumettait à une épreuve pour prouver sa foi. J’ai déjà prouvé ma fidélité par le passé et ma vie est au service de Sol’ra !

- La foi n’est pas une affaire de passé, mais de présent. Sol’ra a besoin de son grand prêtre et tu dois être prêt. Plusieurs évènements vont avoir lieu et les infidèles feront tout pour vous contrecarrer. Tu serras tenté et si ta foi n’est pas assez forte, tu mèneras les tiens à leur perte.

- Je me soumet à l’Ordalie, qu’elle est la tâche que je dois accomplir ?

- Un père et sa fille arrivent au temple. L’homme est aveugle et survit grâce à sa fille. Tu devras convaincre le père que Solar réclame sa fille, le condamnant à une mort certaine.

Effectivement une carriole tirée par un bœuf passa l’arche de l’entrée du temple. Une jeune femme tenait l’animal par une corde. Il fut frappé de stupeur lorsqu’il se rendit compte de la ressemblance frappante entre Djamena et cette jeune femme. Il comprit a quel genre d’épreuve il se confrontait. Le jeune femme aida son père à descendre puis tous deux avancèrent vers le vieux prêtre et firent le salut de circonstance une fois à son niveau.

- Nous avons fait un long chemin pour prier Sol’ra afin de lui demander son aide et qu’il guérisse mon père.

Sol’ra dieu du soleil et de la lumière était souvent invoqué lorsqu’il s’agissait de prière afin de recouvrer la vue, en de rares cas les prières sont entendues. Ïolmarek avait encore les mots prononcés par la Messagère et à cette épreuve il avait déjà la réponse.

- Quel est ton nom ? Demanda t-il.

- Djamena.

La coïncidence était de trop. Il lui prit la main et ce concentra, se focalisant sur l’âme qui habitait ce corps. Il sourit lorsqu’il comprit que cette âme était celle de sa fille. Sol’ra l’avait renvoyée vers lui. Plus jamais il ne douterait.

- Et bien Djamena, amenez donc votre père au pied de la statue afin qu’il se recueille, nous prierons avec lui.

Ils prièrent pour que Sol’ra prenne en pitié cet homme qui vivait dans le noir et pour que de nouveau il puisse voir la lumière. Ïolmarek utilisa ses pouvoirs et plaça ses mains sur les yeux de l’infortuné.

- Tes prières ont été entendues.

Lorsqu’il enleva ses mains l’homme cligna des yeux alors que peu à peu sa vue revenait.

- Je vois ! S’exclama-t-il. Je vois à nouveau !! Il tomba à genoux devant Ïolmarek, Djamena fit de même. Comment puis-je vous remercier ?

- Et bien gardez la foi et suivez les préceptes de Sol’ra, ne doutez jamais. J’ai besoin que vous me rendiez un service.

- Dites-moi, je ferais tout ce que vous me demanderez.

- Ta fille appartient à Sol’ra.

Cette phrase signifiait-elle qu’elle serait sacrifiée en son honneur ? L’homme ne répondit pas, abasourdi par cette nouvelle. Devait-il regagner la vue au prix de la perte de son enfant ?

- N’ayez crainte, j’aimerais qu’elle reste au temple et devienne prêtresse. Djamena fut surprise. Elle une servante de Sol’ra ? L’homme se leva et pris le visage de sa fille entre les mains.

- Si mes souvenirs sont bons, une jeune prêtresse ne doit pas être vue des hommes tant que les préceptes de Sol’ra ne lui sont pas parfaitement connus. Tu n’as eu jusqu’ici une vie de misère accompagnée d’un aveugle. Il est temps que tu vives ta propre existence, même si pour cela je ne devais pas te revoir avant longtemps.

Djamena se jeta dans les bras de son père comme s’ils se disaient adieu. Le grand prêtre observait la scène avec nostalgie. Lui aussi avait tenu sa fille ainsi, il se souvient de l’amour qu’il éprouvait pour elle. C’était pour lui une deuxième chance, un renouveau, une renaissance, il compris que ce que Sol’ra prenait, il pouvait aussi rendre.

Une fois l’homme parti, Djamena et Ïolmarek se retrouvèrent seuls. Là les yeux de la jeune femme changèrent et brillèrent de mille feux.

- Tu as réussi cette première épreuve, mais ils y en aura d’autres. Tu as deviné, je vais revenir mais pour cela il faut que je reste ici. Le moment venu je te rejoindrai, père.

Le Runique - Chapitre 2

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Kalhid attendait une réponse, même s’il était certain que c’était “oui”. Mais après tout, il valait mieux cela que de retourner à l’esclavage.

- Il y a quelque chose que tu peux faire pour nous. Sache que tu es libre de refuser, la porte au fond de la salle t’emmènera vers la sortie. Car ce qui t’attend va être difficile à accomplir.

- Je ne suis pas un ingrat. Vous m’avez sauvé de la mort et je vous suis redevable. Alors je vous écoute, que souhaitez-vous que je fasse ?

La forme s’approcha du jeune homme, mais ce dernier n’osa pas lever les yeux car il était beaucoup trop intimidé.

- Bien, ton choix est fait, ta parole est donnée. Il y a plusieurs jours une météorite s’est écrasée au beau milieu du continent. Si l’évènement en lui même est assez banal, c’est la nature de la météorite qui nous intéresse.

L’Inconnu alla du côté des armes et armures et, tournant le dos à Kalhid, il continua son discours.

- Vois-tu, nous parcourons le monde à la recherche de certaines pierres qui possèdent des facultés magiques ou qui s’assimilent à cela. Or, celle-ci présente un grand pouvoir que nous ressentons jusqu’ici.

Il se baissa et, d’une main assez peu humaine, il attrapa un objet. Il revint ensuite face à son interlocuteur.

- Nous aimerions que tu ailles là où elle s’est écrasée, et que tu nous ramènes un morceau de cette pierre. Cette tâche est périlleuse, aussi nous te confions ceci. Il posa la chose au sol produisant un bruit métallique. Kalhid hésita puis l'attrapa. Aussitôt la chose se développa autour de sa main et de son poignet. C’était comme une sorte de gantelet. Le jeune homme sentait presque comme une sorte de conscience à l’intérieur.

- Ceci est un objet runique. Prends-en soin car tu devras le ramener. Plus vous serez en symbiose tous les deux, plus le gantelet se développera. Après quelques mouvements, il se rendit vite compte que le poids de l’objet ne correspondait pas à son apparence, mais pourtant il semblait très résistant.

- Je vous remercie. Si j’ai bien tout suivi, il me faut aller à l’endroit où une météorite s’est écrasée, en prendre un morceau et revenir ici. C’est cela ?

- Oui.

- Bien, cela ne me semble pas très difficile.

- Si, ça va l’être. Mais avant que tu ne partes, saches que ton nom n’est plus Kalhid, tu seras désormais le porteur de runes Harès.

Un nouveau départ, avec un nouveau nom ? Au final, il valait mieux ça. De toutes façons, il comptait bien changer de nom.

- Dehors un cheval et des provisions t’attendent. Va maintenant, nous t’attendrons ici.

Harès partit donc vers ce nouveau destin qu’on lui avait prédit.

Une semaine plus tard, Harès trouva le lieu de l’Impact. En chemin, il avait rencontré d’autres personnes qui, comme lui, allaient vers cette fameuse pierre. Il apprit que de grandes guildes étaient sur place et qu’elles se livraient à des affrontements pour sa propriété. Quand il arriva sur place, il y avait là un véritable champ de tentes. Si tout le monde voulait cette pierre, il doutait qu’on puisse le laisser prendre un bout comme ça. Il attendit donc la nuit pour agir. Une faible lumière s’échappait de la météorite qui s’avérait être bien plus grande qu’il ne l’imaginait. Il ne s’attendait pas non plus à tomber sur un os. Après tout, qui surveillerait une pierre grande comme deux maisons de peur que celle-ci se fasse voler ? Et bien visiblement, les Combattants de Zil, eux, le pensaient. Enfin, un Combattant de Zil : Marlok. Celui-ci passait une bonne partie de la nuit à étudier la pierre. Évidemment, il faisait ça le plus loin possible du campement des Draconiens.

Harès se dirigea vers la pierre puis une fois devant posa sa main gantée sur sa paroi. Marlok fut surpris car personne n'avait pu passer la barrière qui protégeait la pierre. Lorsqu’il vit Harès assener de grand coup dessus il n’hésita pas une seconde. La prudence avec la magie était de mise et là ce n’était pas de la magie, donc potentiellement encore plus dangereux. Le mage lança un sort de fusion golemique qui eu pour résultat un mélange surprenant entre le mage Zil et son vieux golem de cristal.

- Éloigne-toi de là ! Tu risques de provoquer des catastrophes.

Harès regarda l’étrange chose avec suspicion. Son gantelet réagit à la menace et recouvrit la totalité de son bras droit.

- Ce n’est que de la pierre, ni plus ni moins. Je ne veux que prendre un morceau. Ne vous inquiétez pas, il ne se passera rien de plus.

Golemarlok secoua la tête de façon négative et sauta sur Harès, des flammes apparurent dans ses mains. L’homme du désert esquiva de justesse et asséna un coup magistral à son opposant qui faillit se retrouver à terre. Mais Golemarlok était coriace et frappa de ses deux mains jointes sur l’épaule du colosse du désert qui vacilla. Mais, pour Harès, se battre était un art de vivre. Il ne comptait plus le nombre de fois où il s’était battu dans les mines pour sa survie et celle des êtres qui lui étaient chers. Et comme à chaque fois la colère montait rapidement. Les échanges de coups se firent plus violents, la magie du mage-golem glissait sur le gantelet runique du colosse comme l’eau sur une peau d'un serpent. Puis, ce même gantelet finit par recouvrir les deux bras d’Harès et les symboles gravés dessus flamboyèrent. Golemarlok ne connaissait pas cette étrange magie et il l’apprit à ses dépends. Il souffrait de plus en plus et un malaise s’installait, il perdait le contrôle de sa magie. Mais le mage Zil n’avait pas dit ses derniers mots, et si la magie était inefficace il avait bien d’autres ressources. Il contre-attaqua avec des lames de cristal infligeant de sévères coupures à son opposant. Mais la rage d’Harès surpassait la douleur. Il mit toutes ses forces dans un dernier coup. Golemarlok eut le réflexe de se séparer de son golem pour éviter le coup qui allait sûrement le tuer. Ce fut donc sa création qui accueilli le poing ganté dans un craquement qui signifiait destruction. Harès plaqua si fort le golem contre la pierre tombée du ciel que cette dernière se craquela, libérant quelques morceaux de cristaux jaunes qui se mêlèrent aux cristaux bleu-nuit du golem.

Le mage Zil était vaincu. Et alors qu’Harès jetait les restes du golem de cristal, des personnes s’approchèrent. Ils étaient trois, leurs habits arboraient l’emblème des Envoyés de Noz’Dingard. L’un d’eux s’inclina devant Harès.

- Je suis Aerouant, fils de Prophète. Je dirige actuellement les Envoyés de Noz’Dingard.

Harès ne savait pas vraiment qui ils étaient, mais il s’en fichait vraiment. Le mage ne voyant aucune réaction enchaîna.

- Nous vous remercions pour ce que vous avez fait. Les Combattants de Zil sèment le trouble dans la région et ont commis des crimes odieux, dit-il avec amertume.

Aerouant se pencha sur Marlok. Ce dernier ne pouvait plus bouger d’un pouce, traumatisé par la perte de son golem et de sa défaite cinglante.

- Marlok, au nom de Dragon je vous arrête. Vous serez jugé en Noz’Dingard. Anryéna a vraiment hâte de vous voir. Le jeune mage ne cachait pas une certaine joie.

- Je ne sais pas qui vous êtes mais si jamais vous avez un jour besoin d’aide, prévenez-nous, nous avons une dette envers vous, ajouta Aerouant.

Alishk serra la main d’Harès à la façon des hommes du désert.

- Tu viens du désert d’émeraude n’est ce pas ? Pourtant l’armure que tu portes ne me semble pas être fabriquée là bas.

Le colosse ne répondit pas et commença à ramasser les éclats de la pierre tombée du ciel.

Les envoyés repartirent avec leur prisonnier et Harès se remis en route sans plus attendre. Il suivit le chemin aller sans s’en écarter une seule fois et une semaine plus tard il était revenu à ce mystérieux temple. Là un homme l’attendait, d’une cinquantaine d’année les cheveux bruns longs au regard fier. Il portait une armure complète de plaque de couleur dorée et argentée.

- Bienvenue Harès, je suis le seigneur runique Eilos. Si tu es là, je suppose que tu as accompli ta mission.

Harès lui jeta le sac dans les bras.

- Viens, nous avons un présent pour toi, Harès le runique.

Intrigues

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Depuis la chute de la Pierre, de plus en plus de guildes et de curieux convergeaient vers les terres du Tombeau des ancêtres. Les tensions étaient à leur paroxysme et beaucoup racontaient déjà qu’une guerre avait lieu. Ceux qui étaient présents, qu’ils soient de la Kotoba, des Envoyés de Noz’Dingard ou d’autres guildes le savaient bien, le conflit plongeait peu à peu le continent vers un embrasement total. Tout cela pour le contrôle d'un pouvoir extraordinaire dont personne à part les Nomades du désert ne connaissait l'origine.

Un peu partout dans le monde, de valeureux aventuriers s'affrontaient parfois même avec des compagnons du passé...

Deux mois après le début des hostilités, en Kastel Drakren, la plus proche ville draconienne avant le Tombeau des ancêtres.

Lorsque l'issue d'une guerre est incertaine, on fait souvent appel à la politique et à l'étiquette pour tenter de trouver une solution satisfaisante pour tout le monde. Tout cela se passait évidement en coulisse, depuis quelques temps déjà, mais cela personne ne le savait, du moins jusque là. Drakren était souvent utilisé pour les rencontres entre des ambassadeurs de l'Empire de Xzia et les politiciens de la Draconie. Et en cette heure tardive, dans l'une des salles de réception, les tractations se menaient avec tact et phrases bien tournées.

Kimiko et Oogoe kage étaient missionnés par l'Empereur pour faire négocier le départ des Envoyés de Noz'Dingard, mais le négociateur envoyé par Dragon avait des années d'expérience et allait être un adversaire redoutable.

- Seigneur Galmara, je suis certaine que nous pouvons nous entendre. Vous savez bien que seul un accord entre nos deux puissances permettra de finir cette guerre stupide.

- Ma chère, ce que vous proposez me semble difficilement réalisable. Rendez-vous compte, le Tombeau des ancêtres est une zone neutre depuis la fin de la guerre entre la Draconie et l'Empire. Que cette partie du monde redevienne Xzia et qu'ainsi la pierre soit votre n'est pas possible.

- L'Empereur est conscient que cela risque de provoquer un conflit encore plus grand. Mais dans sa grande magnificence, nous vous apportons une proposition qui je suis certain vous satisfera pleinement.

Oogoe faisait partie du Corbeau une faction présente au sein de la Kotoba et qui jouait un rôle plus que particulier.

- En échange du retour du Tombeau des ancêtres dans l'Empire, nous vous accordons un droit de passage à vie sur ces terres. Et en plus de cela vos mages pourrons venir à Méragi étudier la Pierre, une fois que celle-ci y sera rapatriée, et seconder nos mages, ajouta Oogoe.

- De plus, coupa Kimiko, voici une somme offerte par l'Empereur en gage de présent. Nous savons que la Draconie souhaite ouvrir des écoles de magie, ceci pourra l'y aider.

Galmara savait que la proposition n'était pas dénuée d’intérêt, mais la contrepartie était trop faible.

- Vous êtes bien renseignés, cela ne m'étonne guère de vous ma chère. Je retiens cette proposition et accepte au nom de Dragon le présent de l'Empereur. Je vais de ce pas faire part de votre requête à qui de droit. Je vous convie à nous revoir demain afin de vous donner une réponse.

Galmara s'inclina devant ses invités et les laissa pour rejoindre dans une autre pièce plusieurs autres personnes arborant toutes les couleurs draconiènes. Il y avait là Anryéna et une autre personne dont le visage était caché par une large capuche bleue nuit.

- Seigneur Galmara, nous vous écoutons.

- Dame Anryéna, Seigneur Prophète, l'Empire de Xzia souhaite que le Tombeau des ancêtres repasse sous leur égide. En échange de quoi la Draconie aura accès, très probablement sous contrôle à la Pierre tombée du ciel afin de l'étudier.

Anryéna regarda en direction de Prophète, puis ce dernier pris la parole.

- Dragon a été formel, nul ne doit avoir cette pierre. Elle est le poison qui va ronger Guem et nous mener tous à notre perte.

Galmara fut perturbé en entendant Prophète. Il se connaissaient bien pour avoir eu de longues discussions par le passé, mais il ne reconnaissait ni le son de sa voie ni sa façon de se tenir. Mais sachant rester à sa place il ne dit mot à ce sujet.

- Très bien, mais la situation est délicate. Si la Kotoba et les Envoyés se sont soigneusement évités jusque là, nous parlons bien ici d'une probable guerre ouverte, dont nous sortirons tous perdants. Si je peux me permettre nous avons mieux à faire.

- C'est exact, répondit Anryéna.

A ce moment quelqu'un frappa à la porte et rentra. Il s'agissait de Marlok, mais celui ci était habillé au couleur de la Draconie. Il avança jusqu'à la petite troupe et mit genou à terre.

- J’ai identifié le “souci”. Nous pouvons vaincre la Kotoba si le plan ce déroule correctement.

Galmara ouvrit grand les yeux.

- De quel plan parlez-vous et depuis quand êtes-vous devenu membre des Envoyés ?

- Ceci est long à expliquer, et le temps nous manque cruellement, répondit le mage. Prophète, vous aviez raison les Combattants de Zil sont sous une emprise Néhantiste, certains d’entre eux, comme ce fut le cas pour moi n’agissent plus de leur propre chef. Nous pouvons les libérer et faire d’eux de puissants alliés.

Prophète avança jusqu’à la hauteur du mage.

- Lève-toi Marlok, tu as bien oeuvré. Tu regagnes ta place au sein du Compendium. D’autres risquent aussi de courtiser les Zil. Mets-toi en route avec Aerouant et pistez Télendar. Il ne doit pas être loin de son “maître”. Va, j’ai encore à parler avec le seigneur Galmara. Anryéna quitta la pièce en même temps que Marlok laissant Prophète et Galmara à leur discussions.

- Que pensez-vous des Nomades ?

- Je les ai côtoyé autrefois, il faut se méfier d’eux.

- J’ai peur qu’ils préparent quelque chose de grave. Seigneur Galmara, il va falloir user de ruse. J’ai une liste d’invités que je souhaite convier à une grande soirée, ici-même. Durant cette réception, il nous faudra découvrir des secrets et déjouer les complots qui se fomentent dans l’ombre.

Dans le couloir adjacent, Oogoe souriait. Oui, bien des complots se montaient...

Présage

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Toran avait vaincu Akutsaï et emprisonné Akujin. Ne souhaitant pas abandonner son ancien élève, le vieux maître avait décidé qu’il était temps pour lui de revenir au temple de Yafujima et qu’enfin Aku devienne vraiment un membre de l’Ordre. Il l’avait quitté il y a bien longtemps, honteux d’avoir échoué dans sa tache de maître Tsoutaï. A présent, il était en paix. Il avait réussi l’épreuve que la vie lui avait imposée et, si on voulait bien de lui, alors il reprendrait sa place.

Leur arrivée ne passa pas inaperçue. Toran avait bien choisi son moment pour rentrer, car il était précisément l’heure de l'entraînement dans la cour. Les présents s’arrêtèrent, s’écartant pour leur laisser le passage. Les chuchotements se mirent à bourdonner jusqu’à ce que Toran et Aku furent de l’autre côté de la cour. Alors, tous attendirent les paroles du maître du Temple, le vénérable Zaoryu. Ce dernier n’en croyait pas ses yeux. Il fut autrefois un ami proche de Toran et avait eu le même maître. Toran s’inclina devant Zaoryu en présentant un rouleau fermé d’un sceau de papier.

- Voici le Cherchefaille dénommé Akujin, autrefois nommé Senjin. Je souhaite qu’il soit à nouveau gardé par les Tsoutaï de Yafujima.

Zaoryu accepta le rouleau et le confia dans la foulée à un Tsoutaï au regard assez froid. Puis à son tour il s’inclina devant Toran.

- Je suis heureux de te revoir mon ami, ta présence et tes enseignements ont beaucoup manqué. Je pense que nous avons à parler. Le jeune homme à tes côtés est-il ton ancien élève, Aku ?

Aku n’avait pas prononcé le moindre mot depuis des jours. A présent libéré de son Cherchefaille il se rendait compte du mal qu’il avait causé et la honte s’était emparée de lui. Il répondit à la question de Zaoryu par une affirmation de la tête discrète.

- Vénérable, je souhaite finir de transmettre mes enseignements à Aku.

- Et tu souhaites donc rester ici et revenir parmi ceux que tu as abandonné ?

Toran se sentit mal. Oui, il les avait abandonnés.

- Mais nos enseignements sont tels qu’il ne nous est pas autorisé de vous refuser votre réintégration. Les blessures sont pansées et il faut désormais se tourner vers l’avenir. Toran ton erreur t’es pardonnée. Aku redevient ton élève...

Il fut interrompu par le cris de Aku.

- Maîtres, regardez, dit-il en désignant un immense oiseau qui passait au dessus d’eux. C’est un Cherchefaille !

Les Tsoutaï s’exclamèrent, aucun d’eux à part Aku n’avait ressenti sa présence, pas même Toran. Cela rappelait à tous quelle affinité avait le jeune homme envers le monde des esprits. L’oiseau, qui se trouvait être un Héron passa au dessus du temple et commença à s’éloigner.

- Toran, veux-tu suivre ce Cherchefaille et trouver pourquoi celui-ci se balade librement dans notre monde ? Surtout un Héron.

- Oui. Aku, reste là. Je reviens dès que je peux.

Le vieux Tsoutaï s’en alla rapidement avant de perdre la piste du Héron. En route, il se remémora une légende au sujet d’un Cherchefaille Héron.

Okïa, village Xziarite en bordure du tombeau des ancêtres. Hime avait été envoyée en tant que renfort auprès de la Kotoba et sur les recommandations du maître traqueur, Tsuro. Mais elle devait rester discrète car des informations lui indiquaient que des espions pouvaient surveiller les environs. C’était la nuit et elle patrouillait de toit en toit lorsqu’elle manqua de peu de louper sa réception. Elle se sentait observée. Mais il n’y avait pas l’ombre d’un quidam dans les rues à cette heure avancée de la nuit. Elle descendit pour se cacher le temps de voir si on ne la suivait pas. Or, c’était le cas, un vieux bonhomme déboula dans la rue, cherchant visiblement quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Elle attendit patiemment qu’il passe à son niveau pour lui bondir dessus. Hélas pour elle, le vieux était Toran, qui ne fut guère surpris, prévenu par ses Cherchefailles. Ces derniers sortirent au moment de l’agression pour le protéger. Hime fut très surprise et recula de quelques pas. A ce moment là apparut devant la jeune fille un immense Héron violet qui écarta ses ailes. Le Tsoutaï n’en revenait pas, la jeune femme non plus d’ailleurs.

Les esprits se calmèrent lorsque chacun reconnût l’ordre dont faisait partie l’autre. Puis le Héron disparut, voyant que Hime était sauve et la situation sans danger. Toran observa la jeune fille avec beaucoup d'intérêt et remarqua les tatouages violets caractéristiques d’un lien avec un Cherchefaille.

- Que me voulez vous vieux pervers ?, lui lança Hime voyant ses yeux se balader sur son corps. C’était quoi tout ça ??

- Comment as-tu obtenu ces tatouages ?

- Et bien, je les ai depuis toujours.

- Bien, voilà quelque chose d’intéressant. Je veux parler à Tsuro, je sais que tu peux le contacter et ta présence ici indique de toute façon que tu devais probablement être en route pour le rejoindre.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Tu fais la maligne. Mais je sais que tu sens sa présence depuis toujours, que parfois tu as des rêves ou des visions que tu n’expliques pas. Je peux t’aider à comprendre ce qui arrive, mais je dois parler à Tsuro.

Il avait raison. Elle connaissait de réputation les Tsoutaï et c’est vrai qu’elle n’avait jamais pensé à eux pour régler son problème.

- D'accord, je vais le faire.

Le lendemain en toute fin d’après midi, Ramen, le très célèbre vendeur de nouilles s’était installé sur la place du village. Hélas pour lui, ses deux seuls clients, pour cause de réquisition, se trouvaient être Toran et Tsuro. Ramen était honoré de leur présence dans son humble échoppe. Mais deux clients, c’était mauvais pour ses affaires. Mais là n’était pas le sujet.

- Que sais-tu de Hime ?

- Tout, ou presque. Elle a fait une sottise ?

- Non, non, bien au contraire, je pense que sa destinée n’est pas celle qu’elle pense avoir.

- Soit plus clair veux-tu, les élucubrations des Tsoutaï sont toujours difficiles à comprendre.

- Hime est une Tsoutaï.

Tsuro ne parut guère étonné.

- Oui je le savais, mais ses talents sont au service de l’Empereur et l’Empereur souhaite qu’elle fasse partie de mes Traqueurs. Tu ne voudrais pas fâcher l’Empereur n’est ce pas ? De plus, j’ai beaucoup d’espoir pour son avenir au sein de mon ordre. Le vieil homme baissa la voix pour ne pas qu’Amaya, qui gardait l’entrée, ne l’entende. Plus tard, elle a de bonnes chances de prendre ma place.

- Mais si elle ne maîtrise pas son Cherchefaille, elle risque de provoquer des accidents et ainsi nuire à l’image de l’Empereur. Tu ne voudrais pas que l’Empereur apprenant cela se fâche non ?

Un silence pesant s’installa entre les deux hommes. Chacun ne voulait pas donner raison à l’autre. Mais c’est Toran qui trouva la solution.

- Oryukage. Tu connais ce nom ?

- Pfff, oui, bien sur, il fut un de mes prédécesseurs, il y a plusieurs siècles de cela.

- Et il était aussi le seul faire partie de nos deux ordres.

- La situation était différente.

- Non, pas différente. Je pense qu’Hime est sa descendante, je n’en sais pas plus pour le moment, mais le Cherchefaille d’Oryukage était un Héron, comme celui de Hime. Je te propose qu’elle suive donc nos deux enseignements. Je n’avais pas ressenti une telle puissance depuis Aku, et cette fois-ci je ne compte pas faire d’erreurs. Réfléchis donc au potentiel qu’elle peut apporter à l’Empire.

Tsuro se grattait la barbe.

- J’ai besoin d’elle pour une mission. Mais, dans un mois, je te l’enverrai.

Avec beaucoup d’ironie, Toran répondit.

- Je suis sur que l’Empereur ne sera pas fâché.

Le Bal des courtisans

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Kastel Drakren, plusieurs semaines après la rencontre entre le seigneur Galmara et les Envoyés de Noz’Dingard...

Comme convenu, il avait porté la nouvelle à une liste au combien particulière d’invités prestigieux. Tous jouaient de grandes batailles, mais point d’armée pour eux, seule la parole leur servait à vaincre. L’intrigue, la politique et les complots étaient le quotidien de ces hommes et femmes. Galmara savait que réunir toutes ces personnes lors d’une soirée donnerait un évènement dont tous se souviendraient. Depuis, il avait reçu de nouvelles consignes suite au refus de laisser l’Empire de Xzia redevenir maître du Tombeau des anciens. Il devait désormais se focaliser sur les gens venus du désert, empêcher la Kotoba d’avoir de nouveaux alliés, et voir si les Combattants de Zil pouvaient, ou non, servir les intérêts de Dragon, rien d’inhabituel en somme.

Tous avaient répondu présents et la soirée s'annonçait passionnante. Oogoe Kage, Kimiko, Hasna, Marlok, Angélique et Masque de fer avaient fait le déplacement jusqu’au château et chacun d’eux étaient un redoutable adversaire. Galmara les accueillit dans la grande salle de bal. Il y avait aussi des notables des environs ainsi que les gens de compagnie des courtisans. Il allait commencer son discours de bienvenue, comme le voulait le protocole, lorsque le portier annonça une nouvelle personne.

- Dame Ishaïa, envoyée du Conseil.

A ce nom tous se retournèrent. Galmara fronça les sourcils, cette personne n’était pas invitée, surtout pas elle. Ishaïa faisait partie du Conseil, une guilde co-créée par les puissances de ce monde afin de réguler les autres guildes. Son pouvoir était au moins aussi grand que celui d’une nation et les décisions du Conseil devaient être respectées sous peine de terribles représailles. Enfin, le Conseil était le seul à autoriser la création de Guilde et le seul à pouvoir les dissoudre.

Ishaïa était probablement l’une des personnes les plus craintes de ce monde. Sa beauté fatale cachait un esprit vif et une intelligence redoutable. Et, ce soir là, aucune autre femme ne pouvait se vanter d’être son égale. Avançant au milieu des convives elle salua au fur et à mesure ceux qu’elle connaissait. Galmara s’empressa d’aller à sa rencontre pour ne pas faire d’erreur. Ne pas accueillir convenablement un membre du Conseil en cette soirée pouvait provoquer des vagues. Le baise-main fut de rigueur.

- C’est toujours un plaisir que de recevoir un membre du conseil.

- Pas de balivernes, seigneur Galmara. J’ai eu vent de cette petite réception, vous ne m’en voulez pas, j’espère, de m’y être invitée.

- Certainement pas, vous n’avez nul besoin d’invitation.

- C’est exact. Mais, très cher, j’ai vu que vous alliez ouvrir la soirée. Je vous en prie, faites donc.

Le courtisan regagna l’estrade avec rapidité.

- Chers amis, le monde aujourd’hui est au bord de la ruine. Nous savons tous qu’il ne tient qu’à nous de trouver une solution diplomatique. Nous avons tous des connaissances, des amis, de la famille qui en ce moment même s’inquiètent pour leur avenir. C’est pour cet avenir que vous êtes là ce soir. Il est temps que nous retrouvions confiance les uns en les autres.

Tous applaudirent, pour beaucoup par politesse plus que par conviction. Une douce musique commença et des servants entrèrent en salle, apportant alcools raffinés et mets succulents. Et les discussions d’usage débutèrent.


Dans leur coin, Masque de fer et Oogoe se donnaient les dernières nouvelles.

- Marlok a réussi.

La voix de Masque de fer était rauque et semblant venir de très loin. Le courtisan Corbeau jouait avec une plume noire de geai.

- C’est à la fois une bonne chose et une mauvaise. S’il a restitué les pierre-coeur aux Zil, il a déjà commencé à les mettre de son côté.

- Oui, pour une fois, les Envoyés ont brillé. C’est un réel exploit que de reprendre à un Nehantiste des pierres-coeur noircies. Il m’a fallu beaucoup d’efforts pour que Marlok joue son rôle. Mais c’est fait, comme prévu.

- Désormais il faut faire en sorte que les Zil gardent leur indépendance. Et pour ça, j’ai une solution à apporter.

- Quelle est-elle ?

Oogoe sorti alors un parchemin d’une de ses nombreuses poches cachées.

- Ceci est un acte de propriété. Le Corbeau offre aux Zil un morceau de terre tout prêt de la frontière avec le Tombeau des ancêtres. Je sais bien que vous aimez voyager à travers le monde, mais cet endroit pourrait vous donner un pied à terre solide et vous permettrait d’être chez vous. Masque de fer faisait tourner un délicieux vin d’Yses dans son verre de cristal. Finalement il attrapa le papier.

- Les Combattants de Zil n’oublieront pas ce geste.


De son côté, Marlok voulait en savoir plus sur cette Ishaïa. Son nouveau rôle au sein des Envoyés le plaçait devant des situations inconnues. S’il avait déjà entendu parler du Conseil, il n’avait jamais croisé un de ses membres. Voyant que peu de personnes l’avait invitée à danser, il se lança.

- M’accorderiez-vous cette danse, ma Dame ?

- Volontiers, ils pensent tous que je dois mordre parce que je suis du Conseil, dit-elle en saisissant la main.

Marlok ne vit pas le regard noir d’Angélique qui en cet instant mourrait de jalousie. Les danseurs tournoyaient à un rythme relativement lent, ce qui leur laissa le temps de discuter.

- Vous êtes Marlok n’est ce pas ? J’ai entendu parler de votre si singulière histoire.

- Triste histoire, heureusement pour le moment elle se termine bien.

- J’ai lu le rapport que Prophète a envoyé au Conseil, et de votre coup d’éclat. Impressionnant.

- Je vous remercie du compliment.

- Je sais donc que les vôtres, et donc que vous, avez affronté un Nehantiste.

Marlok cessa de danser.

- Allons parler de ça un peu plus loin, voulez-vous, lui dit-il en lui tendant le bras, qu’elle saisit en toisant l’assemblée d’un regard espiègle.

Sur l’un des nombreux balcons du château, les deux courtisans continuaient leur discussion. Au loin, la pierre tombée du ciel luisait faiblement comme si une étoile brillait sur Terre.

- Vous permettez ?

Marlok fit apparaître cinq petits cristaux bleutés.

- Rassurez-vous, c’est uniquement pour que nos paroles restent entre nous.

Ishaïa acquiesça et le mage plaça à distance égale les cinq cristaux au sol autour d’eux. Puis, d’un geste, ces derniers lévitèrent et une sorte de bouclier magique bleuté se forma, tel une bulle.

- Voilà nous pouvons parler librement. Que voulez-vous savoir ?

- Ce n’est pas tant ce que je veux savoir l’important, mais ce que je vais vous apprendre. Voilà déjà plusieurs mois que nous observons des comportements inquiétants au sein des guildes. Ce qui s’est passé avec les Combattants de Zil n’est pas isolé. Le nom de Nehant revient sans cesse et votre dernier rapport le confirme. Nous pensons qu’un ou plusieurs Nehantistes profitent du conflit de la Pierre Tombée du Ciel.

- Nous avons affronté un Nehantiste effectivement, mais nous ne l’avons pas vaincu, seulement fait fuir. S’il y en a plusieurs, j’ai bien peur que nous ayons beaucoup de soucis si nous devions les affronter.

La jeune femme prit un air sérieux.

- Le Conseil souhaite vous confier une mission, dit-elle en attrapant un des rouleaux attachés à sa ceinture.

Marlok fut surpris.

- Pourquoi moi ?

- Parce que vous avez l’expérience, la maturité et les dons nécessaires. Il nous faut le plus de renseignements possibles sur ce qu’il se passe en coulisses. Nous voulons des noms et surtout nous voulons savoir ce qu’est devenu Eredan.

- Rien que ça ! s’exclama t-il sur un ton ironique. Vous pensez sérieusement que tout seul je vais pouvoir agir au mieux ?

- Non, pas tout seul. Il y aura d’autres personnes qui auront la même mission que vous. Pour le moment et pour des raisons de sécurité, nous préférons que chacun garde l’anonymat.

- De toute façon, je n’ai guère le choix. Je dois me plier aux ordres du Conseil. Mais je suis lié à Dragon et Dragon saura ce qui se trame. Je doute que vous puissiez lui interdire de mêler les Envoyés de Noz’Dingard à cette histoire.

- Dragon sait déjà et nous avons convenu que pour le moment il n’interviendrait pas.

Marlok soupira puis ouvrit le parchemin et déroula l’ordre de mission. Après avoir parcouru son contenu, il le rangea.

- Je me mets en route dès demain.

- Alors si l’affaire est entendue, j’ai encore envie de danser.

Le mage annula son sort et tous deux rejoignirent l’assemblée.

- Une dernière chose, méfiez-vous de ces deux là, dit-elle en montrant Masque de fer et Oogoe.

Mort et renaissance

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Prophète gisait allongé sur une table de cristal disposée au milieu de la grande place de Noz’Dingard. Le peuple était en deuil car désormais il n’avait plus de meneur. Anryéna, les yeux rougis par les larmes incessantes serrait la main de son fils. Autour d’eux, le silence n’était perturbé que par les pleurs des femmes. Kounok désormais de taille adulte dépassait de très loin tous les présents. Il se rendit compte, en voyant que quasiment toute la ville était venue, à quel point son frère était aimé. Naya et l’ordre des Sorcelames presqu’au complet saluait sa mémoire.

Tous lui dirent adieu.

Comme le veut la tradition, la nuit tombant sur Noz’Dingard, la foule s’éparpilla et, très vite, il ne resta plus qu’Anryéna et Kounok. Alors l’immense gemme bleue, point central de la vie en Draconie s’illumina. Une forme se dessina, d’abord simple lueur bleutée elle se matérialisa en un majestueux et immense dragon. Il se posa alors à proximité du défunt. Un halo apparut autour de Prophète et un double spectral sortit de lui. Anryéna semblait à la fois heureuse de revoir son fils, mais elle savait que c’était là sa dernière apparition.

- Ton existence est arrivé à son terme, je suis venu te chercher pour t’accompagner jusqu’à ta dernière demeure.

Prophète s’approcha de sa mère et, de sa main fantomatique, lui caressa la joue. Anryéna pleura de plus belle.

- Mère, retient tes larmes. Je serais toujours auprès de toi et Dragon va veiller sur moi.

- Je sais mon fils, je sais. Mais une mère a le droit de pleurer la mort de son enfant.

Kounok n’avait pas bougé d’une écaille et regardait son frère avec insistance. S’il avait pu parler, il lui aurait dit combien il allait lui manquer. Comme si Dragon avait su lire en lui, ce dernier approcha son immense tête.

- Es-tu prêt à prendre la relève Kounok ?

Anryéna protesta alors vivement.

- Quoi ? Me prendre un de mes enfants ne te suffit pas père ? Tu veux à présent faire prendre des risques inconsidérés à ton dernier petit fils.

Mais Kounok comme pour répondre regarda Dragon et acquiesça de la tête.

- Il a fait son choix ma fille. La Draconie a besoin d’un guide et, en cette ère de conflit, un nouveau Prophète doit apparaître.

- Mais Kounok n’est pas un mage. Or, tous les Prophète l’ont été auparavant.

- Il en est ainsi. Tes tentatives pour me dissuader sont vaines.

Anryéna baissa la tête.

- Mon frère, je sais que tu feras un Prophète fort et sage. Tu réussiras là où j’ai échoué.

L’ancien Prophète plaça sa main droite sur le museau de Kounok.

- Je te transmet la volonté de ceux qui nous ont précédés. Que leur sagesse et leurs connaissances soient tiennes.

A ce moment-là, une aura blanche enveloppa Kounok qui se sentit aussitôt comme assailli par des émotions et des images qui lui étaient inconnues. Dragon murmurait des paroles dans un langage inconnu. Kounok se transforma alors... en homme. L’aura blanche cessa peu à peu. Son incroyable ressemblance avec son frère était frappante. Il regarda ses mains puis toucha son visage en souriant. Il se racla la gorge et, pour la première fois de sa vie, put enfin s’exprimer par autre chose que par des grognements ou par le biais de la magie.

- Adieu frère, tu resteras à jamais dans mon coeur et dans celui de ceux qui t’ont connu.

Le fantôme de l’ancien Prophète disparut alors.

- Un Prophète part, un autre arrive. Comme tes prédécesseurs, un nouveau Chevalier dragon apparaîtra pour t’aider dans ta tâche.

- J’ai une bien meilleure idée, répondit Kounok.

- Je t’écoute, Prophète.

- Je ne souhaite pas de nouveau Chevalier dragon. Bien qu’il ait failli à sa tache, je veux garder Zahal auprès de moi.

- Si c’est là ton choix, je l’accepte.

- Ce n’est pas tout. Je souhaite aussi porter ce titre, car je ne suis pas mage comme mon frère, j’irais au combat l’épée à la main.

- Mais, cela va à l’encontre des règles, s’exclama Anryéna.

- Mère ! Les règles nous ont conduit à l’impasse. Il est temps de passer à autre chose et de montrer que notre peuple sait aussi se battre.

- Soit, je t’accorde ce droit.

- Encore une chose. Il me faut Chimère.

A ce nom, s’installa une sorte de malaise. Chimère était autrefois l’épée d’Ardakar qui restera comme le plus puissant des Chevaliers Dragon. C’est en partie grâce à lui que la Draconie l’emporta sur l’Empire de Xzia. Hélas Chimère, son épée fut l’instrument de sa chute lorsque la guerre contre Nehant éclata. L’épée fit faire des mauvaises actions à son porteur. Pour se débarrasser de l’emprise qu’avait Chimère sur lui, il n’eut d’autre choix que de la briser. Plus personne ne le revit jamais après ça. Le Prophète d’alors récupéra les morceaux de Chimère afin de les garder à jamais enfermés. Une épée apparut alors dans la main de Kounok. Sa lame de cristal était brisée et sa garde était usée.

- Dragon ! Pourquoi lui confier un tel instrument de mort ?

- Ma fille, je n’ai rien fait.

- Incroyable ! Elle est venue d’elle même !

- Elle n’est plus que le reflet de ce qu’elle fut jadis. Mais je sens qu’elle te sera utile.

Kounok regardait Chimère avec intérêt, il ne l’avait jamais vue ailleurs que dans un livre. Il espérait qu’elle devienne le symbole de la puissance militaire de la Draconie.

Plusieurs semaines passèrent et Kounok assurait pleinement ses nouvelles fonctions. Voilà quelques jours qu’il souhaitait repartir au Tombeau des Ancêtres et rejoindre les Envoyés, mis au courant de la nomination par Dragon de Kounok au rang de prophète. Mais le destin voulut que ce soit les Envoyés qui reviennent, du moins en partie, à Noz’Dingard. Prophète était en grande discussion avec quelques conseillers lorsqu’un garde lui apporta un message. Aerouant, Alishk et Zahal venaient d’arriver en ville et rapportaient avec eux Marlok le traître. Il les fit donc mander afin de les recevoir dans la grande salle. Zahal rentra en premier, tête basse, il savait qu’il allait être puni pour sa faute, suivi d’Alishk, de Marlok, maintenu prisonnier par des liens magiques, et enfin d'Aerouant qui en voyant Prophète fut déstabilisé. Kounok ressemblait tant à son père.

Zahal jeta Marlok au sol.

- Seigneur voici Marlok le t...

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Chimère apparue dans la main de Kounok. Guidés par leurs instincts, ils avaient immédiatement vu une présence derrière Marlok, avec entre eux un lien étroit. Prophète frappa la présence avec rapidité et précision, coupant le lien invisible. Marlok perdit connaissance à cet instant. Une forme noire et vaguement humaine se forma.

- Aaahhhh, un nouveau Prophète... Tes jours sont comptés...

Puis la forme s’évapora.

Zahal, Alishk et Aerouant étaient abasourdis par la scène qui venait de se produire.

- Qu’est ce que c’était ?, demanda Aerouant.

- Je ne suis pas certain, mais j’ai bien l’impression que je viens de libérer Marlok de l’emprise d’un Nehantiste.

Zahal regardait l’épée de son nouveau chef, elle lui disait quelque chose. Puis ses souvenirs lui revinrent. Oui, il l’avait déjà vue, cette lame brisée... Chimère ! C’est à ce moment qu’il sentit que Prophète était aussi un Chevalier Dragon, ce qui l’affligea au plus haut point. C’était cela sa punition, allait-il perdre son statut ?

Le lendemain, Marlok avait repris connaissance. Bien sûr, il était enfermé dans une des cellules de la prison de la ville, bien gardé par deux Sorcelames. Mais de cela il se moquait bien car enfin il parvenait à penser par lui-même.

- Alors traître, tu es réveillé ?, la voie d’Anryéna symbolisait bien son sentiment du moment : la colère. Tu sais ce qui t’attend ?

Marlok se leva avec nonchalance et s'épousseta.

- Tu sais, je viens de vivre plusieurs mois sous l’emprise d’un Néhantiste. Tu peux bien me laisser croupir ici jusqu’à la fin de mes jours.

- Que... quoi ?

Marlok comprit aussitôt. Kounok ne lui avait rien dit.

- Je vois que ce Prophète-là se permet de te cacher des choses importantes. D’un autre côté c’est vrai qu’il est très différent de son frère.

- Je verrai avec lui.

- Voir quoi, mère ?, dit Prophète alors qu’il entrait dans la salle des cellules.

- Pourquoi vous ne lui dites pas tout, répondit Marlok.

Kounok regarda les Sorcelames.

- Veuillez nous laisser, je vous prie.

Sans bruit, les deux jeunes femmes quittèrent la salle.

- Je sais ce que vous avez fait par le passé Marlok. Voler des informations et des sorts interdits de cristalomancie sont des crimes graves. Mais je sais que vous avez toujours gardé ça pour vous. Ma mère vit dans ce passé et n’est pas capable de pardonner. Vous avez déjà été puni et je ne rajouterais qu’une chose. Vos fautes sont lavées, aujourd’hui plus que jamais la Draconie et les Combattants de Zil ont besoin de vous.

- Si j’ai été sous l’emprise d’un néhantiste, eux le sont probablement aussi n’est ce pas?

- C’est ce que j’aimerais savoir, ajouta Prophète en ouvrant la porte de la cellule.

Anryéna était blessée et en colère, mais comprenait que l'intérêt de la Draconie exigeait d’elle qu’elle ne fasse rien.

- Je vous renvoie parmi les combattants. J’aimerais que vous utilisiez ceci. Kounok tendait un monocle usé.

- Ceci a été fabriqué par Asal d’Arguemand, l’illustre inventeur de la cristalomancie. Il a été fabriqué durant la guerre contre Néhant afin de repérer les gens qui étaient sous emprise. Il vous appartient désormais. Vous êtes libre de faire ce qu’il vous plaît. Vous pouvez parfaitement ignorer, bien que cela m’étonnerait, la possession de vos amis Zil ou bien fuir. Ou vous pouvez revenir à vos racines et gagner votre place au sein des Envoyés. A vous de choisir votre chemin.

Marlok avait perdu plusieurs mois de sa vie et son golem bien aimé, qui lui avait d’ailleurs valu son renvoi du Compendium. Plus rien ne le rattachait désormais à cette vie d'errances. Par contre, il ne pouvait se résigner à abandonner les Zil à leur sort. Eux qui l’avait recueilli lorsqu’il n’avait plus d’endroit ou aller...

Abandonnée

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Ergue était fatigué. Son combat contre Tsuro et les Sorcelames lui avait demandé une attention de tous les instants. Il n’avait pas réussi à maintenir son état d’Abomination suffisamment longtemps pour les vaincre et la fuite était la seule solution qu’avait trouvé le chasseur Zil. Ses compagnons Soriek et Granderage étaient partis de leur côté pour brouiller les pistes. Depuis plusieurs semaines, ils dormaient dans les environs et jouaient à la guérilla, tantôt avec les Envoyés de Noz’Dingard, tantôt avec la Kotoba.

Ergue s’abreuvait à la rivière passant de l’autre côté de la forêt. Il vit alors coincé entre deux gros cailloux un morceau de tissu gris, puis le courant fit passer un autre morceau devant lui. Interloqué il jeta un œil un amont. Il vit plus haut une forme allongée sur la berge, à moitié dans l’eau glacée.

- Va voir. Chuchota une voix dans sa tête.

Il se releva et alla donc voir ce que cette chose pouvait bien être. Il devina en s’avançant qu’il s’agissait d’une personne. Ses habits étaient à moitié déchirés, Ergue releva un morceau de sa cape qui cachait en partie le visage de sa trouvaille. Il reconnu immédiatement à qui il avait à faire. Cette étoffe grise, ce masque si particulier, bien qu’il n’en ai jamais croisé, Ergue en était certain, c’était le Traquemage ! Mais pourquoi était-il dans cet état ? Et surtout... Le T.R.A.Q.U.E.M.A.G.E !!! Voilà une découverte sensationnelle, la réponse à bien des questions sur les origines d’un des plus célèbres assassins du monde. Ergue retourna le Traquemage qui était face contre terre, les formes sous le costume ne trompaient pas, c’était une femme. Des mèches de cheveux dépassaient de son masque presque entièrement déchiré, et le reste du costume n’était guère mieux. Le chasseur Zil en profita pour lui attacher les mains. Il décida de la ramener au campement, les autres sauraient probablement quoi faire avec elle.

En cours de route, la Traquemage se réveilla et prit doucement conscience qu’elle était trimballée comme un sac à patates. Ni une ni deux ses réflexes prirent le dessus. Un coup de genou dans le plexus, enchainé d’un coup de pied extrêmement bien placé et la voilà libre. Elle se mit alors à détaller comme un lapin. Hélas pour elle, Ergue était un chasseur et face à une proie en partie ligotée il n’eut pas de mal à la rattraper. Cette dernière se débattait avec rage et férocité, mais malgré cela, elle finit tout de même saucissonnée. Durant son retour au camp, Granderage rejoignit la petite troupe et fut fort intéressée, et il faut bien l’avouer un peu jalouse, de l'intérêt porté par son camarade Zil à ce “paquet”.

- Quesss que cessss ??

- J’l'ai trouvé au bord d’une rivière. C’est le Traquemage.

- Le quooi ?, dit-elle, l’air innocent.

- Tu sais bien, te fout pas de moi, compris, je suis pas spécialement d’humeur, rajouta-t-il en se tenant les côtes.

Un peu plus tard au campement Zil. Il n’y avait pas grand monde. Seul Abyssien, fidèle à son poste, gardait les lieux.

- Ah, Ergue, je commençais à m’inquiéter de ta présence. Soriek n’est pas avec toi, enfin avec vous puisque Granderage est là.

- Non, je sais pas où est passée cette barrique, mais il a intérêt à vite rentrer.

- Tu m’as l’air bien énervé, est-ce en rapport avec ce que tu as sur ton épaule et qui gigote ?

- Oui. Et il jeta sa prise sur l’un des nombreux coussins.

Abyssien se pencha sur la jeune femme qui grognait autant qu’elle pouvait. Il remarqua le costume et le reste de masque.

- Où l’as-tu attrapée ?

- Je l’ai trouvée au bord de la rivière à quelques heures d’ici. Elle était inconsciente.

Le chef des Zil s’adressa alors au Traquemage.

- Je vais vous libérer, nous ne vous voulons pas de mal, juste savoir ce qui vous est arrivé. Nous voulons vous aider. Vous ne pourrez pas sortir de ce chapiteau, je le scelle magiquement dans ce but. Avez-vous compris ? Le Traquemage fit oui de la tête et Abyssien après avoir clos les accès au chapiteau la détacha. Cette fois, elle ne fit aucun mouvement, mais des larmes coulait sur ses yeux.

- Êtes-vous réellement le Traquemage ?

- Je...

- Ne vous en faites pas, tout ce que vous allez dire restera entre nous.

- Je ne suis pas le Traquemage, mais j’aurais dû le devenir.

- Ah ? Vous alliez le remplacer ?

- Non, j’allais en devenir un, dit-elle avec une pointe de colère et d'amertume.

- Que voulez-vous dire par là ? Il y aurait plusieurs Traquemage ?

- Oui, nous... enfin ils sont nombreux à porter le costume.

Abyssien se retourna vers ses camarades.

- Apportez donc de quoi sustenter notre invitée.

Alors que Granderage et Ergue allaient chercher ce qu’il fallait, le chef des Zil en profita pour lancer un sort du Temps passé qui lui permettait de voir quels évènements avaient conduit cette jeune femme là où elle en était. Ce qu’il découvrit était une sacrée révélation. En effet, des images distinctes montraient plusieurs personnes en costume de Traquemage. Elles étaient toutes plus ou moins de la même taille. Elles entouraient la jeune femme comme dans une sorte de rituel. L’un d’eux s’avança alors.

- Je prends cette élève sous mon aile, je lui inculquerai nos secrets, je lui apprendrai à traquer et à tuer nos cibles sans jamais se faire prendre.

Un autre s’avança alors.

- Sombre, je prend ton nom car il n’est plus. Aujourd’hui tu es un Traquemage, tu serviras l’organisation jusqu’à la mort.

Un autre encore, qui avait un masque entre les mains le lui mit sur la tête.

- Allez maintenant, vos premières cibles sont désignées.

La scène s’arrêta là. Abyssien comprenait maintenant comment était bâti la réputation de ce célèbre assassin.

- Alors, Sombre, comment t’es tu retrouvée dans cet état ?

- J’ai été abandonnée par mon maître. La mission sur laquelle on nous avait envoyée a mal tournée et j’ai dû affronter plus fort que moi. J’ai failli. Mon maître m’a cru morte et il m’a laissée. De toutes façons, un véritable Traquemage se serait sorti d’une telle situation. Mais nos règles sont strictes, lorsqu’un Traquemage tombe, celui qui l’accompagne doit s’occuper de régler le souci. Tuer et faire disparaître le corps d’un Traquemage qui a failli fait partie des règles.

- Et bien, on ne doit pas rire tous les jours dans cette organisation. J’ai encore quelques questions, après, promis, je te laisse tranquille. Pourquoi me révèles-tu tout ça ?

- Parce que je les déteste !

- C’est une raison suffisante. Et donc, maintenant que tu n’es plus Traquemage, que vas tu faire ?

- Je sais pas.

- Les gens qui ne savent pas où aller sont les bienvenus. Reste avec nous le temps que tu voudras, Sombre, je suis sûr que tes talents seront très appréciés. Nous pouvons apprendre de toi, et nous, nous te protégerons des Traquemages si besoin est. D’ailleurs, ceux avec qui je souhaite que tu ailles arrivent.

En effet, après qu’Abyssien ait réouvert la porte, entrèrent Sangrépée, Sansvisage et Kolère...

L'Ambassadeur

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Le campement Xziarite avait retrouvé son calme. Les lueurs des torches éclairaient sa tente d'une douce lueur rouge. L'encens baignait le lieu d'une odeur suave. Gakyusha profitait de l'accalmie pour prendre un repos mérité. Une fois de plus, l'Empereur serait satisfait de ses services.

Soudain, une voix tonna à l'extérieur :

- Monseigneur ! Nous avons un problème.

Las, Gakyusha soupira. Se redressant de sa couche, il sortit de sa tente.

Avisant la sentinelle à genoux devant l'entrée :

- Que se passe-t-il ?

- Un heu... un être étrange s'est présenté à l'entrée du camp. Il réclame une audience.

- Un être ? S'agit-il d'un draconien ou d'un de ces forbans de Zil ?

- Ni l'un ni l'autre, monseigneur... Il dit parler au nom de la forêt.

- De la...? Allons bon... Je suis curieux de savoir ce que nous veut cet énergumène. Fait prévenir mon fils et Asajiro. Qu'ils se tiennent prêts au cas où il s'agirait d'une nouvelle fourberie Zil.

La sentinelle escorta Gakyusha jusqu’à trois sièges dressés un peu à l’écart de son campement. Sur celui du milieu était assis Ergue le dresseur, un peu plus à l’écart se tenait Soriek, le colosse bleu sur lequel Tsuro avait fait un rapport. Grandrage se tenait probablement à proximité dissimulée parmi les ombres des arbres.

Mais le plus surprenant dans cette rencontre était l’être étrange qui faisait face aux trois sièges. Sur sa droite, se tenait un Hom’Chai à la carrure impressionnante, le visage marqué de peintures rouges. Une grosse lance terminée par une lame d’ambre taillée était plantée dans le sol juste derrière lui. Mais l’être qui semblait avoir organisé cette rencontre était totalement inconnu du Xziarite. Il avait une physionomie plutôt chétive, pas très grand et peu musclé, ses grands yeux pales étaient dénués de pupilles et, surtout, il n’avait pas de bouche. Juste vêtu d’un pagne de feuillage et de lianes qui couraient sur son corps comme si la nature elle-même voulait le protéger des agressions. Dans sa main reposait un bâton terminé par une sorte de lune en ivoire taillée au centre de laquelle se trouvait une petite créature nimbée de flammes bleutées.

Ergue se tourna vers Gakyusha. Ce dernier lut dans son regard qu’il semblait aussi surpris que lui de l’étonnant déroulement des évènements. La voix résonna dans sa tête aussi claire que s’il l’avait entendu :

- Salut à vous Seigneur Gakyusha de l’Empire de Xzia. Je suis Parlesprit, je parle au nom du peuple Eltarite. Si nous avons souhaité vous rencontrer aujourd’hui, c’est pour vous faire savoir que les terres que vous foulez ne vous appartiennent pas. Elles ont été un territoire du peuple des forêts bien avant l’existence de vos nations respectives.


D’abord interloqué, Gakyusha éclata de rire...

- Vous plaisantez ? Le Tombeau des Ancêtres se dispute entre les draconiens et l’Empire depuis bien longtemps. De plus, la nation dont vous vous prétendez être le porte-parole nous est totalement inconnue. Je doute même que le Conseil ait connaissance de votre existence. Autant vous dire que votre entreprise est vouée à l’échec.

- Nous serions navrés de devoir user de nos pouvoirs pour protéger nos terres résonna la voix du Daïs. Nous l’avons déjà fait par le passé et nous sommes prêt à le refaire lorsque le danger est grand.

- Allons coupa Ergue, les conflits qui ont lieu ici n’engagent que peu d’hommes et ne s’enfoncent pas trop loin dans la forêt. Ne me dîtes pas qu’ils vous nuisent autant ?

- Le plus grand danger ne vient pas de ce conflit à proprement parler mais plus exactement de cette écharde dans la surface de notre monde. Le Daïs pointa son bâton en direction de la pierre tombée du ciel. Aussitôt, comme un mirage en plein désert, l’air se voila. La Pierre tombée du ciel brillait tel un ersatz de soleil. Le sol lui, semblait en feu et profondément blessé. En réalité la terre pourrissait comme une infection provoquée par un corps étranger.

- Bon sang murmura Ergue en se passant la main sur le front. Je commence à comprendre, murmura-t-il.

- Et alors, répondit Gakyusha, cette pierre est un enjeu. Nous ne saurions la transporter loin d’ici sans des outils et des hommes. Malgré notre suprématie dans le conflit actuel cette pierre suscite de plus en plus d'intérêts. Je ne peux prendre une telle décision sans l’aval de l’Empereur et des renforts pour protéger les ouvriers.

Le seigneur impérial se leva.

- Votre message est passé Parlesprit, mais je doute que votre nation insignifiante ait les moyens de se faire entendre.

- Soit, seigneur impérial. Je rapporterai vos paroles aux miens. Qu’il en soit ainsi.

Parlesprit recula avec son garde du corps, hors de la lumière du feu. Des myriades de lucioles s’élevèrent du sol allant jusqu’à masquer le Dais et l’Hom’Chai à la vue de leurs interlocuteurs. Lorsque le nuage de luciole s’éparpilla, il ne restait plus aucune trace d’eux.

De retour dans sa tente Gakyusha se recoucha. Allongé sur sa couche, il prit quelques instants pour réfléchir. Que représentait réellement cette pierre pour que tant de gens s’y intéressent. Ce peuple inconnu pouvait-il représenter un danger ? Il en doutait mais son expérience le poussait à se méfier des gens qui venaient ouvertement énoncer leur volonté face à leurs ennemis. Soit ils étaient fous, soit ils étaient sûrs d’eux.

- Tsuro !, dit-il dans le silence de sa tente. Est ce que tes traqueurs ont pu pister les émissaires des forêts?

- Non mon seigneur, nous avons perdu leur piste dès qu’ils ont atteint la forêt, répondit le traqueur depuis les ombres de la tente.

- Que sais-tu sur ce peuple Eltarite ?

- Peu de choses mon seigneur. Nous savons que de petites tribus Hom’ Chaï et Elfines sont éparpillées aux abords de la forêt. Il leur arrive de faire commerce de plantes, de bijoux d’ambre et de leur chasse mais ils n’ont que peu de contacts avec notre nation. J’ignorais qu’ils faisaient partie d’un regroupement de tribus, ni qu’ils pouvaient obéir à un autre peuple.

- Bien... Ce sont donc probablement des fous.


Ergue marchait dans l’obscurité d’un pas rapide. Ses dons d’affinité animale lui permettant de voir aussi bien dans l’obscurité qu’en plein Soleil. Si seulement Marlok était encore des leurs il aurait pu l’éclairer sur la visite de ce soir. Mais une chose était certaine, contrairement a ce prétentieux de Gakyusha, il ne ferait pas l’erreur de sous estimer le peuple des forêts. Il avait mis un moment à retrouver ce qu’il savait sur les Daïs. Dans ses voyages au cœur des peuplades les plus primitives de ce pays, il en avait entendu parler sans jamais en voir aucun, vénérés comme des dieux par tous les peuples proches de la nature. Les légendes racontaient qu’ils disposaient de grands pouvoirs magiques, qu’ils étaient la volonté de la nature, que toutes les formes de vies leur obéissaient. Si tel était le cas, un nouvel adversaire puissant allait entrer dans le jeu.

Le bloc d'ambre baignait la pièce d'une douce lueur dorée. Le Kei'zan de la vie, l'air mélancolique, s'abîmait dans la contemplation du monolithe. Poussant un soupir, il s'approcha de la pierre et posa sa main rugueuse à sa surface. La voix résonna aussi tôt dans sa tête :

- Alors mon frère, les hommes ont-ils été à la hauteur des tes espérances ?

- Hélas non, exprima silencieusement le Kei'zan. Notre tentative de raisonner cette espèce a échoué. J'avais envoyé Parlesprit accompagné de Marquerouge et de quelques-uns de nos éclaireurs pour entamer le dialogue avec les combattants humains mais nous n’avons rencontré que le mépris et l’indifférence.

- Je t'avais prévenu, ces enfants ne comprendront jamais rien, libère-moi et crois-moi qu'ils vont se rappeler pourquoi leurs ancêtres avaient peur de la forêt.

- Non, sonna mélancoliquement la voix du Kei'zan. Tes actes passés t'ont condamné à cette prison et tu y demeureras jusqu'à la fin des temps. La colère de la forêt s’éveille, ils comprendront très bientôt qu’ils ne sont pas ici chez eux.

La Momie

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150 ans avant que la pierre ne tombe du ciel, le désert d’émeraude était en proie à une guerre civile.

Les touaregs du sud, soutenus par les Cheikhs Azine, et la Prêtresse de Ptol’a défiaient la suprématie du culte de Sol’ra. Les conflits avaient mené à des batailles fratricides où les partisans de chaque camp pouvaient faire partie de la même famille.

Arriva le moment où les deux puissances furent de puissances égales. L’ultime affrontement eut lieu entre les polythéistes qui, pour une fois, s'entendirent pour mener un front commun contre les monothéistes de Sol’ra, dont les armées étaient sous le commandement du Gardien du temple Ahmid. Au cœur de la bataille, la prêtresse de Ptol’a, la déesse des morts, se retrouva à combattre Ahmid. Ce fut titanesque ! Les pouvoirs des élus des dieux étaient immenses, balayant tout sur leur passage, ne prenant plus garde à leur environnement et à ceux qui se battaient au nom de leur cause.

Si bien qu’il n’y eut bientôt plus grand monde autour d’eux. L’épée des gardiens d’Ahmid fendait l’air dans un sifflement rauque. De son côté, la prêtresse implorait Ptol’a de lui accorder des pouvoirs terrifiants et mortels. Hélas, le Solarian eut raison d’elle et Ahmid détacha la tête de son infortunée opposante. Il regarda la tête rouler sur le sable brûlant, elle s’arrêta en faisant face au guerrier. Les yeux clignaient encore et sa bouche s’anima.

- N’est pas mort ce qui à jamais dort ! Tu as gagné, mais en me tuant tu t’es aussi infligé la mort...

Étreint par un frisson glacial Ahmid réalisa que cette voix n’était pas celle de la prêtresse, mais celle de Ptol’a. Ce jour-là vit l’avènement de Sol’ra et la suprématie des forces de Minepthra. Le soir-même au cœur du désert une grande fête fut donnée en l’honneur d’Ahmid et de son armée victorieuse. L’alcool coula à flot, si bien que le gardien du temple fut vite enivré. Ses sens commencèrent à lui jouer des tours. Au milieu de la foule, il crut voir une personne qui lui semblait familière. Bousculant les convives, il poursuivit l'inconnu jusqu’au bord du fleuve passant non loin de là. Ahmid crut à l’apparition d’un fantôme, car il l’avait bien reconnue, c’était la grande prêtresse de Ptol’a.

- Est-ce bien toi?, dit-il avec un mélange d’étonnement et de crainte. La jeune femme lui sourit comme pour lui répondre que oui, c’était bien elle.

- Mais c’est impossible, je t’ai tuée de mes mains.

Des larmes coulèrent sur ses joues.

- Je t’ai... tuée.

Il tomba à genoux et se remémora les douces années qui précédèrent la guerre civile. A cette époque-là, il menait avec elle une douce romance qui fut hélas brisée par la folie des dieux. Et encore aujourd’hui en la voyant, il savait que son amour pour elle était toujours bien vivant.

La grande prêtresse se mit aussi à genoux et prit le visage d’Ahmid entre ses mains avant de lui donner un baiser. C’est là que le gardien du temple ressentit un profond malaise, puis une douleur au niveau du cœur.

- Tu meurs par la main de celle que tu as aimée comme elle est morte de ta main.

Le guerrier n’arrivait plus à respirer, son sang bouillait dans ses veines.

- Lorsque tu seras mort, les tiens viendront te momifier et te faire de somptueuses funérailles. Hélas pour toi, lorsque tu te réveilleras, tu seras enfermé dans ta tombe, pour l’éternité.

Ahmid sentait les battements de son cœur ralentir puis cesser au moment où la prêtresse lui accorda ces derniers mots.

- Tu as compris que je suis Ptol’a en personne. Cela me coûte beaucoup de venir ici. Un jour viendra où je reprendrai toute ma splendeur d’autrefois. Adieu, gardien du temple de Sol’ra.


Ahmid fut retrouvé et pleuré comme il se devait. Les honneurs lui furent rendus et comme l’avait prédit Ptol’a. On lui accorda une tombe digne d’un roi. Bien des années passèrent avant qu’Ahmid ne sorte de cette mort apparente. Il était perdu et surtout changé. Il frappa le couvercle du sarcophage avec force pour s’en extraire. Heureusement sa tombe était pourvue d’une myriade de petites gemmes solaire qui éclairaient faiblement la pièce assez exiguë. Hélas, plusieurs jours passèrent à tenter de trouver une sortie, en vain.

Dehors, la jeune Djamena suivait depuis quelques semaines les enseignements des prêtres. Ces derniers étaient fascinés de la rapidité avec laquelle la jeune femme apprenait et s'imprégnait des préceptes de Sol’ra. Une nuit, la jeune femme se réveilla avec l’étrange sensation qu’elle avait quelque chose à accomplir. Sans se soucier de quoi que ce soit, elle sortit du temple comme guidée par une force supérieure. Une voix lui disait que quelqu’un avait besoin d’elle. Elle arriva à la grande pyramide avant de rentrer à l’intérieur par une porte dérobée dont elle en ignorait l’existence jusque-là. Les couloirs sinueux la menèrent au cœur de l’édifice, là où Ahmid attendait depuis des lustres. D’instinct, elle activa la porte du Tombeau et y entra sans la moindre peur. Instantanément son apparence changea, des ailes apparurent dans son dos et ses cheveux devinrent comme le sable chauffé au soleil.

- QUI EST-CE ??, hurla Ahmid.

Djamena s'avança alors, éclatante de lumière. Le guerrier tomba alors à genoux devant elle en reconnaissant la puissance divine de Sol'ra.

"Un envoyé de Sol’ra", se dit-il, c’est l’heure de ma rédemption, enfin je vais pouvoir rejoindre mes ancêtres.

- Vous venez me délivrer de cette non-vie ?, dit-il d’une voix incroyablement caverneuse. J’ai servi fidèlement toute ma vie d’humain. Je vous implore Messagère de me laisser partir.

- J’ai d’autres plans pour toi, Gardien du Temple, sers-moi avec fidélité et je te délivrerai de cette malédiction.

- Mais... J’ai fait la guerre au nom de Sol’ra, j’ai tué en son nom, sacrifié mon âme et vaincu pour lui. Est-ce là sa façon de me remercier ??

- Il se montrera reconnaissant si tu agis encore en son nom, il n’y a pas de discussion à avoir. Il pourrait très bien te laisser ainsi. Ce n’est pas ce que tu veux, n’est-ce pas ?

La momie se rappela le commandement suprême des Gardiens du Temple : Obéir.

- Soit, que dois-je faire pour mon seigneur et maître, répondit-il avec aigreur.

- Ce que tu sais le mieux faire, tuer des gens. Une menace plus importante a fait son apparition. Ïolmarek et les autres Nomades du désert vont avoir fort à faire contre eux. Va leur prêter main forte.

- J'obéis !

Puis la jeune femme redevint Djamena, ses cheveux redevinrent noirs et ses ailes disparurent.

L'Eveil

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Une flèche siffla, fendant l’air avec vitesse et s’enfonça dans la poitrine du Seigneur Impérial Gakyusha...

Il avait fait la sourde oreille lors de l’avertissement de Parlesprit. Pour lui cette pierre appartenait désormais à l’Empereur et rien ne changerait cet état de fait. Les Envoyés ne s'intéressaient presque plus à cette pierre, les Combattants de Zil étaient en quasi déroute. Seuls les nomades du désert posaient des problème, mais jusqu’ici ces derniers n’avaient pas été belliqueux. Mais cela n’était qu’une façade, bientôt Ïolmarek saurait comment utiliser les pouvoirs de la pierre tombée du ciel et mettrait fin au conflit.

Hélas c’était sans compter l’arrivée de nouveaux adversaires qui eux ne souhaitaient qu’une chose, c’est que cette pierre et tous les envahisseurs disparaissent de leurs territoires millénaires. Aussi des racines avaient jaillies du sol dévastant les campements et tentant d'agripper tous ceux qui n’avaient pas encore fuient. Partout les uns et les autres tentaient de s’extraire de cette soudaine végétation et de délivrer ceux qui n’y étaient pas arrivés. Ydiane avait longuement observé tous ces gens et grâce à son expertise elle avait repéré certains membre de la Kotoba qu’elle jugeait “A neutraliser”. Elle et La Griffe s’étaient aventurés non loin de leur campement et s'apprêtaient à les éliminer. Elle banda son arc et tira sur celui qui semblait être le chef. La Griffe quand à elle fonça sur le plus gros d’entre eux. Xïn n'eut pas le temps de réagir et se retrouva sur le dos, des lianes l’enserrèrent aussitôt. Quand à Gakyusha, il remercia intérieurement Masamune qui lui avait forgé son armure, car la flèche se planta dans le métal et la pointe d’Ambre c’était en partie brisée. Mais ça voulait surtout dire qu’un tireur en voulait à sa vie. Dans le feu de l’action il vit une furie insectoïde agresser son Portefer. Il n’hésita pas et se mit à reculer dans la direction opposée. Repérant Ydiane, il empoigna la garde de sa fidèle Parole de l’Empereur et fit rapidement le vide dans son esprit. Il se focalisa sur cette seconde flèche qui avait été décochée. Ce n’était pas la première fois qu’il utilisait cette technique, mais jamais dans une situation aussi originale. Alors que la flèche allait lui ôter la vie en s’enfonçant dans sa tête le Seigneur Impérial utilisa une technique ancestral de iaïjutsu, il dégaina avec une incroyable rapidité son sabre, coupa la flèche en se décalant sur le côté. Il ne s'arrêta pas là, d’expérience il savait que les tirs en mêlée était très difficile, il décida d’aller porter la parole de l’Empereur à cette insectoïde qui lui servirait de bouclier en cas de nouveau tir à son encontre. Tsuro et Amaya n’étaient pas là et Iro, Asajiro étaient repartis pour la capitale, l’attaque avait donc lieu au moment où la Kotoba n’était plus vraiment à son potentiel maximum. Le combat allait être difficile.

De l’autre côté de la pierre, les nomades s’étaient réfugiés au pied de la pierre. Le pouvoir divin empêchait les lianes de progresser jusqu’à eux. Ïolmarek et Ahlem imploraient leur dieu pendant que le Sphinx était planté en garde, brandissant ses deux cimeterres avec rage. En face, deux Hom’chaï larges comme des colosses se dirigeaient en grognant de la petite troupe. Le Kei-Zan s’approcha alors, entouré d’une armure de ronces qui semblaient vivantes.

- Il est temps que vous partiez ! On ne le répètera pas.

- Créatures du mal ! Vous n’êtes rien en comparaison de Sol’ra. Vous n’êtes que des insectes et je vais vous écraser comme tel ! Hurla le Sphinx avant de se lancer contre le Kei-Zan.

Ce dernier frappa le sol de son bâton et des racines poussèrent avec célérité, capturant le mastodonte sans aucune difficulté. De leur côté les Hom’Chaï affrontaient les autres nomades avec une rage incroyable. Le sang coula rapidement, mais les blessures des nomades se refermaient grâce à la ferveur de leurs prêtres. C’était la première fois pour ces derniers qu’ils affrontaient la Magie. Ïolmarek la trouvait sans esprit et trop destructrice pour être mise entre les mains de ces sauvages. La Coeur de Sève n’eut pas de mal à s’imposer tant leur stratégie de bataille était rodée. Alors que les Hom’Chai venaient à bout des combattants du désert, Mélissandre monté sur son loup, accompagné de son Pikounours prirent de flanc le reste de la troupe. Heureusement pour les prêtres, un nouvel arrivant vint rétablir un peu d’équilibre dans cette opposition des forces. Ahmid imposait autant qu’un Hom’Chaï, à ceci près que sa nature d’être non morte, mais non vivante fit reculer ses adversaires.

- Je suis Ahmid, le fléau de Sol’ra, vous allez rejoindre vos ancêtres qui dorment dans les profondeurs de ces terres !

Ïolmarek regarda avec de gros yeux cette momie décharnée. Il avait bien dit Ahmid, comme le héros d’autre fois. Ils virent là l’intervention évidente de leur dieu et reprirent confiance. Le combat se changea en une mêlée désorganisée.

Le Kei-Zan, lui, observait patiemment. Il écoutait cette nature détruite, il réunissait ses forces, il concentra l’énergie de sa pierre-coeur, éclat de l’arbre-dieu et alors il se transforma. Son apparence devint celle d’un homme arbre. Ses pieds devinrent des racines qui s’enfoncèrent dans le sol, de son dos poussèrent de longues branches d’où pendaient de petites fleurs. Le Daïs irradiait des flots de puissance de l’arbre-monde. C’était là l’incroyable puissance de la Coeur de Sève, car à ce moment là les Elfines et les Hom’Chaï devinrent tous des Guémélites, en harmonie avec cette terre. La terre se mit à trembler, des racines et des lianes grosses comme des arbres arrachèrent le sol et s’enroulèrent doucement autour de la pierre tombée du ciel. Au bout d’un moment elles formèrent un cocon et on ne distinguait plus la moindre lueur jaune.

Ïolmarek et les autres Nomades ressentir que le lien tissé avec la pierre venait de se rompre, c’était là une lourde défaite, une bataille venait d’être perdue. Mais qui gagnerait cette guerre, désormais totale ?

Le Corbeau

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Quelques jours avant l’attaque de la Coeur de Sève, Xïn gardait l’entrée du campement de la Kotoba d’un seul oeil. Il était fatigué car depuis l’arrivée des gens du désert, de nouveaux affrontements éclataient.

- Alors, on rêvasse Porterfer ??

La phrase sortit le Kotoba de son état. Il n’avait pas vu arriver cette personne qui s’adressait à lui. Il plissa les yeux pour mieux voir et remarqua le mon de la Kotoba sur son kimono sombre.

- Tu me laisses entrer ou tu comptes me laisser là ?

- Qui êtes-vous que je vous annonce ?

- Tu ne vois pas qui je peux être ?

Xïn secoua la tête de façon négative.

- Bien, je vois... Annonce donc au Seigneur Gakyusha qu’Oogoe Kage est là, et fais moi entrer, barrique !

Le jeune membre de la Kotoba fulminait intérieurement face à cette insulte, mais le nom d’Oogoe Kage ne lui était pas inconnu. Iro qui s'entraînait avec Sen’Ryaku et qui avait assisté de loin à l’échange, laissa tomber sa partenaire pour aller voir ce qu’il se passait. Le jeune champion de l’empereur reconnut la tenue de l’arrivant, un membre du clan du corbeau. “Que veut-il ?” se demanda Iro.

- Mais voilà notre tout nouveau champion de l’Empereur ! Iro, il me faut voir ton père au plus vite. Tu peux aussi préparer des affaires car tu vas devoir repartir à Méragi.

- Pourquoi ça ?

- L’Empereur requiert ta présence.


Dans la tente de commandement, le Seigneur Impérial Gakyusha recevait Oogoe Kage.

- Seigneur Impérial, c’est hélas une triste nouvelle qui me fait venir jusqu’à vous. Notre seigneur et maître, l’Empereur de Xzia est gravement malade. Gakyusha se leva de son siège, la mine figée.

- Gravement malade ? Tu veux dire... mourant ??

Oogoe baissa la tête pour confirmer les paroles du chef de la Kotoba.

- Merci de m’avoir prévenu. Je vais préparer mes affaires et me rendre à Méragi.

- Seigneur, je crains hélas que votre présence ici ne soit... impérative, dit-il en tendant un rouleau de parchemin.

Après avoir l’avoir lu, le seigneur impérial alla se rasseoir. Il prit un parchemin, un pinceau et de l’encre. A peine eut-il écrit quelques mots, plié et scellé sa lettre, qu’il la donna à Oogoe.

- Iro et Asajiro t’accompagneront, Corbeau. Je veux que mon fils lise cette lettre à l’Empereur. Lui et lui seul, c’est bien compris ?

Le ton sévère ne fit pas réagir Oogoe.

- Il sera fait selon vos désirs, Seigneur. Puis-je disposer ?

- Tu peux. Fait appeler Iro, j’ai à lui parler.


Iro était prêt. L’Empereur lui avait toujours témoigné du respect et l’avait honoré du titre de champion de l’Empereur à un âge où personne n’avait accompli ce prodige. Les larmes lui venaient, mais il les retenait au mieux. Oogoe lui avait dit que Gakyusha l’attendait. En se rendant vers la tente de son père, il croisa Sen’Ryaku. La jeune femme lui attrapa le bras lorsqu’ils se croisèrent. Elle lui glissa quelques mots à l’oreille.

- Prend soin de toi et méfie toi des gens qui t’entourent. Aie confiance en Asajiro. Il te sera toujours fidèle.

Puis elle le lâcha et s’en alla à ses occupations. Iro entra dans la tente où flottait à présent une douce odeur d’encens. Il se rappelait de cette odeur et cela raviva chez lui un souvenir qu’il essayait d’oublier. Il y a quelques années lorsque sa mère tomba malade, son père avait prié les Kami de lui accorder la guérison, hélas sans succès. Mais le Seigneur Impérial avait accepté le décès de son épouse.

- Père, es-tu là ?

- Oui, Iro. Viens donc à côté de moi.

Le Seigneur de la Kotoba était dans une des ailes de la tente. Là, il y avait un autel sur lequel reposait la statuette d’une jeune femme nue dont les longs cheveux cachaient la poitrine. Autour d’elle des bâtonnets d’encens brûlaient lentement. Devant, en kimono entièrement rouge, le père d’Iro récitait des mantras de prière. Le jeune champion de l’Empereur se mit à genoux et récita à son tour des prières. Cela dura un long moment et la nuit tomba doucement.

- Iro, j’ai reçu un message de Tsuro juste après l’arrivée d’Oogoe. La situation au sein de l’Empire se dégrade et la politique s’intensifie. On me met à l’écart de tout cela et c’est une manoeuvre habile. C’est pour ça que je compte sur toi pour m’informer de ce qu’il se passe. Tout cela me semble suffisamment étrange et inquiétant.

Iro contemplait la statue, perdu dans ses pensées. Il entendait les avertissements de son père, mais il ne pouvait s'empêcher de songer à sa mère, dont le visage commençait à s'effacer de ses souvenirs. Il se ressaisit alors.


A quelques lieues de là, Malyss assis en tailleur au milieu du Tombeau des ancêtres terminait de lire une incantation qu’il avait commencé la veille. Il était au bord de l’évanouissement et ses forces magiques faiblissaient plus que de raison. Ce n’était pas le hasard qui l’avait amené ici, mais un plan bien précis. Et c’était plus exactement la dernière partie qu’il exécutait à présent.

Quelques semaines auparavant, il avait aidé Toran par le biais d'intermédiaires et avait fait en sorte que l’affrontement entre ce dernier et Akutsaï ait lieu ici. Leur présence en ce lieu avait bousculé le monde des esprits et une brèche s’était ouverte sur ce monde. Malyss cherchait un esprit particulier d’un guerrier tombé au combat il y a bien longtemps. Enfin, il acheva son incantation et tout autour de lui devint plus blanc, comme si la réalité s’était effacée. Des formes apparurent alors, au départ simple brume puis au fur et à mesure prirent consistance pour ressembler à des hommes. A ce moment-là, Malyss avait les yeux clos car il ne lui était pas permis de voir en ce lieu. Il attrapa alors une petite boite qu’il avait dans son sac, l’ouvrit et sortit son contenu : une plume de corbeau, bien trop longue pour être celle d’un animal de cette espèce de taille normale. Le jeune mage lâcha la plume qui se mit à voleter. Un des esprit fut alors attiré comme une mouche par du miel et il toucha la plume. Aussitôt tout réapparut autour d’eux. Malyss ouvrit les yeux. Devant lui se tenait celui qu’il était venu chercher.

- Gan’so, le Corbeau est heureux de vous voir de retour parmi nous. Vous êtes attendu avec impatience.

- Merci à toi d’être venu me chercher, je ne sais depuis combien de temps j'errais sans but.

- Il faut que nous partions pour Méragi, le Corbeau nous attend.

Iro et Oogoe arrivaient enfin à destination. La capitale s’offrait à eux, bourdonnante d’activité. Ils ne prirent pas le temps de se reposer et demandèrent audience immédiate afin que le champion Xzia puisse voir l’Empereur. Ils se rendirent jusqu’à la chambre Impériale où Ayuka, la vieille servante, prenait soin du malade. Elle se leva et s’inclina devant les deux hommes, puis sortit sans prononcer un mot. La pièce baignait dans une lumière rouge, couleur représentative de l’Empire de Xzia. Il y flottait des odeurs d’encens et de plantes médicinales. Iro tomba à genou devant le lit où l’Empereur, amaigri et la peau très pâle, dormait d’un sommeil mouvementé. Iro avait beaucoup de peine de le voir dans cet état. Après quelques minutes, une quinte de toux réveilla le malade qui s'aperçut qu’il n’était pas seul. Quand il vit son champion et Oogoe, l’Empereur se redressa.

- Kage, prononça-t-il avec difficulté. Laisse nous.

Oogoe s’inclina immédiatement et laissa les deux hommes à leur tête à tête.

- Iro, les ténèbres voilent mes yeux peu à peu... Bientôt je rejoindrais mes ancêtres.

- Non, ne dîtes pas ça, on trouvera bientôt un remède.

L’Empereur marqua un petit rictus.

- Les plus grands guérisseurs se sont penchés sur mon cas, sans aucune réussite. La mort m’emportera et je sais déjà que cela va être long. Iro... approche-toi de moi, j’ai quelque chose à te dire...

Le jeune membre de la Kotoba se plaça très proche de l’Empereur, c’était pour lui un grand honneur car dans la société Xziarite être proche de l’Empereur, au sens physique du terme, c’est avoir ses faveurs.

- Iro, tu n’es peut-être pas au fait, mais lorsqu’un Empereur n’est plus à même de régner, une régence est mise en place. Écoute moi bien, je sens que les ombres bougent et me guettent, tout cela n’est pas naturel. Tu es mon champion alors soit digne de ce titre et protège ton Empereur.

- Vous protéger ? Mais de quoi ? De qui ??

A ce moment-là entra dans la chambre un vieil homme à la longue barbe blanche, entièrement vêtu de noir.

- Seigneur Iro, ravi de vous revoir à Méragi. Je pense qu’il est temps pour notre Empereur de se reposer.

Iro connaissait bien cette personne : il s’agissait de Daijin, le vénérable et puissant dirigeant du clan du Corbeau, mais aussi premier conseiller de l’Empereur. Pour Iro, ce vieil homme avait toujours été un fidèle impérialiste.

Le jeune homme allait s’en aller lorsque l’Empereur l’attrapa par le poignet.

- Souviens-toi de mes paroles Iro... Protège l’Empire...

Tempus Fugit

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Psaume, le célèbre barde était assis sur un rocher en partie recouvert par la mousse. La plupart des habitants du petit village voisin s’étaient réunis pour cette occasion assez rare. Grands comme petits attendaient que le barde commence ses histoires avec impatience.

Psaume racla sa gorge et fit quelques notes sur sa harpe avant d’entamer une douce mélodie.

“Oyez oyez, écoutez donc l’histoire des exilés du Temps, venus chez nous pour fuir leurs malheurs.

Cela se passera dans le futur on ne sait ni quand ni où exactement. Samia jeune apprentie, curieuse de la vie, n’écoutait jamais rien.

Or elle était prévenue, le Destin ne s’offre pas à qui veut, lire le Livre lui est interdit.

Évidement elle foula du pied l’interdiction et du livre s’approcha...”


Quelques mois avant que Psaume ne fut dans ce village, comme beaucoup de personnes, il se déplaçait en direction de la pierre tombée du ciel. Son cheval et lui, harassés par un long voyage n’en pouvaient plus. Il chercha donc un endroit paisible pour passer la nuit. C’est là qu’il vit un petit campement au milieu duquel brûlait un feu, cela fut pour lui un phare dans les ténèbres tombantes. Il s’approcha et vit une jeune femme à l’accoutrement étrange, elle était seule dans un lieu assez peu réputé pour son calme.


- Excusez-moi, je voyage en ces terres et je cherche un endroit pour la nuit. Pourrais-je avoir l’honneur de partager ce campement avec vous ?


La jeune femme leva la tête vers Psaume et ce dernier vit malgré la pénombre qu’elle était aveugle, ses yeux étaient blanc comme la neige.

- Nous cherchons tous quelque chose. Installez-vous et n’ayez crainte, nous sommes à l'abri du danger.

Le jeune homme se posa et libéra son cheval, puis après avoir mis une couverture au sol commença à jouer de la lyre.

- Vous êtes musicien ? Interrogea la jeune femme avec une certaine pointe d’innocence.

- Je suis barde damoiselle, mon nom est Psaume.

- Enchantée, Psaume.

Après avoir interprété quelques chansons, le barde posa son instrument.

- Savez-vous comment nous, bardes, imaginons nos chansons ?

- Non, dites moi.

- En plus des légendes des diverses contrées, nous discutons beaucoup avec les voyageurs que nous croisons car ils ont souvent des choses à nous raconter.

- Et donc vous voulez savoir si je n’aurais pas des choses à vous dire ? A y réfléchir, oui, j’ai une histoire.

Le visage de Psaume s’éclaira d’un intérêt agrandi.

- Dites moi je vous écoute.

Il déballa à la va vite de quoi prendre des notes.

- Je vous écoute.

- Mon nom est Samia, dans cette époque nombre d’entre vous m’appelle l’Apôtre du Destin. Je viens du futur.

- Du futur ? Cela veut dire que vous savez ce qu’il va se passer alors ?

- Gentil Psaume, vous me poserez vos questions plus tard, mon récit est assez long.

- Oh, veuillez me pardonner.

- Donc, dans le futur je serai une apprentie de l’Horloger, une personne respectable d’une... comment dire, société secrète nommée Tempus. Je serai jeune lorsque se passera un évènement qui changea bien des choses.

Psaume brûlait déjà de mille questions, il écoutait en s’abreuvant de cette histoire incroyable où visiblement tous les verbes se conjuguaient de manière particulière, mêlant passé, présent et futur.

- Tempus est le gardien des secrets de la Destinée et conserve précieusement l’équilibre du Temps. Hors je ferai preuve de trop de curiosité car je briserai l’interdit absolu de Tempus, lire le Grand Livre des Destinées. Ce grimoire, créé par Eredan, peut révéler à celui qui le lit le Destin d’une personne. Il suffit alors de se concentrer sur la personne dont vous souhaitez voir le Destin pour que le livre se modifie.

Le barde avait tout de même un doute, est-ce une histoire totalement inventée ou bien était-ce là la vérité, avait-elle vécu cela ?

- Or j’ai eu une idée que je regretterai en partie, celle de vouloir faire apparaître le Destin d’une personne en particulier, le mien. Hélas pour moi j’ai enfreint là une règle que je ne connaissais pas en rapport avec la lecture de ce livre. J’en ai subi alors de très lourdes conséquences. Le Destin a voilé mes yeux et m’a punie. Je devrai désormais vivre avec la faculté de pouvoir lire le destin des gens que je croiserai mais jamais je ne pourrai apprendre quoi que ce soit sur mon propre destin. Je suis enchaînée.

- Passionnant ! s’exclama le barde. Et ensuite que s’est-il passé ?

- Il se passera qu’ayant brisé plusieurs règles “sacrées” j’encourrai les foudres des autres Tempus. Je ne devrai alors mon salut qu’à l’Horloger, dont je suis très proche. Je ne sais pas encore ce qui le poussera à m’aider. Il apparut immédiatement après que ma vue disparaisse et alors nous nous échapperons par le Tempus Fugit, une ligne du temps particulière, normalement aussi interdite d’utilisation. Nous avons choisi de venir ici dans ce temps-là.

- Si je comprends bien vous êtes revenus dans le passé. Mais est-ce que les autres Tempus ne pourraient pas venir eux aussi dans ce temps ?

- Vous êtes perspicace, Psaume. Ils arriveront bientôt, ce n’est effectivement qu’une question de temps. Mais nous avons convaincu des personnes au destin exceptionnel de nous aider.

- Mais en faisant ainsi n’allez-vous pas modifier le futur ?

- Et bien hélas je ne connaissais pas notre passé, mais à priori nous pouvons prétendre à deux théories. Dans le futur nous sommes déjà venus dans le passé et donc ce futur là est “normal”. Soit alors nous l’avons modifié et nous créons un autre futur. Je vous avoue que les histoires de temps sont plus la passion de l’Horloger. Ma vision du temps se borne à la destinée des gens car je peux voir le futur de quelqu’un.

- Alors vous savez quelles aventures je vais vivre.

- Oui, je sais que l’histoire que je vous ai racontée fera le tour du monde et que le moment venu vous vous rappellerez qui vous l’a racontée.


Loin dans le Futur, au moment où l'Apôtre et l’Horloger disparaissaient dans les méandres du Temps un homme, lui, apparut. Son costume était des plus singuliers, c’était un Tempus.

- Le présent impacte le passé mes frères, l’interdit a été enfin brisé, à nous d’agir.

D’autres personnes aux tenues semblables apparurent à leur tour.

- Ils seront enfermés.

- Les faits seront consignés.

- Ils seront châtiés.

Puis tous disparurent et empruntèrent le Tempus Fugit...


Mode d'emploi - Chapitre 1

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Baranthe est le plus oriental des 7 royaumes. Mais c’est aussi le plus proche des étendues sauvages, ces terres qui ont vu autrefois les affrontements cataclysmiques durant la guerre contre Nehant. Son roi, nommé Baranthe lui aussi, était un homme plein d’ambition. Son prédécesseur lui avait laissé un royaume faible et honteux pour les 7 royaumes, et cela le dérangeait vraiment. Il avait donc entrepris d’importants travaux un peu partout dans son royaume afin de donner un coup de fouet à l’économie et d’améliorer les conditions de vie de son peuple.

Un beau matin, un jeune paysan se présenta au Château de Baranthe avec une lettre importante à l’attention de sa majesté. Elle annonçait la découverte d’un étrange objet de grande taille enfoui dans le sol au fin fond de la province de Thane, connue pour être la plus pauvre région du royaume. Immédiatement, le roi fut interloqué. Un machin enterré dans une partie reculée de son royaume, qu’est-ce que cela pouvait donc être ? Il demanda donc conseil à des artisans connus de la capitale. Hélas, pas un ne sut expliquer ce qu’était exactement cette “chose”. Tout ce que le roi eut comme informations fut qu’il s’agissait d'un objet de grande taille avec des mécanismes incroyablement complexes. La réaction ne se fit pas attendre.

- Eh bien soit. Puisque vous êtes des incompétents, je vais devoir faire appel à la seule personne capable de régler cela : le grand bijoutier royal !

Celui-ci arriva quelques temps plus tard, fit de basses courbettes et dit d’un air hautain :

- Je résoudrai ce problème pour votre majesté. Cette énigme sera résolue.

Ce grand bijoutier était connu pour avoir créé des mécanismes assez avancés en matière de bijouterie et avait à son actif plusieurs grandes inventions. Il partit donc en direction de Thane où l’attendait la “chose”. Là, il passa une semaine entière, presque jour et nuit, à tenter de résoudre l’énigme. Hélas, au bout de trois jours, il paniqua car il ne progressait pas du tout. Les serviteurs présents le virent même le sixième soir presque nu devant la “chose”, presque fou et bafouillant des “J’y arriverais jamais ! J’y arriverais jamais !”. Et, effectivement il n’y parvint pas. Le malheureux perdit presque la raison et fut ramené en catastrophe à la capitale où il mit longtemps à se remettre.

Le roi fulmina. Il perdait la face dans cette affaire qui commençait à sérieusement l'énerver. Mais il eut une bonne idée.

- Hérauts ! Faites courir le bruit à travers le monde que moi, le roi Baranthe, invite les plus grands artisans du monde à résoudre l’énigme que personne n’a encore dénouée. Celui qui arrivera à trouver la solution sera récompensé à sa juste valeur.

Très vite la rumeur circula et très vite une foule de curieux, de badauds et bien sûr d’artisans arrivèrent à Baranthe, doublant la population de la ville. Le Roi se retrouva victime de son annonce et dut faire face. Il ordonna donc à ses conseillers royaux de débuter un “casting”, une nouvelle méthode de recrutement par jury. Les sélections durèrent plusieurs jours et, évidement, la grande majorité des postulants fut refoulée. Néanmoins, quelques grands noms avaient fait le déplacement. Certains venaient même de très loin. Ils furent alors aimablement conviés, au frais du royaume, à se rendre à Thane, et durant ce trajet, certains d’entre eux eurent le temps de discuter de leurs passions respectives. Ils furent accueillis par le seigneur de Thane qui avait pris en charge la sécurité du chantier et supervisait, au nom de son bien aimé roi, la gestion de cette découverte.

- Bienvenue à Thane. Plus précisément nous sommes à Imsiss, une région dont l’histoire n’a rien de particulier. J’espère que vos talents incroyables nous permettront de résoudre l’énigme que je vous propose de contempler.

Il fit alors signe à ses gens qui ouvrirent alors la grande porte de bois de l’enceinte bâtie afin de sécuriser le périmètre. La “chose” était vraiment impressionnante, en partie recouverte de terre. C’était un immense cube d’environ trois hauteurs d’hommes. Il représentait un vrai défi car sa surface visible présentait des multitudes de mécanismes et de gemmes lumineuses de diverses couleurs.

- Eh bien, voilà du joli travail, s’exclama Delko, le célèbre facteur de Golem de Noz’Dingard.

- Vous zavez raaison cher collègu’ !, répliqua Jorus.

- Mettons-nous au travail. Enfin, moi je m’y mets tout de suite. Klemence la mécanicienne s’arnacha de son mecassistant, la plus incroyable de ses réalisations.

Sans avoir la moindre délicatesse, la jeune femme se jeta sur les mécanismes à sa portée et tenta de les fracasser à coup de marteau. Hélas sans la moindre réussite. Rien ne se passa, sauf la destruction de son marteau. Delko et Jorus, eux, fondaient des théories farfelues sur ce que pourrait être cet objet.

- Et s’il fallait aligner les mêmes couleurs de gemme trois par trois, peut-être qu’elles s’annuleraient ?

- Pouapoua ! Dites pas n’importe quoa. Moi je suis sûr qu’il faut appuyer dessus en mêm’ temps, répliqua Jorus, le souffleur de verre.


Non loin de là, deux Traquemages bien cachés observaient la scène avec beaucoup d’intérêt.

- Voilà un objet dont nous n’avons pas entendu parlé depuis longtemps.

- Oui, il faut dire que certaines de ses œuvres existent encore.

- Sauf que celle-là est son œuvre majeure, enfin sa deuxième je voulais dire.

- Oui, même aujourd’hui personne n’est capable de l’égaler tant il était en avance sur son temps, un véritable génie.

- Ce qui est inquiétant c’est que ce... cube a été enfoui. On dirait un coffre-fort.

- Mais que renferme-t-il ?

- Nous le saurons, s’ils réussissent.

- Va faire un rapport à la confrérie, il nous faut consigner ces faits. Si nous pouvions récupérer à nouveau cette technologie, cela nous aiderait dans notre tâche.

- Bien, je pars immédiatement.

L’Arbre-Monde

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Le vent soufflait avec douceur dans les branches de Arbre-Monde. En ce temps-là, la vie était paisible sur Guem, l’Erosion n’avait pas encore œuvré. Nul humain ne foulait ces terres.

Arbre-Monde était le point central de toute vie. Il avait la particularité, outre d’être véritablement immense, d’avoir poussé sur une pierre-cœur, qui selon les légendes Daïs fut la toute première existante sur Guem. Ainsi, la graine portée par le vent avait atterri sur cette pierre et s’était développée à une vitesse hors du commun. C’est ainsi que l’Arbre est né.

Le printemps suivant, il se couvrit de fleurs magnifiques, qui devinrent ensuite des fruits, aussi proportionnellement grands que l’arbre. Une fois ces fruits mûrs, ils tombèrent au sol. Mais, au lieu de germer pour à leur tour donner un arbre, ce furent des créatures qui en sortirent, pareilles à des poussins sortant d’un oeuf. C’était là la naissance des premiers habitants de Guem, les Daïs. Ces enfants de l’Arbre-Monde étaient en harmonie, chacun étant à la fois une partie infime de l’arbre, comme une conscience collective, et un être à part entière.

Des années passèrent, puis des siècles et tout allait bien dans le meilleur des mondes. Mais l’un d’entre eux semblait préoccupé par quelque chose. Il avait été choisi par les siens pour devenir le chef du peuple Daïs, il se fit appeler Kei’Zan. Il était né d’un fruit de l’Arbre-Monde spécial car ce dernier donna deux Daïs. D’ailleurs, alors que le Kei’zan contemplait dubitativement le tronc de l’arbre, son frère s’approcha. Les membres de ce peuple avait la particularité de ressentir avec une grande précision les sentiments des autres. Et là, ce dernier avait senti la profonde angoisse du chef Daïs.

- Je ressens une grande préoccupation chez toi, mon frère. Peut-être puis-je discuter avec toi de ce qui ne va pas ?

Le Kei’zan avait toujours été le plus empathique avec ce monde qui l’avait accueilli.

- Chaque Daïs qui naît affaiblit l’Arbre-Monde.

- Comment cela ?

- La gemme-cœur faiblit et j'entends la voix de notre mère. Elle est à l’agonie.

- Vraiment ? Pourtant il semble que tout aille bien. Regarde, les branches sont nombreuses et ne tombent pas. Le feuillage est dense et il y a de nombreuses fleurs, annonçant l’arrivée future des enfants Daïs.

- Son mal est plus profond.

- Allons, ne t’en fais pas. Je suis persuadé que ça ira.

- Je ne crois pas.

Effectivement, la situation n’alla pas en s’arrangeant. Les Daïs sentirent que leur Arbre-Cœur périssait. La plupart d’entre eux se rendit à l’arbre comme poussé par leur instinct. Le Kei’zan et son frère soutenaient les leurs du mieux qu’ils pouvaient, mais la tristesse et la douleur était trop importante. Si l’arbre mourrait, cela condamnait leur peuple à la disparition. La gemme cœur, en partie visible dans certains interstices de l’écorce, n'émettait plus qu’une faible lumière. L’impensable eut alors lieux.

Le frère du Kei’zan s’approcha de l’une de ces interstices, vit que l’écorce était en train de se fendre et que la gemme-cœur de l’arbre était en train de gonfler. Il comprit tout de suite ce qui allait arriver. Il se mit à courir en direction de son frère alors que dans son dos la Gemme-Cœur explosait dans une gerbe de couleur verte. Il eut juste le temps de se jeter devant le Kei’zan avant de recevoir des éclats de la gemme-cœur de l’arbre. L’explosion avait pratiquement désintégré l’arbre et beaucoup des Daïs qui priaient autour perdirent la vie ce jour-là. Le Kei’zan poussa son frère inconscient qui était tombé sur lui avec le souffle de la déflagration. Au plus profond de son être, il était déchiré. Autour d’eux, c’était le chaos, des branches tombaient avec fracas alors que les pétales des fleurs descendaient doucement offrant là un triste spectacle. Il se pencha vers son frère qui malgré le fait qu’il soit inconscient bougeait, se tordant de douleur. Tout son côté droit était meurtri par des éclats qui s’étaient profondément plantés en lui.

Le Kei’zan secoua la tête comme pour reprendre ses esprits. Il se rendit vite compte que la conscience qui reliait tous les Daïs entre eux avait disparu. Il ne pouvait pas ressentir la douleur des survivants, ni celle de son frère. Pour éviter de se faire écraser par des débris qui tombaient encore, il prit son frère sur son épaule et le mit plus loin à l'abri. Ayant prit un peu plus de recul, il put alors se rendre compte de l’étendue des dégâts. Arbre-Monde était mort. Une bonne partie de son peuple balayé et, surtout, il n’y aurait plus aucune naissance de Daïs. Une fois la situation calmée, il ressentit comme une force magique qui émettait faiblement. Intrigué, il alla voir de quoi il pouvait retourner. Après avoir slalomé entre les corps des défunts Daïs et les branches mortes, il arriva là où se trouvait l’arbre et n’y trouva qu’une souche entourée d’éclats de cristal. C’est parmi eux que se trouvait un morceau de gemme particulier. Le Kei’zan se pencha et le ramassa. Aussi grosse que son poing, cette gemme abritait en son sein un morceau de racine. Il entendit alors ces paroles :

“La mort n’est pas la fin. Tu me porteras et nous vivrons ensemble jusqu’au jour de la renaissance”.

A ce moment-là, il comprit que cette graine était sa pierre-cœur et que le cycle de la vie était ainsi. Un jour, dans le futur un autre Arbre-Monde pousserait.

Mais quand ?

Mode d’emploi - Chapitre 2

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Salle du trône du château de Baranthe, quelques temps après le départ des artisans vers Thane.

Le roi était seul, assis dans son confortable fauteuil plusieurs fois centenaire. Il songeait à ce fabuleux trésor qui dormait et qui bientôt serait sien. Il faut bien l’avouer, il jubilait intérieurement. Hélas pour lui, sa bonne humeur intérieure fut vite contrariée par l’arrivée à l’improviste d’un visiteur très indésirable. Le roi se sentit en premier lieu fatigué, puis il sentit que son corps devenait de plus en plus lourd, autour de lui tout devint sombre, comme si la lumière passait au travers de vitres noircies. D’une poche intérieure de sa veste, une pierre sortit, lévitant à une faible distance de sa tête. Cette pierre-coeur devait probablement être verte, mais, en l’état, elle était presque entièrement noire. La lumière ambiante se concentra alors pour former des volutes de fumées qui convergèrent vers un point central. Enfin de cette fumée émergea un homme habillé de noir et dont le visage était en partie caché par une capuche. Il avança vers le roi en frappant le sol de sa canne.

- Vous œuvrez bien, roi Baranthe. Vous serez bientôt riche et les 7 royaumes seront bientôt à genoux devant votre splendeur.

Les mots du Nehantiste frappaient dans le mille. La vanité, l’avarice et le désir de devenir un des grands de ce monde servaient de point d’entrée à la conscience du roi.

- Le plan se passe comme prévu, nous arrivons à sa résolution.

Le Nehantiste donna alors au roi un parchemin vierge et de quoi écrire.

- Vous allez écrire une lettre adressée au seigneur de Thane.

Aussitôt, les mains du roi commencèrent à rédiger, sans même regarder le parchemin.

- Vous y indiquez qu’un dénommé Quilingo va venir en votre nom et va se servir en premier dans ce que contiendra le coffre. Il est important qu’il rentre en premier. Bien entendu, vous signez, comme à votre habitude, de votre sceau royal.

Quelques minutes plus tard, la lettre était prête et cachetée.

- Le dénommé Quilingo doit arriver demain. Vous le recevrez en toute discrétion et lui donnerez vos ordres.

Puis, reculant jusqu’au centre de la pièce :

- N’oubliez pas, votre nom va rentrer dans l’histoire !

Le Nehantiste se transforma alors en fumée, puis la fumée en lumière noire. La pierre-coeur du roi se remit dans sa poche, tout redevint clair. Le roi fut libre de penser à nouveau par lui-même. Pour lui, tout cela était son idée.


Plusieurs jours durant, les plus éminents artisans travaillèrent d’arrache-pied à la résolution de l’énigme. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celle-là les tenait en respect. La petite troupe vivait de façon recluse dans un village monté à la va-vite et collé à la chose. Ce soir-là, le seigneur de Thane avait ordonné un rassemblement afin de faire le point sur les avancées de ses invités. Ils étaient donc tous là, autour d’une table, dans un brouhaha assez impressionnant, chacun défendant ses idées avec beaucoup de passion. Le pauvre seigneur avait beaucoup à faire avec autant de personnalités complexes.

- S’il vous plait ! S’il vous plait ! Messieurs et damoiselles ! Un peu d’attention !

Hélas, à part Arckam, le prestidigitateur des Combattants de Zil, personne ne l’écoutait vraiment. Devant le désarrois total du seigneur, le Zil se décida à faire quelque chose. Il fouilla dans une poche et en sortie un ballon de baudruche, puis d’un bond il se retrouva sur la table, sans que les échanges ne cessent. Puis le ballon gonfla pour devenir aussi gros que Ramen le vendeur de nouilles. Certains coupèrent leurs bavardages, d’autres pas. L’artisan Zil sorti alors comme par magie une longue aiguille et fit exploser le ballon qui immédiatement se mit à répéter les paroles du seigneur de Thane, mais avec beaucoup plus de corps.

- S’IL VOUS PLAIT ! S’IL VOUS PLAIT ! MESSIEURS ET DAMOISELLES ! UN PEU D’ATTENTION !

Étrangement, tout le monde s’arrêta de parler. Arckam redescendit de la table, aussi mystérieusement qu’il était apparu.

- Merci, messire Arckam. Maintenant que j’ai votre attention, j’aimerais que chacun fasse part de ses hypothèses. Vous voulez bien commencer Klémence ?

La jeune femme fut très étonnée de voir qu’on s'intéressait à elle. Elle s’essuya les mains sur son tablier puis se leva en se raclant la gorge.

- Si vous voulez mon avis, ce truc a bien été fabriqué par quelqu’un. Si on savait qui, on pourrait résoudre cette foutue histoire. Parce que pas moyen de dévisser quoi que ce soit sur ce machin !

- Très bien, mais sinon une hypothèse pour l’ouvrir ?

- Beh non, aucune idée.

- Bien, euh, merci. Bon, Jorus ?

Le vieil homme était entrain de chuchoter quelque chose à l’un de ses “Jorusiens” et fut surpris qu’on le demande.

- Quoa ?

- Et bien, auriez-vous une idée de comment ouvrir cette chose. Quelles sont vos théories ?

- Et beeen, j’vu des serrures, donc faut ptêt des clés ?

A ce moment-là, Delko se mit à applaudir.

- Bravo ! On s’en doutait pas !, ironisa le facteur de golem.

- Beh si t’es fort, vas-y épat’nous !

- Puisque tu me laisses la parole, je pense que j’ai quelques pistes. Comme le dit Klémence, il est important de savoir qui a “commis” ça avant d’avancer. Une fois que nous le saurons, il nous faudra comprendre les mécanismes.

- Donc, ça fait plusieurs jours que vous restez là à vous chamailler et ça n’a pas avancé d’un poil ?

- Vous faites erreur, contra Delko. Nous échangeons nos point de vue, c’est ce qui nous fait avancer. Si vous pensiez que nous allions arriver et découvrir la solution du premier coup d’oeil, c’est mal connaître notre métier. Bon ceci dit, ayant anticipé tout ça, j’aurais la réponse de qui est le constructeur de cette chose d’ici peu.

Effectivement, le lendemain matin, un messager en provenance de Noz’Dingard apporta à Delko un porte parchemin. Tous les autres artisans se réunirent autour de lui pour, comme dirais Jorus, “Lorgner”.

“Maître Delko,

Le nom de la personne que vous cherchez est Maître Elmijah de Kref’ga, aussi connu sous le nom de Ebohki. D’après les renseignements que nous avons sur lui au sein de la bibliothèque du Compendium, il aurait mystérieusement disparu quelques temps après la guerre contre Nehant.

En espérant que ces renseignements vous seront à toutes fins utiles.

Votre dévoué,

Aerouant.”


Ebohki. Ce nom éveilla immédiatement l’intérêt de l’assistance et les discussions repartirent de plus belle. Pour les gens présents ce jour-là, l’évocation de ce nom signifiait énormément, car dans le milieu qui était le leur, Ebhoki fut celui qui sublima son art à son paroxysme, un véritable génie en avance sur son temps. Même aujourd’hui la plupart d’entre eux n’était pas capable de faire aussi bien que lui. Cela n’augurait que du mauvais pour la réussite de leur entreprise.

Quelques jours plus tard, Quilingo était arrivé au campement de fortune. Il s’ennuyait ferme et passait le temps en jouant au Ylong au comptoir de Ramen. Ce dernier n’étant là que pour le travail (mais aussi un peu pour espionner les confrères). C’est au beau milieu d’une partie passionnante qu’une clameur se fit entendre et il y eut alors une grande agitation, suivi de multiples bruits de rouages et de jets de vapeur. Enfin, un tremblement de terre léger eut lieu, la “chose” était enfin ouverte. Les artisans présents se félicitaient les uns les autres et des “Hourra !” raisonnaient sur les parois de la “chose”. Quilingo sauta de son tabouret et se fraya un chemin au travers de la foule compacte qui, au-delà des compliments mutuels, commençait doucement à rentrer dans cette boite géante. Mais Quilingo rappela à tous que nul ne devait rentrer avant lui. Sa grande taille et sa force imposante lui permirent de se faire respecter. L’intérieur était incroyable ! Totalement métallique, il y avait là des mécanismes partout contre les parois et aussi des lumières vertes qui émanaient d’étranges demi sphères de verre. Un peu partout au sol se trouvait un véritable trésor. De l’argent, mais aussi bon nombre d’objets hétéroclites, allant de l’armure complète, au coffret, en passant par des objets plus simples comme des tissus. Les yeux des artisans s’écarquillèrent en voyant tout cela. Quilingo quand à lui déplia discrètement un morceau de parchemin sur lequel se trouvait une illustration, plus précisément un dessin d’une épée, avec, en dessous quelques inscriptions. L’homme-panda fouilla la pièce et finit par trouver l’objet de son désir, une épée ô combien particulière. Il l’enveloppa dans une grande pièce de tissu et s’en alla sans demander son reste.

Pendant ce temps-là, le seigneur de Thane jubilait de cette victoire. Il avait laissé tranquille ses invités depuis qu’ils avaient appris le nom de “l’artiste” qui avait construit la “chose”. Finalement, il avait bien fait. Il demanda donc à Masamune, resté en retrait jusque là, comment ils avaient réussi ce tour de force.

- Le roseau plie, mais ne se rompt pas. Notre intelligence s’est pliée sans se rompre.

- Ah, euh, très bien, très bien, mais sinon comment avez-vous fait ?

Masamune, qui à l’ordinaire ne souriait jamais, esquissa un semblant de rictus.

- Nous nous sommes adaptés. La conception de cette oeuvre ne pouvait être appréhendée par nos esprits qui raisonnent avec nos connaissances. L’adaptation a été la clé de notre victoire, et le travail d’équipe son instrument.

Le célèbre forgeron de la Kotoba montra les clés qui dépassaient de la porte.

- Il y avait plusieurs serrures, toutes différentes avec des clés de natures différentes, expliqua Delko au seigneur. En mettant nos connaissances en commun nous sommes arrivés à décrypter les énigmes. Mais bon je vous passe les détails, pour vous l’important est que cela soit fait et pour nous tous l’accomplissement. Et espérons, un peu de richesse.


L'Honneur retrouvé

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Elles étaient toutes là. L’ensemble de la sororité se tenait devant elle, comme pour faire poids dans la balance de la honte, cette honte qu’elle ressentait depuis des semaines. Elles portaient une simple robe grise et une ceinture de cuir noir tombait sur leurs hanches. Le gris, la couleur du malheur. Aujourd’hui, elle n’était plus une Sorcelame, déposant sa rapière aux pieds de Naya, elle ne retint pas ses larmes. Des larmes que beaucoup d’entre elles partageaient. Lorsqu’une Sorcelame ne remplissait pas la fonction qui lui avait été attribuée, c’était toute l’organisation et tous leurs principes qui étaient mis à mal. L’erreur de la jeune femme était l’erreur de toutes, mais malgré cela c’est elle qui en payait le prix.

- Anazra. Aujourd’hui, ton honneur est brisé, et l’honneur est le pilier de nos croyances et de nos principes.

La commandante ramassa l’épée d’Anazra.

- Je me rappelle le jour où je t’ai donné cette arme, tu étais très jeune à cette époque. Te la reprendre aujourd’hui est pour moi un déchirement.

Les larmes d’Anazra tombaient avec force sur le sol caverneux du temple de la sororité.

- A présent, il est temps que tu partes. Je garde cette épée, en espérant pouvoir te la rendre le jour où ton honneur sera retrouvé.

Ainsi s’acheva la cérémonie qui vit une Sorcelame défaite de son titre, cela arrivait que très rarement mais c’était toujours une épreuve pour l’organisation que de subir cela.


Quelques jours plus tard, la jeune femme avait abandonné tout espoir de redevenir celle qu’elle était. Elle passait le plus clair de son temps dans les jardins de Noz’Dingard où les statues des héros du passé regardaient vers l’horizon. Comment retrouver l’honneur ? Elle s’était posée cette question des centaines de fois, sans avoir la moindre réponse à apporter.

- Alors, as-tu trouvé l’inspiration Anazra ?

Deux jeunes femmes arrivaient, habillées en Sorcelame.

- Vous venez me narguer mes “sœurs” ?

Moîra et Eglantyne étaient arrivées à la même époque qu’elle et des liens s’étaient tissés entre elles.

- Bien sur que non.

- Nous n’avions pas de nouvelles de toi, mais il semble que ta présence ici ait été relevé par Dragon.

- Dragon ? Il doit bien rire de ma situation, ajouta ironiquement l’ex-Sorcelame.

- J’en serais pas certaine à ta place, ajouta Eglantyne.

- Mais tu n’es pas à ma place. J’aimerais bien t’y voir.

Les deux sœurs s’installèrent de part et d’autre du banc de pierre.

- Tu te souviens de notre formation ?, demanda Moîra.

- Oui, parfaitement bien.

Elle se remémora alors, quelques années plus tôt, la formation reçue de leur aînée, Naya, particulièrement de la première phrase qu’elle leur adressa. Et à sa façon, c’était autant un test qu’un “Bienvenu”. “La Sorcelame est à la fois fine lame et magicienne. Elle doit être agile et comprendre les arcanes de Dragon.”

Puis des souvenirs plus récents, où Eglantyne, Moîra et elle s’étaient aventurées dans le Souffle de Dragon, une région au plus profond de la Draconie. Là, elles avaient compris le sens du mot honneur. Anazra regarda ses amies avec intérêt. Toutes les deux souriaient. Elles savaient bien qu’elles lui ouvraient là la piste vers son retour chez les Sorcelames. Elle se leva, le cœur plein d’espoir.

- Merci, j’ai compris ce que je devais faire.

Puis, elle s’en alla sans dire un mot de plus, saluant de loin ses amies.

- Tu penses qu’elle va réussir ?

- Dragon veille toujours sur elle comme il veille sur nous. Elle n’est pour le moment peut-être plus Sorcelame, mais elle reste une draconienne, et ses pouvoirs sont toujours aussi redoutables.

- Nous verrons bien.


Anazra fit un rapide détour par l’auberge où elle dormait depuis sa déchéance, prit ses affaires, la rapière qu’elle s’était offerte pour remplacer celle reprise par Naya et quitta la ville dans la foulée. Elle savait que son voyage ne durerait que quelques jours et qu’elle passerait par des villages bordant la route. La voilà partie pour un périple initiatique, ou du moins, à nouveau initiatique. Elle avait déjà foulé les pavés de la route qui menait vers le Sud, à Noz’Zar, la deuxième plus importante cité de la Draconie. Là, elle quitterait la relative sécurité pour suivre des chemins qui la mèneraient à la plaine des Mornepierres qu’elle traverserait avec prudence et témérité. Sauf que cette fois, arrivée au bout de cette plaine, elle rencontra un voyageur qui se reposait près d’un ruisseau. Anazra ne s’attendait pas à trouver quelqu’un ici, au milieu de nulle part. L’homme se leva à l’approche de l’ancienne Sorcelame. C’était un jeune homme qui avait à peu près son âge, portant des vêtements de voyage mais d’une facture qui ne laissait aucun doute sur sa condition, un membre de la noblesse. Les traits de son visage lui rappelaient quelqu’un, mais elle ne savait pas vraiment qui, mais l’impression de déjà vu était plus que forte.

- C’est bien vous, dit-il d’un air assez satisfait.

La jeune femme fronça les sourcils. “Qu’est ce que c’est que cette histoire encore ?”.

- Ça dépend, qui attendez-vous messire ?

- Celle qui devait protéger mon père, mais qui n’y arriva pas.

Le cœur de la jeune femme se serra et la honte apparut d’un coup sur son visage.

- Oh, veuillez m’excuser pour cette phrase malencontreuse, je ne voulais pas vous faire de la peine. Venez, installez-vous avec moi je vais vous expliquer ce qui m’amène exactement.

L’ancienne Sorcelame posa ses affaires et s’affala sur l’herbe verte, le jeune homme suivit le mouvement.

- Nous nous sommes croisés une fois il y a deux ans, depuis j’ai grandi et surtout Dragon m’a confié la tache de succéder à mon père en devenant Seigneur-Dragon de Drak’Azol.

- Félicitations, c’est une lourde responsabilité, coupa-t-elle.

- Merci, mais je ne suis pas là pour vous annoncer cela. J’ai su que vous vous dirigiez vers le Souffle de Dragon. Or je dois rendre visite au Seigneur Karn, et je passe par la même route.

- Vous avez su ? Qui vous a dit que je passerais par là ?

- Vos amies Eglantyne et Moîra.

- Aaah les garces ! Je savais bien que leur discussion à propos de notre formation n‘était pas anodine.

Anazra fulminait et pensa “elles m’ont bien eue”.

- Et donc vous vous êtes dit que me rappeler mes erreurs le long d’un voyage serait à coup sûr une punition intéressante ?

Le jeune homme ouvrit la bouche, comme hébété par cette phrase.

- Non non, au contraire. Vous savez cet évènement tragique n’est dû qu’à deux choses : la Fatalité et le Traquemage. Cela aurait été vos amies à votre place le résultat aurait été le même.

- Vous vous basez sur des suppositions.

- Non, juste que vous vous en voulez de ne pas avoir accompli votre devoir, mais que vous ne devriez pas, car c’est ainsi que cela s’est passé et que cela aurait dû se passer.

- Je ne suis pas convaincue par ce que vous me dîtes, Seigneur-Dragon. Mettons-nous en route voulez-vous ? Les lieux ne sont pas très sûrs.

- Vous avez raison.


Ils se mirent alors en route au travers des montagnes rouges. Au début Anazra n’écouta guère le Seigneur-Dragon, mais chemin faisant elle céda peu à peu face aux arguments du jeune homme. Elle commençait de nouveau à avoir confiance en elle. Puis, quelques jours après, ils arrivèrent dans un lieu connu sous le nom de Souffle de Dragon. Une cuvette remplie en permanence d’une brume opaque.

- Nous voilà au Souffle, je vais reprendre mon chemin vers Kastel Drak. J’espère que ces quelques jours passés en ma compagnie vous aurons ouvert les yeux.

Anazra connaissait la dangerosité de la route vers Kastel Drak et, pour rejoindre la cité, il fallait franchir la passe de l’Œil qui était réputée pour être un repère de brigands.

- Si vous voulez, je peux vous accompagner jusque là-bas.

- Non non, vous avez mieux à faire que de m’escorter, personne n’attaquera un Seigneur-Dragon tout de même.

- Espérons-le.

Leurs routes s’éloignèrent alors et l’ancienne Sorcelame avança dans le Souffle de Dragon. Une légende très connue des draconiens raconte que ceci serait le Souffle de Dragon et que ce dernier empêcherait les secrets de ce qui s’est passé dans ce lieu d’être révélés. Les jeunes Sorcelames venaient ici pour être mises à l’épreuve. Anazra progressa une bonne heure avant qu’elle ne ressente la présence de Dragon.

- Qu’elles sont les règles de l’Ordre des Sorcelames ?, lui demanda une voix caverneuse.

- Vous servir Vous, servir le peuple et les Seigneurs-Dragon.

- Bien, et comment servir au mieux un Seigneur-Dragon ??, la voix se fit plus grave.

Anazra resta silencieuse quelques secondes. Puis, son cœur se serra. Elle avait laissé le seigneur de Drak’Azol face à un risque potentiel. Sur son honneur, il ne devait pas en être ainsi. Elle se mit alors à courir du mieux qu’elle pouvait. Elle ne s’arrêta que peu de temps et fit appel a ses pouvoirs magiques pour être plus endurante. Elle rattrapa le seigneur alors que celui-ci était au prise avec une poignée de marauds qui en voulait à ses quelques richesses. Sans hésitation, elle dégaina sa rapière et mit en œuvre le savoir-faire appris bien longtemps auparavant. Les brigands ne résistèrent pas longtemps et s’enfuirent à toutes jambes. Le Seigneur-Dragon n’avait heureusement rien.

- Et bien, j’ai vraiment cru que vous alliez m’abandonner à mon sort.

- Une Sorcelame doit veiller sur les Seigneurs-Dragon.

- Parce que vous êtes une Sorcelame ??

- Si la dirigeante de notre ordre le veut bien.

- Dans ce cas, je me permettrais d’intervenir en votre faveur.


Quelques jours plus tard, au temple de l’ordre des Sorcelames en Noz’Dingard. A nouveau, elles étaient toutes réunies, mais cette fois leurs robes étaient bleues et les mines réjouies. Anazra était de nouveau à genoux devant Naya. Le silence se fit alors.

- L’Honneur ne nous quitte jamais. Lorsque nous sommes dans le doute, nous pouvons compter les unes sur les autres.

Elle prit la rapière d’Anazra.

- Ceci est le symbole de notre engagement et je suis heureuse aujourd’hui de te le rendre. Porte fièrement cette arme et rejoins tes sœurs, Anazra, Sorcelame de Noz’Dingard.


Libérer l'Ombre

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Le bal des courtisans était maintenant fini, mais la mission d’Ishaïa ne s’arrêtait pas là. Elle avait confié une quête à Marlok et il lui restait désormais à annoncer une mauvaise nouvelle. Elle repartit de Kastel Draken avec ses suivants afin de rejoindre le Tombeau des ancêtres et, après plusieurs jours de voyage, l’objectif était atteint : le campement des Combattants de Zil.

En voyant arriver la délégation aux couleurs du Conseil, Ergue qui surveillait les environs prévint vite Abyssien. Ce dernier fit réunir tous les Combattants de Zil disponibles afin d’accueillir au mieux leurs augustes visiteurs. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il reconnut l’étendard de Dame Ishaïa. Par le passé, leurs chemins s’étaient déjà croisés. La conseillère toisa du regard les présents avec un air neutre.

- Conseillère, soyez la bienvenue en notre humble demeure.

- Abyssien, répondit-elle en inclinant la tête respectueusement. Merci pour votre accueil. Ne vous inquiétez pas, je ne resterai pas longtemps.

Les Combattants de Zil se regardaient les uns les autres. Qu'allait-il se passer ? La plupart d’entre eux ne savaient pas qu’un Conseil des guildes existait, et ils allaient l’apprendre à leurs dépends. Abyssien et Ishaïa s’installèrent dans une partie privée du chapiteau. Le chef des Zil proposa des rafraîchissements à la conseillère.

- Ravie de voir que tu sais encore recevoir des visiteurs de marque.

- Merci de garder tes réflexions pour toi, rappelle-toi qui t’a fait entrer au Conseil !, dit-il avec une pointe de colère dans la voix.

- Allons, allons, c’est justement parce que nous nous connaissons que le Conseil m'envoie moi et pas quelqu'un d'autre ! Tu aurais préféré que ça soit le Régent ?

- Non, bien sûr, je suis content de te voir. Mais je trouve ton attitude parfois cavalière. Qu’est-ce qui t’amène ici ?

- Et bien je viens t’annoncer une mauvaise nouvelle. Puis elle se racla la gorge en déroulant un parchemin. De nombreux faits sont remontés jusqu’à nous, parmi lesquels : l’assassinat de Prophète par Télendar alors chef de guilde des Combattants de Zil, l'infiltration d’un Nehantiste au sein de ta guilde, les trahisons des membres Sélène, Silène et Télendar, l'omission de déclaration de nouveaux membres de guilde et enfin l'absence de rapport d’activité depuis plusieurs mois.

Abyssien s’assit. Effectivement cela faisait beaucoup.

- En fonction de ces faits, le Conseil prend la décision suivante. La guilde les Combattants de Zil a deux mois pour mettre à jour ses déclarations et prouver qu’elle peut encore être digne du titre qu’elle porte. Sans quoi, elle sera purement et simplement dissoute.

C’était un coup de massue que venait de recevoir le chef Zil.

- Comprend bien, Abyssien, que ça ne me fait pas plaisir. Officiellement, le Conseil se devait de répondre aux agissements de ta guilde. Il faut redorer votre blason et prouver que tes membres sont dignes de confiance.

La jeune femme déposa son verre et se leva.

- Officieusement, je sais bien que tout cela concerne Télendar. Mais les règles sont strictes, le chef de guilde assume les responsabilités des actes de sa guilde. Le conflit dans lequel nous sommes s’intensifie. Je ne doute pas que les talents des Zils seront appréciés, si tu arrives à les canaliser.

Abyssien restait muet, tout cela était grave et il fallait agir avec sagesse.

- Bien je ne te retiens pas plus Conseillère, j’ai à faire.

Le ton indiquait clairement qu’Abyssien allait prendre les choses en main. Le visage du chef Zil se modifia et commença à enfler.

- Oui bon, je crois que je vais vous laisser. Dans deux mois, nous jugerons de l’évolution des choses.

La Conseillère repartit aussi rapidement qu’elle était venue, laissant le chef à ses affaires.


Abyssien était entouré par les autres Combattants. Il leur avait expliqué la situation et les mines étaient devenues graves. Kriss s’avança vers le chef.

- Abyssien, il faut réunir le triumvirat.

Les plus anciens Zils savaient qu’existait un triumvirat qui lorsque la situation l’exigeait se réunissait pour prendre les décisions. Les nouveaux fraîchement arrivés apprirent donc ce fonctionnement.

- Il va falloir oui. Puis, regardant l’assemblée. Bien écoutez moi tous, il faut débarrasser la piste, enlevez tout se qui traine, puis une fois que ça sera fait vous vous mettrez en cercle tout autour. Kriss et moi allons faire venir une personne inconnue de la plupart d’entre vous. Si jamais elle s’adresse à vous, ne lui répondez pas.

Les Combattants débarrassèrent donc la piste, puis Abyssien apporta une grosse malle, il l’ouvrit et attrapa son contenu. Puis, délicatement, il déposa ce qui ressemblait à une grosse marionnette, faite de paille et de tissus aux couleurs de la guilde. Il éloigna ensuite la malle. Kriss commença à jouer de la musique avec son orgue de barbarie un air jusque-là inconnu de la majorité de la troupe. Abyssien, quant à lui, lança un sortilège de nuit dans la pièce, puis un autre sort qui créa un puits de lumière sur la piste. Le chat noir qui ne quittait jamais Kriss faisait des cercles autour de l’espèce de poupée. Le chef des Zil incanta dans le même rythme que la musique. Au bout d’un moment, le mannequin de paille s’éleva dans les airs en même temps que le chat. Des tentacules d’ombre sortirent du félin et s’enroulèrent autour de ce qui en fait, était un épouvantail. Celles-ci passèrent ensuite par les yeux et la bouche de l’épouvantail et quittèrent le félin qui redescendit inconscient sur le sol.

La musique cessa de même que l’incantation. La créature était restée debout et se balançait doucement d’avant en arrière, les bras bringue-ballants. Tout le monde retenait son souffle devant l’évènement. Puis l’épouvantail s’anima encore plus et se mit à marcher en regardant autour de lui. Après avoir fait un tour de piste, il s’arrêta devant Abyssien et Kryss. Les deux hommes s’inclinèrent, puis la créature fit de même.

- PourQUOI, me DERangez-VOUS ?

- Il nous fallait réunir le triumvirat, la guilde est en danger.

- AAaH ? En QUOI la guilDE que j’ai créé EST-elle en DANger ??

Abyssien expliqua donc le passif de la guilde et la mise en demeure du Conseil. L’épouvantail se retourna et refit un tour de piste. Il ne reconnaissait personne à part Sangrépée et Sansvisage, d’ailleurs il s’arrêta à leur niveau.

- OUUUH mes PEtits vous avez GRANdits ! VOUS êtes SUPERbes !

Continuant son tour, il s’arrêta devant Sombre.

- COmment tu t’APpelles ?

Mais la jeune femme ne répondit pas, se souvenant de la mise en garde d’Abyssien. L'épouvantail dodelina de la tête.

- Elle se nomme Sombre, elle est douée en jonglerie, répondit le chef. Nous devons parler en privé.

Kryss, Abyssien et le nouvel arrivant laissèrent les autres aux spéculations les plus folles.


Le triumvirat se réunit donc à l'écart du chapiteau afin d’être libre de tout espionnage éventuel.

- NE t’inquIETE pas MONsieur LOyal, ils ne POUrront pas dissOUDRE ma chèRE GUIlde ! L’OMbre est là mainteNANT.

- Qu’allons-nous faire pour nous donner du crédit ?, demanda Kryss.

- Nous allons passer aux choses sérieuses, répondit Abyssien dont le visage se dilatait à nouveau.

- OUI ! On va PUnir les TRAîtres et FAIRE ce pourQUOI je nous AI créé, faire EN sorte QUE le MAL ne sorTE pas de l’OMBre.

- Vas-tu rester cette fois ?, interrogea Kriss qui lui aussi changeait.

- OUI ! Mais PERsonne ne devra savoir qui JE suis ! L’Archimage Artrezil a ETE clair A ce suJET. Vous me NOMMErez désorMAIS SALEM !

A l'aventure

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Comme un peu partout dans le monde, les îles blanches recelaient de véritables coupe-gorges, tavernes mal famées où l’alcool coulait à flots et les fripouilles venaient délester les soûlards. C’est dans l’un de ces lieux que débute l’aventure incroyable de l’équipage d’Al la Triste. “Les deux jambes de bois” était une taverne du quartier le plus mal famé de la célèbre cité Volovan, un repère de crapules, de fripouilles et d’arnaqueurs en tout genre. Burrich le batteur, un des clients réguliers avait bon espoir de réussir le coup du siècle en voulant vendre une carte au trésor. Ne sachant ni lire, ni écrire, il ne se doutait pas de l’importance de cette carte et, comme on ne le prenait jamais au sérieux, personne n’avait voulu croire en la valeur de ce qu’il détenait. Jusqu’au moment où son histoire parvint aux oreilles de Bragan, un des membres de l’équipage d’Al la triste. Après avoir fait quelques vérifications, il rapporta l’authenticité de la chose à son capitaine. Al la triste fut très intéressée par cette découverte.

Bragan le vieux baroudeur, Poukos l’homme poisson et le Capitaine Al la triste entrèrent dans la taverne où devait se passer la vente de la carte. Beaucoup sortirent en croisant les pirates, dont la réputation avait une fâcheuse tendance à les précéder. Pour ceux qui n’avaient jamais croisé Al la triste, sa vision provoquait toujours la surprise. Avec son tricorne, la jeune femme avait souvent du mal à passer les portes, tant en hauteur à cause de sa stature qu’en largeur avec son imposant bras droit mécanique.

Leur rendez-vous attendait dans un coin. Burrich s’imaginait déjà repartir richissime après avoir vendu ce bout de papier trouvé dans une brocante. Les deux acolytes du capitaine s’assirent à la table de l’infortuné vendeur. Le capitaine s’installa juste à sa gauche.

- Refais-nous voir la marchandise, raclure de latrines ! Harangua Bragan avec toute l’amabilité dont il pouvait faire preuve.

L’homme sortit donc l’objet tant convoité, un rouleau de parchemin qui fut probablement scellé par une lanière de cuir rouge et un cachet de cire. Al la Triste examina la lanière puis déroula la carte. C’était bien ça ! Plusieurs années à chercher en vain pour tomber dessus presque par hasard. Mais elle ne montra rien de sa satisfaction. Poukos lança sur la table une bourse contenant de l’argent. L’homme l’attrapa et l’ouvrit avec impatience. Hélas il fut déçu, la somme ne correspondait pas vraiment à ses attentes.

- Hey ! Mais y’a rien là dedans !, s’indigna-t-il.

Al la triste se leva d’un coup, renversant son tabouret, empoigna l’imbécile par le col et le souleva jusqu’à son visage. Les deux autres ne bougèrent pas le petit doigt. Il fallait bien entretenir le mythe de la célèbre Al la triste !!

- Ecoute tête de hareng, des comme toi, j’en ai plein ma cale. Je les refourgue aux mines de sel de Brence. Alors, s’tu veux pas que je t’arrache un bras et que je te bazarde là-bas, accepte ce marché qui est tout à fait honorable.

L’homme ne la ramenait pas. Il crut que c’en était fini pour lui. Poukos et Bragan le regardaient comme si sa dernière heure était venue. Pesant le pour et le contre assez rapidement, il tendit la carte.

- Te.. tenez, c’est bon ça m’va !

Le capitaine le lâcha d’un coup et il s’affala par terre. Il eut à peine le temps de se lever que les pirates étaient déjà en train de partir, ce qui constituait pour lui un soulagement. Il avait un peu plus d’argent et beaucoup moins d’ennuis.

Un peu plus tard sur l’Arc-Kadia, le navire volant du capitaine Al la triste, c’était l’effervescence. La jeune femme avait fait rappeler son équipage qui était jusque là “en permission”. Dans ses quartiers, la jeune femme tentait de percer les secrets de cette carte au trésor lorsque quelqu’un frappa à la porte.

- Capitaine, c’est moi !, dit une voix très aiguë.

Al la triste se leva, déverrouilla la porte et regarda son second avec joie.

- Viens entre, dit-elle en regardant s’il n’y avait pas un ou deux curieux qui les espionnaient. Je l’ai trouvée, j’ai enfin de quoi localiser le Titan du capitaine Hic !

Œil de gemme, le second, plissa les yeux et enleva les quelques mèches qui lui tombaient sur le visage. Elle avait grandi avec le capitaine et les deux femmes étaient devenues de véritables sœurs d’arme. Al la triste lui montra fièrement la carte, dépliée sur la table ronde. Autour, voire dessus, un tas de livres ouverts et des instruments de mesures étaient éparpillés. La carte elle-même était assez grande mais surtout magnifiquement illustrée.

- Tu crois vraiment que c’est le capitaine Hic qui l’a dessinée ?

- Absolument ! Regarde, dit-elle en montrant un tas de parchemins. C’est tout ce que j’ai réuni sur lui. Il y a là de nombreux dessins signés de sa main. Le style correspond, et la date aussi. Si tu observes bien, la partie gauche est le royaume de Bramamir, avant que le vortex ne se forme. Et on sait que Hic y a vécu avant la guerre noire.

Œil de gemme observait la carte. Elle ressentit alors l’émanation d’une magie discrète, mais présente. La guémélite passa la main au dessus et sans faire exprès réactiva la carte. Des inscriptions apparurent sur le parchemin, puis la carte exhala une fine fumée qui voleta pour former une image bien plus complète. Une petite boule jaune de la taille d’une phalange apparu sur la carte. Al la Triste avança, ses yeux brillaient d'excitation. Elle jeta un œil aux inscriptions, c’était une langue que peu connaissait, mais elle, elle l’avait apprise il y a bien longtemps. Son père, capitaine pirate lui aussi, avait enseigné à sa fille tout ce qu’il savait.

Voici ce que cela racontait :

“La chasse commence, contre vents et marée vous les trouverez, les cardinaux aidant. A chaque étape son combat, remporte les tous et trouve Titan ou bien sombre dans l’oubli éternel.”

Elle relut à plusieurs reprises la phrase afin de mieux en saisir l’essence.

- Et bien, c’est mystérieux tout ça, c’est très intéressant.

Son second, quant à elle, examinait le point jaune. Elle attrapa une carte de la région et compara les deux plans.

- On reconnaît certaines parties des Îles blanches, le point jaune indique un morceau autrefois côtier. Nous pouvons y être en deux jours.

- Bien, prépare l’équipage. Fais le plein de foudre. Nous partons demain !

- Bien, capitaine.

Le lendemain matin le navire était prêt. C’était un gigantesque 3 mats propulsé par deux gros moteurs “Vafeur”, mélangeant une technologie basée sur un moteur à vapeur et foudre, une machinerie bidouillée mêlant cristaux magiques et forces de la nature récupérés à même les nuages. Les arcs électriques qui léchaient les cristaux produisaient des claquements particuliers. Mais l’équipage s’y était depuis longtemps habitué et plus personne n’y faisait attention. Sur le pont, tout le monde attendait le discours de leur capitaine. Œil de gemme avait bien fait son boulot et tous filaient droits. Enfin, le capitaine apparut, portant son large sabre, preuve de son statut.

- Pirates ! Nous partons aujourd’hui à la recherche du Titan, le célèbre navire du capitaine Hic et du trésor qu’il renfermerait !, dit-elle en levant son sabre vers le ciel.

Alors, tous se mirent à crier, se donnant du courage, la tête pleine de rêves, de richesse et de gloire. L’équipage se mit au travail, détacha le navire de l’encrage et lâcha les voiles à la faveur du vents. L’Arc-Kadia trembla, craqua, puis doucement s’éleva dans les airs. La cité de Volovan et son île, figées dans le ciel devinrent de plus en plus petites alors que d’autres grossissaient. Al la triste tenait la barre avec fierté, elle savait précisément où aller, elle avait mémorisé la carte au trésor et les plans de son second.

La nuit était tombée sur l’ancien royaume de Bramamir et deux jours avaient passé depuis leur départ. Personne ne dormait et l’activité était fébrile, le navire amorçait sa descente vers une toute petite île à l'écart. Celle-ci était vallonnée de dunes et entièrement recouverte d’un sable morne.

- Que savons nous du coin, Œil de gemme ??

- Pas grand chose, c’est une région désertique, y’a personne qui vit dans le coin. Y’a que la mort qui ose venir ici.

- Un endroit idéal pour cacher quelque chose. BRAGAAAAAAAN !!, hurla le cap’tain.

Un vieil homme débonnaire apparut, à moitié endormi, un cruchon de rhum à la main.

- Ouais cap’tain ?

- Tu iras au matin sur cette île avec Ti mousse et...

- Moi ! Moi ! Moi ! Moi !

Débarqua alors une furie au cheveux courts et très légèrement vêtue. Elle monta les escaliers jusqu’au pont en deux temps trois mouvements et s'arrêta en se mettant au garde à vous. Al la triste eut l’air désespérée et secoua la tête en se cachant le visage de la main gauche.

- Tu dors pas encore la peste ??, targua Bragan.

- Allez, capitaine, laissez-moi y aller !, insista la rouquine.

- Bien, oui vas-y, mais je te préviens que tu m’entendras si tu rates ton coup. Compris, Armada ?

- Ouais ! Ouais ! Ouais !

La jeune fille sauta en l’air en agitant les bras frénétiquement.

Quelques heures passèrent et le jour arriva enfin, le petit groupe était prêt. Le navire se plaça à une distance suffisante pour que Bragan, Ti mousse et Armada puissent descendre avec une corde. Le sable était chaud et immaculé et les dunes s’étalaient à perte de vue. Le petit groupe progressa lentement mais sûrement vers le centre de l'île. A bord de l’Arc-Kadia, Al la triste observait avec sa longue vue, mais la chaleur émise par le sable voila rapidement le groupe de pirates. Au bout de quelques heures de marche, Bragan se rendit compte que quelque chose n’allait pas.

- En marchant comme on marche, on devrait déjà avoir atteint l’autre bout de l'île.

Ti mousse examina les environs.

- Là ! Des traces dans le sable ! Regardez, trois personnes sont passées par ici.

- C’est nos traces le mousse !, cracha Armada. Nous tournons en rond comme des rats dans une chaloupe.

- Mince, que va-t-on faire ?, lança le matelot avec une pointe de panique.

- On va réfléchir pardi, je sais que ça t’arrive pas souvent mais il va falloir. Nous allons commencer par changer de direction.

Le groupe se remit en route, et quelques temps plus tard, alors que la chaleur commençait à devenir insoutenable :

- On va mourir...

Ti mousse avait quitté son gilet et vidé son outre.

- Pas certain. Je t’ai dit qu’il fallait réfléchir.

- Parce que toi le vieux, t’as trouvé ?, dit Armada en s'esclaffant.

- Bien sur que j’ai trouvé. Et c’est justement une ancienne histoire qui me fait penser à la solution. Connaissez vous les miroirs de Flint ?

Les deux jeunes répondirent non à l’unisson.

- M’étonne pas ça. Et bien certains pirates pour cacher un trésor créaient une série de miroirs magiques imperceptibles qui faisait tourner en boucle les infortunés qui voulaient les voler. Et ici c’est le cas, enfin c’est pas un vol puisque Hic est mort depuis des lustres, mais son sort est toujours actif.

- Et comment on fait pour sortir de celui-ci ?

- Par magie ! Ces miroirs sont des mirages, nous avons de quoi les souffler et les briser. Armada, tu as toujours des explosifs sur toi. Va placer trois charges de façon à faire un triangle, tu sais ce qu’est un triangle ?

- Pfff, bien sur, vieux schnock !

Bragan se concentra durant de longues minutes, le temps pour Armada de placer trois bombes de sa confection. Puis une flamme apparue devant le mage pirate. Celle-ci se transforma alors en un petit oiseau, puis deux et enfin un troisième apparu.

- Couchez-vous !!!

Ti mousse et Armada eurent à peine le temps de se plaquer au sol que Bragan lança ses oiseaux qui foncèrent sur les bombes. Une grande explosion retentit alors et un nuage de sable se forma.

- Kof ! Kof ! Beh dis donc, c’est de sacrées bombes que tu nous as fait Armada.

- Ouaip, petites mais efficaces !

- Regardez ! Là ! Quelque chose brille dans le sable.

En effet un peu plus loin, en plein soleil un objet en or brillait de mille feu. En s’approchant les pirates reconnurent une tête de mort faites de sable, serrant entre ses dents un rouleau en or. Au moment où Bragan se saisit de l’objet, la tête de mort retourna à l’état de tas de sable. L’île elle-même fut secouée de tremblements.

A bord de l’Arc-Kadia, tout l’équipage scrutait les environs. Cela faisait maintenant de longues heures que la troupe était partie. L’inquiétude était montée peu à peu. Puis vint l’explosion, et quelques temps plus tard, un fait étrange. L’île tremblait et perdait des morceaux qui sombraient dans le vortex. Al la triste lança un rapide coup d’oeil avec sa longue-vue et repéra ses hommes. Le bateau tangua et avança en direction des infortunés corsaires qui luttaient pour ne pas être aspirés par l’un des nombreux trous qui se formait dans le sable. Bragan, Ti mousse et Armada remontèrent à bord in extremis car l’île entière se désagrégea...

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